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L'EXPRESSIONDZ.COM
UN PETIT LANCER POUR L’HOMME, UN GRAND PAS
POUR L’HUMANITÉ
La symbolique de la godasse
Chems Eddine Chitour
Lundi 22 décembre 2008
«De la part des veuves, des orphelins, et de tous ceux qui ont
été tués en Irak!»
Mountazer Al Zaïdi, journaliste
En lançant ses chaussures à la face de George
Bush, le journaliste irakien Mountazer al Zaïdi a acquis une
gloire instantanée dans le monde arabe. Scènes de la vie
extra-ordinaire après l’évènement: Les gens étaient très très
contents, comme lors d’un jour de fête nationale...«Une
statue doit être érigée à l’effigie de Mountazer.» Et
beaucoup d’entre eux ont mis sa photo en fond d’écran de leur
téléphone. George Bush, puisqu’il s’agit de lui, a reçu
l’incartade et l’image, en boucle,. Grâce à la puissance de la
télévision et du satellite, et quelle que soit leur condition
sociale ou leur situation géographique, des millions de
téléspectateurs de par la planète, l’ont regardée et en sont
restés ébaudis. «Cela ne manque pas de nous rappeler, est-il
écrit dans le journal le Matin, qu’il fut un autre président,
d’une aussi grande puissance, Nikita Krouchtchev, président de
l’Union soviétique qui, dans son désespoir de convaincre ceux
qui l’écoutaient ou le boudaient à la tribune des Nations unies,
n’hésitait pas de guerre lasse à enlever sa savate et taper
contre le pupitre. Tragique, nous avons dit, parce qu’au-delà du
geste exacerbé du citoyen irakien, il faut voir, à vrai dire, à
quel point le président Bush continue de susciter l’ire d’une
grande partie de la population irakienne et arabe en général.
(...)»
L’Irak, héritier d’une grande civilisation qui remonte à
l’ancienne Mésopotamie, deuxième producteur de pétrole après
l’Arabie Saoudite, a constitué pour George W.Bush une sorte
d’obsession et la personnalité de Saddam Hussein un objet de
haine. Tout le monde en convenait et la rage du président
américain contre les dirigeants irakiens était notoire, au point
que d’aucuns ne se sont pas fait faute de dire qu’il entendait
venger l’échec de la guerre que son père, George Bush, avait
menée en 1990 contre Saddam Hussein. Comme l’écrivait si bien en
1962 Pierre Rossi dans un magistral livre intitulé «L’Irak
des révoltés», «L’Irak constituait un «pays où se mêlent
trois mondes, asiatique, arabe et européen, une croisée de
routes commerciales propices à l’établissement de grands
empires, des richesses pétrolières moins miraculeuses qu’on en
croit». Et préfaçant en 1997 le livre d’Alice Bséréni, «L’Irak,
le complot du silence», le même Pierre Rossi, fondateur de
surcroît de «l’Association amitiés franco-irakiennes» et
gaulliste notoire, écrit: «Vague après vague, le peuple
irakien a essuyé toutes les guerres et tous les fléaux naturels
possibles et imaginables, sans jamais plier le dos, comme si
ayant bu à la mort avant la mort, il détenait une puissance de
résurrection inconnue en Occident.»
Qu’il eût fallu, dans l’esprit de l’administration républicaine
des Etats-Unis qui a succédé en l’an 2000 à William Clinton, se
débarrasser de celui qui a incarné la dictature et la
répression, en l’occurrence Saddam Hussein et ses compagnons,
autorisait-il en somme une guerre désastreuse, un lynchage en
bonne et due forme d’un homme, la mobilisation la plus
ahurissante des armées de l’Amérique, la gabegie des centaines
et centaines de milliards de dollars et puis cette armada
déployée dans la région du Golfe dont les conséquences
politiques, économiques, sociales, humaines, culturelles et
religieuses sont, à coup sûr, énormes et même catastrophiques?
La campagne militaire contre l’Afghanistan en 2002 a dévoilé
l’autre «poupée russe», à savoir la guerre contre l’Irak
lancée en mars 2003, autre objectif suprême s’il en est. Cet «Apocalypse
now» qui s’est abattu sur l’Irak, décidé de manière
unilatérale par George W.Bush, Donald Rumsfield Richard Perle et
un certain Paul Wolfowitz est sans commune mesure avec la guerre
de 1990, suivie par plus de dix ans de sanctions et de
privations endurées par le peuple irakien. Dans la guerre que
George W.Bush a lancée en mars 2003 contre l’Irak, l’avis des
néoconservateurs et des intraitables évangélistes et
intégristes, avait fait le poids. Paul Wolfowitz, lui-même,
chargé de trouver les justifications juridiques de l’invasion de
l’Irak restera l’un des principaux responsables des déconvenues
de l’armée américaine, mobilisée dans une vaine quête des armes
de destruction massive (ADM). A la veille de l’agression
américaine contre l’Irak, n’affirmait-il pas alors que «les
revenus du pétrole irakien au cours des deux ou trois prochaines
années allaient apporter 50 à 100 milliards de dollars, qui
viendraient rembourser la propre reconstruction du pays et plus
encore?». On mesure aujourd’hui la vanité du propos! Six ans
pratiquement de guerre interminable contre l’Irak n’ont pas
achevé de briser le pays, d’anéantir les espérances conviviales
de son peuple. Mosaïque politique, sociale, ethnique et
religieuse, il est réduit à l’état de portion congrue, livré aux
guerres fratricides, déchiré et quasi transformé en principauté.
C’est peu dire que le peuple irakien, dont la fierté est
demeurée constante, et au-delà les peuples arabes, nourrissent
de l’animosité à l’égard de l’administration républicaine des
Etats-Unis lors du mandat de George W.Bush. La réaction du
journaliste irakien contre le président américain, exprime
toutefois le désarroi et l’amertume de beaucoup de ses
>concitoyens.(1)
Qui est Mountazer Al Zaïdi?
Mountazer Al Zaïdi, correspondant de la télé irakienne Al
Baghdadia, est en passe de devenir un héros dans le monde arabe.
L’homme est un journaliste, qui a fait le choix de sortir de son
rôle de journaliste. Alors que le président américain
pronostiquait une victoire proche, le journaliste de 29 ans a
hurlé: «Voici un cadeau des Irakiens. C’est le baiser de
l’adieu, espèce de chien!» Et lui a lancé dessus ses
chaussures, l’une après l’autre, en continuant de crier: «De
la part des veuves, des orphelins, et de tous ceux qui ont été
tués en Irak!» Le président américain a esquivé les
chaussures. Il a ensuite plaisanté: «Tout ce que je peux vous
dire, c’est que c’était du 10 (43).» Le geste, plutôt
inhabituel, est d’une force symbolique extrême, d’autant plus
qu’il est associé à l’insulte suprême dans le monde arabe: «chien».
Immédiatement embarqué par les agents de sécurité, Mountazer al-Zaidï
est actuellement entre les mains de la police irakienne. En
Irak, Mountazer al Zaïdi est déjà en passe de devenir un héros.
«Que soit bénie la mère qui t’a porté, tu es un héros, tu
nous a redonné de la fierté, nous sommes tous avec toi!» «Très
cher Mountazer, tu n’étais qu’un inconnu...mais en quelques
minutes, tu as fais ce que n’importe quel autre arabe rêve de
faire depuis des années sans pouvoir le faire.»(2)
Mountazer al Zaïdi, le journaliste irakien à la chaîne de
télévision Al Baghdadia qui n’a pas hésité à risquer sa vie en
lançant ses deux chaussures à la tête de George Bush, est
aujourd’hui dans un hôpital de Baghdad, un bras cassé et victime
d’un traumatisme crânien. Il encourt de 2 à 7 ans de prison et
une forte amende, pour insulte à chef d’Etat étranger et au «Premier
ministre» Nouri al-Maliki, à qui la seconde chaussure était
peut-être destinée. Son crime: avoir accusé Bush de la mort de
centaines de milliers d’Irakiens. Selon l’ONG américaine Just
Foreign Policy, le nombre des victimes civiles irakiennes
s’élevait hier à 1.297.997 morts. Le chiffre des soldats
américains tués étant de 4209. Depuis avril 2003, celui des GI
morts des suites de leurs blessures, et des mercenaires
étrangers, n’a jamais été communiqué. En Irak et dans les pays
arabes, des milliers de manifestants réclament la libération de
Mountazer al Zaïdi. A ce jour, plus de cent vingt avocats -
américains et arabes - proposent d’assurer sa défense. Il risque
selon la loi irakienne jusqu’à sept ans de prison pour «offense
à un chef d’Etat étranger», a constaté un correspondant.
En avril 2003, lorsque l’armée américaine entre dans Baghdad et
que la statue de Saddam Hussein, plantée au beau milieu de la
place du Paradis, est arrachée à son socle par un blindé
américain, quelques habitants de la capitale s’étaient
précipités pour souffleter le tyran avec leurs savates. Cinq ans
et demi plus tard, c’est au tour du président américain de
connaître un affront comparable avec la paire de chaussures que
lui a lancée, dimanche 13 décembre, un journaliste irakien de la
chaîne Al Baghdadia lors de sa conférence de presse-surprise à
Baghdad. L’agression, si elle a conduit Mountazer Al Zaïdi en
prison, l’a consacré en même temps «héros du monde arabe».
Il a ainsi enflammé YouTube et des réactions enthousiastes ont
déferlé par vagues sur le site de la chaîne satellitaire
qatariote Al Jazeera. A sa manière, Montazer al Zaïdi a donc
traduit le ressentiment d’une très large majorité de la
population arabe à l’égard des Etats-Unis, qui s’est encore
renforcé avec l’invasion de l’Irak. «Le coup des chaussures,
c’est le pire des affronts que l’on peut faire dans la culture
arabe. C’est l’équivalent de "chien" quand on injurie quelqu’un.»
Une insulte que Mountazer a d’ailleurs proférée puisqu’il a
aussi crié en visant le président américain: «C’est le baiser
de l’adieu, espèce de chien.» Dérisoire geste de révolte qui
exprime bien le désespoir de ceux qui sont «assignés» au silence
par un pouvoir intransigeant pour qui toute forme d’opposition
ouverte est suspecte de trahison. Mais quel respect peut-on
encore avoir pour les symboles d’un système qui entraîne le
monde vers le chaos militaro-économique? On peut imaginer sans
peine le «concentré» de douleurs et de révolte de ceux
qui ont tout perdu mais aussi de tous les Arabes et tous les
opprimés pour qui, cette injustice est restée impunie Dans la
banlieue populeuse chiite de Sadr City, le bastion des miliciens
du jeune religieux Moqtada Sadr, on a manifesté en scandant: «Bush,
espèce de vache, félicitations pour la chaussure!» ou «Bush,
écoute bien, on t’a frappé avec deux chaussures», il a reçu
l’hommage des sunnites. Le Comité des oulémas, peu suspect
pourtant de sympathie envers la branche rivale de l’islam, a
même vu en lui «l’icône de la résistance contre l’occupation».
«(..) Conséquence de son "exploit", toute la vie de Mountazer
al Zaïdi est passée au crible. Selon l’un de ses collègues, cité
par l’AFP, son geste était prémédité: «Mountazer nous avait
prévenus, depuis au moins sept mois, qu’il lancerait ses
chaussures à la tête de Bush devant des journalistes s’il avait
l’occasion d’être en face de lui. Quand il a juré de le faire,
nous avons cru qu’il s’agissait d’une bravade.» George Bush,
dont l’art de l’esquive a étonné plus d’un commentateur, a
choisi la plaisanterie pour commenter l’incident: «Je ne sais
pas ce que le gars a dit, mais j’ai vu sa semelle.» Triste
siècle que le nôtre, dans lequel le représentant d’une nation,
la plus puissante...en armes...n’a que la considération d’une
vulgaire chaussure! L’acte, insolite pour le moins, était d’un
courage admirable, en ce sens que le héros a manqué de se faire
tuer. Mais, au-delà du geste, au-delà de l’insulte suprême, il y
a là forcément un signe, un symbole visible, une parabole.
N’est-ce pas celle de la lapidation que nous rapporte le Nouveau
Testament? Le Président des États-Unis serait-il la prostituée
citée par les Évangiles? Le Pays de l’Oncle Sam serait-il la
Bête de l’Apocalypse de saint Jean- Baptiste? (...) Mais, faits
plus troublants, elle détruit tous ceux qui ne lui font pas
allégeance ou n’utilisent pas son «chiffre», que l’on
peut traduire en «monnaie» car, rappelons-nous ce qui est
écrit: {{Apocalypse 13:18...}} {C’est ici la sagesse. Que celui
qui a de l’intelligence calcule le nombre du nom de la bête, car
c’est un nombre d’homme, et ce nombre est six cent soixante-six.
(666).} «Comme un signe du ciel...le journaliste s’appelle
"Al Mountadher" que mes amis arabes traduisent par, curieusement
par "Celui qui est attendu!".»(3)
Un geste prémédité
Les chaussures désormais, seront qualifiées comme «armes de
punition massive»...Bush a une responsabilité devant Dieu et
les hommes, cela ne veut pas dire pour autant que ses
prédécesseurs immédiats (son père George Bush et Bill Clinton)
soient pour autant absous. On leur doit, faut il le rappeler?
Desert Storm, le génocide de centaines de milliers d’enfants
irakiens morts de faim et de maladie. Souvenons-nous du scandale
de «pétrole contre nourriture» où même des hauts
fonctionnaires de l’ONU ont trempé. Souvenons-nous de la phrase
sans appel de Madeleine Albright à propos de la mort de 500.000
enfants: «Ce n‘est pas cher payé si c’est le prix pour faire
partir Saddam.» Saddam est parti dans la dignité en
regardant à travers les yeux de ses bourreaux, cette Amérique
qui avait perdu son âme dans cette aventure américano-évangélico-sioniste.
Al Mountadher, «d’une certaine façon le Mahdi attendu» a
fait plus pour la dignité arabe et plus largement humaine que
tous les potentats avachis sur leurs tas de pétrodollars ou ce
qu’il en reste après la débâcle actuelle.
Cette chaussure en pleine tête est un pied de nez. C’est le
geste du désespoir et de sursaut contre la tentation d’empire.
Ce geste est un antidote dérisoire mais symbolique pour tous les
opprimés. C’est sans conteste ce qui restera du bilan de cette
année 2008. Dans plusieurs siècles on se souviendra plus de
Mountadher - qui refuse de présenter des excuses-et qui est
entré dans la légende, que de tous les potentats arabes réunis.
(*) Ecole nationale polytechnique
1.http://www.lematin.ma/Actualite/Journal/Article.asp?idr=110&id=103817
2.Zineb Dryef et Pascal Riché.
Qui-est-l’homme-qui-a-lance-ses-chaussures-sur-bush
http://www.rue89.com/2008/12/15/
3.[http://www.altermonde-sans-frontiere.com/spip.php?article8740
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Publié le 22 décembre 2008 avec l'aimable autorisation de l'Expression
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