Comment je vois le monde
La paix en Syrie
est une affaire interne :
Le sacerdoce de Brahimi
Chems
Eddine Chitour
Lakhdar
Brahimi
Mardi 21 août 2012
«Pour faire la
paix avec un ennemi, on doit travailler
avec cet ennemi, et cet ennemi devient
votre associé.»
Nelson Mandela
Une dépêche de Reuter nous apprend que
le diplomate algérien Lakhdar Brahimi a
succédé à Kofi Annan au poste de
médiateur international pour la Syrie.
Lakhdar Brahimi portera le titre de
représentant spécial conjoint pour la
Syrie. «Le secrétaire général (Ban Ki-moon)
apprécie la volonté de M.Brahimi
d'apporter son talent et son expérience
extraordinaires à cette mission cruciale
et s'attend à un soutien fort, net et
uni de la communauté internationale,
notamment du Conseil de sécurité.» On
remarquera au passage que les
attributions de Lakhdar Brahimi sont
restreintes et que la Ligue arabe ne se
sent pas partie prenante comme dans le
cas de Kofi Annan. La preuve? Téhéran a
nnoncé avoir accepté une proposition du
président égyptien Mohamed Morsi pour la
création d'un groupe de contact sur la
Syrie avec l'Egypte, l'Iran, mais aussi
l'Arabie Saoudite et la Turquie, deux
pays qui soutiennent les insurgés.
Qui est
Lakhdar Brahimi?
Lakhdar Brahimi est un diplomate et
homme politique algérien. Il fut
représentant de la Ligue arabe et de
l'Organisation des Nations unies.
Ministre des Affaires étrangères de 1991
à 1992, il contribua à l'accord de Taef
avec l'arrêt de la guerre civile au
Liban. Ce traité inter-libanais, signé
le 22 octobre 1989, a mis fin à la
guerre civile libanaise qui a duré de
1975 à 1990.
Travaillant pour l'ONU en Haïti et en
Afrique du Sud, Lakhdar Brahimi fut
nommé représentant spécial pour
l'Afghanistan et l'Irak en 2001. Lakhdar
Brahimi a reçu, le 5 novembre 2010, le
Prix spécial du Jury de la Fondation
Chirac pour la prévention des conflits.
Jean Daniel nous en parle: «(...) Parce
que Lakhdar est mon ami, je suis aussi
heureux de l'honneur qui lui est fait
que j'ai conscience des risques immenses
qu'il prend dans une entreprise où
personne n'a réussi jusqu'ici. Notre
amitié date depuis plus de 40 ans et
nous n'avons cessé de nous rendre l'un à
l'autre de très précieux témoignages de
fidélité. Comment Lakhdar va-t-il
réagir? Il a de bons souvenirs des
succès de la diplomatie algérienne,
surtout quand un conflit a opposé les
Iraniens aux Américains du temps de
Jimmy Carter. La paix conclue à Alger a
été l'un des sujets de fierté de jeunes
diplomates qui sont allés jusqu'à penser
qu'ils auraient pu éviter la guerre du
Golfe! Lakhdar Brahimi n'a pas cette
vanité. Dans l'affaire de la Syrie, il
sait qu'il va lui falloir convaincre et
les Iraniens et les Russes».(1)
En fait, nous pensons qu'il faut surtout
convaincre les Occidentaux de laisser
tranquilles les Syriens
s'autodéterminer, loin de toutes
ingérences et en toute démocratie. Le
temps de Bachar El Assad est révolu,
mais il est de la plus haute importance
que la Syrie ne devienne pas une zone
grise.
La
Question d’Orient au XXIe siècle?
Justement, depuis 17 mois la situation
s'est considérablement détériorée. Des
milliers de morts, des dizaines de
milliers de blessés, des milliers de
réfugiés qui quittent le pays. Des
milliards de dollars de dégâts et
par-dessus tout un traumatisme à la fois
corporel et psychologique qui fait que
des plaies béantes de tensions
interconfessionnelles sont en train de
structurer - il faut l'espérer pour un
certain temps - le système ethnique et
confessionnel syrien.
L'histoire bégaie. Elle nous rappelle
celle qui a eu lieu il y a près de cent
cinquante ans du fait des ingérences du
couple infernal anglo-français qui, -
pour protéger les minorités chrétiennes-
ont ourdi des complots dans lequel
l'Empire ottoman décadent «l'homme
malade de l'Europe» - est tombé. Pour
avoir attisé les rivalités ethniques et
surtout islamo-chrétienne, il y eut des
centaines de morts à Damas. Il a fallu
pour cela l'intervention décisive de
l'Emir Abdelkader qui, à la tête des
Algériens de sa «maison» qui l'ont
accompagné dans l'exil, sorte et, sabre
au clair, ramène dans son domaine
plusieurs milliers de Chrétiens qu'il a
protégés d'une mort certaine, nourris
pendant plusieurs semaines jusqu'à la
fin des émeutes. Un Moutassarif chrétien
-administrateur - a été imposé à
l'Empire pour gérer les affaires des
chrétiens. La France se devait de
protéger les Maronites au nom d'une
promesse faite par Saint-Louis à
l'évêque Maroun vers1260. C'est dire si
la fidélité à la promesse est tenace.
Cette même promesse qui a vu encore, à
la fin de la Première Guerre mondiale,
le dépeçage avant la fin de l'hostilité,
encore une fois, de l'Empire ottoman qui
était dans le camp des vaincus. Résultat
des courses, la Grande Syrie fut
détachée de l'Empire, et morcelée pour
créer artificiellement le Liban. Le
Moutassarif deviendra président d'un
Etat multiconfessionnel, le Premier
ministre étant musulman sunnite. C'est à
cette époque que le général français,
Gouraud, rentrant à cheval dans la
mosquée des Ommeyades où est enterré
Salah Eddine El Ayyoubi, se serait
écrié: «Saladin, le petit-fils de
Godeffroy de Bouillon est devant toi, où
sont tes troupes?» Le Général Allenby se
contenta d'annoncer seulement la
victoire de la croix sur le croissant.
Une vingtaine d'années plus tard, la
Syrie fut encore occupée et fut l'objet
de dures rivalités anglo-françaises, car
les politiques syriens étaient tantôt
tiraillés par les Français et par les
Anglais, jusqu'à l'indépendance de la
Syrie.
La marge
de manoeuvre du médiateur des Nations
unies
Alors que la Syrie a donné son accord
pour sa nomination, le diplomate
algérien, Lakhdar Brahimi, demande le
soutien formel du Conseil de sécurité de
l'ONU. Le diplomate algérien rompu aux
missions diplomatiques délicates,
déclare: «Je ne sais pas encore quelle
marge de manoeuvre je vais avoir. Je
viens d'être nommé. Je ne suis même pas
encore à New York», a-t-il confié sur
l'antenne de France 24, «quand on
accepte une mission comme celle-ci, ou
bien on réussit ou bien on échoue [...]
Le diplomate algérien Lakhdar Brahimi a
reçu aussi, le soutien de la Chine, des
Etats-Unis et de l'Union européenne. Au
lendemain de cette nomination, la
Russie, alliée de Damas, a dit compter
sur M.Brahimi pour s'appuyer sur le plan
de paix de M.Annan et l'Accord de Genève
sur les principes d'une transition
politique. Le ministre russe des
Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a
en outre appelé à un nouveau
cessez-le-feu, mais cette fois «sous la
responsabilité des acteurs étrangers qui
ont une influence aussi bien sur le
gouvernement que sur les détachements
armés de l'opposition», dans un
entretien à Sky News Arabia.
C'est dans cette atmosphère de guerre
civile qu'à Damas, le général Babacar
Gaye, chef de la mission d'observation
de l'ONU, dont le mandat s'achève
dimanche à minuit, a accusé l'armée et
les rebelles de ne pas respecter leurs
obligations en matière de protection des
civils, qui meurent chaque jour par
dizaines dans les bombardements et les
combats. Au Liban, c'est la menace d'une
contagion des violences en Syrie, qui
ont fait plus de 20.000 morts en 17
mois. Le diplomate connu pour son
parler-vrai a déjà énoncé ses
convictions: «Ils me demandent de faire
ce travail. S'ils ne me soutiennent pas,
il n'y aura pas de travail», assure le
nouveau médiateur international pour la
Syrie. «Quand je me rendrai à New York,
je demanderai une quantité de choses:
comment nous organisons-nous, avec qui
allons-nous discuter, (...) de quel
soutien bénéficierai-je et de quel type
de soutien aurai-je besoin pour
m'atteler à la tâche et faire ce
travail», a-t-il déclaré à Reuters. «Je
ne pouvais pas refuser d'apporter mon
aide, aussi difficile que soit la
situation, alors que des centaines, des
milliers, peut-être des millions de
personnes souffrent.» Lakhdar Brahimi a
cependant refusé de prendre position sur
la nécessité d'un départ de Bachar el-Assad,
contrairement à Kofi Annan qui avait
déclaré que le président syrien devait
«quitter le pouvoir». «Il est bien trop
tôt pour que je puisse prendre position
sur ce sujet. Je n'en sais pas assez sur
ce qui se passe.» «Ce sont les Syriens
qui feront la guerre ou la paix,
personne d'autre. Et nous serons là pour
tenter de les aider autant qu'ils
accepteront notre aide».(2)
Pourquoi
il n'y aura pas intervention militaire
Depuis une semaine, le choeur de ceux
qui appellent à une intervention
militaire en Syrie, ou tout au moins à
une zone de protection aérienne, est
devenu de plus en plus bruyant. Après
Nicolas Sarkozy et François Fillon en
France, c'est au tour de Bernard-Henri
Lévy de se manifester pour dénoncer
l'inaction française et appeler à une
réponse plus musclée pour déloger Bachar
el-Assad. Aux États-Unis, après le clan
des néoconservateurs qui réclame depuis
plusieurs mois l'armement et le soutien
des rebelles, ce sont deux anciens poids
lourds de l'administration Clinton,
Madeleine Albright et William Perry, qui
plaident pour une intervention militaire
américaine - tout en excluant d'envoyer
des soldats au sol. (...) l'intervention
de l'Otan au Kosovo en 1999, qualifiée a
posteriori «d'illégale mais légitime»,
est désormais brandie comme modèle
visant à contourner les veto russes et
chinois ». (3)
«Il est une donnée, poursuit Thomas
Cantaloube, qui n'a toujours pas changé
depuis le début de la guerre civile
syrienne: le manque d'enthousiasme des
principaux gouvernements susceptibles de
mettre en place une éventuelle zone de
protection aérienne. Le Qatar et
l'Arabie Saoudite, en dépit de leur rôle
en pointe dans la dénonciation du régime
Assad, n'envisagent pas sérieusement
d'envoyer leurs avions dans les cieux
syriens sans mandat onusien. La Turquie,
membre de l'Otan s'est, pour l'instant,
contentée de déclarer qu'elle «étudiait
la question d'une zone d'exclusion
aérienne».(3)
«Quant au trio
États-Unis/France/Grande-Bretagne, qui
s'est chargé de l'intervention en Libye,
les gouvernements actuels ne semblent
pas décidés à en découdre militairement
cette fois-ci. (... Le Premier ministre
britannique, David Cameron, tout en
appelant au départ d'Assad, demeure
discret sur le dossier, davantage
préoccupé par les retombées de Jeux
olympiques, la crise économique ou
l'extradition de Julian Assange. La
Maison-Blanche, enfin, en pleine
campagne électorale, n'exprime aucun
désir de se lancer dans une opération
hasardeuse susceptible de dilapider les
bons points gagnés par Obama en matière
militaire (...) Ces réticences des trois
gouvernements occidentaux, membres
permanents du Conseil de sécurité,
s'expliquent par un mélange de
considérations diplomatiques,
militaires, géopolitiques (la mosaïque
confessionnelle syrienne, la crainte des
islamistes et le rôle de l'Iran sont des
variables explosives), et prosaïquement
économiques (ces trois pays ne sont pas
au mieux de leur santé financière et
l'humeur politique du moment penche vers
«la Corrèze plutôt que le Zambèze»).(3)
Cependant les va-t-en-guerre ne
désarment pas. les BHL, Sarkozy et tant
d'autres, dans la plus pure tradition
coloniale avec en prime de nouveaux
acteurs qui, en définitive, veulent un
nouvel ordre au Moyen-Orient avec de
nouveaux seigneurs et pourrait-on dire
aussi «saigneurs». En France, seul
Jean-Pierre Chevènement s'est insurgé
contre la volonté des BHL d'attaquer la
Syrie. «La politique de la France repose
sur des principes et aucune campagne
d'opinion ne doit l'en faire dévier»,
affirme-t-il.
La
complexité du drame syrien
On l’aura compris Le «nouvel ordre»
doit, défensivement, mettre à genoux
pour encore un siècle toute velléité des
Arabes et plus largement des musulmans
de relever la tête, de participer
scientifiquement à l'aventure
scientifique. Il faut qu'il n'y ait
qu'un seul représentant de l'Empire. Ce
sera Israël. Theodore Herzl disait déjà
à l' époque, au début du XXe siècle,:
«Nous bâtirons là-bas [au Moyen-Orient,
ndR] un rempart de la civilisation
contre la barbarie». Il ne faut pas
s'étonner, alors, d'observer à titre
d'exemple, les menaces d'Israël à
l'endroit de l'Iran comme on peut le
voir comme publicité récente sur les bus
à San Francisco: «Dans toute guerre
entre un civilisé et un sauvage,
soutenez le civilisé. Soutenez Israël,
faites échec au Djihad.»
A l'évidence, l'Occident mesure les
limites de sa tentation d'empire avec
des vassaux; la Syrie et surtout l'Iran
ne se laisseront pas faire. La Syrie,
«une lutte Iran-USA pour décider du sort
du Moyen-Orient», selon un haut
responsable iranien. Les Etats-Unis et
l'Iran se livrent une bataille en Syrie
dont le vainqueur décidera si le
Moyen-Orient doit tomber dans la
mouvance islamique ou sous l'influence
américaine, a déclaré samedi un haut
responsable iranien, selon l'agence Mehr.
«Aujourd'hui, nous sommes en match final
en Syrie», a déclaré Mohsen Rezaïe,
ancien chef des Gardiens de la
révolution, cité par Mehr. «Car si ce
pays tombe aux mains des Américains, le
mouvement de réveil islamique deviendra
un mouvement sous influence américaine»,
a déclaré M. Rezaïe. Selon lui, «la
Syrie, l'Irak, l'Iran et l'Afghanistan
forment une ceinture d'or au
Proche-Orient et les Etats-Unis veulent
par tous les moyens décider pour les
pays de cette ceinture d'or». De son
côté, le général Hassan Firouzabadi,
chef d'état-major des forces armées
iraniennes, a mis en garde les
Occidentaux contre un renforcement d'Al-Qaîda
en Syrie. «Les Etats-Unis, la
Grande-Bretagne et les sionistes
utilisent el-Qaëda et les groupes
takfiris pour mener la guerre civile en
Syrie (...) mais ils doivent savoir
qu'un jour, ces mêmes groupes s'en
prendront à eux», a déclaré le général,
selon le site Sepahnews des Gardiens de
la révolution. Les chiites désignent par
le terme de «takfiris» les intégristes
sunnites extrémistes. (4)
Les médias occidentaux ne s'arrêtent pas
de nous informer que le régime syrien
s'effrite, que c'est le dernier quart
d'heure. Et pourtant, malgré les
défections, le régime ne tombe pas.
Dernier scoop, celui de l'Armée syrienne
libre (ASL), qui affirme qu'il y avait
eu «une tentative de défection» du
vice-président syrien Farouk el-Chareh
qui s'était «soldée par un échec».
Déchiré entre sa loyauté envers le
régime et son attachement à sa région
natale, Deraa, il a proposé, dès le
début de la crise, de servir de
médiateur. Sa réticence à soutenir la
guerre totale contre les contestataires
a poussé la Ligue arabe à le qualifier
«d'homme de consensus» et à proposer en
janvier 2012 qu'il dirige la période de
transition en Syrie vers un Etat
démocratique, à la place du chef de
l'Etat.
Le sacerdoce de Brahimi ne sera pas
facile. Malgré ses succès dans toutes
les négociations difficiles comme la
guerre du Liban, l'Afghanistan, l'Irak,
cette fois-ci c'est une bataille
décisive menée par l'empire pour
asseoir, le croit-il, sa suprématie
planétaire. Il l'a fait jusqu'à présent,
mais la bataille de la Syrie est «la
Mère des batailles» Une autre
perspective plus heureuse ira vers un
coup d'arrêt de l'hégémonie de l'hyperpuissance
- selon le mot d'Hubert Védrine - Un
nouvel ordre basé sur le respect des
peuples contribuera à la paix dans le
monde.
1. Jean Daniel: Lakhdar Brahimi, l'homme
de la dernière chance 13-08-2012
2. «Ce sont les Syriens qui feront la
guerre ou la paix, personne d'autre»
Reuters 19/08/2012
3.T Cantaloubehttp://forumdesdemocrates.
over-blog.com/categorie-11776299.html 16
08 2012
4. http://www.lorientlejour.com/category
/%C3%80+La+Une/article/774046/%22Aujourdhui%2C_nous_sommes_en_match_final_en_Syrie%22.htmlOLJ/Agences
| 18/08/2012
5.Farouk el-Chareh: La caution sunnite
du régime syrien AFP 18/08/2012
Professeur
émérite Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
Publié le 22 août
2012 avec l'aimable autorisation de
l'auteur
Le sommaire du Pr Chems Eddine Chitour
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