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L'EXPRESSIONDZ.COM
IRAN-ISRAËL, MÊME COMBAT
Le partage
du Moyen-Orient
Pr Chems Eddine Chitour
Lundi 26 octobre 2009
«Souvenez-vous que les Iraniens sont toujours à cinq ou sept
années de la bombe. Le temps passe, mais ils restent toujours à
cinq ou sept années de la bombe.»
Shlomo Brom. Ancien officier des services de renseignements
israéliens.
S’il est un feuilleton à multiples épisodes tout aussi présentés
comme devant mener à l’apocalypse, c’est bien le problème posé
par l’entêtement de l’Iran à maîtriser l’atome. De quoi s’agit
-il en fait? La consommation de l’énergie électrique en Iran est
actuellement de l’ordre de 33.000 mégawatts par an. 75% de cette
énergie est produite par le gaz, 18% par le pétrole et 7% par
l’énergie hydroélectrique. Les projections sur les deux
décennies à venir montrent que ce pays connaîtra le même taux de
progression. La consommation dans les vingt prochaines années
devrait doubler et se situer entre 70 à 80.000 mégawatts. Les
réserves iraniennes sont de 133 milliards de barils. La
production est de 4 millions de barils par jour dont 2,6 à 2,9
millions sont exportés. La demande de consommation de pétrole
est en progression rapide: 6% par an. L’exportation du pétrole
constitue 80% des recettes en devises. Il s’avère donc
nécessaire pour l’Iran de réduire d’ici vingt ans la part du
pétrole dans la production de l’énergie électrique. En ce qui
concerne l’énergie hydroélectrique, les projets en cours visent
à doubler l’exploitation de ces ressources dans la production
d’électricité. Mais, avec des investissements, l’Iran pourrait
augmenter sa production encore plus, jusqu’à 20.000 mégawatts
par an. L’Iran dispose de 26 376 milliards de mètres cubes de
réserves de gaz [ deuxième rang mondial après la Russie, Ndlr].
La production actuelle est de 84 milliards de m3 [6 environ fois
les réserves de l’Algérie pour une production équivalente!!
Ndlr] dont 53% pour la production d’électricité. En conséquence,
cette réserve peut contribuer à augmenter sa part dans la
production de l’électricité en Iran. Pour cela, il faut investir
dans l’industrie gazière. En ce qui concerne l’énergie
nucléaire, l’Iran possède les plus grandes mines d’uranium au
Proche- Orient à proximité de Yazd et de Bandar Abbas. Elles
représentent l’équivalent de 43 milliards de barils de pétrole.
L’objectif des autorités iraniennes est de réduire d’ici 2021 la
part du gaz dans la production de l’énergie électrique de 75%
actuellement à 65%, et celle du pétrole de 18 à 5%, et
d’augmenter celle de l’hydroélectrique jusqu’à 20% et de
produire les 10% restants par l’énergie nucléaire[ soit 7000 MW
l’équivalent de 7 centrales de type Bouchair].Pour cela, il lui
faut de l’uranium enrichi. (1)
La prétention légitime à diversifier ses sources d’énergie en
mettant en place un «bouquet énergétique» comme l’a fait
la France avec les «Grenelle», se heurte depuis plus de
dix ans à la suspicion partiale des pays occidentaux qui font
dans la surenchère accusant l’Iran d’avoir la prétention de
vouloir fabriquer la bombe. Le feuilleton a connu un épisode
inattendu. Début septembre, le président Ahmadinejad accepte le
principe d’enrichir l’uranium iranien à l’étranger. L’Iran a
entamé le 19 septembre à Vienne, sous l’égide de l’Aiea, la
négociation d’un accord avec les Etats-Unis, la Russie et la
France sur l’enrichissement à l’étranger d’uranium à usage
civil, souhaitant apaiser les tensions autour de son programme
nucléaire controversé. Téhéran avait averti: «La République
islamique d’Iran continuera son enrichissement d’uranium jusqu’à
5%, mais si les négociations ne donnent pas de résultats
adéquats, nous commencerons à produire de l’uranium enrichi à
20% et ne renoncerons jamais à notre droit», a déclaré Ali
Shirzadian le représentant iranien, Le 1er octobre à Genève,
l’Iran et les pays du groupe des Six étaient parvenus à un
accord de principe: Téhéran livrerait une partie de son uranium
enrichi à moins de 5% à un pays tiers pour obtenir en
contrepartie de l’uranium enrichi à 19,75% pour son réacteur de
recherche à Téhéran, totalement sous contrôle de l’AIEA, et cela
à des fins médicales. Il s’agit, d’ici la fin 2009, «d’environ
1200» des 1.500 kg jusque-là faiblement enrichis par l’Iran
Il s’agit de déterminer «les modalités et le moyen d’assurer
que l’Iran aura le combustible requis pour son réacteur de
recherche», selon M. El Baradei. L’Iran a demandé jusqu’à la
semaine prochaine pour donner sa réponse définitive «Nous
sommes les maîtres de la technologie de l’enrichissement», a
encore affirmé M.Soltanieh, ajoutant que les Iraniens «pourraient
produire eux-mêmes le combustible pour ce réacteur nucléaire».
«Mais, a-t-il relevé, nous avons décidé que nous recevrons le
combustible de producteurs potentiels prêts à le fabriquer et
sous les auspices de l’AIEA». La Russie serait responsable
pour l’enrichissement de l’uranium à 19,75%, tel que le demande
l’Iran, et qu’elle sous-traiterait ensuite à la France la mise
au point des coeurs nucléaires pour le réacteur de recherche.
Tout n’est pas aussi simple! Les Occidentaux croyaient avoir mis
définitivement à genoux l’Iran dont ils ignorent tout de la
civilisation. Leurs positions scandaleusement alignés sur Israël
à qui on permet 200 bombes,des sous-marins gratuits, le mépris
de l’Aiea non autorisé à visiter Dimona[Souvenons nous de
l’humiliation du DG de l’Aiea en Israël], font que l’Iran se bat
pour exister dans le nouveau partage du monde. Pour le journal
Le Monde, L’Iran ne semble guère disposé à évacuer vers
l’étranger, avant la fin de l’année, la majeure partie de son
stock d’uranium enrichi. (...) L’évacuation de l’uranium
priverait l’Iran de la capacité de détourner son stock pour
fabriquer la matière fissile utilisable dans la fabrication
d’une bombe nucléaire. Téhéran refuse de livrer les 1 200 kg en
bloc, et veut obtenir que le processus soit étalé dans le temps.
C’est un détail crucial: en effet si la livraison a lieu par
petits lots, l’Iran pourrait reconstituer son stock au fil des
mois, car il n’a pas l’intention d’interrompre les activités
d’enrichissement d’uranium menées dans l’usine de Natanz, au sud
de Téhéran. Du point de vue occidental, si l’uranium devait
sortir d’Iran par petites parcelles, les gains de l’opération
seraient annulés, puisque les capacités nucléaires iraniennes ne
diminueraient en rien. L’Iran produit environ 80 kg d’uranium
faiblement enrichi par mois. (...) En visite à Beyrouth
vendredi, le ministre français des Affaires étrangères, Bernard
Kouchner, a commenté: «Je ne peux pas dire que la situation
concernant l’Iran soit très positive.»(2)
Dans cette atmosphère pour le moins ambivalente, on apprend que
Meirav Zafary-Odiz, directrice du suivi pour le contrôle des
armements nucléaires de la Commission pour l’énergie atomique
d’Israël a rencontré à plusieurs reprises Ali Ashgar Soltanieh,
représentant iranien à l’Aiea. pour discuter du nucléaire au
Proche-Orient, a indiqué jeudi 24 à l’AFP la porte-parole de
cette commission. a affirmé à l’AFP Yaël Doron. Ces rencontres
se sont déroulées à huis clos et leur tenue n’aurait pas dû être
révélée. Ces discussions entre officiels israélien et iranien
sont sans précédent depuis la révolution islamique d’Iran en
1979. Selon le quotidien israélien Haaretz, les discussions
entre les deux parties ont porté sur trois articulations
essentielles: - déclarer le Moyen-Orient zone dénucléarisée; -
éviter la prolifération nucléaire dans la région; - développer
l’énergie nucléaire à des fins pacifiques. Les discussions se
sont déroulées du 29 au 30 septembre en présence notamment de
représentants d’autres pays membres de l’Aiea dans un grand
hôtel du Caire sous les auspices de la Commission internationale
pour la non-prolifération des armes nucléaires...Toujours selon
Haaretz, des délégués de Jordanie, d’Egypte, de Tunisie, du
Maroc, d’Arabie Saoudite, ainsi que des Etats-Unis et de l’Union
européenne ont assisté aux discussions. Haaretz cite un témoin
des discussions selon lequel M.Soltanieh a, notamment demandé
directement à Mme Zafary-Odiz si son pays disposait de l’arme
nucléaire, et celle-ci a souri sans répondre à la question.
Cette dernière a souligné qu’il fallait renforcer la sécurité
régionale et conclure des arrangements de paix avant qu’Israël
puisse se sentir libre d’engager de telles discussions. Selon
des experts étrangers, l’Etat hébreu compterait jusqu’à 200
ogives nucléaires conçues notamment grâce au réacteur de Dimona.
http://fonzibrain.wordpress.com/ Dans cette partie de poker
planétaire complexe, rien n’est blanc ou noir. Il nous faut
remonter dans le temps pour nous apercevoir que dans les temps
modernes, l’Iran était toujours dans le camp occidental.
Ecoutons Alastair Crooke qui fait un développement historique de
ces relations: «L’Iran fut, entre 1950 et 1979, un allié
important des Etats-Unis et d’ Israël, alliance qui,
curieusement, a perduré quelques années après la révolution
islamique. "Nos relations avec l’Iran étaient très étroites et
bien ancrées dans le tissu social des deux peuples",notait un
haut responsable des affaires étrangères israélien au lendemain
du retour de l’ayatollah Khomeiny dans son pays en 1979. A
l’époque, Téhéran apparaissait comme un interlocuteur naturel,
aussi bien à Tel-Aviv qu’à Washington. Trente ans plus tard, les
décideurs politiques occidentaux, Israéliens en tête,
considèrent l’’Iran comme une menace. Et si leur revirement
reposait sur une mauvaise lecture de la révolution islamique?
(...) Ben Gourion voulait convaincre Washington que son pays
représentait un atout stratégique au Proche-Orient.»(3)
«Le numéro un israélien élabora le concept d’"alliances
périphériques". Celles-ci visaient à contrebalancer le poids des
Etats arabes en se rapprochant de l’’Iran, de la Turquie et de
l’Ethiopie. Il entendait ainsi renforcer la capacité dissuasive
de son pays, réduire son isolement et inciter la diplomatie
américaine à le percevoir comme un "atout". Parallèlement à
cette doctrine, Ben Gourion développa une autre idée: celle de
l’"alliance des minorités". Pensant non seulement aux Turcs et
aux Perses, mais aussi aux Juifs, aux Kurdes, aux Druzes, aux
chrétiens maronites du Liban, etc., il prétendait que la
majorité de la population proche-orientale n’était pas arabe. Il
fallait donc encourager le désir d’autonomie nationale et créer
des îlots d’alliés dans un océan de nationalisme arabe. Aussi
surprenant que cela puisse paraître, ces affinités perdurèrent
après la révolution iranienne, incitant même des responsables
israéliens de droite(...) On pensait que le fondement
idéologique de la révolution islamique était "creux" et que les
"pragmatiques" la remettraient bientôt sur le droit chemin du
progrès matériel - seule option envisageable pour les
Occidentaux. Tel-Aviv et Washington cherchaient donc fébrilement
des "modérés" et des signes de pragmatisme à Téhéran...Ceux
qu’envoyaient les dirigeants iraniens en matière de politique
étrangère ne faisaient que renforcer l’idée selon laquelle ce
"pragmatisme" se traduirait à terme par une alliance avec
Israël.»(3)
En réalité, l’exigence d’une «modernité» matérialiste à
l’occidentale était ce que refusaient le plus les dirigeants
iraniens, soucieux de voir triompher une autre conception de la
modernité par laquelle les musulmans définiraient leur avenir
politique et social. (...) Dans les années 1990-1992, deux
événements eurent un retentissement sur toute la région:
l’effondrement de l’Union soviétique et la défaite de Saddam
Hussein pendant la première guerre du Golfe (1990-1991). Ainsi
disparurent en même temps la menace russe sur l’’Iran et la
menace irakienne sur Israël. Téhéran et Tel-Aviv étaient
désormais rivaux dans la région, à l’heure où les Etats-Unis
s’affirmaient comme une superpuissance unique et incontestable.
(...) La perspective d’une hégémonie régionale iranienne ne
pouvait constituer qu’une menace pour la suprématie militaire
israélienne; elle ouvrait en outre la possibilité d’un
rapprochement dangereux entre Téhéran et Washington. (...) Dès
lors, Israël et ses alliés en Amérique ne cessèrent d’accuser
Téhéran de chercher à développer l’arme nucléaire.(3)
«M.Shimon Pérès avertit la "communauté internationale" que
l’’Iran posséderait la bombe atomique en 1999. En 2009, les
Iraniens sont encore, selon les services de renseignements
américains, "à cinq ou sept années de la bombe"...(...) Les
Etats-Unis développèrent une stratégie parallèle: susciter le
réalignement pro-occidental de certains Etats arabes mobilisés
contre les ennemis situés à la "périphérie" - des barbares
s’attaquant aux valeurs, aux institutions et aux libertés de la
civilisation occidentale, en premier lieu l’Iran. Cette
stratégie connut une accélération avec la victoire de M.George
W.Bush en novembre 2000. (...) La défaite iranienne permettrait
de faire d’une pierre deux coups: elle affaiblirait le moral des
Arabes et des musulmans en même temps que les forces de la
résistance islamiste. Les Arabes deviendraient dociles, et tout
le Proche-Orient basculerait, comme autant de dominos. (...)Ce
schéma entraîna la polarisation en deux blocs. En tentant de
briser la résistance du monde musulman à leur vision libérale de
l’avenir, les Etats-Unis et leurs alliés européens ont suscité
des mobilisations de masse contre leurs projets. Ils ont aussi
radicalisé l’hostilité envers l’Occident. Les antipathies
imaginaires pourraient devenir bien réelles.»(3)
Il y a donc une grande partie d’échecs qui se joue et une
recomposition du monde dans lequel l’Iran veut avoir sa place.
Il ne faut pas oublier que la revendication de l’Iran de
maitriser la technologie nucléaire est une aspiration quel que
soit le régime en place. Le Shah, qui a investi en France (il a
encore 10% dans Eurodif) et en Allemagne, voulait installer
plusieurs centrales. L’Occident a fermé brutalement les portes
quand Khomeiny est venu au pouvoir. Que dire de la situation
actuelle? Il est fort possible que finalement l’Occident
s’accommode d’un nucléaire iranien s’il ne porte pas préjudice à
Israël. De ce fait, la rencontre Israël-Iran du Caire sous les
regards des spectateurs arabes n’augure rien de bon. Les deux
puissances réelles du Moyen-Orient se partageront le
Moyen-Orient avec la bénédiction des Américains. Nul doute que
derrière tout ce tintamarre, la question de l’énergie est
présente. Le nucléaire iranien à usage électrique ne couvrira
qu’un faible pourcentage de la demande énergétique iranienne. Il
est fort possible que l’Iran ait des velléités d’avoir la bombe.
La rencontre du Caire entre les Israéliens est autrement plus
importante que la mascarade de Vienne. Souvenons -nous, pour la
première fois, le 25 septembre 2009 le Conseil s’est réuni et
n’a même pas parlé de l’Iran, il a en revanche adopté une
résolution qui n’arrange pas les affaires de Téhéran: «L’instauration
d’un monde dénucléarisé», y compris Israël. Nul doute qu’une
fois de plus les potentats arabes seront les spectateurs de
leurs destins. Juste retour des choses, c’est l’empereur Cyrus
II, le Grand Roi des Perses, qui conquiert la Babylonie en 539,
laissant la diaspora retourner en Judée tout en demeurant sous
la tutelle des Perses. Il permit la reconstruction du Temple dès
516 avant J-C.
1.RFI - Iran - Nucléaire http:
//www.rfi.fr/actufr/articles/074/article_41864.asp
2.Natalie Nougayrède. L’Iran cherche à modifier les termes de
l’offre. Le Monde 24.10.09
3.Alstair Crooke. Quand Israël et l’Iran s’alliaient
discrètement. Le Monde Diplomatique 02 2009
Pr Chems Eddine Chitour, Ecole nationale
polytechnique, Ecole d´ingénieurs Toulouse
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Publié le 26 octobre 2009 avec l'aimable autorisation de l'Expression
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