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L'EXPRESSIONDZ.COM
Les Ghazaouis
Des prisonniers à perpétuité dans une
prison à ciel ouvert
Pr Chems Eddine Chitour
Jeudi 14 janvier 2010
«Presque tous les désirs du pauvre sont
punis de prison.»
Louis-Ferdinand Céline "(Extrait du Voyage au bout de la nuit)"
Un an déjà que Ghaza a enterré ses 450
enfants et ses 1400 morts, un an que les 5000 blessés tentent de
reprendre contact avec la vie. Cependant, tout se passe
actuellement comme s’il ne s’est rien passé il y a un an. Le
rapport Golstone a été vidé de sa substance du fait des
atermoiements de la communauté internationale et des errements
d’Abou Mazen qui croit encore au Père Noël, lui qui promet comme
rapporté par le New York Times qu’il n’y aura pas de nouvelle
intifada tant qu’il sera au pouvoir. Lui qui menace de partir
pour mieux revenir.
On nous dit que l’envoyé spécial, George Mitchell, se réunit
aujourd’hui à Bruxelles avec le Quartet pour relancer la feuille
de route. On nous dit aussi que les pays donateurs discutent
encore une fois de l’aide de 3, 5 milliards d’euros à acheminer
aux Palestiniens de la bande de Ghaza. Comment? puisque le
blocus dure depuis trois ans et demi et qu’il est devenu plus
hermétique que jamais depuis janvier 2009. Cette punition
collective des Ghazaouis vient du fait qu’ils ont voté pour le
Hamas «honni de l’Occident». Pourtant, comme l’écrit
Alain Gresh: La victoire sans appel du Hamas aux élections
législatives du 25 janvier 2006 a suscité bien des commentaires
et des mises en garde indignées des Etats-Unis et de l’Union
européenne, France comprise. (...) Le scrutin, tenu sous
occupation étrangère, a suscité une très forte mobilisation de
la population palestinienne. Plus des trois-quarts des électeurs
se sont rendus dans les bureaux de vote. C’est incontestablement
une victoire pour la démocratie et la preuve que les
Palestiniens y sont attachés. Et les quelque 900 observateurs
internationaux ont témoigné de la régularité du scrutin. (...).
(1)
Dans la réalité très peu de marchandises étant autorisées à
pénétrer dans la bande de Ghaza, que ce soit en provenance
d’Israël ou d’Égypte, des centaines de tunnels ont été creusés
sous la frontière égyptienne pour assurer l’approvisionnement de
la population. Ces tunnels sont également utilisés par la
Résistance pour s’approvisionner en armes. L’État d’Israël
s’applique à transformer la bande de Ghaza en bantoustan, sur le
modèle expérimenté jadis par ses conseillers au Guatemala et en
Afrique du Sud. Dans cette perspective, Israël a construit un
Mur de séparation, dont le tracé a été jugé illégal au regard du
droit international par la Cour d’arbitrage de La Haye.
La complicité de
l’Egypte
L’asphyxie de Ghaza a ému les sociétés
civiles et les organisations humanitaires en Occident, le député
britannique George Galloway a été le fer de lance de l’aide à
Ghaza. On apprend qu’enfin, le convoi Viva Palestina qui a
quitté la Grande-Bretagne il y a un mois, est finalement arrivé
dans la bande de Ghaza sous surveillance de la police
égyptienne. Les militants du convoi ont résisté à tous les
obstacles posés par le gouvernement égyptien et ont finalement
réussi à entrer à Ghaza.
155 véhicules ont quitté le port d’El Arish et sont déjà arrivés
à Ghaza en passant par la frontière de Rafah.(..) Le convoi a
jusqu’ici parcouru 4600 kilomètres, par voies aériennes et
maritimes, d’Istanbul à l’Egypte.(2)
On l’aura compris: l’Egypte fait du zèle: elle se découvre sans
états d’âme une nouvelle fonction d’affameur de personnes - les
Ghazaouis- qui ne demandent qu’à survivre. 1,5 million de
personnes vivent dans la bande de Ghaza. Selon le rapporteur
spécial de l’ONU, Jean Ziegler, la majorité d’entre elles sont
victimes de malnutrition et ne peuvent survivre que grâce à la
contrebande transitant par ces tunnels. Elle ambitionne, avec
l’aide occidentale, d’ériger un autre mur de la honte
sous-terrain. Le Mur de séparation égyptien est d’abord composé
de canalisations jusqu’à 35 mètres de profondeur. Celles-ci sont
conçues pour inonder les tunnels. Elles sont emplies d’eau de
mer. Un second ouvrage est composé de plaques de métal de 18
mètres de longueur et de 50 centimètres d’épaisseur. Ces
plaques, réputées infranchissables, sont munies de capteurs pour
détecter les éventuels travaux de sape. Le Mur est construit
sous la direction de conseillers techniques états-uniens et
français. Cette semaine, le directeur du Renseignement militaire
français, le général de corps d’armée Benoît Puga, est venu
personnellement inspecter le chantier. Examinant ce qui est en
train de devenir, selon les mots du président Nicolas Sarkozy «la
plus grande prison du monde», le général Puga s’est félicité
de l’avancement des travaux d’encerclement. Il a déclaré qu’il
s’agissait là de «la plus grande opération de l’Histoire»
visant à couper des souterrains et qu’elle pourrait servir de
modèle dans d’autres régions du monde.
Pour arriver à ses fins, le pouvoir égyptien, outre la mise au
pas des opposants et la complicité d’une presse aux ordres, se
voit «conforté» dans son inhumanité, à savoir asphyxier
les Ghazaouis, ces autres musulmans, par le clergé égyptien. «Ainsi,
écrit Merzak Bagtache, Al Azhar, (...), ne fait que ressasser
les vieilles litanies, se plaisant ainsi, contre vents et
marées, à s’ériger en clergé tout en sachant pertinemment qu’il
n’y a pas de clergé en Islam. Et voilà encore que celui qui
préside aux destinées de l’Egypte,(...) ordonne à Al Azhar de le
suivre au pas, et celui-ci de se précipiter pour cautionner des
thèses politiques aussi saugrenues que stupides. Ainsi donc, une
muraille est en voie de construction pour barrer la route aux
Palestiniens, comme si ces derniers étaient de la trempe de Gog
et Magog. Après avoir été royaliste du temps des Khédives,
socialiste du temps de Nasser, puis, partisan d’un
pseudo-libéralisme sous le régime de Sadate, le voilà,
aujourd’hui, déboussolé, n’agissant que sur ordre et orientation
d’un système politique en retard de plusieurs révolutions: le
mur entre nous et la Palestine est "hallal" à cent pour cent!
Bouffis d’orgueil, puisqu’ils se croient détenteurs de la vérité
religieuse, les hommes d’Al Azhar ne fréquentent le palais de
Son Excellence que pour s’éloigner, plus que jamais de tout ce
qui est rationnel.»(3)
Est-ce pour autant qu’il est en ordre de sainteté chez les
Israéliens? Non! Suprême récompense pour l’Egypte: Benyamin
Netanyahu, Premier ministre israélien, a reconnu la construction
d’un mur électronique ultramoderne, d’une longueur de 255
kilomètres, et d’un coût de 270 millions de dollars sur les
frontières avec l’Egypte, et ce en vue «d’interdire les
infiltrations, la contrebande et de protéger la sécurité
d’Israël.» «Le nouveau mur commencera du sud de la ville
de Rafah, sur les frontières entre l’Egypte et Ghaza. Il
comprendra des radars et des équipements modernes en vue
d’intercepter les infiltrés sur les frontières». Il s’agit
d’une décision stratégique qui vise à préserver la judaïté et la
démocratie en Israël. La police égyptienne a durci ses
conditions sécuritaires au cours des derniers mois pour protéger
ses frontières avec Israël face à la multiplication des
activités de trafic des personnes. La police égyptienne a tué
pas moins de 17 personnes depuis mai dernier qui voulaient
s’introduire en Israël. (...) Israël exerce des pressions
grandissantes sur l’Egypte depuis un long moment, afin qu’elle
fasse barrage à la contrebande au niveau de ses frontières, à
travers lesquelles les Palestiniens se ravitaillent en munitions
et en produits de base. (4) Israël met sur le même pied le Hamas
et l’Egypte en voulant s’enfermer dans une citadelle
inexpugnable.
Naturellement, les Palestiniens de Ghaza protestent contre cette
autre asphyxie. Des heurts ont eu lieu. Les soldats égyptiens
casqués et arme à la main sont nerveux. Une douzaine d’entre eux
sont postés à faible distance de la ligne de démarcation avec
Ghaza. (...) Un échange de tirs entre gardes-frontières
égyptiens et policiers du Hamas a fait un mort et une
demi-douzaine de blessés côté égyptien, et une quinzaine de
blessés côté palestinien. L’incident s’est produit à un peu plus
d’un kilomètre de là, à la porte Salahuddin, le long du «couloir
de Philadelphie» qui marque la frontière entre les deux
territoires. Des manifestants palestiniens s’étaient rassemblés
pour protester contre la construction de la barrière égyptienne.
Les slogans hurlés par les adolescents palestiniens se sont
accompagnés de jets de pierres, auxquels ont répondu des tirs de
semonce. Chez les Ghazaouis, l’incompréhension le dispute à une
sourde appréhension devant l’avenir: l’«économie des tunnels»
est le cordon ombilical de la bande de Ghaza.(5)
Israël détruira le
monde
«Dans la ville de Ghaza, Ahmad Youssef,
conseiller politique du Premier ministre du Hamas, Ismaïl
Haniyeh, ne décolère pas: "Pourquoi les Egyptiens apportent-ils
leur concours aux efforts des Israéliens pour nous étrangler?
Dans tout le monde arabe, on nous soutient, sauf en Egypte.
J’espère que les Egyptiens vont comprendre que cette attitude
nuit à leur image." M.Youssef remarque que "les gens" en
concluent que Le Caire cède aux pressions des Etats-Unis et
d’Israël. Cette vox populi écrit Laurent Zecchini, sonne juste:
l’Administration américaine a manifestement décidé de rappeler à
l’Egypte qu’en échange de son aide annuelle de quelque 1,7
milliard de dollars, elle attend du Caire une attitude plus
ferme contre la contrebande d’armes, laquelle emprunte aussi le
réseau des tunnels. L’Egypte se fait d’autant moins prier
qu’elle s’inquiète depuis longtemps de l’influence du Hamas.»(5)
Pour l’Occident, Ghaza est devenue un poste avancé militaire
iranien, raison pour laquelle son nucléaire civil, qui aurait pu
vivre son petit fleuve tranquille, est devenue un prétexte rêvé
pour l’alliance occidentale. Soutenue par la Chine et la Russie,
la mise à genoux est en fait devenue la condition sine qua non
de survie d’Israël, qui n’hésitera pas à entraîner le monde
entier avec elle, comme l’a rappelé Martin Van Crevel: «Nous
avons la capacité de détruire le Monde avec nous. Et je peux
vous assurer que cela arrivera avant qu’Israël ne disparaisse.»
Pourtant, le peuple palestinien de Ghaza ne veut pas mourir:
malgré les massacres en série, la population de Ghaza augmente.
On dit que la démographie est de 6 à 7 enfants par famille,
contrairement à Israël. Il vient que ce pays, avec les
perspectives démographiques, ne laissera jamais un Etat
palestinien totalement souverain, libre en matière militaire et
dans les frontières de 1967. Ils voudront toujours garder des
postes avancés en Cisjordanie (les colonies). La démographie est
en fait le carburant de la lutte,ce que les Palestiniens n’ont
pas acquis par les armes ils l’obtiendront par les naissances et
inverseront les rapports de force. Les options de la «seule
démocratie du Proche-Orient» seront soit un nouveau
nettoyage ethnique comme en 1948, soit l’usage de l’arme
nucléaire?
C’est bel et bien un conflit d’essence religieuse, la
récupération de la terre d’antan, liée à un colonialisme
sauvage, qui risque de dégénérer mondialement. Un Israël resté
dans ses frontières initiales, qu’elle avait signées, était
parfaitement viable. Il n’en va pas de même d’un Israël qui
s’installe progressivement chez les autres, au prix de génocides
successifs car tel est l’idéologe du sionisme théorisé par
Theodor Herzl. Ce dernier, s’adressant à son modèle Cecil
Rhodes, apôtre impénitent de la colonisation à outrance et
fondateur de la Rhodésie (aujourd’hui Zimbabwe), déclara: «Mon
programme est une programme colonial». De même dans «L’Etat
Juif», il préconisait: la colonisation de la Palestine par
des cultivateurs, des artisans et des commerçants juifs. Le
sionisme est donc un colonialisme à l’instar des politiques
coloniales européennes du XIXe siècle. Et si le sionisme
concerne la création d’un foyer juif, il n’en est pas moins une
politique détachée du judaïsme. Il déclara à ce sujet dans «Jewish
Chronicle» le 11 août 1911: pour lui, les croyances
religieuses tissées autour de la Terre Sainte n’étaient utiles
que comme une manoeuvre valable pour protéger les précieuses
fautes naissantes du nationalisme contre les éléments
dévorateurs de l’assimilation. La création d’un Etat d’Israël
serait donc fondée non pas sur la religion mais sur une «race
juive»: le foyer juif laïc que Theodor Herzl voulait créer
serait alors un «bastion avancé de la civilisation
occidentale en face de la barbarie d’Orient».
La foudre s’est de nouveau abattue sur la bande de Ghaza, dans
un tonnerre de frappes aériennes israéliennes qui ont ciblé des
tunnels à la frontière entre l’Egypte et le territoire contrôlé
par le Hamas, tuant trois Palestiniens et en blessant un
quatrième. Cette riposte est une nouvelle flambée meurtrière de
violences qui a pour toile de fond l’inextricable tractation
entre le gouvernement de l’Etat juif et le Hamas, visant à
obtenir, la remise en liberté du soldat Gilad Shalit en
contrepartie de la relaxe de détenus palestiniens. (...)
Benyamin Nétanyahou, excluant d’accéder aux exigences du Hamas
tant sur le nombre de prisonniers, un millier, que sur certains
meneurs charismatiques, dont Marwan Barghouti accusé d’être la
tête pensante de la deuxième Intifada.(6) Mieux encore, on prête
à Mahmoud Abbas le refus de le voir libéré. Dans ce poker
menteur, un constat: la perte progressive -mais quasi-totale-
par l’Egypte de sa place de «leader autoproclamé des pays
arabes. L’Egypte, tenue par son traité de paix avec Israël,
affaiblie par sa dépendance à l’égard de l’aide américaine,
terrifiée par l’extrémisme des Frères musulmans, accablée par
les difficultés internes et obsédée par le problème de la
succession d’un président, Hosni Moubarak, à bout de souffle,
semble totalement incapable du moindre geste qui puisse soulager
la misère de Ghaza à ses portes». L’Egypte a définitivement
tourné le dos au monde dit «arabe»; c’est un pays en
proie aux instabilités chroniques et, sans le soutien de ses
parrains américains, il y a bien longtemps que le pouvoir aurait
changé de main.
1.Alain Gresh. Sur la victoire du Hamas: Le
Monde diplomatique. 27 janvier 2006
2.Le convoi entre dans la bande de Ghaza Lundi 11 Janvier
2010http://www.ihh.org.tr/Manset_Ayrinti.160+M5955e6e14aa.0.html?&L=8
3. Merzak Bagtache: Si Al Azhar ne m’était pas conté. El Watan
du 9.01.2010
4.Construction d’un mur entre Israël et l’Egypte bbc.co.uk/
arabic/index.htm 12/01/2010
5.Laurent Zecchini: La colère des Palestiniens de Ghaza contre
l’Egypte Le Monde 08.01.10
6.Ghaza sous les bombes, Site Oumma.com 8 janvier 2010
Pr Chems Eddine Chitour, Ecole nationale
polytechnique, enp-edu.dz
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Publié le 14 janvier 2010 avec l'aimable autorisation de l'Expression
Les textes du Pr Chems Eddine Chitour
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