Opinion
Les
peuples faibles et les «événements
d'Octobre» dans l'histoire
Chems Eddine Chitour
Mardi 11 octobre
2011
Dans l'histoire des
peuples certains mois ont des
significations particulières. On se
souvient certainement de la révolution
d'Octobre (selon le calendrier
orthodoxe) qui permit à la Russie de
mettre fin aux dynasties tsaristes et
donner lieu au communisme qui, lui-même,
devait s'écrouler quelque 74 ans plus
tard à la même période. La Révolution
russe est un événement fondateur et
décisif du «court XXe siècle» ouvert par
l'éclatement du conflit européen en 1914
et clos en 1991 par la disparition de
l'Urss, selon l'historien Eric Hobsbawm
qui écrit: «La Révolution d'Octobre fut
universellement reconnue comme un
événement qui ébranlait le monde.»(1)
Objet de sympathies et d'immenses
espoirs pour les uns (la «grande lueur à
l'Est» de Jules Romains, le «charme
universel d'Octobre» décrit par François
Furet), objet de sévères critiques,
voire de peurs et de haines viscérales
pour les autres, la Révolution d'Octobre
reste un des faits les plus étudiés et
les plus passionnément discutés de
l'histoire contemporaine.(2)
S'agissant de l'Algérie, le mois
d'octobre fut deux fois le mois de la
douleur, d'abord en 1961 ensuite en
octobre 1988. Dans les deux cas, le
peuple et notamment sa jeunesse
descendent dans la rue pour protester
contre des conditions de vie et pour la
liberté. Ainsi, les évènements du 17
Octobre 1961 à Paris désignent la
répression sanglante ayant frappé une
manifestation organisée par la
Fédération de France du F.L.N. en faveur
de l'indépendance de l'Algérie, à Paris.
Des dizaines à des centaines
d'Algériens, selon les sources, sont
morts lors de la confrontation avec les
forces de l'ordre alors dirigées par le
préfet de police Maurice Papon. Les
manifestants internés dans des centres
de détention pendant quatre jours y
auraient subi des violences. Il y eut
plus de 200 morts et de blessés.
Bien plus tard, en Algérie, le 5 Octobre
1988 fut le prélude véritable de ce que
la doxa occidentale redécouvre en 2011
sous le vocable de printemps arabe. Une
révolte contre le népotisme, les
passe-droits, le manque de liberté,
l'absence d'alternance au pouvoir, le
chômage. Certains journaux, faisant dans
l'auto- dénigrement que décrit si bien
Albert Memmi, voient dans cette révolte
de la jeunesse une manipulation des
services de sécurité. Il n'empêche que
pendant près de deux ans, nous avons vu
un printemps de la liberté que beaucoup
de pays arabes nous enviaient à
l'époque, la presse actuelle qui
«déblatère sans cap fédérateur pour le
pays, au-delà des hommes, doit son
existence à la mort de ces jeunes. Cette
récupération ingrate ne fait pas preuve
d'humilité, au contraire on minimise
pour être dans le vent de la doxa
occidentale qui veut que « l'Histoire
commence à Sumer » (Sidi Bouaziz)
Un autre peuple qui paya cher sa liberté
est le peuple tchèque «Il y a tout juste
40 ans, le 31 octobre 1967, la police
tchèque réprimait brutalement une
manifestation d'étudiants de la cité
universitaire de Prague-Strahov. Cet
événement fut le prélude de la période
de détente politique et de réformes
démocratiques qu'a connues, en 1968, la
Tchécoslovaquie, période dite du
«Printemps de Prague». Au commencement
était l'obscurité. Les coupures
fréquentes d'électricité à la cité
universitaire de Prague-Strahov, furent
à l'origine des protestations des
étudiants. Lorsque, le 31 octobre 1967
au soir, la cité fut à nouveau plongée
dans l'obscurité, les étudiants
sortirent dans la rue et prirent la
direction du Château de Prague. Bougies
à la main et scandant: «Il nous faut de
la lumière, nous voulons plus de
lumière», un slogan bien ambigu aux
oreilles du régime d'alors.
L'intervention contre les étudiants
n'est pas restée sans suite. Pour la
première fois, la presse informa
ouvertement ses lecteurs de la brutalité
policière. En effet, suite à cela,
Strahov Antonin Novotny fut démis de ses
fonctions en janvier 1968. La nomination
d'Alexandre Dubcek au poste de chef du
comité central du PCT ouvrit la voie aux
réformes. L'année 1968 vît s'instaurer
les libertés d'expression, de création
artistique ou encore de la vie
culturelle. La censure fut abolie.(3)
Cela ne fut pas du goût du pouvoir
soviétique frère qui mit de l'ordre en
limogeant Dubcek.
Le
calvaire afghan
Pour la période récente, il nous a paru
intéressant de rapporter comment un
peuple, en l'occurrence le peuple
afghan, fut envahi le 7 octobre 2001.
«En 2010, écrit Michel Chossudovsky,
Obama, prix Nobel de la paix 2010,
annonçait l'intensification du conflit
en Afghanistan avec l'envoi de 30.000
soldats supplémentaires, nous rappelle
que cette guerre, conséquence la plus
visible et pourtant la plus méconnue des
attentats du 11 Septembre, est illégale
et criminelle aux yeux du Droit
international. Dans une contribution
rédigée le 21 décembre 2009, Michel
Chossudovsky écrivait: «Pourquoi les
Américains et l'Otan ont-ils envoyé des
soldats en Afghanistan? Comment
justifie-t-on la guerre menée dans ce
pays de 28 millions d'habitants?
Qu'est-ce qui justifie l'escalade
militaire d'Obama? Les médias et le
gouvernement des États-Unis continuent à
l'unisson de se référer au 11 Septembre
et au rôle du réseau Al Qaîda emmené par
le «cerveau du terrorisme» Oussama ben
Laden [et désormais par ses lieutenants
- Ndlr]. Le bombardement et l'invasion
de l'Afghanistan sont décrits comme une
«campagne» contre les terroristes
islamistes plutôt que comme une guerre.
Pourtant, à la date d'aujourd'hui, il
n'existe aucune preuve qu'Al Qaîda soit
derrière les attaques du 11 Septembre.
Il n'y en a pas non plus concernant une
quelconque complicité de l'Afghanistan
en tant qu'État-nation dans les attaques
du 11 Septembre. Dans les semaines qui
suivirent les attaques, le gouvernement
afghan offrit à deux reprises de livrer
Ben Laden si la justice des États-Unis
présentait d'abord les preuves de son
implication. Washington a refusé ces
offres».(4)
«Aujourd'hui, Oussama Ben Laden, le chef
d'Al-Qaîda, est désigné dans les
documents militaires et les déclarations
officielles comme le «cerveau» qui a
planifié les attaques du 11 Septembre.
Le 10 septembre 2001, d'après CBS News
Report, Oussama ben Laden avait été
admis dans un hôpital militaire
pakistanais à Rawalpindi (CBS Evening
News with Dan Rather; CBS, 28 janvier
2002. (...) Convalescent dans son lit
d'hôpital à Rawalpindi le 11 septembre,
comment Oussama aurait-il pu coordonner
les attaques? L'argument légal avancé
par Washington et par l'Otan pour
envahir l'Afghanistan fut que les
attaques du 11 Septembre constituaient
une «attaque armée» lancée par surprise
«depuis l'étranger» par une puissance
anonyme étrangère, et qu'en conséquence,
«les lois de la guerre» s'appliquaient,
permettant à la Nation attaquée de
répliquer en vertu du droit à «la
légitime défense». (...) Sur le terrain,
on avait balayé le «si» de l'article 5,
bien avant le 11 Septembre. Tout
l'arsenal de l'Otan était déjà sur le
chemin de la guerre. Dit en termes
militaires, les États-Unis et l'Otan
étaient déjà à un stade avancé de
préparation. (..) En invoquant l'article
5, les membres de l'Otan ont manifesté
leur solidarité envers les États-Unis et
condamné, de la manière la plus
vigoureuse, les attaques terroristes
perpétrées contre ce pays le 11
Septembre. (...) Le secrétaire général
de l'Otan Lord Robertson a négligemment
résumé le contenu du rapport Taylor dans
une déclaration à la presse:«(...)Les
faits sont clairs et accablants. Les
informations données désignent sans
erreur possible Al-Qaîda comme étant à
l'origine des attaques du 11 Septembre.
(...) Deux jours plus tard, le 4
octobre, les Alliés de l'Otan
s'accordent sur huit mesures encadrant
leur soutien aux États-Unis, qui sont
l'équivalent d'une déclaration de
guerre. (...)La guerre conduite par les
États-Unis contre l'Afghanistan,
utilisant le 11 Septembre comme un
prétexte et une justification, est
illégale et criminelle.(4)
La guerre
d'Octobre 1973
Une guerre d'octobre qui marqua
durablement les rapports d'asymétrie des
armées arabes et israéliennes est la
guerre israélo-arabe de 1973 qui opposa,
du 6 octobre au 24 octobre 1973, Israël
à une coalition menée par l'Égypte et la
Syrie. On dit que dans la nuit du 25
septembre, le roi Hussein prit
secrètement l'avion pour prévenir le
Premier ministre israélien Golda Meir à
Tel Aviv de l'imminence d'une attaque
syrienne (...) L'armée égyptienne
dirigée par le général parachutiste Saâd
Eddine Chazli surprit par son aisance à
créer une brèche dans les défenses
israéliennes et par sa capacité à
traverser le canal malgré les forts
Bar-Lev. Le 9 octobre, Golda Meir lance
un appel «Sauvez Israël» et les
États-Unis répondent à cet appel en
envoyant des armes à Israël.
Avant que la guerre ne s'arrête, une
division israélienne était arrivée à 101
kilomètres de la capitale égyptienne Le
Caire. (...) Du 11 au 14 octobre, la
poussée israélienne les amena à 40 km
des banlieues de Damas qui étaient à la
portée de l'artillerie. L'Algérie fut la
deuxième puissance militaire sur le
front égyptien. (...) Les pilotes
algériens étaient, cette fois, plus
préparés et plus aguerris grâce à la
guerre d'usure. Elle fut la seule force
aérienne arabe à ne pas avoir perdu
d'appareils au combat. Seul un MiG-17
fut touché par un Phantom israélien. Le
pilote algérien réussit à faire écraser
le MiG près de sa base d'attache tout en
s'éjectant et en évitant de se faire
capturer. Surtout, cette situation
offrit aux États-Unis une opportunité
stratégique: obtenir de l'Égypte qu'elle
sorte définitivement de l'influence
soviétique en échange de la Troisième
Armée qui était encerclée sans
ravitaillement par les troupes
israéliennes (...) (5) Les discussions
de paix «des petits pas» de Kissinger
devaient amener l'Egypte à une reddition
en rase campagne...
Les
guerres subies par la Libye
Un autre pays qui a subi deux guerres à
un siècle d'intervalle est la Libye. On
y retrouve toujours les mêmes motifs.
Manlio Dinucci écrit: «Le 5 octobre
1911, après deux jours de bombardement
naval, le premier contingent italien
débarqua à Tripoli, commençant
l'occupation coloniale de la Libye qui,
poursuivie et renforcée par le fascisme,
allait durer trente ans. Est-ce une page
historique définitivement tournée? N'y
a-t-il donc aucune analogie entre la
première guerre de Libye et l'actuelle?
Certes, en un siècle beaucoup de choses
ont changé. Mais les mécanismes de la
guerre sont restés en substance les
mêmes. Au début du XXe siècle l'Italie,
demeurée après la défaite d'Adua (1896)
puissance coloniale de second plan avec
les possessions d'Erythrée et de
Somalie, relança sa politique
expansionniste: l'objectif était la
conquête de la Libye, qui faisait partie
de l'Empire ottoman en train de
s'effriter. (...) Aujourd'hui, pour les
élites économiques et financières
européennes et étasuniennes, la Libye
est encore plus importante. Dans le
«gros tas de sable» se trouvent les plus
grandes réserves pétrolières d'Afrique,
précieuses pour leur haute qualité et
leur bas coût d'extraction, et de
grosses réserves de gaz naturel; et il y
a l'immense réserve d'eau de la nappe
nubienne, en perspective plus précieuse
que le pétrole. Il y a un siècle, la
guerre pour l'occupation de la Libye fut
préparée et accompagnée par une
propagande martelée, conduite par
quasiment tous les plus grands
quotidiens, surtout ceux catholiques
liés au Banco di Roma. (...) La
motivation conductrice était que
l'Italie, nation civilisée, devait
libérer la Libye de la barbare
domination turque, (...). » (6)
« La guerre de 1911 fut longuement
préparée, en infiltrant des agents
secrets en Libye avec une double
mission: recueillir des informations
militaires et recruter des chefs arabes
disponibles pour collaborer. L'attaque
décidée, l'Italie utilisa son écrasante
suprématie militaire: plus de 20
cuirassés et autres navires de guerre
bombardèrent Tripoli sans subir aucun
dommage, puisque leurs canons avaient
une portée beaucoup plus grande que
celle des vieux canons de défense de la
ville. (...) On retrouve de
significatives analogies dans la guerre
actuelle. Celle-ci aussi a commencé par
l'infiltration d'agents secrets et le
recrutement de chefs arabes disponibles
à collaborer. (...) Reste cependant à
voir quelle sera la réaction du peuple
libyen à ce qui se profile comme une
nouvelle occupation d'allures
néocoloniales.(6)
Que
peut-on en conclure?
Les dirigeants occidentaux actuels,
acculés dans leur pays par des problèmes
économiques financiers et ayant épuisé
tous les subterfuges (droits de
l'homme...blanc, droit et devoir
d'ingérence) pour s'emparer des
ressources qui leur manquent (eau
énergie, matière première) découvrent
graduellement leur vrai-nouveau et
ancien visage comme leurs
prédécesseurs-, «celui de l'ordre
nouveau, basé sur la force brutale».
Répondant à une interview d'Afrique Asie
à la suite de la parution de leur livre
«Sarkozy sous BHL», A la question:
«Après le renversement de Saddam
Hussein, de Laurent Gbagbo et du colonel
Kadhafi, ne sommes-nous pas en
définitive en train d'assister à un
retour accéléré du colonialisme?» Roland
Dumas répond: «Tout à fait. Nous
assistons à un retour, non seulement
accéléré mais amplifié, démultiplié du
colonialisme avec des moyens énormes.
(...) Au moment où tout le monde s'agite
autour de la crise, n'est-il pas
raisonnable de poser la question du coût
de guerres inutiles et monstrueuses?»
« Pour Jacques Vergès, c'est évident que
la politique de M. Sarkozy marque un
retour du colonialisme à un moment où la
France et l'Occident en général n'en ont
plus les moyens. Il peut renverser les
gouvernements mais ne peut assurer
l'ordre ensuite. A une autre question:
«Pensez-vous que l'Algérie soit sur la
liste des «pays à casser»?» Roland Dumas
répond: «Pourquoi pas. Le contentieux
entre la France et l'Algérie est
durable. Quand vous imaginez que les
Français n'ont pas encore souscrit à la
proposition de négociations avec
l'Algérie sur un contrat d'amitié, parce
que trop de blessures sont encore
saignantes...Tout est à craindre pour
l'Algérie, mais ce sera pour M. Sarkozy
un autre «morceau»... » (7) Nous voilà
avertis!
1.Eric Hobsbawn: L'Âge des extrêmes.
Editions Complexe, 2003, p. 99.
2.Révolution d'Octobre:Encyclopédie
Wilipédia
3.http://www.radio.cz/fr/rubrique/histoire/les-evenements-doctobre-1967-a-strahov-un-prelude-au-printemps-de-prague
4.Michel Chossudovsky Le 7 octobre 2001:
La décision de l'OTAN et des États-Unis
d'envahir l'Afghanistan. Le prétexte
d'une «guerre juste»
http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=26966
5.http://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_du_Kippour
6.Manlio Dinucci: A cent ans de la
première guerre de Libye: Retour à
«Tripoli, bel suol d'amor»
http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=26937
7.«Sarkozy sous BHL»http://www.
mleray.info/article-sarkozy-sous-bhl-86091419.htmlml
Professeur
Chems Eddine Chitour
Ecole Nationale Polytechnique enp-edu.dz
Publié le 11 octobre 2011 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
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