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L'EXPRESSIONDZ.COM
INTIFADA BANLIEUES
Ces territoires abandonnés de la
République
Chems Eddine Chitour
Photo: P.A.S.
Lundi 25 octobre 2010
« Si tu cherches le mal dans le coeur des
gens, tu le trouveras. Alors cherche le bien ».
Abraham
Lincoln
Lors des marches contre le projet des
retraites, les médias ont rapporté un mouvement parallèle, celui
des «casseurs», ont dit que des bandes ont profité des
manifestations lycéennes, contre le projet de réforme des
retraites, pour mettre à feu et à sang les rues du centre-ville.
Des automobiles, des poubelles, des camions, du mobilier urbain,
ont été détruits, brûlés. De très nombreux commerces ont été
attaqués. Ce mouvement n’a pas jailli du néant, c’est un feu mal
éteint, ses prémisses remontent à une trentaine d’années avec
l’arrivée de la Gauche au pouvoir qui a compris le bénéfice
qu’elle pouvait tirer de l’instrumentalisation des beurs, ces
enfants des émigrés qui ont donné leur sang comme tirailleurs
pour défendre la France et leurs bras comme «tirailleurs
bétons», pour la construire. Le mouvement «Touche pas à mon
pote» qui a jailli du néant s’est, au cours du temps, dilué, ses
ténors ayant été casés par le PS. A droite, la même aspiration a
donné lieu à des promotions éclairs. Ce fut Azouz Begag et
Fadéla Amara transfuge de la gauche...
Cependant et en se gardant de donner des leçons en nous
immisçant dans des problèmes franco-français, [nous devons
regarder la poutre qui est dans notre oeil] la mal-vie actuelle
des banlieues ne peut pas être réduite uniquement à un problème
de lois de dealers, de territoires où la loi de la jungle règne.
Il y a certainement des milliers de jeunes qui veulent s’en
sortir et sortir des banlieues, bref, être des citoyens
ordinaires avec des devoirs mais aussi des droits.
« L’ère des sauvageons
»
Ivan Roufiol du Figaro avec un nom qui rappelle «Ivan le
terrible» est sans concession pour les beurs. Lisons ce morceau
d’ontologie où nous avons affaire à une distillation d’une haine
pure: «Tous les lycéens ne sont évidemment pas des casseurs.
Mais les casseurs de ces derniers jours- et ce mercredi matin
encore, dans le centre de Lyon - sont bel et bien des lycéens.
Ceux-là viennent, majoritairement, des cités-ghettos. Les
encapuchonnés ne défilent pas pour défendre la retraite à 60
ans, ni même le système de protection sociale qui a pu attirer
leurs parents ou leurs grands-parents. Ils sont là pour en
découdre avec la République, sa culture et ses symboles les plus
visibles: les forces de l’ordre, les écoles. Les scènes de
guérillas urbaines qu’ils reproduisent ressemblent beaucoup aux
images d’intifadas des jeunes palestiniens s’affrontant aux
forces israéliennes. Il y a, dans ces insurrections ethniques
d’une jeunesse de culture souvent musulmane, le même rejet d’un
Etat vu comme colonisateur et oppresseur. Les ensauvagés, chaque
fois plus intrépides et organisés, rappellent l’échec de leur
intégration. L’Allemagne, qui vient de reconnaître l’échec de
son approche multiculturelle, n’est pas pour autant confrontée à
ces explosions de haine et, en fait, de racisme anti-Français.
Ce qui s’observe chez ces voyous, c’est un refus de s’intégrer
dans une société qu’ils rejettent culturellement. La violence
des jeunes -avec toujours moins de blancs en leur sein,
l’épuration ethnique a fait imperturbablement son chemin depuis
2005- n’est porteuse ni d’alternative, ni de rébellion. Elle est
en sécession de tout, y compris d’elle-même. Des religieux, des
extrémistes de la cause noire, des importateurs du nationalisme
maghrébin tentent de plaquer leur vision sur ces mouvements de
foules. Mais ils n’en sont pas les moteurs. La violence est en
effet dans ces banlieues perdues, la seule voie pour progresser
socialement. Une attitude «glorieuse» contre policiers et
vitrines vous vaudra, de retour au quartier, la possibilité de
monter dans la hiérarchie du crime plus ou moins organisé, ou
tout simplement dans les bandes de copains qui, évidemment, ne
se mesurent pas à des déclamations de Racine. Il semble que les
pouvoirs publics se soient accommodés de cette situation. Sauf
quand il a trouvé un sérieux concurrent structurant:
l’Islam».(1)
Pour certains extrémistes du même gabarit, «il est clair, en
effet, que l’immigration, loin d’être une «chance pour la
France» est devenue un danger. Au moins pour trois raisons. La
première et la plus profonde concerne la perte progressive de
notre identité nationale. Progressivement s’imposent à nous des
coutumes, et parfois même des lois qui n’ont rien de français.
Des grandes marques obligent ainsi leurs clients à payer l’impôt
islamique -qu’ils soient musulmans ou non. Il est évident qu’il
n’y a pas de fatalité génétique pré-déterminant telle personne à
être un délinquant. Mais il est non moins évident que des
centaines de milliers d’immigrés non intégrés sont autant de
«clients» pour la délinquance».
Tout est dit, les émigrés ne trouvent aucune grâce aux yeux des
Ivan, c’est tantôt des casseurs, des sauvageons, pour reprendre
le langage zoologique du colonisé, cher à Frantz Fanon]. Pour la
vérité, Jean-Pierre Chevènement, un ministre de gauche, parlait
aussi de sauvageons.. Tantôt ces beurs sont des «intifadhistes»
des voyous, des adeptes du crime organisé, instrumentalisés de
l’extérieur... par des fanatiques de l’Islam. A qui cette
situation de ghettoïsation et de diabolisation des beurs
profite? Sans nul doute à tous les Ivan Roufiol et autres
extrémistes qui dictent la norme de ce que doit savoir et penser
le Français moyen. Qu’en est-il réellement? Il est vrai
qu’aucune société n’accepte le désordre, l’absence de l’Etat et
à ce titre, ramener l’ordre est un impératif. Les casseurs
doivent rendre compte. Cependant en ne s’attaquant qu’aux
symptômes, le risque est grand de voir une récurrence du
désordre tant qu’on ne s’attaque pas aux causes. Roufiol nous
dit qu’ils faut qu’ils s’intègrent sous-entendu, s’ils ne le
font pas, qu’ils s’en aillent. Le problème c’est qu’au nom du
droit du sol, ils ont en théorie les mêmes droits et
naturellement qu’Ivan Roufiol.
Solenn De Royer Christine Taconnet et Bernard Gorce du journal
La Croix, ont enquêté sur les parcours des casseurs jugés en
2005. Ils écrivent: «(...) Ils avaient participé aux violences
en banlieue. Aujourd’hui, ils expriment peu de regrets et leur
avenir reste incertain. Marche silencieuse à Clichy-sous-Bois,
un an après la mort accidentelle de deux adolescents, à
l’origine des émeutes. Le substitut du procureur n’avait rien
voulu entendre et demandé une «décision exemplaire». Karim, lui,
n’a aucun regret. S’il a participé aux émeutes de novembre 2005,
il a échappé à la police et à la justice. C’est «la haine pour
la police», explique-t-il, qui l’a conduit à participer aux
événements de novembre 2005. «Les flics nous interpellent dix
fois par jour, ils nous méprisent, c’est insupportable. «La
police ne reconnaît jamais ses torts. Il y a trop d’injustices.
Pour se faire entendre, la violence est le seul moyen. C’est de
l’autodéfense.»
Dans une étude, le Centre d’analyse stratégique (CAS) avait noté
la «sévérité» des condamnations prononcées par les chambres
correctionnelles ayant statué en comparution immédiate, pendant
les émeutes. Le CAS observait que la nature des faits, de même
que le passé judiciaire des prévenus n’avaient eu que «peu
d’influence sur la nature des peines et leur quantum». Le
président du tribunal pour enfants de Bobigny, Jean-Pierre
Rosenczweig, reconnaît que dans 40% des affaires transmises par
les services de police, «les dossiers étaient mal ficelés». Il
reconnaît qu’il n’a pas senti «un fort sentiment de
culpabilité...Le brasier existe toujours», dit-il».(2)
Dounia Bouzar est une sociologue qui a mené d’excellents travaux
sur les jeunes musulmans de France. (...) Elle explique la
relation à l’Islam. Et ses observations sont éloquentes: deux
approches de l’Islam dans les associations. Le premier type est
un Islam que nous pouvons qualifier d’assimilé, intériorisé, que
le Musulman vit quotidiennement sans besoin de s’y référer comme
on se réfère à un code extérieur. Le second type est un Islam
qui nous paraît en voie de maturation. C’est l’Islam vécu par de
jeunes Musulmans qui ont régulièrement recours au Coran et au
Hadith pour justifier le moindre de leurs faits et gestes. D’un
côté celles et ceux qui sont Musulmans et qui refusent d’être
enfermés dans ce seul critère religieux, parce qu’ils n’ont pas
de problèmes identitaires. De l’autre, celles et ceux qui sont
Musulmans mais qui veulent, en toute chose, aller puiser des
justifications dans le Coran ou dans la Sunna. Pourtant Dounia
s’interroge et nous interroge. Elle rappelle son analyse: «Les
Musulmans sont des gens comme les autres. Il n’y a pas que leur
religion qui les définit, il y a leur niveau économique, social,
leur histoire, etc. Il ne faut pas réduire des individus à leur
dimension religieuse. Non, on doit être embauché en fonction de
ses compétences professionnelles comme les autres».(3)
Guerre contre les cités
Hacène Belmessous, un autre beur qui a «réussi», parle d’un
maillage des banlieues en prévision d’une guerre. Il rapporte
une anecdote: «Au milieu des années 2000, dans une commission
d’urbanisme d’une ville du sud de la France en charge de la
rénovation d’un quartier HLM, il avait été décidé de détruire
l’une des «barres» de cet ensemble pour le rendre plus vivable».
Mais finalement, «le représentant du ministère de l’Intérieur au
sein de la commission imposa sa décision: ce ne serait pas cette
barre qui devrait être démolie, mais telle autre». Pourquoi?
«Pour que demain, dans le quartier rénové, les forces de l’ordre
puissent plus facilement lancer leurs Opération banlieues, est
le récit de cette enquête. Et il a découvert que «la police
copilote» bel et bien «la rénovation des ´´cités sensibles´´» et
- surtout - que, plus généralement, l’État prépare depuis 2002
une véritable guerre «contre les cités».(...) Contre les cités,
vues comme les positions retranchées de l’ennemi intérieur, il
faudra(it) par conséquent faire donner la troupe. Hacène
Belmessous a rencontré nombre d’officiers qui jugent «cette
dérive sécuritaire contraire aux valeurs de la
République»....Ces militaires, explique Hacène Belmessous,
«tendent à réduire les banlieues à un corps d’exception à
l’intérieur du corps national» - et à «des lieux de subversion
qui nécessitent leur reprise en main par des hommes d’action».
Et de citer, comme source d’inspiration pour cette reprise en
main...«la Bataille d’Alger», où «il y a eu (...) un maillage du
terrain, un travail de renseignement et d’actions après
renseignement pour aller récupérer les personnages clés (du FLN)
et enrayer des opérations avant qu’elles ne se développent».
Contre cette «perspective mortifère celle de l’inéluctabilité
d’une opération banlieues qui plongerait la France dans la
guerre civile», Hacène Belmessous invite, pour finir, à
«démystifier l’idéologie sécuritaire qui crée progressivement
les conditions de «cette guerre»(4)
Dans un ouvrage percutant et drôle «Éduquer ou civiliser la
banlieue?» Nasser Demiati, un autre beur tout aussi brillant,
confronte sa connaissance de la banlieue avec des savoirs
académiques, raillant les représentations que l’on peut se faire
du peuple de ces territoires abandonnés à la stigmatisation.
Supplique féroce, et plaidoyer humaniste, il remet en
perspective les enjeux fondamentaux que sont l’éducation et la
justice sociale dénonçant le dévoiement de ces valeurs dans les
politiques actuelles. «Il s’agit, écrit Raphaël Confiant, qui a
préfacé cet ouvrage, d’une très vieille tradition, qui n’est
propre ni à la France ni même à l’Europe: celle de l’adresse au
maître, au chef, au roi ou, de nos jours, au président. Adresse
qui prend, ici et là, des formes diverses, se faisant tantôt
supplique haranguée en place publique, tantôt lettre ouverte
publiée dans la presse ou encore opuscule fiévreux qui doit se
lire d’une traite. Nasser Demiati, banlieusard mais/et diplômé,
a choisi cette dernière forme pour dire à Nicolas Sarkozy son
fait quant à la question de l’éducation populaire».
«Les jeunes voyous, dans leur grande majorité africaine et
maghrébine, la racaille pour employer un mot devenu célèbre,
font le commerce de la drogue, agressent les honnêtes gens,
brûlent des voitures le samedi soir (ou des bibliothèques et des
écoles lors des émeutes) parce que l’autorité de l’Etat aurait
déserté les «quartiers sensibles», autre euphémisme
qu’affectionnent les éditorialistes bien-pensants. (...) On
comprend que Nasser Demiati ait fait de l’insolence une sorte de
devoir. Mais il s’agit d’une insolence cultivée, brillante même,
qui dénote une solide connaissance de l’histoire de France.(...)
Mêlant ainsi l’analyse la plus rigoureuse à l’anecdote
personnelle, il nous conduit au galop, mais sans raccourcis
réducteurs, au coeur même du problème: la mythique école
républicaine de papa est morte et bien morte. Elle s’est
fracassée contre cette résistance têtue, tantôt muette tantôt
braillarde, que lui ont opposé, depuis les années soixante, ceux
qui aiment, pour certains, à s’appeler «les Indigènes de la
République». Fils et filles de ceux qui furent charriés dans
L’Hexagone afin d’aider à la reconstruction de la France
d’après-guerre, ils ont fini par constituer, au fil du temps, ce
que l’on pourrait appeler le nouveau peuple français. Ils ont,
petit à petit, pris la place des «classes dangereuses» d’antan,
à la différence que ces dernières étaient presque uniformément
gauloises et que, complicité linguistique et culturelle oblige,
elles pouvaient espérer que leurs rejetons bénéficient de
l’ascenseur républicain. Or, aujourd’hui, cet ascenseur est en
panne. Pire: il n’y a plus d’ascenseur du tout. Une large
fraction du nouveau peuple est basané ou noir. Une large
fraction du nouveau peuple est musulman». «Bref, la France est
en train de vivre une métamorphose civilisationnelle majeure et
les «Français de souche», du moins «ceux d’en-haut», ne s’en
sont toujours pas rendu compte. Nicolas Sarkozy s’entête à
parler des «racines chrétiennes de l’Europe» tout en prônant,
pour les banlieues, pour les seules banlieues, une laïcité de
fer. Ne reste donc dans son esprit que l’école républicaine pour
tenter de faire de l’Indigène des banlieues un Gaulois. Méprise
absolue! Le banlieusard est le Gaulois d’aujourd’hui. Le nouveau
peuple français. C’est dire qu’il n’a aucunement besoin d’être
«intégré». Que pour lui le mot même d’«intégration» est une
insulte. (...) Ce n’est pas le peuple des banlieues qui a besoin
d’être «civilisé», mais au contraire ceux qui s’emploient à le
ghettoïser. Ceux qui, au moindre incident, lui envoient la
police, la BAC, les CRS et, demain, pourquoi pas, l’armée. Sauf
que cette armée, devenue professionnelle, accueille de plus en
plus de jeunes...banlieusards. (...) Nasser Demiati n’est pas
quelqu’un qui jette de l’huile sur le feu. Ce n’est ni un
révolutionnaire ni un enragé. C’est quelqu’un qui cherche
sincèrement à inventer une manière de réconcilier ces deux
fractions antagonistes du peuple français. Cela sans manichéisme
aucun. Simplement parce qu’il croit qu’une autre manière
d’éduquer est possible».(5) Si la République doit être garante
de la paix sociale, elle doit aussi plus que jamais rassembler
tous les Français autour de valeurs humanistes bien mises à mal
aujourd’hui, et inviter urgemment chacun, notamment ses
intellectuels tentés par «l’Intifada» à être des éclaireurs
plutôt que des pyromanes. C’est toute la sérénité à laquelle
nous appelons.²
1.Ivan Rioufol: Ce que révèlent les intifadas à la française Le
Figaro 20 octobre 2010
2.Solenn De Royer Christine Taconnet et Bernard Gorce: La vie
sans horizon des émeutiers de 2005 10/12/2007 Journal La Croix
3.Le rapport de Dounia Bouzar à l’Ihesi. Mise au point sur
l’article du Figaro 28 mai 2004
4.Hacène Belmessous. Opération
Banlieues: Ed. la Découverte.2008
5.Nasser Demiati-Éduquer ou civiliser la banlieue? Editions
Téraèdre 21 octobre 2009.
Pr Chems Eddine Chitour,
Ecole nationale polytechnique
Droits de reproduction et de diffusion
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Publié le 25 octobre 2010 avec l'aimable autorisation de l'Expression
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