Opinion
Binationalité :
Quel avenir pour les scories de
l'histoire coloniale
Chems
Eddine Chitour
Vendredi 10 juin
2011
«La France se nomme
diversité. La prétention de gommer les
particularismes a toujours échoué, car
ces derniers constituent véritablement
l’identité de la France. Ni l’ordre
politique, ni l’ordre social, ni l’ordre
culturel ne réussissent à imposer une
uniformité qui soit autre chose qu’une
apparence».
Fernand Braudel (L’identité de la
France)
«La multiplicité des appartenances à
d´autres nations contribue aujourd´hui,
et d´une manière de plus en plus
préoccupante, à affaiblir chez nos
compatriotes l´acceptation d´une
communauté de destin, et par là-même à
miner les fondements de l´action de
l´Etat.» C´est par ces mots que Marine
LePen prend à témoin les députés et leur
demande de prendre les dispositions qui
s´imposent.
Elle poursuit, ciblant nommément
l´Algérie: «Comment ne pas trouver
potentiellement explosive une situation
qui verrait la France intervenir sur le
territoire algérien, qui plus est sous
la bannière de l´Otan, avec la présence
massive de citoyens tiraillés par leur
double allégeance? Après tout, la
situation internationale est tellement
instable qu´un tel scénario ne relève
pas de l´absurde.» Nous y voilà,
l´ennemi irréductible est encore une
fois l´Algérie. Petit rappel à Marine Le
Pen, malgré les c rimes de guerre,
malgré la torture dont son père avait
fait une science exacte en Algérie,
malgré l’aide massive de la France par
l’Otan, le peuple algérien avait décidé
d’être indépendant… Le général Giap, le
vainqueur de Dien Bien Phu, disait à ce
propose et avec justesse , que «
l’impérialisme était un mauvais élève
qui ne retenait pas les leçons de
l’histoire » On se souvient en effet,
que les Américains avaient envisagé «
une solution finale » pour les
Vietnamiens en proposant au Français une
bombardement atomique. Ils se sont
d’ailleurs rattrappé, eux-mêmes en
épandant le terrible agent orange dont
on a fêté le 50e anniversaire ces jours
çi. Bref pour Marine Le Pen la
binationalité vise en priorité les
Maghrébins et notamment l’Algérie. Il
est vrai qu’on verrait très mal
respectivement, Daniel Cohn Bendit, Eva
Joly, Arno Klarsfeld sommés de choisir
entre l´Allemagne, la Finlande ou
Israël.
Pour rappel, il s´agit, en réalité, de
l´exposé sommaire d´un amendement,
présenté fin 2010 par une poignée de
parlementaires UMP de la Droite
populaire, qui vise à supprimer la
possibilité pour un citoyen français de
posséder une double nationalité. Le
texte a finalement été repoussé.
Toutefois, ce collectif de
parlementaires reste courtisé au sein de
la majorité. Ces élus ont d´ailleurs été
reçus, mercredi 1er juin, à l´Elysée.
Selon Dominique Paillé, président du
conseil d´administration de l´Office
français de l´immigration et de
l´intégration et ancien porte-parole de
l´UMP, la relance du débat sur la
binationalité vise seulement a «créer un
point de fixation sur une thématique qui
ne le mérite pas». L´objectif est «la
stigmatisation de l´étranger» relève
également M. Pinte. «C´est un mauvais
débat. En France, les binationaux ne
posent aucun problème particulier. Il
s´agit pour le Front national de trouver
un nouveau cheval de bataille et de
flatter le chauvinisme français en
imposant un choix de nationalité»,
poursuit Dominique Paillé. (1)
En effet, l´article 23 est complété par
une phrase ainsi rédigée: «Toute
personne qui possède la nationalité
française et une autre nationalité et
qui ne renonce pas à cette autre
nationalité dans les six mois précédant
sa majorité et dans les douze mois la
suivant, perd la nationalité française.»
Marine Le Pen n´a fait que «réchauffer»
un thème porteur pour les élections de
2012.
En son temps, Fernand Braudel disait que
«la France se nomme diversité».
Justement en parlant de diversité
l´esprit de la France de l´Equipe de
France 1998 a disparu pour le journal
l´Observer. Nous lisons: «L´affaire des
quotas à la Fédération française de
football ne fait que décliner le débat
sur l´identité nationale et ses relents
nauséabonds Le 28 avril, le site
d´information Mediapart a révélé que,
lors d´une réunion tenue en novembre
2010, la direction de la Fédération
française de football (FFF) a envisagé
de «limiter» le nombre de joueurs
d´origine étrangère formés en France.
Laurent Blanc, présent, a regretté de
voir certains d´entre eux choisir
ensuite une autre sélection: «Ça me
dérange énormément. Il déplore qu´ils
soient trop nombreux et demande qu´on
fasse appel à d´autres joueurs ayant
«notre culture et notre histoire». (...)
»(2)
« L´un des aspects les plus déprimants
de cette affaire, c´est qu´on semble
désormais bien loin des jours glorieux
de 1998. La France avait remporté la
Coupe du monde avec une équipe
black-blanc-beur, un groupe de joueurs
talentueux et engagés qui étaient nés
(ou fils de parents nés) aux quatre
coins de l´Afrique francophone et
au-delà. Pour la grande majorité des
Français, en général indifférents au
football, l´événement ne marquait pas
seulement une victoire à savourer, mais
un important événement historique. Le
talisman de cette équipe était Zinedine
Zidane, né à Marseille dans une famille
berbère originaire d´Algérie. Le soir de
la victoire française sur le Brésil, la
photo de Zidane était apparue sur des
écrans géants sur les Champs-Elysées
avec les mots «Zidane président!» A ce
moment-là, les conflits du passé
colonial français s´étaient apaisés dans
l´euphorie d´un match de football, et
les gens de toutes origines raciales
pouvaient rêver d´une France tolérante
et multiculturelle, dont Zidane, avec
ses origines multiraciales et son
magnifique talent, était l´emblème même.
Ce rêve a désormais volé en éclats».(2)
Qu´en est-il de la binationalité
ailleurs?
Le droit de la nationalité et de la
citoyenneté britannique est complexe en
raison des différents statuts accordés
du fait de l´histoire coloniale du pays.
Ses fondements actuels et généraux ont
été posés par le British Nationality Act
de 1981. Les différents statuts
distinguent principalement entre les
citoyens britanniques et les citoyens
provenant des territoires britanniques
d´outre-mer. Ils sont tous rassemblés
sous la notion de citoyen du
Commonwealth.(...) En vertu du
Immigration, Asylum and Nationality Act
de 2006 (section 56), une personne ayant
une double nationalité peut aussi être
privée de la nationalité britannique
pour des raisons liées à l´«intérêt
public» (public good). Pour leur part,
les autorités américaines reconnaissent
la double nationalité aussi bien pour
les personnes nées aux Etats-Unis qui
sont étrangères par filiation, que pour
les personnes américaines qui acquièrent
volontairement une autre nationalité, à
condition que ces dernières ne renoncent
pas à leur citoyenneté américaine.
Ce que dit Marine Le Pen qui est dans
son rôle, est tout à fait compréhensible
s´il n´´y avait pas d´exception. Chaque
pays, en effet, est libre d´accepter ou
de refuser la nationalité à quelqu´un
sur des critères transparents.
Souvenons-nous: «Il ne faut pas se payer
de mots! disait de Gaulle C´est très
bien qu´il y ait des Français jaunes,
des Français noirs, des Français bruns.
Ils montrent que la France est ouverte à
toutes les races et qu´elle a une
vocation universelle. Mais à condition
qu´ils restent une petite minorité.
(...) Ces mots résument à eux seuls
toute la problématique de la condition
«d´être français» Qu´en est-il
aujourd´hui de l´identité française au
XXIe siècle?
Doit-on la circonscrire uniquement aux
Gaulois à têtes rondes pour paraphraser
San Antonio dans «l´Histoire de France»?
Doit-on au contraire faire du désir
d´être ensemble le ciment d´une identité
du XXIe siècle? On se souvient que le
thème de l´identité a déjà été «vendu»
lors des élections de 2007. Cela a
commencé par une petite phrase: «La
France: aimez-la ou quittez-la». Ce mot
a été emprunté à Ronald Reagan «America
love it or leave it». Les Français
d´ascendance maghrébine ou noire, égaux
en théorie en droits, voient dans ce
débat sur l´identité une tentative
d´exclusion - séparer le bon grain «de
souche» «de l´ivraie» allogène- alors
qu´il est censé inclure.
Qui est en fait Français et depuis
quand? En son temps, le général de
Gaulle aurait répondu: «Pour moi,
l´histoire de France commence avec
Clovis, choisi comme roi de France par
la tribu des Francs, qui donnèrent leur
nom à la France. Avant Clovis nous avons
la préhistoire gallo-romaine et
gauloise. L´élément décisif pour moi
c´est que Clovis fut le premier roi à
être baptisé chrétien. Mon pays est un
pays chrétien et je commence à compter
l´histoire de France à partir de
l´accession d´un roi chrétien qui porte
le nom des Francs.» Si pour le
dictionnaire, est de souche celui «qui
appartient à un groupe national donné
depuis de nombreuses générations, au
point de ne plus être considéré comme un
immigrant ni un descendant d´immigrant»,
en observant la réalité des faits, la
chose est claire: est de souche celui
qui est «blanc» et qui porte un nom, un
prénom, à consonance européenne, pour ne
pas dire chrétienne.
Certains Français de fraîche date
poussent le ridicule jusqu´à se «croire
plus royalistes que le roi» N´a-t-on pas
vu Manuel Val - avec des ascendants
espagnols - émettre le souhait qu´il y
ait plus de «blancos» dans sa
circonscription? Par contre, on peut
être français depuis un siècle, le nom
patronymique et surtout l´appartenance à
une sphère cultuelle sont des «marqueurs
indélébiles». En fait, le problème des
binationaux touche exclusivement les
anciennes colonies et notamment et
prioritairement les Algériens anciens
nationaux, il n´est pas question d´aller
chercher des poux dans la tête aux
binationaux européens-français et
américains, voire israéliens Il vient
que les variables d´ajustement seront
toujours les mêmes C´est d´abord
l´immigration qui grève les comptes de
la sécu et fraude les impôts et la CAF.
Les chômeurs fainéants contre les
travailleurs, Les fraudeurs du RSA et
RMI Le discours sécuritaire..., la
déchéance de la nationalité et
maintenant la binationalité en attendant
une autre accusation.
«Un bouleversement de la configuration
géostratégique mondiale, écrit René Naba,
qui dénonce: une campagne populiste,
s´opère sous nous yeux et que fait la
France pendant ce temps? Elle mène un
combat d´arrière garde contre ses
anciens combattants. Rôle positif de la
colonisation, uniquement la colonisation
et non du colonisé, identité nationale,
binationaux, tous les thèmes de la
stigmatisation défilent et s´accélèrent
même à l´approche des élections
présidentielles. Binationaux justement.
Gilad Shalit, un binational, comme de
juste, ce fameux soldat israélien
capturé par les Palestiniens à Ghaza,
qui s´est souvenu de sa nationalité
française au moment de sa capture. Il en
est de Gilad Shalit comme d´Arno
Klarsfeld, ce réserviste de l´armée
israélienne, nommé conseiller du
ministre de l´Intérieur Sarkozy, en
pleine guerre de destruction israélienne
du Liban, en juillet 2006, puis du
Premier ministre François Fillon».(3)
Justement, s´agissant d´Israël,
plusieurs études, montrent que pas moins
peut-être de la moitié des Juifs vivant
en Israël envisagent de quitter la
Palestine dans les prochaines années si
les tendances politiques et sociales
actuelles se maintiennent. (...)
Aujourd´hui, on estime que leur chiffre
avoisine les 70%. Pour paraphraser le
journaliste juif Gideon Levy: «Si nos
ancêtres rêvaient d´un passeport
israélien pour s´échapper d´Europe,
beaucoup d´entre nous en sont dorénavant
à rêver d´un second passeport pour
s´échapper en Europe.» Une étude publiée
par Eretz Acheret, constatait que plus
de 100.000 Israéliens sont déjà
titulaires d´un passeport allemand, et
ce chiffre grossit de plus de 7000
chaque année en suivant une courbe
d´accélération. Selon les autorités
allemandes, plus de 70.000 passeports
ont été accordés depuis 2000. En plus de
passeports vers l´Allemagne, plus d´un
million d´Israéliens ont d´autres
passeports étrangers tout prêts au cas
où la vie en Israël se détériorerait.
Actuellement, plus de 500.000 Israéliens
sont titulaires d´un passeport zunien
avec près d´un quart de million de
demandes en instance».(4)
Qu´en est-il justement des Algériens à
qui ce traitement de faveur est réservé?
Officiellement en France on ne sait pas
combien. Beaucoup d´Algériens et
généralement les citoyens des pays du
Sud rêvent d´acquérir une autre
nationalité pour pouvoir émigrer, aller
faire leur vie ailleurs, dans l´eldorado
supposé. «Le phénomène de la double
nationalité parmi les citoyens Algériens
a connu un essor significatif ces 15
dernières années atteignant 13,5% de la
population algérienne soit plus de 4, 5
millions de personnes ayant acquis une
autre nationalité en plus de la leur.
On applique d´une façon indifférenciée
des textes à l´avantage ou contre ceux
qui sont nés du bon ou du mauvais côté
de la Méditerranée et ceci au lieu de
fixer des critères de mérite opposables
à tout le monde. Ce qui compte en
définitive, c´est la valeur ajoutée de
chacun indépendamment de son histoire.
Le Français d´origine algérienne est-il
plus proche ou moins proche d´un
Français que celui dont les parents
viennent des Carpates et qui il n´y a
pas si longtemps était dans le camp des
ennemis de la France? Ce Français
«algérien» dont les parents, qu´on le
veuille ou non, ont donné leur sang et
leur sueur pour le rayonnement de la
France et qui peut se décliner de
différentes façons: c´est Verdun le
chemin des Dames, Monte Cassino le
débarquement, les tirailleurs bétons des
trente glorieuses et plus encore la
diffusion de la culture française par
l´enseignement du français -langue
maintenue en vie- dans toutes les
anciennes colonies bien après leurs
indépendances
Les Français d´ascendance maghrébine ou
noire, égaux en théorie
Nous sommes d «´accord avec Patrick
Lozes qui parle de chance pour la
France. Ecoutons-le:«Oyez, oyez, braves
gens, la dernière urgence française
c´est la binationalité. Rien n´est plus
important, rien n´est plus grave: le
chômage, le pouvoir d´achat, le système
social, la croissance économique, les
déficits publics? N´y pensez pas. Dans
son discours d´investiture à la
présidence de la République en 1981,
François Mitterrand disait: «Il est dans
la nature d´une grande nation de
concevoir de grands desseins.» Faut-il
vraiment que la France ait si peu
confiance en elle pour avoir si peur de
la binationalité? La peur de l´autre
est-ce vraiment-là le grand dessein que
certains proposent à la France
aujourd´hui? Et si la binationalité
n´était pas un problème mais un atout?
Et si les binationaux étaient un pont
vers l´autre? Pourquoi commencer par les
considérer comme des ennemis et non pas
comme un atout? Pourquoi ne pas se dire
que ces Français disposant de plusieurs
codes culturels ainsi que de réseaux
aussi bien en France qu´à l´étranger,
représentent une chance pour la conquête
de marchés extérieurs et intérieurs?»(5)
Les Français issus de «l´empire
colonial», dans leur immense majorité,
veulent vivre avec dignité leur culture.
Ils connaissent les fils rouges à ne pas
dépasser, ils savent ou ils doivent
savoir qu´ils sont dans un vieux pays de
tradition chrétienne. Pourtant, leur
identité religieuse n´est nullement un
frein à leur patriotisme envers la
France. Ils croient en la République et
en sa forte volonté d´intégration sous
le tryptique Liberté, Egalité,
Fraternité. Pour rappel les Algériens
qui montaient à l´assaut de la colline
de Wissembourg avant la débâcle de Sedan
en 1870, outre le fait qu´ils y ont été
décimés pour conquérir un bout de
colline et y planter le drapeau
français, étaient des musulmans à part
entière et des patriotes - à leur corps
défendant, à part entière -, il fut de
même de ceux qui eurent à combattre les
Allemands dans l´enfer de Verdun; on les
gavait de vin eux les musulmans!! - d´où
l´expression aboul gnole - devenu plus
tard bougnoule un sobriquet démonétisant
l´indigène. Les descendants de ceux qui
sont morts pour la France ont choisi de
vivre en Europe, ils souhaitent le faire
dans la dignité. Ils veulent vivre d´une
façon apaisée et sans ostentation leur
identité spirituelle à l´ombre des lois
de la République.(6)
En définitive, ce débat sur la
binationalité fait partie des thèmes
politiciens récurrents à l’approche
d’échéances électorales. Il va plus
aviver les tensions entre les sans grade
ceux qui n’ont pas droit au chapitre
quelque soit leur « provenance » les
distrayant des vrais problèmes qui sont
ceux d’une mondialisation –laminoir
dimensionnée à la taille des nantis.
Même s’il débouche sur un non-lieu
risque, il risque de remettre aux
calendes grecques, en France «ce désir
de vivre ensemble» «ce plébiscite de
tous les jours» dont parle si bien
Renan, et qui est une condition
nécessaire pour s’opposer tous ensemble
à la remise en cause des acquis sociaux.
1.Eric Nunes: Double nationalité, la
majorité présidentielle divisée Le
Monde.fr 04.06.11
2.Andrew Hussey: Une polémique qui n´a
rien de footballistique The
Observer10.05.2011
3.René Naba:
http://www.oummatv.tv/Binationaux-ou-double-allegeance
3.06.2011.
4.http://www.alterinfo.net/Les-Israeliens-se-bousculent-pour-un-deuxieme-passeport_r>
a59583.html?com#com_2174818
5.http://patricklozes.blogs.nouvelobs.com/archive/2011/06/02/bi-nationalite-la-derniere-urgence-francaise.html
6.Chems Chitour:hthttp://www.legrandsoir.info/Comment-etre-Francais-au-XXIe-siecle.html
Professeur
Chems Eddine Chitour
Ecole Nationale Polytechnique enp-edu.dz
Publié le 10 juin
2011 avec l'aimable autorisation de
l'auteur
Les textes du Pr Chems Eddine Chitour
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