Comment je vois le Monde
L'Algérie et
l'afghanisation du Mali :
La curée néocoloniale en marche
Chems
Eddine Chitour
Le Pr
Chems Eddine Chitour
Samedi 13 octobre
2012
«Il y a des
pays qui peuvent être réticents, mais
ils ne sont pas ceux qui vont au Conseil
de sécurité faire obstacle puisque nul
ne fera obstacle».
Laurent Fabius dans une claire allusion
à l'Algérie à propos de l'intervention
militaire au Mali. (Sommet 5+5 d'octobre
à Malte)
Que se passe-t-il au Mali? On parle de
plus en plus d'une intervention comme
inéluctable. Quelques repères pour fixer
les idées. Le Mali, patrie du grand
écrivain Amadou Hampâté Bâ. est un pays
d'Afrique de l'Ouest, membre de l'Union
africaine, frontalier de sept pays dont
l'Algérie, indépendant le 22 septembre
1960. Avec 14.517.176 habitants en 2009,
la population malienne est constituée de
différentes ethnies. Avec une économie
encore essentiellement rurale, le Mali,
pays enclavé, fait partie des 49 pays
les moins avancés (PMA) (IDH =0,350) Son
économie reposait sur l'agriculture,
l'élevage et le commerce transsaharien
de l'or, le sel. Cinq empires ou
royaumes importants se sont succédé:
l'empire du Ghana, l'empire du Mali,
l'empire songhaï, le royaume bambara de
Ségou et l'empire peul du Macina. À son
apogée, l'empire s'étend de l'Atlantique
au Nigeria et du nord de la Côte
d'Ivoire au Sahara. En 1968, Modibo
Keïta est renversé par un coup d'État de
Moussa Traoré. Le 26 mars 1991, celui-ci
est renversé à son tour par le général
Amadou Toumani Touré. Après une période
de transition, ce dernier restaure la
démocratie avec l'élection d'Alpha Oumar
Konaré en 1992. Il est réélu en 1997.
En 2002, Amadou Toumani Touré est élu
président de la République du Mali et
réélu en 2007. Cependant, le 22 mars
2012, des soldats mutins dirigés par le
capitaine Amadou Haya Sanogo, prennent
le contrôle de la présidence et
annoncent la dissolution des
institutions. De janvier à avril 2012,
le Mouvement national pour la libération
de l'Azawad attaque les camps militaires
maliens et les villes situés dans les
régions de Gao, Tombouctou et Kidal. Le
1er avril 2012, la rébellion touarègue,
constituée du Mouvement national pour la
libération de l'Azawad et d'un mouvement
salafiste Ançar Eddine, contrôle les
trois régions situées au Nord du Mali.
Le Mnla réclame l'indépendance de l'Azawad
tandis qu'Ançar Eddine souhaite imposer
la charia. Les deux mouvements
revendiquent le contrôle des principales
villes. Le 4 avril, le Mnla décide
unilatéralement la fin des opérations
militaires; il proclame l'indépendance
de l'Azawad. Il faut y ajouter Aqmi et
le Mujao encore plus virulents. Depuis,
la Cédéao a décidé d'une intervention
militaire.
La réalité
du terrain: le chaos au Nord Mali
Salima Tlemçani résume l'état d'une
population dans la misère et la guerre.
Nous l'écoutons: «Située au nord du
Mali, plus exactement au sud-est de la
région de Gao, la ville de Ménaka est
depuis des mois totalement isolée du
monde. Des dizaines de personnes fuyant
les exactions d'Ançar Eddine, du Mujao
et d'Al Qaîda s'y réfugient mais font
face à la misère et aux maladies. Tout
le monde sait qu'une opération militaire
dans le Nord aura de graves conséquences
humanitaires, non seulement sur le Mali
mais également sur les pays limitrophes.
Pour Lamine Ag Billal, la solution
réside d'abord dans le dialogue entre
les tribus de la région et dont font
partie d'Ançar Eddine et le Mnla. En
fait, cette position rejoint celle que
défend l'Algérie, qui consiste à
privilégier une solution politique pour
régler la crise et éviter, coûte que
coûte, l'option militaire qui, en plus
d'être très coûteuse en vies humaines,
constitue un saut vers le chaos. (...)»
(1)
«Censé être libéré de l'occupation
militaire malienne, le nord du Mali est
aujourd'hui disputé par Ançar Eddine, un
groupe intégriste dirigé par Ayad Ag
Ghaly, le Mouvement pour l'unicité du
jihad en Afrique de l'Ouest (Mujao) et
le Mouvement national pour la libération
de l'Azawad (Mnla). Chacune de ces
factions occupe un territoire où
l'activité de contrebande, de crime
organisé, de trafic de cocaïne et
d'armes reste la plus fructueuse.(...)
Les troupes de l'Aqmi, que dirige Abou
Zeïd, contrôlent la région d'Adrar, au
nord-est du Mali, ainsi que Tombouctou.
A part les membres de la direction, la
majorité de ses éléments ne sont pas
Algériens. L'Aqmi est le plus organisé
et le plus doté en moyens humains et
logistiques. Le Mujao occupe, quant à
lui, la région de Gao, où il retient en
captivité plusieurs otages occidentaux
ainsi que les diplomates algériens,
enlevés il y a plus de six mois du siège
du consulat algérien à Gao. (...)
Aujourd'hui, cette région est devenue
non seulement une base arrière pour les
groupes islamistes armés, mais aussi un
repaire des narcotrafiquants et des
trafiquants d'armes et de véhicules.»
(1)
La
détermination de la France à s'ingérer
au Mali
Durant le quinquennat de Sarkozy deux
guerres ont vu la participation de la
France, au nom des «droits de l'homme»,
une troisième est en cours en Syrie.
Pour rappel, écrit Luis Basurto, la
France de MM.Chirac et Sarkozy ne
trouvait pas insupportable, inadmissible
ni inacceptable l'occupation du Nord
ivoirien par des rebelles sanguinaires,
putschistes ratés, depuis septembre 2002
et cela jusqu'à avril 2011, car ces
rebelles soutenaient l'homme adoubé par
Paris, l'ancien fonctionnaire du FMI,
Alassane Ouattara (ADO), aujourd'hui
hissé au pouvoir en Côte d'Ivoire. Et
droite et gauche françaises se donnaient
la main durant cette période dans une
union sacrée assurant cette collusion où
J. Chirac et N.Sarkozy assuraient un
soutien militaire français aux rebelles
pour agresser l'Etat ivoirien. Ici la
France soutient des rebelles, là-bas
elle fait la guerre pour les combattre.
Allez comprendre!» (2)
«Faut rappeler, poursuit Luis Basurto
que la déstabilisation du Sahel, de
toute la bande sahélo-saharienne, est
l'une des conséquences directes de la
guerre de l'Otan contre la Libye, dont
la France de N. Sarkozy fut
l'initiatrice. Ce conflit provoqua la
prolifération et le renforcement de
bandes armées djihadistes et, à la chute
du régime libyen et après l'exécution de
Mouammar Kadhafi, la débandade de
l'armée libyenne et la dissémination
accélérée d'armes de tout genre et
d'hommes armés dans le Sahel.(...) Les
mouvances islamistes chercheraient, avec
les crimes commis au nom de la charia et
une lente poussée vers le Sud-Ouest,
l'affrontement afin de galvaniser et
d'unifier les groupes djihadistes
probablement pour internationaliser le
conflit dans le but d'«afghaniser» la
région». (2)
«L'ingérence française dans le conflit
interne malien se concrétise avec le
«consentement» de la victime, à savoir
le propre Mali. Pour preuve, le journal
Le Monde dit dans son article du 25
septembre «Dimanche [24 septembre], le
Mali a finalement cédé à la pression de
la Cédéao qui, depuis des mois, soutient
le principe d'une intervention militaire
au nord du Mali». Il est notoire que
Paris -le président F. Hollande et le
ministre des Affaires étrangères L.
Fabius- a pressé Bamako -Dioncounda
Traoré et Cheick Modibo Diarra- pour
qu'il demande ouvertement une
intervention militaire étrangère sur le
sol malien. (..) la Cédéao est l'un de
pseudonymes de la France en Afrique.
Elle est l'instrument de blanchiment et
de légitimation, des décisions
politiques, économiques et militaires
françaises destinées à l'ensemble de la
région, de l'Afrique de l'Ouest, (...)
L'acceptation sur le sol malien d'une
force militaire étrangère, avec des
soldats venant des pays frontaliers non
exempts d'ambitions vénales et sous
l'égide de l'ancienne puissance
coloniale, n'est qu'un suicide national
par chapitres annoncé. Annonciateur
d'une nouvelle mise sous tutelle et même
d'une vassalisation par ses voisins
immédiats. Le Mali risque ainsi
d'échanger la rébellion du Nord par une
vassalisation au profit du Burkina Faso
et de la Côte d'Ivoire, devenant le
hinterland asservi de ces deux pays.
(...)»(2)
La
position ambiguë des Etats-Unis
On se souvient que début octobre, de
passage à Alger, le général Carter Ham
commandant de «l'Africom» avait déclaré:
«Je ne suis pas ici pour discuter de
notre présence militaire au Mali, mais
pour encourager le dialogue à
l'intérieur de ce pays et avec les pays
voisins pour le rétablissement de la
stabilité à Bamako. Il n'y aura pas de
soldats américains sur le sol.» Pour le
général Carter Ham, «l'Algérie et les
Etats-Unis d'Amérique sont tout à fait
d'accord sur une priorité: « le peuple
malien doit avoir l'opportunité de
choisir librement son gouvernement et de
vivre dans la paix et la sécurité.»
Changement de ton trois jours plus tard.
Le commandant de l'Africom n'a pas
fermé, nous dit Hassan Moali, la porte à
l'intervention armée au Mali. Les
déclarations du général commandant l'Africom,
Carter Ham, à Alger, à propos de la
conduite à tenir au Mali et la
possibilité d'une attaque militaire,
viennent d'être appuyées par le
conseiller du président Obama pour
l'antiterrorisme, John Brennan. On sait
désormais qu'une intervention militaire,
dont le «format» reste à définir, est
bel et bien dans les plans US au Mali.
L'usage des drones confirme également
les propos du commandant de l'Africom
«qu'il n'y aura pas présence de soldats
américains» sur le sol au Mali. En
d'autres termes, il s'agira de frappes
ciblées menées par des drones contre les
bastions des groupes terroristes. Un
massacre de civils est donc à craindre
comme ce fut le cas en Afghanistan, mais
surtout en Irak. Avec les drones, il y
aura forcément des dommages collatéraux.
(3)
Quelques jours plus tard, devant les
déclarations françaises d'établir une
situation de guerre au Nord-Mali, un
officiel américain a annoncé que les
Etats-Unis pourraient offrir leur
soutien. Cette situation incommoderait
fortement notre pays qui privilégie le
dialogue et la négociation entre toutes
les factions du Nord-Mali. Lentement, le
plan de bataille imaginé par la France
se met en place. «La France est prête à
voter une résolution à l'ONU sur une
intervention militaire africaine au
Mali, qu'elle soutiendra sur les plans
logistique, politique et matériel», a
réaffirmé hier un François Hollande
aussi va-t-en-guerre que son
prédécesseur. «Les Etats-Unis
soutiendront la France si ce pays décide
qu'il est nécessaire d'intervenir
militairement», a affirmé, hier, dans un
entretien au journal Le Monde, le
secrétaire d'Etat adjoint américain
chargé de l'Europe, Philip Gordon. (...)
Une bataille diplomatique à fleurets
mouchetés, que devraient arbitrer des
représentants de la communauté
internationale le 19 de ce mois, à
l'occasion d'une réunion décisive à
Bamako. (4)
L'échec de
la diplomatie soft de l'Algérie devant
l'afghanisation inéluctable de la crise
malienne
Dans une analyse lucide et sans
concession, Abdelaziz Rahabi diplomate
et ancien ministre résume les dangers de
la situation actuelle: pour lui «la
nomination, le 10 octobre, d'un
émissaire de l'ONU pour le Sahel après
une large consultation et un consensus
au sein du Conseil de sécurité consacre
définitivement le caractère
international de la crise. (...) Il n'a
pu le faire qu'après concertation avec
la France et les USA qui ont besoin
d'une couverture du Conseil de sécurité
pour l'envoi d'une force de la Cédéao
qui servira elle-même de couverture à
des opérations ciblées et ponctuelles
des armées occidentales. La question qui
se pose aujourd'hui est de savoir si
l'Algérie a encore le temps de
convaincre et les moyens d'influer sur
la situation.» (5)
«Le fait de rejeter une intervention
étrangère à ses frontières est une
position doctrinale connue de tous et
l'Algérie ne doit pas manquer une
occasion de le faire. (...) Mais cela
n'est pas suffisant. Nos dirigeants, qui
sont d'une sensibilité pathologique aux
flatteries des puissants, n'ont pas
réalisé qu'ils ont favorisé la mise en
place du scénario pakistanais à nos
frontières en se laissant convaincre,
ces dernières années, par le rôle
d'allié et de rempart contre le
terrorisme international conféré par des
puissances occidentales, notamment les
Etats-Unis d'Amérique, la
Grande-Bretagne et la France. On a fait
croire à l'Algérie qu'elle avait
l'expérience et les moyens et qu'elle
pouvait compter sur l'assistance
militaire des Occidentaux. Cela a eu
pour effet de mieux l'exposer et d'en
faire la cible privilégiée du terrorisme
international. Nous n'avons pas tiré
toutes les leçons de l'expérience
pakistanaise, notamment des zones
tribales qui échappent à l'autorité des
Etats.» (5)
«Notre pays, conclut Abdelaziz Rahabi, a
toutes les raisons de s'inquiéter, car
les frontières représentent par
définition un front potentiel ou actif.
Et si l'on observe la situation dans
notre région, nous réalisons que
l'Algérie a rarement vécu une
conjoncture aussi délicate. Elles sont
instables avec la Mauritanie et le Maroc
et hostiles avec le Mali et la Libye. Le
Mujao, par exemple, qui ne cible que
l'Algérie à travers les attentats de
Tindouf, Tamanrasset, Ouargla et
l'enlèvement des diplomates à Gao,
confirme que son mandat vise
essentiellement la déstabilisation de
l'Algérie. Il s'y joue tout simplement
une lutte d'influence entre les
puissances et entre celles-ci et le
terrorisme international, le trafic
d'armes et de drogue. Les zones de
confrontation dans le monde ne sont pas
figées et celle du terrorisme
international s'est déplacée, en 10 ans,
du Pakistan vers l'Afrique.» (5)
Le projet de résolution sur le Mali,
proposé par la France, devrait être
adopté vendredi 12 octobre par le
Conseil de sécurité de l'ONU, a indiqué
la mission française auprès de l'ONU. La
résolution demande à la Cédéao
(Communauté économique des Etats
d'Afrique de l'Ouest) et à l'Union
africaine de préciser dans les 30 jours
les modalités d'une intervention
militaire pour reconquérir le nord du
pays et invite le gouvernement malien et
les rebelles touareg à ouvrir dès que
possible une négociation. Une réunion se
tiendra le 19 octobre à Bamako avec les
principaux acteurs (Cédéao, Union
africaine, Union européenne, ONU) pour
tenter de mettre au point une «stratégie
cohérente», selon un diplomate. Paris a
promis une aide logistique
On le voit, l'Algérie, que l'on présente
comme incontournable dans cette
question, est superbement ignorée. Toute
l'agitation algérienne avec M. Messahel
- qui ne s'arrête pas de parler de
terrorisme transfrontière, de
narcotrafiquants -n'aura, en définitive,
servi à rien. Les interlocuteurs l'ont
reçu poliment sans plus. Les vrais
décideurs sont ailleurs. Lors de sa
dernière étape, M.Messahel a fini par
lâcher que la solution militaire n'est
envisageable que si le dialogue échoue.
Souvenons-nous des échecs de l'Algérie
et de sa diplomatie dans le dossier du
Soudan, de son énergie dans le Nepad
qu'elle présentait comme la solution
économique aux malheurs de l'Afrique, en
vain, les grands de ce monde n'ont aucun
état d'âme. L'Algérie est renvoyée à son
statut de pays en développement. L'Afghanisation
du Mali est en marche. Comment alors
gérer nos frontières et contenir un
tsunami dont nous ne maîtrisons ni les
tenants ni les aboutissants? Fallait-il
pour une fois être dans la mêlée pour
protéger nos arrières?
1. Salima Tlemçani: Situation chaotique
au nord du Mali El Watan 11.10.12
2.
http://www.mondialisation.ca/le-mali-nouvelle-victime-designee-dactives-ingerences-neocoloniales-francaises/
3. Hassan Moali: Le recours aux drones
semble privilégié El Watan 03.10.12
4. Hassan Moali: l'Algérie redoute le
syndrome libyen El Watan le 10.10.12
5. Abdelaziz Rahabi: «Nous avons négligé
la région du Sahel» El Watan le 11.10.12
Professeur émérite Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
Publié le 16 septembre
2012 avec l'aimable autorisation de
l'auteur
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