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Opinion
Eloge de la
Société Civile :
Plaidoyer pour l’émergence d’une Algérie du futur
Chems Eddine Chitour
Le Pr Chems Eddine Chitour
Mardi 7 juin 2011
«L’utilité commune est le
fondement de la société civile.»
Jean-Jacques Rousseau
Il est courant d´admettre dans les pays évolués, l´importance
d´un contre-pouvoir de l´Etat, non politique, constitué par la
société civile. L´émergence de la notion de société civile est
ancienne, elle s´est progressivement affirmée au fur et à mesure
que l´Etat s´est consolidé. A quoi sert justement l´Etat? Est-il
un instrument utile? Hobbes fut le premier à mettre en évidence
l´utilité de l´État et surtout à montrer qu´il était le résultat
d´un calcul, bref, que la raison d´être de l´Etat, c´était la
Raison elle-même. Il s´agissait, en effet, d´apporter une
solution au problème que posait la guerre permanente de tous
contre tous, caractéristique de l´état de nature. Les hommes
passent alors un accord et abandonnent ensemble leur part de
droit naturel et leur violence entre les mains d´un Tiers, par
nécessité, omnipotent. L´État donne ainsi aux hommes la sécurité
dont ils ont besoin pour l´exercice de leur liberté. En dehors
de l´Etat, les hommes jouissent d´une liberté absolue. Mais
chacun disposant de la même liberté absolue, tous sont exposés à
subir des autres ce qui leur plaît. La Constitution d´une
société civile et d´un État oblige à une nécessaire limitation
acceptée de la liberté.
Qu´est-ce que la société civile?
Cependant, pendant longtemps la société civile a eu un rôle
marginal parce que l´Etat s´occupait, globalement, correctement
des citoyens. La réémergence des sociétés civiles dans les pays
capitalistes s´est faite en réaction à la paupérisation
progressive des populations laborieuses et on peut penser
qu´elles connaissent un regain d´intérêt depuis que le modèle de
capitalisme néo-libéral et la mondialisation se sont imposés
comme seul horizon indépassable. Par réaction, les citoyens ont
commencé à remettre de plus en plus cette façon de faire
d´autant que l´Etat a reculé face au capital et ses missions
sociales se sont progressivement réduites en peau de chagrin.
Justement et pour paraphraser Coluche, la démocratie dans les
pays capitalistes c´est «cause toujours» et dans les pays
sous-développés «ferme ta gueule».
Pour donner le change, on inventa dans les pays développés,
alors, le concept de démocratie participative donnant l´illusion
au citoyen qu´il est acteur de son destin. Cependant, tout n´est
pas négatif, pour la société civile, sa connaissance des
réalités sociales permet de formuler les besoins et les demandes
des citoyens. Son expertise permet d´éclairer le débat public
avec des analyses indépendantes. Elle met en lumière les
manquements à l´ Etat de droit, les insuffisances des politiques
publiques pour que les autorités puissent les corriger. Elle
permet à l´Etat d´entendre les revendications des citoyens. En
proposant un espace de libre expression, elle joue un rôle de
régulation des conflits.
«La société civile n´a pas pour vocation de se substituer à
l´Etat. Elle reconnaît ses prérogatives. Par son action, elle
vise à renforcer l´Etat en l´invitant à jouer pleinement son
rôle dans la mise en oeuvre des politiques publiques et dans le
respect de l´Etat de droit. Elle est un interlocuteur utile à
l´Etat, avec lequel peuvent, dans certains cas, s´établir des
coopérations dans le respect du rôle de chacun. En proposant aux
citoyens des espaces de participation à la vie du pays, en
faisant porter le débat public sur des questions d´intérêt
général, la société civile contribue à la réussite de cette
transformation. Son indépendance, sa liberté d´action sont les
conditions nécessaires pour qu´elle joue ce rôle. Les énergies
mobilisées par la société civile visent à bâtir une société
juste et apaisée.(1)
Selon le Comité économique et social européen c´est «un concept
global désignant toutes les formes d´action sociale d´individus
ou de groupes qui n´émanent pas de l´Etat et qui ne sont pas
dirigées par lui»; «concept dynamique, décrivant à la fois une
situation et une action». Quelques éléments de ce processus:
pluralisme, volonté permanente de consensus, respect des
principes de tolérance et de volontariat... autonomie
d´institutions garantes de droits et valeurs ne devant pas être
exclusivement garantis par l´Etat; visibilité, notamment
politique, assurée par des structures de communication proches
de la base; participation aux processus publics de communication
ou d´action et représentation commune du bien collectif, à côté
et en complément des mandats politiques; éducation, qui ne
saurait en aucun cas relever uniquement d´une politique de
l´Etat; responsabilité, une communauté solidaire n´étant pas
uniquement attachée à l´exercice de droits individuels, ces
droits étant articulés à des devoirs vis-à-vis du bien commun;
subsidiarité: le niveau inférieur possède une primauté de
principe (légitimité); le niveau supérieur n´intervient que
lorsque le niveau inférieur ne peut maîtriser la situation
(efficacité).(2)
La société civile est dans l´air du temps. La société civile est
facilement opposée au domaine de l´étatique ou du politique,
comme au marché. Le terme recouvre un entre-les-deux, où
s´exprimerait toute la vitalité de la vie sociale, basée sur la
libre volonté de tous, hors de tout rapport d´autorité ou
d´intérêt privé. Un monde de la solidarité où se manifesteraient
les demandes et évolutions d´une société tout en concrétisant
une forme d´action pragmatique, efficace, plus morale que le
Marché, plus représentative des intérêts et idéaux des
gouvernants. Vaclav Havel dans son ouvrage «Le pouvoir des
sans-pouvoir», exalte le réveil de la société civile: dans les
sociétés post-totalitaires nées de l´effondrement du communisme,
il faudra, dit-il, que surgissent de nouvelles structures, des
associations civiques et citoyennes qui favoriseront la
transition démocratique. Bref, on prête toutes les vertus à la
Société civile: - c´est un contre-pouvoir qui contrôle les excès
de l´État - elle est diverse et représentative, contrairement
souvent, aux gouvernants et élus qui tendent à se recruter dans
les mêmes milieux et à partager la même vision - elle permet
l´émergence de nouvelles élites (et ceci vaut particulièrement
dans les pays en voie de développement) - elle surveille et
dénonce les dérives autoritaires, les scandales, les risques
écologiques ou autres- elle apaise le débat et incite les
citoyens à participer à la vie publique, leur rendant confiance
dans la démocratie. Beaucoup ne voient que des avantages à
l´émergence de la société civile, y compris celui d´abolir les
rapports de conflit et de domination sur lesquels insistait tant
la pensée marxiste dominante chez les intellectuels jusque dans
les années 70.(3)
Y a-t-il une société civile en
Algérie?
La situation en Algérie se caractérise par un certain nombre
d´organisations de masses héritées du parti unique et qui
continuent à monopoliser le champ social se voulant être les
seuls interlocuteurs privilégiés à l´exclusion de tous les
autres, avec une légitimité sur le terrain de plus en plus
remise en cause. De ce fait, l´expression de la dynamique
sociale et c´est une chance dont le pouvoir ne mesure pas assez
l´importance, se fait par d´autres canaux qui ne demandent
qu´une reconnaissance officielle d´autant que sur le terrain,
ils arrivent à mobiliser pour la défense de droits syndicaux.
Cette forme d´expression n´est pas la seule, il existe des
milliers d´associations dont certaines font un travail
remarquable mais là encore certaines ont la bénédiction,
d´autres sont ignorées et pire certaines sont interdites.
Cependant, ces organisations syndicales n´interviennent pas
encore comme contre-pouvoirs soft et observateurs attentifs du
fonctionnement des institutions, voire proposent des solutions
aux multiples problèmes que connaît l´Algérie. On commence à
percevoir les prémices de cercles de réflexion (think thanks)
qui proposent d´une façon volontaire et désintéressée des voies
de salut en dehors des partis politiques, seuls interlocuteurs
dans un véritable accord tacite pour se partager la scène
médiatique à l´exclusion justement, de ces milliers
d´organisations civiles bénévoles et qui sont pour le moment
inaudibles.
A-t-on besoin d´une société civile
maintenant?
Le monde a profondément changé; en 6 mois, le Monde arabe a été
bouleversé de fond en comble pour un dessein qui n´est
malheureusement pas au bénéfice des peuples arabes. Des
alliances se nouent, d´autres se dénouent. Quoi qu´on dise, les
regards sont braqués sur l´Algérie. Nous ne sommes pas à l´abri
d´un tsunami, nos frontières sont de plus en plus vulnérables et
nous donnons l´impression de nous installer dans les temps morts
avec des slogans du siècle précédent. Un constat: l´Algérie ne
peut pas continuer à vivre sur des schémas. Si on ne fait rien
par nous- mêmes, il est quasi certain que nous serons formatés
du dehors non pas comme nous le voulons mais comme le veut le
Nouvel ordre mondial. Des pays sont dépecés sous nos yeux,
d´autres sont sur le chemin de la partition. Après le Soudan et
la Libye, voilà que l´on apprend qu´il existe un plan de
partition de l´Egypte avec, notamment un Etat chrétien en Nubie!
Nous devons être extrêmement vigilants. L´Algérie est devenue le
premier pays d´Afrique par la superficie et il ne faut pas
croire que nous sommes invulnérables. Le démon du régionalisme,
la soif de pouvoir, l´appât du gain et pour notre malheur,
l´étendue du pays, sa richesse en hydrocarbures et en terres
agricoles sont autant de critères de vulnérabilité.
Sans verser dans le nihilisme, il faut bien convenir que
beaucoup de réalisations ont été faites avec les dollars,
peut-être sans optimisation et avec forcément des «pertes». Je
veux citer les millions de logements, la construction de
barrages. L´ Algérie avait des besoins en eau, en routes, en
bâtiments. L´autoroute d´eau douce de 750 km et le réseau de
routes et d´autoroutes sont des prouesses qu´il faut saluer.
Pourtant, des échecs fondamentaux doivent être signalés, c´est
d´abord le projet de société qui fait que faute de consensus,
nous sommes au milieu du gué, tiraillés entre un Orient du coeur
mais qui a fait la preuve de son échec et un Occident tentateur
qui fait tout pour nous déstabiliser. C´est aussi la catastrophe
de l´éducation et de l´enseignement supérieur. Notre tissu
industriel a disparu par pans entiers. On m´arguera que c´est
ainsi, c´est la mondialisation, la flexibilité, mais nous avons
perdu le peu de savoir que nous avions dans les années 1980.
Notre errance actuelle c´est aussi le gaspillage frénétique de
nos ressources en hydrocarbures du fait de l´absence, là aussi,
d´une stratégie et c´est enfin, le cancer de la corruption, qui
est là pour nous rappeler notre sous-développement. Ceci étant
dit, le pouvoir donne l´impression de vouloir gagner du temps et
pense traverser l´orage avec les mêmes recettes. Pendant plus de
vingt ans, pouvoir et partis politiques dont on peut douter de
la valeur ajoutée, ont amené à la situation d´anomie actuelle.
On peut reprocher sans doute, beaucoup de choses au défunt
président Boumediene, à son crédit la mise en place d´un Service
national, véritable creuset de la nation, qui avait permis un
temps de contribuer au brassage des Algériens. Que reste-t-il de
tout cela? Il faut le dire: pas grand-chose. La culture en
Algérie a folklorisé dans le sens du chant et de la danse
l´identité algérienne en invitant dans le plus pur mimétisme des
Mille et Une Nuits, au farniente et à l´enivrement des vapeurs
du narguilé pendant que le monde développé en est au Web3.0, que
la Chine a rattrapé les Etats-Unis en concevant l´avion furtif
et que les Israéliens se sont imposés dans la fabrication des
drones qui se vendent comme des petits pains et qui font des
ravages
La rente des hydrocarbures non autonomisée (syndrome hollandais
dont la corruption socialisée) freine les réformes, le
développement basé sur la bonne gouvernance, la valorisation du
savoir. Cette rente au lieu d´être une bénédiction peut devenir
une malédiction pouvant entraîner une grave dérive politique,
économique et sociale. Que faut-il faire alors? Est-ce que le
fait de procéder à des aménagements qui ressemblent à des
cataplasmes sur une jambe de bois suffira-t-il? Est-ce que le
fait d´ânonner qu´il faut la démocratie suffira?
Le moment est venu, le croyons-nous encore une fois, de
réconcilier les Algériennes et les Algériens avec leur Histoire
de telle façon à en faire un invariant qui ne sera pas récupéré
d´une façon ou d´une autre. Le moment est venu aussi, une fois
encore, de faire émerger à côté encore des légitimités
historiques, les nouvelles légitimités du XXIe siècle. Chacun
devra être jugé sur sa valeur ajoutée non pas en tant que
remueur de foule, voire comme professionnel de la politique. En
tant qu´acteurs de la société civile, nous devons attirer
l´attention des pouvoirs publics sur un certain nombre de
dysfonctionnements au vu de la distribution paresseuse de la
rente, en fonction de la capacité de nuisance
L´Algérie est devenue un tube digestif immense, l´Algérien veut
tout et tout de suite et par un mimétisme ravageur, il
n´emprunte à l´Occident que ce qu´il ne produit pas, mais qu´il
peut pour le moment encore acheter. Avoir 20 millions de
portables pour 35 millions d´habitants n´est pas un signe de
développement, rouler en 4x4 et consommer d´une façon débridée
l´énergie n´est pas un signe de développement. Le pouvoir, dos
au mur, est confronté à toutes les révoltes, au lieu du parler
vrai, il met en oeuvre la méthode qui consiste à calmer les
classes dangereuses et promet tout à tout le monde. Jusqu´à
quand?
Dans une génération, l´Algérie importera son pétrole, avec quoi,
puisque présentement, il représente 98% de ses recettes. La
société civile que nous devons contribuer à faire émerger devra
être partie prenante du destin de l´Algérie. Elle devra,
notamment donner son avis dans le calme et la sérénité sur les
grands dossiers dans le cadre d´états généraux où la compétence
sera mise à contribution. A titre d´exemple, s´agissant de la
stratégie énergétique, il est important de tout mettre à plat et
tracer un cap qui nous permette d´aller vers la sobriété
énergétique et miser sur les énergies renouvelables en
n´extrayant du pétrole et du gaz que ce qui est strictement
nécessaire au développement. Qu´on se le dise! Notre meilleure
banque est notre sous-sol, c´est cela le développement durable.
L´Algérie de 2011 se cherche, elle est d´abord, en quête d´un
projet de société avec un désir d´être ensemble. Point de
«calculs politiciens» ou de acabya, de la compétence de la
générosité. L´Algérie a besoin de tous ses fils et filles sans
exclusive et ceux qui tiennent la canne par le milieu doivent se
déterminer. Voulons-nous d´un tsunami qui emportera tout et qui
fera de l´Algérie une zone grise comme la Somalie ou ce sera la
guerre de tous contre tous, comme au Yémen (la patrie de la
reine de Saba), ou voulons-nous d´une transition nécessaire
apaisée et qui fasse que de nouveaux dirigeants conduisent
l´Algérie à bon port. C´est donc à une vision nouvelle de
société qu´il nous faut arriver, Peut-être que les états
généraux de la Société civile prévus vers mi-juin permettront
par leur recommandation de contribuer à remettre le train
Algérie sur rails. Plus généralement, il faut faire retrouver au
peuple algérien cette dignité et cette fierté d´avoir contribué
même de la façon la plus humble à l´avènement d´une Algérie
fascinée par l´avenir mais qui reste fière de son identité
culturelle et cultuelle.
1.http://www.societecivile-burundi. org/index.php?option=com
_content&view= article&id =69 &Itemid=79
2.Qu´est-ce que la société civile?
http://algoric.pagesperso-orange.fr/eu/tik/12/ti127-euGovCivi/nc2.htm
3.Qu´est-ce que la société civile?
http://www.huyghe.fr/actu_369.htm 21 juin 2007
Pr Chems Eddine CHITOUR
Ecole Polytechnique Alger enp-edu.dz
Publié le 7 juin 2011 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
Les textes du Pr Chems Eddine Chitour
Le dossier Algérie
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