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L'EXPRESSIONDZ.COM
L'IRAK AN VII
Chronique d'un pays en miettes
Chems Eddine Chitour
Nouri al-Maliki
Jeudi 8 juillet 2010
«Cette conjonction entre un immense
establishment militaire et une importante industrie privée de
l’armement est une nouveauté dans l’histoire américaine. (...)
Nous ne pouvons ni ignorer, ni omettre de comprendre la gravité
des conséquences d’un tel développement. (...) nous devons nous
prémunir contre l’influence illégitime que le complexe
militaro-industriel tente d’acquérir, ouvertement ou de manière
cachée» Général Eisenhower (Discours de fin de mandat 17 janvier
1961).
La visite du vice-président américain Jo
Biden le 4 juillet à Baghdad nous a fait nous ressouvenir de
l’Irak qui a disparu des écrans de l’information depuis les
élections il y a quatre mois. On s’aperçoit alors qu’il n’y a
toujours pas de vainqueur et que l’Irak est en roue libre.
Certes, cela ne change pas grand-chose au quotidien des Irakiens
sommés de survivre avec chaque jour son lot d’horreur. On
apprend que le 14 juin, le nouveau Parlement irakien s’est réuni
sans résultat plus de trois mois après les législatives du 7
mars, qui ont laissé le pays englué dans une crise politique.
Avant cette séance inaugurale, les tractations vont bon train.
Le Premier ministre sortant, Nouri al-Maliki et son rival Iyad
Allaoui, se sont rencontrés pour la première fois depuis ce
scrutin sans vainqueur net. Arrivé de peu en tête des élections
(91 sur 325 sièges), le Bloc irakien (Iraqiya) du chiite laïque
Allaoui, soutenu par la minorité sunnite, risque de ne pas
obtenir les fruits de son succès électoral à la suite de
divisions internes et du rapprochement de ses adversaires
chiites. Le Bloc irakien se bat aujourd’hui pour obtenir des
postes-clés au gouvernement. Un accord négocié en coulisses
entre les deux principales coalitions chiites, avec l’aide de
l’Iran, a en effet donné naissance à un nouveau bloc, l’Alliance
nationale. Cette «super-coalition» rassemblant l’AED de M.
Maliki et l’Alliance nationale irakienne (ANI), est destinée à
priver le Bloc irakien du pouvoir avec une majorité
parlementaire relative de 159 sièges. Dans une tribune publiée
dans le Washington Post, Iyad Allaoui a accusé Nouri al-Maliki
de défier «la volonté du peuple» en créant la nouvelle alliance
pour s’emparer du pouvoir. M.Maliki «refuse de reconnaître sa
défaite et le clair désir de changement et de progrès des
Irakiens», écrivait-il. Selon une source proche des
négociations, Iyad Allaoui pourrait aussi être disposé à
accepter la présidence, un poste essentiellement protocolaire,
ce qui permettrait à Nouri al-Maliki de conserver la tête du
gouvernement.
Le prix
payé par les Irakiens
L’Irak, héritier d’une grande civilisation
qui remonte à l’ancienne Mésopotamie, deuxième producteur de
pétrole après l’Arabie Saoudite, a constitué pour George W.Bush
une sorte d’obsession et la personnalité de Saddam Hussein un
objet de haine. Comme l’écrivait si bien en 1962 Pierre Rossi
dans un magistral livre intitulé L’Irak des révoltés, L’Irak
constituait un «pays où se mêlent trois mondes, asiatique, arabe
et européen, une croisée de routes commerciales propices à
l’établissement de grands empires, des richesses pétrolières
moins miraculeuses qu’on en croit». «Vague après vague, le
peuple irakien a essuyé toutes les guerres et tous les fléaux
naturels possibles et imaginables, sans jamais plier le dos,
comme si, ayant bu à la mort avant la mort, il détenait une
puissance de résurrection inconnue en Occident.» Qu’il eût
fallu, dans l’esprit de l’administration républicaine des
Etats-Unis qui a succédé en l’an 2000 à William Clinton, se
débarrasser de celui qui a incarné la dictature et la
répression, en l’occurrence Saddam Hussein et ses compagnons,
autorisait-il en somme, une guerre désastreuse, un lynchage en
bonne et due forme d’un homme, la mobilisation la plus
ahurissante des armées de l’Amérique, la gabegie des centaines
et centaines de milliards de dollars et puis cette armada
déployée dans la région du Golfe dont les conséquences
politiques, économiques, sociales, humaines, culturelles et
religieuses sont, à coup sûr, énormes et même catastrophiques?
Quel est le bilan de la dernière croisade? La guerre d’Irak,
opération Iraqi Freedom a débuté comme on le sait le 20 mars
2003 avec l’invasion de l’Irak. Les raisons invoquées
officiellement étaient: la «lutte contre le terrorisme», Etat
soutenant Al Qaîda, l’élimination des armes de destruction
massive qu’était censé détenir l’Irak. Ces accusations ont
depuis été démontrées comme non fondées. Certains observateurs
parlent de raisons officieuses: les liens entre les
néo-conservateurs au pouvoir à Washington et des entreprises
d’exploitation pétrolière, notamment le Groupe Carlyle, Enron,
Halliburton Energy Services et Unocal. Après leur victoire, les
troupes de la coalition ont cherché à «pacifier l’Irak». En
outre, la majorité des villes se trouvent dans une situation
difficile: pillages, affrontements, règlements de compte...
Selon J. Stieglitz, le coût global de la guerre en Irak serait
de 3000 milliards de dollars.
Si on devait faire honnêtement une comptabilité macabre de la
période des 35 ans de pouvoir sans partage de Saddam Hussein,
elle est à n’en point douter et sans faire de la concurrence
victimaire moins tragique. Il n’est pas question,ici, de faire
croire que Saddam Hussein était un saint, C’était un dictateur
qui ne s’embarrassait pas de solutions expéditives. Antoine
Sfeir analyse les raisons pour lesquelles la rue arabe a quasi
unanimement soutenu le régime de Saddam Hussein. Refusant de
voir en lui le boucher de l’Irak, elle a au contraire glorifié
le «Bismarck du Monde arabe», l’homme qui avait fait de l’Irak
un «pays qui avance, où la manne pétrolière était distribuée»,
se distinguant d’un monde arabe plongé dans la désolation.(..)
Nul n’était mieux placé que Sami Zubaïda, sociologue irakien,
pour faire le bilan de 35 ans de dictature bassiste sur la
société irakienne. Elle montre comment le Baâs de Saddam Hussein
a manipulé la société irakienne, détruisant certaines classes,
en créant d’autres, plaçant tout le monde sous un système
d’espionnite généralisé, nationalisant les entreprises et la
terre, puis les dénationalisant, détribalisant la société puis
la retribalisant, la laïcisant puis l’islamisant, en fonction
des évènements et des vicissitudes d’un régime qui dépendait de
la rente pétrolière. Il conclut en soutenant que le chaos actuel
n’est pas le fruit d’une «nature» particulière de l’Irak, mais
bien le résultat de 35 ans de
dictature. (1)
En octobre 2006, la revue médicale The Lancet estimait le nombre
de décès irakiens imputables à la guerre à 655.000. L’institut
Opinion Research Business a estimé à plus de 1000.000 le nombre
de victimes irakiennes entre mars 2003 et août 2007. La guerre a
provoqué l’exode d’au moins deux millions d’Irakiens. Ceci sans
parler des dégâts occasionnées par le programme pétrole contre
nourriture: plus de 500.000 enfants seraient morts de maladie et
de malnutrition. Les dommages aux infrastructures civiles sont
immenses: les services de santé sont pillés. Il y a eu une
détérioration des canalisations d’eau et la dégradation des
bassins hydrographiques du Tigre, de l’Euphrate. Il y a de plus,
augmentation de l’insécurité générale (pillages, incendies et
prises d’otage), suite à la désorganisation totale des
différents services publics tels que les forces de l’ordre. De
nombreux centres historiques ont été détruits. Le Musée national
d’Irak a été pillé.
L’épidémiologue américain Lee Roberts a publié à l’époque une
enquête sur la mortalité en Irak après l’invasion, dans le
magazine médical britannique The Lancet, provoquant une grande
controverse aux Etats-Unis. Quand j’étais en Irak en 2004, je
demandais à toutes les personnes que je rencontrais:» Pourquoi
pensez-vous que les Américains sont venus?» Invariablement, leur
première réponse était spontanément: «A cause du pétrole!» Si
nous pensons aux attaques du 11 Septembre et réalisons que
l’Irak a une population à peu près équivalente à celle de la
zone métropolitaine de New York, ce nouveau bilan du
gouvernement irakien suggère que les Irakiens ont connu un
nombre de morts violentes équivalant à deux attaques similaires
au 11 Septembre par mois pendant les trois premières années de
l’occupation. Ça, c’est d’après le gouvernement irakien. Quant à
notre enquête, elle estime l’équivalent de six «11 Septembre»
par mois!» (2)
Diviser
pour mieux régner
Sous le joug de Saddam, il y eut, dit-on,
plusieurs milliers de morts sur une période de 35 ans. Est-ce
que la démocratie aéroportée a apporté la paix aux Irakiens? Il
est permis d’en douter. Pour rappel, en novembre 2008, les
gouvernements irakien et américain ont signé un pacte bilatéral
incluant le Status of forces agreement (Sofa) qui fixe à la fin
2011 le terme de la présence militaire des États-Unis. Les
Américains avec la satisfaction du devoir bien fait, notamment
par une mainmise sur les ressources pétrolières par
multinationales américaines interposées, rentrent au pays. En
fait, la situation est plus que jamais dangereuse. L’Irak est un
pays profondément meurtri. Les haines séculaires
interconfessionnelles et tribales maîtrisées du temps de Saddam
Hussein ont été boostées par les Etats-Unis. Appliquant la
politique du «diviser pour régner», les Américains enlisés en
Irak, s’allient alternativement aux chiites contre les sunnites
et inversement. La guerre civile larvée entre chiites et
sunnites, qui a ensanglanté l’Irak après la destruction de la
mosquée de Samarra, a été gelée par la nouvelle stratégie
anti-insurrectionnelle mise en oeuvre par le général Petraeus en
2007, avec le renforcement, ou «surge», du corps expéditionnaire
décidé par George Bush en 2007. Les Américains avaient alors
pris sous leur aile et financé les milices de combattants
sunnites, s’en faisant des alliés dans la lutte contre les
jihadistes, tout en les protégeant contre les incursions des
paramilitaires chiites, mettant fin ainsi au cycle des
représailles. (...)» (3)
«En morcelant la société irakienne, l’occupant s’est pris à son
propre piège: il ne peut pas quitter le pays sans prendre le
risque de le livrer définitivement au chaos. A l’inverse, sa
présence prolongée attise non seulement la résistance armée à
l’occupation, mais aussi les rivalités entre forces
antagonistes. Et il doit en payer le prix, qui s’alourdit chaque
jour davantage: pertes humaines, coût financier, discrédit
international. Fascinée par le modèle communautaire à la
libanaise et obsédée par le souci de diviser pour régner, la
coalition s’est interdite de reconstruire un Etat unitaire,
garant de la stabilité politique de la nation irakienne.
Jouant au pompier-pyromane, il cultiva le particularisme des uns
et des autres avant de s’en offusquer hypocritement aussitôt
après. Trop tard: la boîte de Pandore est aujourd’hui grande
ouverte et le pays au bord du chaos. Punis par l’occupant, les
sunnites sont exclus du système institutionnel mis en place avec
la bénédiction occidentale. Les chiites espèrent toucher les
dividendes de leur supériorité numérique, les Kurdes préparent
une indépendance qui finira par les opposer aux sunnites et aux
chiites. Minoritaires, les forces laïques et progressistes
tentent de surnager à la surface de cet océan communautariste.
(3)
Michel Collon va plus loin, il écrit: «L’essence du plan Gelb,
c’est de plonger l’Irak dans une guerre civile de longue durée
afin de sauver l’occupation coloniale US et de pouvoir continuer
à voler le pétrole.» Le New York Times publie le 25 novembre
2003 un éditorial signé Leslie Gelb. Homme influent qui
présidait jusqu’il y a peu le très important Council of Foreign
Affairs, groupe de réflexion regroupant CIA, ministère des
Affaires étrangères et hauts bonnets de multinationales US. Le
plan Gelb? Remplacer l’Irak par trois petits Etats: «kurde au
nord, sunnite au centre et chiite au sud». Objectif? «Placer le
maximum d’argent et de troupes chez les Kurdes et les chiites.
(...) Mais en fait, diviser l’Irak est aussi un vieux rêve
israélien. En 1982, Oded Yinon, un responsable des Affaires
étrangères, écrivait: «Dissoudre l’Irak est encore plus
important pour nous que la Syrie. A court terme, c’est la
puissance irakienne qui constitue la plus grande menace pour
Israël. Une guerre Iran - Irak déchirera l’Irak et provoquera sa
chute. Toute espèce de conflit interarabe nous aidera et
accélérera l’objectif de briser l’Irak en divers morceaux.»
(...) Sa théorie des Etats purs, c’est celle d’Hitler: «Ein Volk,
ein Reich, ein Führer» (un peuple, un empire, un chef). C’est
aussi celle des sionistes rêvant d’un Israël «purifié des Arabes
«. Le danger de cette folle théorie dépasse de loin l’Irak ou la
Yougoslavie. La moitié des Etats existant aujourd’hui sur cette
planète sont «multinationaux «. (...) Mais si on admet cette
théorie des «Etats purs «, les USA auront des prétextes pour
faire exploser n’importe quel pays «multinational «qui leur
résisterait.» (4)
Quel est l’avenir de l’Irak? En fait, la seule solution pour
l’Irak serait un état laïc comme l’avait fait Saddam Hussein. En
attendant, si le communautarisme irakien profite aux puissances
étrangères (Iran, Etats-Unis, Al Qaîda), il ne profite pas du
tout à l’Irak qui s’affaiblit de jour en jour. Rien n’arrêtera
en fait, l’Empire et le complexe militaro-industriel et sa soif
de matières premières, notamment d’énergie. Les guerres seront
de plus en plus récurrentes et le président Eisenhower met en
garde les États-Unis contre les dangers du «complexe
militaro-industriel»: «(...) Nous ne pouvons ni ignorer ni
omettre de comprendre la gravité des conséquences d’un tel
développement. (...) Rien, en vérité, n’est définitivement
garanti. Seuls des citoyens alertes et informés peuvent prendre
conscience de la toile d’influence tissée par la gigantesque
machinerie militaro-industrielle et la confronter avec nos
méthodes et objectifs démocratiques et pacifiques, afin que la
sécurité et les libertés puissent fleurir côte à côte.»
Il vient que la partition du monde en unités techniques va
sonner le glas des Etats Nations. On se rappelle que dans le
cadre du Grand Moyen-Orient (Mepi) même l’Arabie Saoudite,
pourtant allié des Etats-Unis, devait être divisée en un émirat
religieux autour de La Mecque et un autre au nord-est (là où il
y a les puits de pétrole).. Le Soudan est en route pour la
partition (Timor-Oriental arraché à l’Indonésie, indépendance du
Darfour probable en janvier prochain). Si les pays possédant des
richesses, notamment pétrolières ne prennent pas les précautions
nécessaires en allant de plus en plus vers l’autonomie (sous le
modèle des landers allemands voire des Etats américains) et en
se dépérissant du jacobinisme hérité (encore que la France
accorde de larges autonomies aux régions) un schéma de partition
de fait, sera imposé aux Etats faibles. Nous voilà avertis.
1. Chris Kutschera: Le Livre Noir de Saddam
Hussein. OH Editions, Paris, 2005
2. Judith Weinstein: Combien de «11 Septembre» par mois en Irak?
08/05/2008
3. Pascal Riché: Les élections irakiennes pour les nuls. Rue 89
06/03/2010
4. Michel Collon: Washington a trouvé la solution «Divisons
l’Irak comme la Yougoslavie!» http://perso.wanadoo.fr/polex/irak_resit/Irak
les dessous de la guerre civile.htm
Pr Chems Eddine Chitour, Ecole nationale
polytechnique, enp-edu.dz
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réservés © L'Expression
Publié le 10 juillet 2010 avec l'aimable autorisation de l'Expression
Les textes du Pr Chems Eddine Chitour
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