Opinion
Les droits de
l'homme dans les monarchies du Golfe
Une utopie tolérée par l'Occident
Chems
Eddine Chitour
Lundi 22 avril 2013
«Mon
père chevauchait un chameau, je roule en
cadillac, mon fils vole en jet, son fils
chevauchera un chameau»
Proverbe saoudien
Un problème récurrent et qui a toute sa
pertinence est la perception des droits
de l'homme dans les pays arabes et
musulmans. Il est bien connu que dans
les études occidentales, pour
relativiser la traite des Noirs, le Code
Noir, le sort peu enviable des peuples
réduits en esclavage à la suite des
grandes découvertes, on renvoie dos à
dos l'esclavage mis en oeuvre par les
pays occidentaux avec celui des pays
arabes. En effet, il est connu qu'au
même titre que les musulmans, les juifs
géraient cette entreprise lucrative de
la traite, que l'Eglise participait à la
course, avait ses propres galères et les
peuples subjugués étaient souvent
traités comme des animaux. A la fin du
XIXe siècle, les scientifiques anglais
s'interrogeaient s'il fallait classer
les pygmées dans l'ordre des animaux ou
des hommes.
Tout le monde se souvient en effet de la
«disputation» de Bartholoméo de las
Casas, ce prêtre dominicain espagnol qui
fit de la défense des Indiens réduits en
esclavage son bréviaire. Il est vrai que
même à l'article de la mort, ils
abjuraient leur ancienne foi, rattrapée
à temps par l'Eglise... Dans cette
affaire d'esclavage, aucun peuple
dominant à une époque donnée ne peut se
prévaloir d'avoir été propre. Dans les
pays occidentaux, on se refait une
virginité en oubliant de signaler au
passage qu'il y a à peine cinquante ans
l'esclavage battait son plein dans les
Etats de l'Alabama.. Mieux encore, la
révolution française décida de
l'abolition de l'esclavage, une
vingtaine d'années plus tard Napoléon
Bonaparte le remit en selle, provoquant
la Révolte qui amena au combat de
Toussaint Louverture. Il a fallu
attendre 1848 pour que l'esclavage soit
aboli - en France- avec le combat de
Victor Schlesheer.
L'esclavage eut ses heures de gloire
dans les colonies, notamment avec le
Code infâmant de l'indigénat, réplique
du « Code Noir » de Colbert. Il est
vrai, comme n'a cessé de le marteler
Jules Ferry «les droits de l'homme ne
sont pas valables dans les colonies».
L'esclavage en terre d'islam
Comme toute société humaine, les
sociétés musulmanes n'échappent pas à la
tentation de domination des faibles.
Dans l'islam, le prisonnier, tenu en
esclavage, est dit-on victime d'un
malheur passager qui ne peut être
définitif comme le proclament les
religieux chrétiens à l'instar de
Bossuet pour qui,l'esclave, le Noir doit
expier ad vitam aeternam la malédiction
de Cham, malédiction bien théorisée par
l'Eglise. En terre d'islam, à titre
d'exemple, pendant la Régence d'Alger
(1515-1830) beaucoup de prisonniers
occidentaux purent retrouver leur
liberté et pour certains demeurer dans
la Régence, n'éprouvant pas le besoin de
repartir chez eux. Le XXe siècle a vu
l'abolition de l'esclavage d'une façon
formelle. De nouvelles formes
d'esclavage l'ont remplacé, notamment
l'exploitation des peuples pour
fabriquer des biens de consommation,
pour des salaires dérisoires et des
conditions de travail déplorables.
Il faut signaler cependant que
l'esclavage «au sens classique» a
disparu, le dernier pays ayant souscrit
à cela à l'abolition en 1980 étant la
Maurétanie, bien qu'on dise qu'il
existerait près de 100.00 personnes qui
seraient encore tenues en esclavage
d'après l'encyclopédie Wikipédia.
Nous allons traiter d'un esclavage
beaucoup plus insidieux, celui en
vigueur dans les pays du Golfe grands
donneurs de leçons sur les droits de
l'homme alors que la condition des
immigrés est des plus déplorables. Tout
le monde se souvient qu'au Koweït, toute
une partie de la population n'a droit à
aucun droit. Ce sont les «bidoun»
littéralement «sans» droit. Mieux
encore, les droits de l'homme sont
quelque chose d'inconnu dans les pays
arabes du Golfe exception faite
naturellement d'individualités qui ont
les pires difficultés à se faire
entendre, voire même à survivre, puisque
les pouvoirs usent allégrement de la
peine de mort sans état d'âme comme on
vient de le constater en Arabie Saoudite
avec la mort de sept personnes
Sous la plume de la journaliste Hayat
El-Howayek Attieh du journal Al-Arab Al
Youm, on lit: «Tôt ou tard, les
travailleurs immigrés asiatiques, qui
représentent l'écrasante majorité de la
population dans les pays du Golfe,
réclameront des droits politiques: cette
idée est un excellent terreau pour les
théories du complot occidental contre
l'arabité de cette région.» Depuis des
années, les esprits libres et
indépendants sonnent l'alarme:
l'Occident ne permettra pas aux pays du
Golfe de conserver leurs spécificités
arabes. Les spectateurs de la chaîne
satellitaire al-Jazeera n'ont
certainement pas oublié une émission,
diffusée il y a quelques années, où deux
éminents intellectuels du Golfe ont
soulevé la question de la destruction de
l'esprit d'arabité dans les pays du
Golfe par le biais des travailleurs
immigrés. L'un d'eux, l'écrivain qatari
Mohamed Al-Misfir, a expliqué que le
jour arrivera fatalement où l'on
soulèvera la question des droits de
l'homme et de la naturalisation de ces
travailleurs immigrés qui sont dans leur
immense majorité d'origine asiatique.
(...) Aussi, les habitants d'origine
seront réduits au statut d'une minorité,
ne dépassant pas les 15% de l'ensemble
de la population. Al-Misfir avait donc
proposé de remplacer la population
immigrée d'origine asiatique par des
travailleurs immigrés arabes.» (1)
«Dans ce contexte, Human Rights Watch
fait une fixation sur les Emirats.
L'organisation a demandé aux Etats-Unis
et à l'Union européenne de ne pas signer
d'accord de libre-échange avec ce pays
´´avant que celui-ci ne cesse de
maltraiter la main-d'oeuvre étrangère´´.
En Arabie Saoudite, tout travailleur
étranger a besoin d'un parrainage pour
pouvoir travailler. Ce système favorise
les abus, surtout lorsqu'il s'agit des
droits des domestiques.»
Les Arabes du Golfe ont-ils peur de
perdre leur identité? Encore qu'il
faille redéfinir ce que c'est que
l'arabité dans ce XXIe siècle où la
mondialisation achève de dissoudre les
identités pour le plus grand bien du
Capital. Cependant, chaque pays en
occident se définit des quotas à ne pas
dépasser sous peine, comme le dit Marine
Le Pen ou Philippe de Villiers «de ne
plus être chez soi» «entre gaulois à
têtes rondes et dont le recensement
s'est arrêté à Alésia».
Cependant, ceci n'exonère pas les Arabes
du Golfe qui ont inventé des concepts
empruntés à l'islam comme celui de la «kafala»,
une sorte de tutelle pour être mineur.
Cela va de la femme jusqu'à l'immigré
tenu en laisse par son employeur. «A
l'origine, lit-on sur une contribution
de Agoravox, le terme kafala s'apparente
à une tutelle ou à une délégation
d'autorité parentale qui s'applique à
des enfants mineurs abandonnés. Cette
tutelle disparait avec la majorité de
l'enfant. Dans les pays du Golfe, cette
notion s'applique aux émigrés dans ces
pays. Des milliers de travailleurs
migrants essentiellement originaires du
sous-continent indien partent pour les
pays du Golfe, avec un permis de
travail, obtenu dans leur pays d'origine
à travers des agences d'embauche. Mais
en vertu de la kafala, les travailleurs
doivent être parrainés par un employeur
pour pouvoir entrer dans les pays du
Conseil de Coopération du Golfe. Cette
procédure qui vise a priori à prévenir
l'entrée sur leur territoire de migrants
sans papiers à la recherche d'un emploi,
finit en réalité, par se retourner
contre un grand nombre de travailleurs
étrangers une fois en place. En effet,
l'immigré se trouve sous la coupe du «kafile».
Ce tuteur lui retire son passeport et
lui fournit une carte de travail qui
fait fonction de pièce d'identité. Il
n'a droit à aucune activité à caractère
syndical ou autre visant à défendre ses
droits. Le kafile a tous les pouvoirs
sur son salarié et les deux parties ne
bénéficient pas du même traitement
devant la loi du pays d'accueil.» (2)
En mars, écrit Laurent Stephan du Monde,
le Koweït, où résident près de deux
millions d'étrangers, a annoncé son
intention de réduire leur nombre d'un
million d'ici à dix ans. Et, depuis
quelques jours, l'Arabie Saoudite
s'attelle également à limiter la
présence des immigrés dans le royaume.
Déterminé à renvoyer les travailleurs en
situation illégale, Riyadh vient par
ailleurs d'introduire une nouvelle
régulation en matière d'emploi.
Dorénavant, un étranger ne peut
travailler que pour son kafil (employeur
et garant) et se voit interdit de mener
sa propre activité commerciale. Le
système du kafalat, qui prévaut dans de
nombreux pays arabes en matière
d'immigration, peut être contourné au
moyen d'arrangements entre le garant et
son employé, pour permettre à ce dernier
de rejoindre un autre employeur. Mais
ces accommodements sont désormais bannis
par les autorités saoudiennes, qui ont
entamé une campagne d'expulsion.» (3)
«La kafala» dans les pays du Golfe ou
l'esclavage des temps modernes
C'est un fait, l'esclavage existe encore
bien- hypocrisie mise à part- dans les
pays du Golfe.
«Lorsqu'en août 2010, écrit Abeer Allam,
une domestique originaire du Sri Lanka,
L.T. Ariyawathi, a accusé son employeur
saoudien de lui avoir enfoncé des clous
et des aiguilles dans le corps, nombreux
sont les Saoudiens et les responsables
du gouvernement qui ont mis en doute son
récit. (...) Qu'ils soient banquiers,
avocats, chauffeurs ou domestiques, les
neuf millions d'expatriés qui
travaillent dans ce pays sont sous
l'autorité d'un kafeel, ou ´´parrain´´.
´´C'est le système qui favorise les
abus´´, affirme Christoph Wilcke, de
Human Rights Watch. ´´En général,
l'impunité ne fait qu'alimenter la
violence, quelle que soit la culture. Il
est déjà arrivé que des Occidentaux qui
habitent dans le Golfe trouvent normal
de sous-payer et d'enfermer leurs
employés de maison, ce qu'ils n'auraient
jamais fait dans leur pays d'origine.´´
(...) ´´Il existe un marché noir des
visas contrôlé par des personnes
influentes. Personne ne peut s'y
attaquer´´, explique Waleed Abu Al-Khair,
avocat spécialiste des droits de
l'homme. ´´Nous avons affaire à une
codification de l'esclavage. De
nombreuses personnes vivent sans
travailler grâce aux revenus que leur
apporte le parrainage et à l'argent que
des travailleurs pauvres leur versent
tous les mois.´´» (4)
«Tout travailleur étranger, mais aussi
toute entreprise étrangère, est ainsi
sous tutelle, comme un enfant. La «kafala»
permet aux citoyens nationaux de jouir
des gains d'une entreprise implantée sur
son sol (en possédant la majorité des
parts capital) ou d'exercer un pouvoir
sur les travailleurs immigrés.» Ce
système de gouvernance moyenâgeux porte
donc en lui toutes sortes de dérives y
compris une sorte d'esclavage des temps
modernes pour les travailleurs étrangers
vivant dans ces pays. Que ce système
puisse exister est une aberration en
soi, mais que la «muerta» qui l'entoure,
notamment par les organismes concernés
comme la commission des droits de
l'homme de l'ONU est scandaleux.» (4)
Richard Morin nous rapporte la
mésaventure - à titre d'exemple- du
parcours du combattant pour décrocher un
emploi. Nous l'écoutons: «En 2012,
Theresa M.Dantes a signé un contrat avec
une agence de recrutement des
Philippines pour venir travailler au
Qatar comme domestique. Elle devait être
logée, nourrie et payée 400 dollars [305
euros] par mois. Pourtant, lorsqu'elle
est arrivée, son employeur l'a informée
qu'il ne lui verserait que 250 dollars
[190 euros]. Elle a accepté car sa
famille, restée à Quezon City, comptait
sur ce salaire. (...) Environ 1,2
million de travailleurs étrangers - qui
sont en majorité des personnes pauvres
originaires d'Inde, du Pakistan, du
Bangladesh, du Népal, d'Indonésie et des
Philippines - représentent 94% de la
main d'oeuvre au Qatar, une monarchie
absolue qui fait à peu près la taille de
l'Île-de-France. Un grand nombre de ces
personnes travailleront dans des
conditions dignes du Moyen Age, que
l'ONG Human Rights Watch a déjà
comparées au ´´travail forcé´´. (..) Un
employé de peut pas changer de travail,
quitter le pays, obtenir un permis de
conduire, louer un logement ou ouvrir un
compte en banque sans l'autorisation de
son sponsor, dit kafil, qui peut de son
côté mettre fin à son parrainage
quasiment à tout moment et renvoyer la
personne dans son pays d'origine.» (5)
« Et les victimes ne sont pas uniquement
des domestiques et des ouvriers peu
qualifiés: Nasser Beydoun, un homme
d'affaires arabo-américain, affirme
qu'il a été ´´otage économique´´ à Doha
pendant 685 jours avant d'être libéré en
octobre 2011. Après qu'il ait
démissionné du poste de gérant d'une
chaîne locale de restaurants, son ancien
employeur a refusé de lui accorder un
permis pour quitter le Qatar. ´´Les
travailleurs étrangers sont les esclaves
modernes de leurs patrons qataris,
explique Nasser Beydoun, qui vit
désormais à Détroit, aux Etats-Unis. Ils
sont leur propriété.´´»(5)
En plus de toutes ces avanies, les
immigrés servent de variable
d'ajustement, d'un exutoire savamment
entretenu par le pouvoir mais aussi
d'une plaie qui nous vient du fond des
âges; le racisme, dont il faut croire,
que les Arabes, n'ont pas encore été
délivrés, malgré l'apport transcendant
de l'Islam. En effet, dans la presse
saoudienne, les propos racistes contre
les immigrés abondent. Les Noirs volent
et pillent. Nous avons en décalage, les
mêmes réflexes des Arabes que ceux qui
existent toujours en Europe ou aux Etats
Unis. C'est notamment la thèse du
complot contre l'allogène venu troubler
l'entre soi-, c'est aussi la peur du
chiisme, ce qui explique dans une grande
mesure la mise au pas des Bahreinis en
majorité chiites et donc «alliés naturel
de l'Iran honni».
Cependant, la prise de conscience qui
commence à se faire jour, notamment à
travers l'Internet et les réseaux
sociaux, inquiète sérieusement les
pouvoirs. Après la théorie du complot,
on déverse une manne imméritée pour
calmer les classes dangereuses De plus,
la capacité de nuisance du Qatar n'est
plus à démontrer. De Londres à Paris, en
passant par les îles grecques où il a
acheté une vingtaine pour ses
vingt-quatre enfants, l'émir est
partout. En parallèle, l'émir finance
aussi les islamistes au Maghreb, les
jihadistes en Syrie, sans oublier les
Frères musulmans égyptiens. Le minuscule
Qatar va-t-il pouvoir garder longtemps
son influence ou s'effondrera-t-il tel
un château de cartes? Les Arabes,
notamment du Golfe, sont à des années
lumière des principes des droits de
l'homme. Pour le moment, ils intéressent
l'Occident tant qu'ils ont encore du
pétrole et du gaz. Cependant, sous la
pression des organisations humanitaires,
on commence à prendre conscience de
leurs méfaits quant à la condition
humaine. Ils auront aussi à rendre
compte à leurs sujets, qui émancipation
aidant, deviendront, il faut l'espérer,
des citoyens à part entière.
1. Hayat El-Howayek
Attieh Al-Arab Al-Yawm 2 août 2012
2.
http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/pays-du-golfe-la-kafala-ou-l-112565
3. Laure Stephan: Vent de panique chez
les étrangers du Golfe Le Monde
6.04.2013
4. Abeer Allam Arabie Saoudite.Le code
de l'esclavage Financial Times 28 juin
2012
5. Richard Morin: Qatar: Au royaume de
l'esclavage The New York Times 19 04
2013
Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Nationale Polytechnique enp-edu.dz
Publié le 23 avril 2013 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
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