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Opinion
Les potentats arabes: Le refus de la
liberté
Chems Eddine Chitour
La Ligue arabe
Jeudi 17 mars 2011
«Vous aviez à choisir entre la
guerre et le déshonneur. Vous avez le déshonneur et vous aurez
la guerre»
Churchill s’adressant à Chamberlain après Munich
Cette phrase de Churchill s’applique sans conteste à la dernière
réunion des potentats arabes qui autorisent l’Occident comme en
Irak, à envahir un autre pays arabe. Mieux, ils proposent même
de participer à la cure en allant combattre El Gueddafi. Depuis
plus de trois mois, en effet, la «rue arabe» pour utiliser une
expression occidentale visant à inculquer l’idée qu’il n’y a pas
de réflexion politique et que c’est l’émotion qui dirige les
Arabes; pour une fois, les stratèges occidentaux ne peuvent pas
si bien dire, c’est, dit-on, la rue qui dirige les dirigeants en
Egypte, en Tunisie. Partout il y a un vent de liberté qui
souffle, le problème est de savoir si ce vent est endogène ou
s’il ne souffle pas de l’extérieur, en clair, il y a un doute.
La Toile est saturée de contributions, notamment dans les sites
alternatifs qui revendiquent une certaine crédibilité, pour
affirmer que le remodelage du Moyen-Orient est en train de se
faire et que toutes les révoltes sont téléguidées. Notamment
celle des faceboukistes égyptiens qui recevraient leurs
instructions des Etats-Unis à travers un manuel décrivant
comment faire la révolte, parer à des coups, se protéger des
coups...Si cela s’avérait vrai, et il n’y a pas de raison d’en
douter, toutes les espérances placées dans ces révoltes devant
apporter en théorie la liberté, la démocratie, l’alternance,
seraient un gigantesque et macabre canular car des jeunes
meurent.
Un rapide état des lieux nous montre une situation pour le moins
chaotique dans les pays qui ont connu des révoltes. La situation
est loin d’être limpide en Tunisie où la période transitoire
d’exutoire de toutes les frustrations dure et fragilise les
acquis. Même impression en Egypte où les jeunes sont plus
déterminés que jamais, leur dernière «victoire» est la
suppression de la police politique. «Même l’Arabie Saoudite
n’est pas épargnée»: ‘‘Des appels ont été lancés sur une page
Facebook pour une ‘journée de colère le 4 mars dans l’Est à
majorité chiite de l’Arabie Saoudite’’, rapporte L’Orient-Le
Jour. Enfin, la jeunesse palestinienne au nombre de plusieurs
milliers aussi bien à Ghaza qu’à Ramallah est sortie protester
en exigeant des deux responsables du Hamas et du Fatah de faire
immédiatement la paix. Le leader du Hamas aurait demandé à
Mahmoud Abbas une réunion urgente. A Bahreïn, la situation est
plus problématique car les révoltés sont chiites et le pouvoir
du roi est sunnite depuis deux siècles! Résultat des courses: la
débâcle depuis deux mois, des morts et l’appel du roi au nom du
Conseil de coopération du Golfe, à ses alliés: l’Arabie Saoudite
envoie mille hommes et les Emirats cinq cents pour aider le
pouvoir à rétablir l’ordre!
Lionel Froissart décrit le clivage qui s’opère entre chiites et
sunnites. Nous lisons: «Après un mois de manifestations contre
la monarchie, les partis de l’opposition dénoncent une
«occupation étrangère». La tension est montée d’un cran, lundi,
dans le petit royaume de Bahreïn, où les sept partis
d’opposition, dont le puissant Al-Wefaq, ont dénoncé
«l’occupation étrangère». Le bloc Al-Wefaq, le plus organisé des
mouvements islamistes d’opposition de gauche, décide alors
d’abandonner les 18 sièges sur les 40 qu’il détient à
l’Assemblée consultative depuis les élections législatives de
novembre, ne souhaitant plus être associé à «un pouvoir qui
massacre son peuple». Le chef d’Al-Wefaq réclame de plus,
l’instauration d’une «monarchie constitutionnelle, dans laquelle
le gouvernement serait élu par le peuple». Une revendication qui
apparaît alors comme tout à fait utopique. (...) A ce jeu de la
démesure, le Premier ministre, le cheikh Khalifa ibn Salman
al-Khalifa, oncle du prince héritier et qui occupe ce poste
depuis 1971, soit depuis l’indépendance du Royaume, bat tous les
records. (...) Autant de points de friction qui entretiennent la
grogne sociale et nourrissent la tension, grandissante, entre
les communautés sunnite et chiite. Malgré les appels à la
fraternité de certains leaders, la tension se fait chaque jour
plus explosive entre les communautés.»(1)
Justement, les révoltes chiites à Bahreïn, mais aussi au Koweït
et en Arabie Saoudite sont soupçonnées d’être téléguidées par
l’Iran qui a protesté contre l’envoi des troupes à Bahreïn. Ce
qui se passe actuellement en Libye n’est pas comparable à ce qui
s’est déroulé en Tunisie et en Egypte. Nous avons assisté à la
naissance d’un mouvement populaire sans armes en Egypte et en
Tunisie. Mais, en Libye, nous avons affaire à une révolution
armée menée par des tribus. L’armée loyale au président El
Gueddafi est en train de reprendre le terrain. Ce qui est en
totale contradiction avec ceux qui veulent atteindre les pays
occidentaux, attachés à une intervention humanitaire, qui
sous-entend une attaque armée. Pour des raisons «humanitaires»,
les trois pays cités ont débarqué des militaires, des agents des
services secrets dans le but de soutenir les chefs des insurgés.
C’est un grand problème qui se complique maintenant avec le fait
que l’armée d’El Gueddafi a repris le terrain et les grandes
villes du pays. Les calculs des pays occidentaux voulant
intervenir militairement ont été faussés par la réaction des
soldats libyens. La stratégie des pays de l’Occident était basée
sur l’accaparement des 4% des réserves mondiales de la Libye,
c’est-à-dire des 48 milliards de barils. Pour pouvoir accaparer
cette réserve, il faudrait enfanter une guerre qui va servir
aussi à faire sortir leurs concurrents, les Chinois. Ceci
explique d’ailleurs l’agitation de Nicolas Sarkozy et de David
Cameron à la réunion des 27 de l’Europe. Mais ils n’ont pas pu
convaincre l’Europe de décider d’une intervention pour pouvoir
créer une zone d’exclusion. Cette situation nous rappelle ce qui
s’est passé il y a plus d’un siècle, lors des accords de partage
des richesses de l’Empire ottoman. Les pays occidentaux veulent
reprendre la zone Est de la Libye, où il y a 80% des gisements
pétroliers. Mais avec la reprise en main de la Libye par le
président El Gueddafi, c’est toute une stratégie qui est en
train de capoter. La France, à titre d’exemple, a reconnu le
comité des insurgés au détriment d’un pays souverain. Ce qui se
passe en Libye est quelque chose de dramatique. Pour reprendre
le contrôle de la situation, El Gueddafi est en train de
supprimer carrément ses concitoyens. Nous sommes donc face un
problème de fond et global. Fort de l’appui de la Ligue arabe,
Sarkozy pensait convaincre les membres du G8 réunis à une action
rapide, en vain, car El Gueddafi va rentrer à Benghazi et ce
sera le massacre des insurgés.
Il ne faut pas se faire d’illusions. La Ligue des Etats arabes
est pilotée depuis des années par les Etats-Unis d’Amérique. Le
vote de samedi pour une exclusion aérienne en Libye n’est pas en
soi une surprise. A la tête de la Ligue arabe, il y a l’Egyptien
Amr Moussa, qui ambitionne aujourd’hui d’être le futur président
de l’Egypte. Pour ce faire, il doit montrer des signes
d’allégeance aux Américains. De ce côté-là, il a eu le soutien
des Saoudiens, dont on connaît les liens historiques avec les
Américains, les Koweïtiens, les Jordaniens, les Tunisiens, qui
sont embourbés dans leurs propres problèmes, sans compter les
Marocains. Cela ne veut pas signifier évidemment qu’il faille
cautionner les assassinats d’El Gueddafi et de son armée, au
pouvoir depuis 42 ans. La position officielle de l’Algérie a été
exprimée par le ministre des Affaires étrangères, Mourad Medelci,
qui avait déclaré samedi au journal français Le Monde que
l’Algérie n’avait pas vu venir des révolutions en Tunisie et en
Egypte. Il a rappelé que l’Algérie ne veut pas s’ingérer dans
les affaires internes des pays voisins.
Certains pays arabes ont reçu certainement instruction de ne pas
agir dans le sens de la paix et du dialogue entre les Libyens.
Il ne faut pas se faire d’illusions sur le fonctionnement du
monde. Les interventions dites humanitaires dans les temps
actuels sous-entendent une vision d’accaparement des richesses
et des matières premières. C’est un nouveau système de partage
des richesses d’autrui qui se met en branle. C’est la théorie
des dominos et du plan du Grand Moyen- Orient qui se mettent en
place par des méthodes moins musclées que celles de Bush. Mais,
la finalité est toujours la même. Le principe de non-ingérence
doit être conforté. D’un autre côté, il faut admettre qu’il y a
une grande partie du peuple libyen qui souffre de la dictature
et de la guerre civile. On parle de 6000 morts. Il va falloir
vérifier les chiffres et se méfier des annonces médiatiques.
Lorsqu’on voit le «philosophe» Bernard-Henri Lévy intervenir à
partir de Benghazi et appeler l’Elysée pour soutenir la
rébellion, nous sommes en droit de douter de cette rébellion
d’autant plus qu’elle a jailli du néant. Nous avons vu le
drapeau de l’ancienne Libye coloniale, du temps du roi Idriss,
brandi par les Libyens. En clair, on veut instaurer un nouvel
ordre colonial. De ce point de vue-là, je comprends parfaitement
la position algérienne, une position de méfiance et de prudence.
Les Américains sont en train de peser le pour et le contre,
étant donné que la situation est en faveur d’El Gueddafi, qui va
certainement accepter de redistribuer les richesses entre les
compagnies pétrolières au détriment de la Chine.
Pour Ginette Skandrani «(...) ce n’est pas à l’Otan, ni aux USA,
ni aux Européens ni à la Ligue arabe à décider qui doit ou ne
doit pas gouverner la Libye. Que Sarkozy, qui a reçu en grande
pompe Mouamar El Gueddafi parce qu’il voulait lui fourguer des
Rafale et une centrale nucléaire, mais surtout pour l’entraîner
dans l’Union pour la Méditerranée afin d’y faire accepter Israël
dont les pays arabes ne voulaient pas, se permette tout à coup
de prôner une intervention militaire, me semble aberrant et
surtout stupide à brève échéance. Tous ceux qui appellent à
cette couverture aérienne qu’ils ont surnommée faussement
humanitaire, ou demandent l’aide des Américains pour déloger le
Guide, devraient se souvenir de ce qu’a donné l’aide américaine
à l’Irak».(2)
Que faut-il faire alors?
Faut- il couper la Libye en deux avec une Libye utile, entendons
par-là celle qui a le pétrole qui aura une saveur particulière
maintenant que le nucléaire a montré ses limites? Marcel Boisard,
docteur en sciences politiques, ancien sous-secrétaire général
de l’ONU, prône, par réalisme, une résolution pacifique du
conflit, en incluant El Gueddafi ou ses proches: «La Libye n’est
pas une nation. Elle est constituée de trois provinces
disparates, elles-mêmes divisées en de nombreuses tribus.
L’Italie arracha ces territoires à l’Empire ottoman, en 1912, et
eut grand peine à les dominer. (...) La Libye n’est pas
davantage un Etat, mais un «pouvoir de masse», Jamahiriya,
néologisme arabe intraduisible et salmigondis incompréhensible,
confondant les philosophies politiques les plus dissemblables.
Le résultat en est qu’il n’existe aucune véritable structure de
gouvernement. El Gueddafi ne se considère pas comme un chef
d’Etat, mais comme un «guide» ou un «frère colonel». (...) La
population de Cyrénaïque prit les armes, en pillant les dépôts
existants, puis marchant vers l’Ouest. La presse occidentale
s’est enthousiasmée pour cette jeunesse courageuse et s’est
déchaînée contre le tyran, alors que l’on assiste à une guerre
civile ou, plus précisément, à une guerre de sécession.
Embourbées en Afghanistan et en Irak, incapables d’aider au
règlement de la question israélo-palestinienne, les puissances
occidentales ne sauraient considérer une intervention militaire.
Un siècle exactement après le dernier incident retenu par
l’histoire et survenu dans la même région géographique, la
«diplomatie de la canonnière», illustrative de la politique
coloniale, semble réintroduite! (...) Faut-il pour autant
demeurer spectateurs et laisser les massacres potentiels se
dérouler? Evidemment non. D’abord, la Libye ne pourra pas
continuer d’exister comme entité politique unique. Il faut donc
considérer une partition, sinon et quel que soit le vainqueur,
les représailles seront terribles (...)Reconnaître le «Conseil
national de transition», dont on ne sait rien, comme l’unique
représentant du peuple libyen, ainsi que vient de le faire
Nicolas Sarkozy, est absurde et suicidaire. L’issue de la
négociation pourrait être la création d’un Etat de Cyrénaïque,
démocratique teinté d’Islam, et d’un Etat de Tripolitaine auquel
pourrait être adjoint le Fezzan, trouvant une forme humaniste de
gouvernance.»(3)
On remarquera au passage comment cette personnalité décrit sans
état d’âme une partition du pays à l’instar de celle du Soudan
et des autres à venir. Le remodelage est une réalité.
Le besoin de liberté des jeunes
est réel et irréversible
Antoine Reverchon et Adrien de Tricornot pensent que l’argent ne
suffit pas pour calmer les révoltes. Ils écrivent: «Mais tous
ces milliards de dollars, qui feraient en temps normal le
bonheur des populations, ne suffiront peut-être pas à stopper
l’enchaînement des bouleversements politiques qui déstabilisent
peu à peu la principale région productrice de pétrole de la
planète. Car la rente pétrolière est le seul élément qui
distingue les pays du Golfe, mais aussi l’Algérie et la Libye,
de la Tunisie ou de l’Egypte. La concentration de la richesse
entre les mains d’autocrates au pouvoir depuis des décennies,
l’insuffisance et l’opacité de sa redistribution, la corruption,
et surtout le refus de la jeunesse de continuer à accepter cela,
sont les détonateurs de la révolte dans le Golfe et ailleurs
dans le Monde arabe. Dans un texte publié par l’International
Herald Tribune, un professeur d’université omanais, Najma Al-Zidjalya
a d’ailleurs joliment baptisé ces bouleversements du nom de
youthquake (´´tremblement de jeunesse´´). Mais, comme l’explique
M.Sarkis, ´´ce ne sont pas tant des revendications économiques
que politiques, pour la liberté d’expression, pour participer à
la vie publique, qui sont aujourd’hui portées par les
manifestants´´. L’extraordinaire développement économique est en
effet largement confisqué par les familles régnantes et leur
clientèle ou, en Algérie et en Libye, par les clans
politico-militaires au pouvoir. «La plus grande demande du
´´printemps arabe´´ est une aspiration complexe à changer
fondamentalement les modes de fonctionnement des sociétés»,
ajoute Samir Aita, président du Cercle des économistes arabes.
´´Toute la région était un volcan éteint. Il se réveille avec
d’autant plus de force qu’on le croyait éteint. Et il a de
nombreux cratères, qui s’allument les uns après les autres’’,
affirme M.Sarkis.»(4)
Le Monde arabe ne sera plus jamais comme avant, les répliques
des jeunes vont s’atténuer. La Rue arabe ne se laissera plus
faire et les morales, voire les recettes à l’ancienne, n’ont
plus cours. Il faut parler aux Jeunes et les convaincre,
largement formatés par le Web 2.0. Il sera de plus en plus
difficile de les contraindre surtout avec la mentalité de ceux
qui veulent toujours avoir raison. Il est des moments dans la
vie d’une nation où les hommes et les femmes refusent de courber
l’échine et retrouvent, pour un temps, la sublime générosité du
coeur et la grandeur des sacrifices. La révolution est toujours
belle lorsqu’elle naît d’une idée supérieure que des hommes et
des femmes se font de leur idéal commun. Les Jeunes Arabes, à
l’instar des Jeunes Turcs, Algériens, Tunisiens du siècle
dernier, ont pris le chemin de l’espérance, à nous de les
accompagner.
1.Lionel Froissart: Bahreïn,
http://www.letemps.ch/Page/Uuid/ebe3a680-4e7e-11e0-8142-b21198a5c286/Larriv%C3%A9e_des_troupes_saoudiennes
Mardi15 mars 2011
2.Ginette Skandrani. Libye: je me refuse à hurler avec les loups
Oulala.com 13.03.2011
3.Marcel Boisard. Couper la Libye en deux? Le Temps. 14 mars
2011
4.A.Reverchon, A. de Tricornot: La rente pétrolière ne garantit
plus la paix sociale Le Monde 14.03.11
Pr Chems Eddine CHITOUR
Ecole Polytechnique Alger enp-edu.dz
Publié le 18 mars 2011 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
Les textes du Pr Chems Eddine Chitour
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