Opinion
Le traité sur les
armes
Un non-événement qui cache une tragique
réalité
Chems
Eddine Chitour
Lundi 8 avril 2013
«Vous avez cru
jusqu'à ce jour qu'il y avait des
tyrans? Eh bien! Vous vous êtes trompés,
il n'y a que des esclaves: là où nul
n'obéit, personne ne commande.»
Jacques
Marie Anselme Bellegarrigue (anarchiste)
Ce mardi 2 avril, l'Assemblée générale
de l'ONU a adopté, à une large majorité,
le premier traité sur le commerce
international des armes
conventionnelles. L'ONU veut moraliser
le marché des armes, c'est-à-dire les
armes qui ne sont ni chimiques ni
nucléaires. Ce marché représente 80
milliards de dollars par an. Chaque pays
doit s'assurer que les armes vendues ne
risquent pas d'être utilisées pour
détourner un embargo international ou à
des fin terroristes. L'industrie de
l'armement évaluée à 1 300 milliards de
dollars est la plus florissante quel que
soit le pays. Dans les pays «producteurs
de mort», elle ne connaît pas le
chômage, elle est discrète, elle n'a pas
d'état d'âme. Elle invente des armes de
plus en plus sophistiquées avec toujours
la règle de ne jamais vendre surtout aux
pays faibles, notamment aux Arabes, les
dernières nouveautés en matière d'armes.
Si on vend aux Saoudiens des F 17, il
est à peu près évident que les
Américains gardent pour eux les F 22, et
les mettent éventuellement à la
disposition des Israéliens contre des
armes équivalentes et performantes
israéliennes comme par exemple les
drones de technologie dans laquelle les
Israéliens sont bien en avance.
L'évolution des conflits: les guerres
asymétriques
Depuis la fin de la Seconde Guerre
mondiale, il n'y a plus eu de conflit au
Nord entre pays développés; les conflits
concernent les pays du Sud. Dans ce XXIe
siècle, la dimension létale est
véritablement consacrée et deux types de
conflits existent: ceux qui concernent
des belligérants entre eux avec
certaines fois des guerres civiles, où
les pays occidentaux boutefeux ont un
champion dans chaque camp, ce sont
généralement ceux des pays en
développement qui, au lieu de se
consacrer à l'épanouissement de leurs
citoyens, s'entre-tuent avec des armes
fournies par les pays développés, tout
cela pour le pouvoir de quelques-uns
avec en toile de fond une allégeance aux
pays producteurs d'armes.
La deuxième catégorie est celle - qui au
nom de la civilisation occidentale, mais
aussi au nom du néolibéralisme - est en
fait de combattre le terrorisme
islamique. De ce fait, on peut parler
réellement de guerre asymétrique. La
guerre, en effet, a changé de visage:
dans les pays développés c'est la
doctrine de «zéro mort pour les
Occidentaux». Le secret se trouve dans
la haute technologie: vous n'avez plus
de combattants en face de vous, vous les
éliminez par drones interposés, à des
milliers de kilomètres des zones de
combats, au fin fond du pays, dans une
salle climatisée. Les hommes sont pour
vous des points sur un écran et vous
faites en sorte qu'ils disparaîssent.
Au pire, si vous êtes «à proximité» mais
avec les robots tueurs, la vision
nocturne, les images satellitaires,
votre ennemi n'a aucune chance face à
vous. Cela a été magistralement montré
durant la chevauchée fantastique de
Hollande au Mali. D'un côté, la
meilleure technologie, de l'autre, des
combattants en guenilles avec la soif,
la faim mais une capacité de combattre
au nom d'un idéal celui pour lequel ils
donnent leur vie allègrement. Résultat
des courses, trois morts d'un côté, un
millier de l'autre. Pourtant ces hommes
perdus qui croyaient lutter pour la
bonne cause sont aussi des humains qui
ont aussi des parents qui les
pleurent...Sartre avait illustré
magistralement ce type de situation.
Pour lui, quand les riches se font la
guerre ce sont les pauvres qui meurent.»
Les dépenses militaires représentent
2,5% du GDP, soit 173 dollars par
habitant. C'est aux Etats-Unis que les
dépenses sont les plus élevées, soit
1604 dollars, suivis par Israël 1430
dollars par habitant. Par ailleurs, les
guerres d'agression déclenchées par les
États-Unis en Afghanistan et en Irak qui
ont la mort de centaines de milliers de
personnes, des blessés par millions et
la destruction de civilisation,
devraient en fin de compte coûter
jusqu'à 6000 milliards de dollars, soit
75.000 dollars pour chaque ménage
américain. «Un rapport rédigé par Linda
Bilmes, enseignante à Harvard attribue
la plus grande part de ces milliers de
milliards à des coûts qui continuent à
s'accumuler pour soigner et indemniser
des centaines de milliers de soldats
laissés physiquement et
psychologiquement blessés par ces deux
guerres. «Les conflits en Irak et en
Afghanistan, pris ensemble, seront les
guerres les plus coûteuses de l'histoire
américaine - totalisant entre 4000 et
6000 milliards de dollars», écrit Bilmes.
(1)
« La plus grande partie de cette
facture, lit-on dans ce rapport reste
encore à payer. (...) Le gouvernement
Bush affirmait que la guerre d'Irak se
financerait d'elle-même grâce aux
revenus du pétrole irakien. (...) De
vastes ressources sont littéralement
parties en fumée en Irak et en
Afghanistan, des dizaines de milliards
de dollars ont été gaspillées dans de
prétendus programmes d'aide et de
reconstruction qui étaient perclus de
corruption, d'incompétence et
d'inefficacité, ne faisant rien ou
presque pour améliorer les conditions de
vie des populations de ces pays.» (1)
La
«moralisation» de l'industrie de la mort
Est-on sérieux quand on parle de morale,
quand on vend la mort. N'est ce pas un
oxymore? S'agissant du commerce des
armes. Les dépenses militaires des
Etats-Unis, premier dépensier au monde,
étaient de 680 milliards de dollars
pratiquement près de 45% des dépenses
mondiales évaluées à 1600 milliards. Les
dépenses militaires mondiales
s'établissaient à 1700 milliards de
dollars d'après le rapport du Sirpri
(Stockholm International Peace Research
Institute) publié le 17 avril 2012. La
course aux armements autres que
nucléaires, est lancée depuis quelques
années. La région Asie-Pacifique a
globalement augmenté ses dépenses
militaires de 2,4%. Là, la hausse est
principalement due à la Chine qui a
augmenté les ressources de ses forces
armées de 120% depuis 2002. La Russie a
augmenté ses dépenses militaires de 9,3%
en 2011 pour atteindre un total de 71,9
milliards de dollars, faisant de ce pays
le troisième plus grand dépensier
militaire dans le monde. La Russie va
augmenter de 25,8% ses dépenses
budgétaires pour la défense nationale en
2013. La progression sera ensuite de
18,2% en 2014 et de 3,4% en 2015. Selon
l'Institut suédois Sipri en 2011,
l'Algérie a été classée de loin premier
pays pour ses dépenses en matière
d'armement dans l'Afrique du Nord. (2)
A côté des vendeurs d'armes «officiels»
il y a les «autres» appelés trafiquants,
parce que dit-on, ils violent les
réglementations internationales sur les
ventes d'armes, en clair, ils parasitent
les ventes des grands en proposant des
armes interdites ou à moindre coût. En
2004, on estimait à 500 millions le
nombre d'armes légères en circulation
dans le monde, armes dont plus de 100
millions en Afrique, soit une arme pour
12 personnes. «Pourtant, écrit Philippe
Leymarie, nombre de ventes d'armes
effectuées par des États souverains se
font sur le marché «gris», à la
frontière du légal et de l'illégal.
Amnesty International a dénoncé, en juin
2002, la Russie, la France, l'Italie, la
Grande-Bretagne et l'Allemagne, en les
accusant d'avoir livré des armes à des
pays d'Afrique où d'importantes
violations des droits de l'homme avaient
été observées »(3).
« La plupart des pays admettent la
nécessité de réglementer cet énorme
marché des armes dites
«conventionnelles», légères ou lourdes,
estimé à 70 milliards de dollars par an
(dont 40% pour les seuls Etats-Unis).
Selon un document de travail de l'ONU:
les États-Unis, qui produisent 6
milliards de balles par an, veulent
exclure du traité les munitions; l'Inde,
l'Egypte, le Vietnam demandent que les
pièces détachées ne fassent pas partie
de la discussion; la Russie (qui a vendu
pour 13,2 milliards de dollars
d'équipements militaires en 2011)
insiste sur la lutte contre le trafic
d'armes (par opposition au commerce
légal); la Chine, qui inonde les pays en
développement d'armes légères,
souhaiterait que ces dernières ne
fassent pas partie de la négociation;
(...) la Corée du Sud ne veut pas
restreindre les transferts de
technologie.» (3)
L'accord
sur les ventes d'armes: la montagne qui
accouche d'une souris
Pour Philippe Leymarie, commentant
l'accord, les vendeurs d'armes ont sauvé
leur peau. Il écrit: «l'Assemblée
générale des Nations unies a voté à une
très large majorité, un premier traité
sur le commerce international des armes
dites classiques ou conventionnelles.
Aux termes de ce texte, chaque pays
devra désormais évaluer, avant toute
transaction, si les armes vendues
risquent d'être utilisées pour
contourner un embargo international,
commettre un génocide ou des «violations
graves» des droits humains, ou être
détournées au profit de terroristes ou
de criminels. En dépit des cris de
victoire du secrétaire général de l'ONU,
l'adoption du traité n'est qu'un
commencement: Le texte, adopté par cent
cinquante-quatre voix pour, trois contre
et vingt-trois abstentions, doit à
présent être signé et ratifié par chacun
des pays: il n'entrera en vigueur qu'à
la cinquantième ratification, ce qui
pourrait prendre encore plusieurs
années. Le consensus général des cent
quatre-vingt-treize pays membres de
l'ONU n'a pu être obtenu. Parmi les
vingt-trois pays qui se sont abstenus,
il y a surtout des pays émergents, dont
certains des principaux exportateurs
(Russie, Chine) et acheteurs de ces
armes (Egypte, Inde, Indonésie). (4)
« Le traité poursuit Philppe Lyemarie, ,
même s'il concerne une large palette
d'armements, exclut les équipements
destinés aux forces de l'ordre, les
transports de troupes (même blindés),
les drones, une partie des munitions et
pièces. Explicitement, le texte ne fait
pas référence aux livraisons d'armes à
des «acteurs non étatiques» (tels que
les rebelles en Tchétchénie ou en
Syrie), qui est la raison invoquée par
Damas pour voter contre, ou encore par
la Russie pour s'abstenir. (..). Les
Etats-Unis ont obtenu que les munitions
(dont ils produisent la moitié des
volumes vendus dans le monde)
bénéficient de contrôles moins stricts.
Pour autant, cela ne garantit pas que le
Congrès ratifiera le texte, en dépit de
la satisfaction exprimée par le
Secrétaire d'Etat, John Kerry, pour qui
l'accord «n'empiète pas sur la
Constitution américaine». Les volumes de
transactions concernés sont
considérables: les estimations vont de
70 à 80, voire 100 milliards de dollars
chaque année, avec une augmentation
globale de 17% des transferts
internationaux d'armes conventionnelles
sur la dernière décennie, selon les
données communiquées, il y a quelques
jours par l'Institut international de
recherche sur la paix de Stockholm (Sipri).»
(4)
« Enfin, Selon le directeur de
l'Observatoire des armements, Patrice
Bouveret, également membre de la
coalition «Contrôlez les armes», les
ambitions contradictoires du traité en
marquent les limites: «Certes, le
traité, en son article 6, rappelle
l'interdiction d'autoriser tout
transfert qui violerait un embargo ou
contreviendrait aux obligations
découlant des accords internationaux
dont l'Etat exportateur est signataire.
Le traité ouvre la porte à des
interprétations sans contrôle possible.
Les Etats pourront toujours se targuer
du droit à la légitime défense, reconnu
dans l'article 51 de la Charte des
Nations unies, voire même du risque
terroriste, pour justifier telle ou
telle exportation de système d'armement.
De fait, les auteurs du traité restent
au milieu du gué en focalisant sur les
trafics illicites plutôt qu'en limitant
fortement le commerce «légal», répondant
ainsi au souhait des principaux Etats
exportateurs, pour qui, l'objectif
prioritaire était de limiter la
concurrence déloyale en imposant une
réglementation plus stricte aux
concurrents du Sud, d'Europe de l'Est et
d'Asie.» (4)
On pourrait résumer l'avis de Manlio
Dinucci du journal «il Manifesto,» par
«Business as usual». Pour lui: «Les cent
plus grandes industries guerrières du
monde, dont 78 sont basées aux
Etats-Unis et en Europe occidentale,
pourront ainsi continuer à accroître
leurs ventes, dont la valeur annuelle
estimée approche les 500 milliards de
dollars.(...) Le Traité ne sera pas
contraignant. (...). La norme
fondamentale est que les armes ne
doivent pas être fournies à des Etats
qui «minent la paix et la sécurité et
commettent des violations du droit
humanitaire international». (...) En
d'autres termes, le Traité autorise la
fourniture d'armes aux «gentils», mais
interdit strictement de les fournir aux
«méchants». (...) Aujourd'hui, souligne
la responsable d'Oxfam International
pour le contrôle des armements, (..) qui
défend le Traité, il peut contribuer à
réduire la tragédie de la guerre civile
en Syrie, puisque «la Russie soutient
que les ventes d'armes au gouvernement
sont autorisées car il n'y a aucun
embargo». Elle oublie, cependant, le
flux croissant d'armes, confirmé par la
récente enquête du New York Times qui
sont livrées aux «rebelles» à travers un
réseau international organisé par la
CIA, qui implique la Turquie, la
Jordanie et la Croatie.» (5)
Où sont
les droits de l'homme?
«La vente d'arme est-elle éthique? Plus
grave, la guerre moderne est-elle
éthique? Menée sur des écrans en
appuyant sur des boutons. Le «théâtre
des opérations» n'est qu'une infime
partie du processus. Jamais l'être
humain n'a été aussi éloigné des
conséquences de ses actes. Que valent
les lois de la guerre «classique» en
face des guerres du XXIe siècle? Est-ce
que cela rend l'entrée en guerre trop
facile, que ce soit ici ou partout
ailleurs?. Enfin, peut -on réellement
dire que cet accord va diminuer le
nombre de morts du fait des conflits ?
Non seulement je ne le crois pas, mais
de plus, industrie de la mort est
devenue tellement raffinée en terme de
"rendement" que nous sommes loin des
pétoires qui "tuaient d'une façon
artisanale " et à des années lumières du
temps des arbalètes où la guerre n'était
pas dissymétrique
Pour Jules Dufour, qui dénonce le grand
réarmement planétaire, il eut été plus
moral d'investir dans l'épanouissement
de l'homme. Ecoutons- le: «(...) des
investissements dans les secteurs de
l'éducation, de la santé et dans la
restauration et la protection de
l'environnement seraient beaucoup plus
rentables et de nature à profiter à
tous.» En effet, selon les estimations
de l'OMS «les coûts et les bénéfices
nécessaires pour atteindre les objectifs
du Millénaire pour le développement en
matière d'eau et d'hygiène s'élevaient à
un montant total d'environ 26 milliards
de dollars avec des rations
coûts-bénéfices allant de 4 à 14.(...)
«Selon les données du Programme» des
Nations unies pour l'environnement (Pnue),
«la somme nécessaire au cours des 15 ou
20 prochaines années pour atteindre les
objectifs du Millénaire pour le
développement en vue de garantir la
durabilité de l'environnement (objectif
n° 7) se situe probablement entre 70 et
90 milliards de dollars par an.» (6)
On l'aura compris à première vue, le
commerce des armes est une problématique
qui peut sembler moins urgente que la
question de l'environnement et des
droits humains. Arrêtons l'hypocrisie!
Le néolibéralisme sauvage doit
constamment entretenir un état de
tension. On ne peut pas envisager un
monde de paix. Souvenons-nous du rapport
Lugano: les populations doivent passer
plus de temps à se demander ce qu'elles
ont à se disputer avec leurs voisins
qu'à travailler. Tout est dit, l'anomie
est totale. Le monde devient de plus en
plus dangereux.
1.Bill Van Auken
http://www.mondialisation.
ca/le-cout-des-guerres-dirak-et-dafghanistan-pourrait-selever-a-6000-milliards-de-dollars/5329834
04 avril 2013
2. Chems Eddine Chitour: commerce des
armes, Arrêtons l'hypocrisie,
L'Expression 04 08 2012
3. Philippe Leymarie
http://blog.mondediplo.net/2012-07-03-Commerce-des-armes-vers-un-traite-robuste
4. P. Leymarie http://blog.mondediplo.
net/2013-04-05-Les-limites-d-un-traite-sur-les-armes
5. Manlio Dinucci
http://www.ilmanifesto.it/ area-abbonati/inedicola/
manip2n1/20130404/ manip2pg
/09/manip2pz/338381/
6. Jules Dufour
http://www.mondialisation. ca/le-grand-rearmement-planetaire/5329953
Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Nationale Polytechnique enp-edu.dz
Publié le 8 avril 2013 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
Le sommaire du Pr Chems Eddine Chitour
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