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L'EXPRESSIONDZ.COM
8 MAI 1945
L'horreur coloniale et le rituel
politicien
Pr Chems Eddine Chitour
Photo: Ambassade de France en
Algérie
Samedi 8 mai 2010
«La paix n’est qu’une forme, un aspect de la guerre: la
guerre n’est qu’une forme, un aspect de la paix: et ce qui lutte
aujourd’hui est le commencement de la réconciliation de demain.»
Jean Jaurès Rituellement le 8 mai 1945 se
rappelle à nous par toujours les «mêmes». Les mêmes laudateurs
de la «‘abkaria algérienne»- le génie algérien- et les
pourfendeurs des crimes coloniaux.
Franchement, en dehors de la «famille révolutionnaire» dont il
faudra bien qu’un jour on explique à ces millions d’Algériennes
et d’Algériens, la clé de cooptation qui leur permet d’être les
seuls à revendiquer cette Révolution, que les jeunes non
seulement ne connaissent pas l’épopée réelle de la Révolution
mais développent une réaction de rejet résumée par une phrase
sans appel: «Dzaïr lihoume»- l’Algérie est à eux-. Cruelle
sentence s’il en est et qui explique bien des drames, ceux de
ces jeunes qui décident de jouer le tout pour le tout et de
s’enfuir de leur pays pour des cieux plus cléments avec les
désillusions que l’on connaît dans le pays d’accueil.
45.000 morts
De quoi il s’agit cette fois? Des événements
du 8 mai 1945. Il faut tout d’abord être convaincu qu’ils n’ont
pas jailli du néant. C’est une lente maturation de la détresse
du peuple algérien catalysée par des décisions de plus en plus
drastiques du pouvoir colonial. D’ailleurs, dès le 1er mai, les
manifestations des Algériens avaient donné le ton. Il y eut 4
morts ce jour-là à Alger du fait d’une répression brutale. Le 8
mai, ce fut en Europe la fête de la victoire des Alliés.
Les Algériens défilèrent pour d’autres motifs. La répression fut
brutale et les statistiques sont contradictoires. Du côté
algérien on s’en tient à 45 000 morts, du côté français on
dénombre un millier de morts et cent vingt colons tués.
Entre ces deux bornes, des rapports américains sont plus proches
des chiffres algériens. Il semble que le chiffre de 15.000 morts
serait plus proche de la réalité si l’on croit une déclaration
en petit comité du général Tubert chargé de l’enquête selon Yves
Courrières dans son ouvrage: «Les fils de la Toussaint». En
admettant, c’est une moyenne de 500 morts par jour pendant les
mois qui s’en ont suivi. Comment peut-on appeler cela?
Quelle que soit la vulgate occidentale, des millions de
personnes ont été massacrées pendant 132 ans. Des vies brisées,
des douleurs, du pillage, de la destruction furent le lot
quotidien des 48.231 jours d’une occupation inhumaine.
C’est bien des génocides continuels qui ont eu lieu au nom du
mythe de la race supérieure et ceci un siècle avant le Troisième
Reich. Poujalat, décidément en verve, voyait dans l’invasion
française un message divin: «Le but de notre guerre d’Algérie
est plus haut et plus sacré que nos guerres européennes. Ce qui
est le plus en jeu, c’est la sainte cause de la civilisation, la
cause immortelle des idées chrétiennes auxquelles Dieu a promis
l’empire du Monde et dont le génie français est le soutien
providentiel.»
Le marquis de Clermont Tonnerre qui, dès 1827 dans le «Rapport
au Roi» écrivait: «Ce n’est pas peut-être, sans des vues
particulières que la Providence [souligné par le rédacteur]
appelle le fils de saint Louis à venger à la fois la religion,
l’humanité et ses propres injures.. Alger doit périr si l’Europe
veut être en paix.» (1)
Effectivement, sous les coups de boutoir des sinistres Montagnac
qui se vantait de rapporter un plein baril d’oreilles récoltées
par paires, des prisonniers amis ou ennemis des Saint Arnaud,
des Rovigo et Youssouf.
L’Algérie perdit sa sève, sa structure sociale fut anéantie, sa
structure religieuse fut démantelée par le rattachement des
Habous trois mois après l’invasion. Ce qui fit dire à
Tocqueville, auteur d’un rapport d’enquête sur les exactions de
l’armée: «Autour de nous, les lumières se sont éteintes...» Il
est donc incomplet de parler du 8 mai 1945 sans parler de la
genèse du combat séculaire du peuple algérien. Le 8 mai 1945,
que certains historiens situent comme le début de
l’insurrection, fut le summum de la cruauté, de l’injustice et
le plus grand contre-exemple de la France patrie autoproclamée
des Droits de l’Homme.
Il est vrai que Jules Ferry, lumineux dans l’imposition de
l’Ecole républicaine que le pouvoir colonial à Alger acceptait
difficilement pour la foule de gueux que nous étions, était lui
aussi un colonialiste acharné. On lui doit ce fameux cri du
cœur: «Les droits de l’Homme ne sont pas valables dans les
colonies.» C’est tout dire!!
Où en sommes-nous dans cette Algérie de 2010 qui peine à se
redéployer? Beaucoup d’Algériennes et d’Algériens développent
des crises d’urticaire quand ils voient la manipulation de la
cause sacrée de la Révolution. Cette allergie est due au fait
que pour des calculs bassement politiciens, on galvaude une
noble cause. On dit que 120 députés auraient introduit un texte
à l’APN, qui serait bloqué s’agissant de la criminalisation de
la présence coloniale. Soit!
Voilà un dossier de fond pris en charge par une centaine de
personnes qui auraient dû d’abord, informer les citoyennes et
les citoyens du contenu.
A moins que cela ne soit, selon toute vraisemblance, un rituel
avec un jeu de rôles: «Agitez-vous, monopolisez les médias,
faites passer en boucle les mêmes images depuis près de
cinquante ans, en un mot, amusez la galerie, mais pas trop, le 8
mais passe et on passe à autre chose jusqu’au prochain
anniversaire.»
Le 8 mai 1945 n’a pas vu la haine du pouvoir colonial s’arrêter
ce jour-là. Tout le trop-plein de haine et de lâcheté, par la
compromission avec Vichy, s’est déversé sur un peuple sans
défense. Il y eut une traque pendant plusieurs années. Krim
Belcacem prit le maquis dès cette date. Il y eut des jugements
et même des peines de mort qui furent prononcées.
Le 8 mai 1945, peu importe comment la doxa occidentale l’appelle
pour amoindrir sa responsabilité dans l’horreur. Puisque,
apparemment, le mot génocide est une marque déposée, nous
l’appellerons à notre entendement, ethnocide.
On ne peut pas avoir un double langage avec la France, d’un côté
près de 50% de nos achats se font en France, qui se fait payer
par un gaz naturel bradé et de l’autre on lui demande de
reconnaître sa faute coloniale! Imaginons, pour rêver, que le
pouvoir en France reconnaisse enfin, à l’instar de ce qu’il a
fait pour la traite négrière, sa responsabilité dans l’ethnocide
des Algériens pendant 132 ans.
Que se passera-t-il? Rien au-delà de quelques dédommagements
honteux - donner une valeur marchande à l’épopée de ‘Omar El
Mokhtar est indigne - à la El Gueddafi avec Berlusconi. Est-ce
une victoire pour ceux dont le fonds de commerce réside
justement dans le refus de la repentance de la France.. J’en
doute! Au contraire, ils n’auraient plus de grain à moudre...
Est-ce une victoire pour les deux peuples algérien et français?
C’est sans hésitation, oui! La France gagnerait énormément à
être dans les bonnes grâces d’une Algérie qui, malgré ses
pesanteurs conjoncturelles, est la porte du Maghreb et de
l’Afrique.
Rien de structurel ne se fera sans elle! Il n’est que de voir
comment l’UPM bat de l’aile parce que le pouvoir français actuel
a tout fait pour marginaliser l’Algérie. La vieille Europe est
en train de s’effriter sous nos yeux.
Le double langage de
la France
L’Algérie gagnerait à ne pas se tromper de
combat. Notre douleur coloniale n’est pas monnayable. Elle fait
partie intégrante de notre mémoire. L’Algérie peut cependant
revendiquer au nom de l’histoire commune, au nom du formidable
travail que nous faisons pour la francophonie, sans y être, de
ne pas être seulement un marchand mais un demandeur réel de
technologie.
Un premier geste fort serait la construction d’une grande
bibliothèque pour remplacer celle qui est partie en fumée par
des Français qui voulaient effacer comme ils étaient venus,
toute trace de culture.
Il s’agira ensuite de développer ensemble, en impliquant les
universités, des projets porteurs. C’est à titre d’exemple,
toute la problématique des changements climatiques et du
développement durable qui constituera un immense chantier.
C’est enfin tout le contentieux de notre émigration malmenée et
à qui on n’offre en France que le bâton. Une redéfinition des
Accords de 1968, qui occulte cette dimension, est vouée à
l’échec.
Le moment est venu, de part et d’autre, de faire émerger, de
part et d’autre de la Méditerranée des passeurs de culture, des
forgerons de la fraternité. Au risque d’être utopique, un traité
de l’Algérie avec la France est plus que jamais d’actualité.
1. Rapport au Roi sur Alger, par le marquis
de Clermont Tonnerre le 14-10-1827, Revue Africaine. Vol. 70.
p.215, (1929)
Pr Chems Eddine Chitour, Ecole nationale
polytechnique, enp-edu.dz
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Publié le 8 mai 2010 avec l'aimable autorisation de l'Expression
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