Opinion
Commerce des armes
et droits de l'homme :
Arrêtons l'hypocrisie
Chems
Eddine Chitour
Chems
Eddine Chitour
Lundi 6 août 2012
« La diplomatie
sans les armes, c’est la musique sans
les instruments. »
Otto von Bismarck
Une conférence s’est tenue en juillet à
New York sur la nécessité de moraliser
le commerce des armes. Cette conférence
a abouti à un échec patent. Les
Etats-Unis ont proposé de la relancer en
2013 après maturation de la réflexion…
Avant d’aller plus en avant il est
nécessaire de situer l’état de guerre
latente du monde avec un indicateur du
manque de confiance de l’armement à
outrance. Cet indicateur est caractérisé
par les dépenses militaires de chaque
Etat.
Les
dépenses d’armement
Les dépenses militaires des Etats-Unis,
premier dépensier au monde, ont diminué
de 1,2% en 2011, soit 8,7 milliards de
dollars de moins par rapport à 2010 (
près de 680 milliards de dollars
pratiquement près de 45 % des dépenses
mondiales évaluées à 1600 milliards).
«Les trois plus grands dépensiers
militaires d’Europe de l’Ouest
(Allemagne, France et Royaume-Uni) ont
commencé à réduire leurs dépenses dans
le cadre des mesures d’austérité
imposées pour réduire leur déficit
budgétaire. Le budget militaire de la
France a diminué de 4% depuis 2008,
alors que les réductions au cours de la
même période en Allemagne (1,4%) et au
Royaume-Uni (0,6%) ont été plus
modestes. Les dépenses militaires
mondiales ont marqué le pas en 2011 avec
une progression de seulement 0,3% par
rapport à l’année précédente pour
s’établir à 1.700 milliards de dollars,
si l’on en croit le dernier rapport du
Sirpri (Stockholm International Peace
Research Institute) qui vient d’être
publié ce 17 avril. La stabilité de ces
dépenses s’explique en partie par les
effets de la crise économique, laquelle
a contraint 6 pays parmi les principaux
acheteurs d’armes à réduire leur budget
militaire (Allemagne, Brésil, France,
Royaume-Uni, Etats-Unis) au cours de
l’année passée.(1)
La région Asie-Pacifique a globalement
augmenté ses dépenses militaires de
2,4%. Là, la hausse est principalement
dû à la Chine, qui a augmenté les
ressources de ses forces armées de 120%
depuis 2002. La politique suivie par les
autorités chinoises a un effet
d’entraînement pour d’autres pays de la
région (Vietnam, Malaisie, etc…) qui ont
des différends territoriaux avec Pékin.
En revanche, le plus surprenant est la
diminution de 3,9% du budget militaire
indien, alors que l’Inde est présentée
comme étant un eldorado pour les
industriels de l’armement. La Russie, en
revanche, a augmenté ses dépenses
militaires de 9,3% en 2011 pour
atteindre un total de 71,9 milliards de
dollars, faisant de ce pays le troisième
plus grand dépensier militaire dans le
monde, La Russie a en effet prévu de
remplacer une bonne partie de son
équipement militaire – qui date pour sa
plus grande part de l’ère soviétique –
par un arsenal moderne pour 2020. (2)
La Russie va augmenter de 25,8% ses
dépenses budgétaires pour la défense
nationale en 2013, mais diminuer celles
pour l’éducation et la santé, selon des
prévisions budgétaires publiées mercredi
sur le site du ministère des Finances.L’an
prochain, les dépenses consacrées à la
défense nationale vont atteindre près de
2.346 milliards de roubles (près de 59
milliards d’euros), soit une hausse de
25,8% comparé à 2012, selon ce projet de
budget établi pour la période 2013-2015.
La progression sera ensuite de 18,2% en
2014 et de 3,4% en 2015. (2)
Selon l’institut suédois SIPRI en 2011,
l’Algérie a été classée de loin premier
pays pour ses dépenses en matière
d’armement dans l’Afrique du Nord. En
effet, la plus grosse part de
l’augmentation de l’armement en Afrique
est attribuable à l’augmentation de 44%
du budget militaire de l’Algérie.
L’Institut international indépendant de
recherche sur les confits armés précise
,dans son rapport 2011, que cette
importante augmentation (2,5 milliards
de dollars) est liée en partie aux
préoccupations relatives au conflit
libyen. «Depuis 2002, l’Algérie a
augmenté ses dépenses militaires de
170%» (3)
La réalité
du trafic d’armes
Le trafic d'armes consiste à
approvisionner en armes ou en munitions
une entité (groupe combattant,
association criminelle, État) en violant
les réglementations internationales sur
les ventes d'armes. En 2004, on estimait
à 500 millions le nombre d’armes légères
en circulation dans le monde, armes qui
ne font l'objet d'aucun traité
international1 – dont plus de 100
millions en Afrique, soit une arme pour
12 personnes (4 )
La Russie arrive en tête des
exportations d'armes, avec 31 % des
exportations, suivi par les États-Unis
(30 %), la France (9 %), l'Allemagne (6
%), Le Royaume-Uni (4 %) et l’Ukraine (2
%). Les armes représentent un pan
important de l'économie mondiale. Ainsi,
elles représentaient 4,4 % des
exportations totales françaises entre
1980 et 1988 et 4,8 % pour le
Royaume-Uni. En 2005, le rapport annuel
du Congrès des États-Unis sur les ventes
d'armes dans le monde a estimé qu'en
2004, la valeur totale des contrats de
ventes d'armes (et tous services
associés) à travers le monde était de 37
milliards de dollars, alors qu'elle
était l'année précédente de 28,5
milliards de dollars. En 2000 elle
atteignit 42,1 milliards de dollars. Si
on considère non plus les contrats, mais
les livraisons, la valeur pour 2004 est
de 34,8 milliards de dollars, à peu près
stable en monnaie constante depuis
2000[réf.]. Par contre, l'organisme
Stockholm International Peace Research
Institute évalue le volume mondial des
transactions à environ 34 milliards de
dollars en 2000 et 50 milliards en 2004.
Entre 2002 et 2006 les ventes d’armement
du Nord vers le Sud ont augmenté de 50
%.(4)
Nombre de ventes d'armes effectuées par
des États souverains se font sur le
marché « gris », à la frontière du légal
et de l'illégal. Amnesty International a
dénoncé en juin 2002 la Russie, la
France, l’Italie, la Grande-Bretagne et
l’Allemagne, en les accusant d'avoir
livré des armes à des pays d’Afrique où
d’importantes violations des droits de
l’homme avaient été observées D’après le
Baromètre 2007 de la transparence du
commerce des armes légères, les grands
exportateurs d’armes légères les plus
transparents sont les États-Unis, la
France, l’Italie, la Norvège, le
Royaume-Uni et l’Allemagne. Les moins
transparents sont la Bulgarie, la Corée
du Nord et l’Afrique du Sud (4)
Nécessité
d’un traité international sur les ventes
d'armes
La mondialisation économique, et surtout
la dérégulation, ont facilité les
trafics internationaux (paradis fiscaux,
société écran, trafiquants
internationaux plus souples et mobiles
que les polices nationales...). Des
troupes de l'ONU ont été impliquées dans
ce trafic, au Congo. En plus des
réglementations commerciales, des ONG
(Oxfam, Amnesty international et IANSA)
ont lancé en 2002 une campagne
internationale, Control Arms, destinée à
obtenir un traité international sur le
commerce des armes. Aucun traité
n'interdit le commerce d'armes légères1.
Pour rappel le président Carter a tenté
de moraliser en vain les ventes d’armes.
Cependant Le trafic d'armes est un
instrument essentiel des proxy wars, ou
guerres menées par des intermédiaires,
reconnu en 1994 par le président Bill
Clinton comme un outil essentiel de la
politique étrangère des États-Unis La
guerre Iran-Irak (1980-1988), où les
deux adversaires étaient approvisionnés
par des pays occidentaux, parfois les
mêmes (France, Bulgarie,URSS etc...), en
est un exemple, L'impact du trafic
d'arme est très important : 500 000
civils et militaires meurent chaque
année tués par des armes légères et les
blessés et mutilés sont innombrables.
Selon le rapport Small Arms Survey de
juillet 2007, 650 des 850 millions de
petites armes à feu sur Terre (76,5 %)
sont en fait détenu par des civils, le
reste l'étant par les diverses armées et
forces de l'ordre.(4)
Philippe Leymarie fait un descriptif de
l’état actuel du marché des armes et des
préoccupations de chacun des
négociateurs de cet hypothétique traité,
il écrit : « La plupart des pays
admettent la nécessité de réglementer
cet énorme marché des armes dites «
conventionnelles », légères ou lourdes,
estimé à 70 milliards de dollars par an
(dont 40 % pour les seuls Etats-Unis).
Maisl es modalités restent très
controversées, selon un document de
travail de l’ONU : les États-Unis, qui
produisent 6 milliards de balles par an,
veulent exclure du traité les munitions
; l’Inde, l’Egypte, le Vietnam demandent
que les pièces détachées ne fassent pas
partie de la discussion ; la Russie (qui
a vendu pour 13,2 milliards de dollars
d’équipements militaires en 2011)
insiste sur la lutte contre le trafic
d’armes (par opposition au commerce
légal) ; la Chine, qui inonde les pays
en développement d’armes légères,
souhaiterait que ces dernières ne
fassent pas partie de la négociation ;
(…) La Corée du sud ne veut pas
restreindre les transferts de
technologie ». (5)
On le voit les positions sont
inconciliables « L’idée au départ
poursuit Philippe Leymarie,, formulée
notamment par les ONG « humanitaristes
», est que l’adoption d’un traité
international qualifié de « robuste »
pourrait faire la différence pour des
millions de civils, confrontés à
l’insécurité, aux privations, à la peur,
ainsi que le relève la présentation de
cette négociation par l’ONU elle-même.
Ce traité fixerait les critères
empêchant les transferts d’armes qui
pourraient être utilisées contre les
populations civiles ou alimenter un
conflit.(…) La dégradation constante de
la situation en Syrie, depuis plus d’un
an, avec les livraisons parallèles
d’armement et de munitions par la Russie
(pour le gouvernement syrien) et par des
pays du Golfe comme le Qatar et l’Arabie
saoudite (à destination des différentes
factions armées de l’opposition), avec
le soutien occidental et notamment
français et américain[souligné par nous]
– des apports qui alimentent le conflit,
au lieu de chercher à l’éteindre »(5)
« Amnesty International conclut l’auteur
appelle donc les gouvernements du monde
entier à cesser leurs ventes d’armes à
des pays où ces armes risquent d’être
utilisées pour commettre des violations
des droits humains. (…) En 2007, le
montant des dépenses militaires
annuelles dans le monde s’élevait à 1
339 milliards de dollars, contre 19
milliards alloués à lutter contre la
famine et la malnutrition. Les cinq
membres du Conseil de sécurité de l’ONU,
ainsi qu’Israël, réalisent à eux seuls
les neuf dixièmes des exportations
d’armement, les principaux importateurs
étant l’Inde, l’Arabie Saoudite, les
Emirats arabes unis, la Chine, l’Egypte,
le Pakistan, Israël, la Syrie, le
Venezuela, l’Algérie. Selon l’ONU, la
réparation des dommages causés par le
crime et la violence – estimés à 400
milliards de dollars annuels, et souvent
causés indirectement par les transferts
illégaux d’armes et de munitions –
dépasse de beaucoup les profits
financiers des ventes d’armes (à lui
seul, par exemple, le coût des
opérations de maintien de la paix des
Nations Unies revient à 7 milliards de
dollars par an) ».(5)
Ou sont
les droits de l’homme ?
On l’aura compris à première vue, le
commerce des armes est une problématique
qui peut sembler moins urgente que la
question de l’environnement et des
droits humains. De nombreux pays, cette
industrie relève d’intérêts commerciaux
et politiques qui guident l’attitude
qu’ils adoptent dans les négociations de
ce traité. Des pays comme les États-Unis
et la Russie, par exemple, pour qui ce
commerce représentait respectivement
12,2 milliards et 5,2 milliards de
dollars en 2010, se sont montrés plutôt
frileux à l’idée de restreindre leur
capacité à commercer.(6)
Le problème réside toutefois dans la
volonté d’adopter des balises au
commerce des armes Il faut aussi
souligner que les pays concernés sont
les pays issus de la décolonisation .
Les puissances d’avant ne voulant pas
perdre de vue leurs anciennes provinces
les soutiennent en leur vendant des
armes soit contre leurs peuples soit en
créant artificiellement des conflits
avec les voisins pour pouvoir le cas
échéant ravitailler les deux
belligérants Le cas scandaleux de l’Irak
et de l’Iran ravitaillés par les mêmes
fournisseurs est à méditer. Il faut de
plus ajouter la politique américaine de
ventes d’armes pour arriver à mettre en
place des pouvoirs dépendant et qui en
définitive n’utiliseront pas leurs armes
qui vieillissent et sont remplacés .
C’est le cas par exemple du marché du
siècle entre l’Arabie Saoudite et les
Etats-Unis , marché de plusieurs
dizaines de milliards de dollars pour un
équipement qui sera toujours en retard
sur celui livré aux Israéliens mais qui
peut servir pour mater entre autres la
révolte bahreïni ou la déstabilisation
actuelle de la Syrie On reste rêveur
quand on lit ce texte ambigu : Les
ministres des affaires étrangères
français, allemand, britannique et
suédois n'avaient-ils pas écrit dans une
tribune commune : «Nous pensons qu'un
Traité sur le commerce des armes doit
couvrir tous les types d'armes
classiques y compris les armes légères
et de petit calibre, tous les types de
munitions et les technologies avancées…
» ? (7)
Nous laissons Alain Howiller conclure :
« (…) Mais la «morale» -les résultats de
la conférence de l'ONU n'a-t-elle pas
apporté un signal explicite en la
matière!- peut-elle lutter
victorieusement lorsque le commerce
mondial des armes a quadruplé en cinq
ans, que pour les ventes allemandes la
valeur des exportations a progressé de
800 millions de 2010 à 2011 et que les
ventes françaises sont, elles, passées
de 5,1 milliards d'euros en 2010 à 6,5
milliards en 2011 (avec l'espoir
d'atteindre 7,5 milliards cette année) ?
A Alep, l'armée syrienne s'apprêtait,
symbole de guerre, à lancer l'assaut
pour reprendre la ville tombée aux mains
des «insurgés». Guerre et Paix :
l'éternel et sanglant dialogue se
poursuit ! L'ONU reprendra sans doute le
thème de la «moralisation» l'année
prochaine….Tous nos voeux de… réussite !
» (7)
Arrêtons l’hypocrisie ! Le
néo-libéralisme sauvage doit constamment
entretenir un état de tension. On ne
peut pas envisager un monde de paix que
deviendraient alors les complexes
militaro-industriels et la corruption ?
Quand on met au point constamment des
armes de plus ne plus létales, que reste
t-il comme droit aux « damnés de la
terre » car c’est d’eux qu’il s’agit,
quand leurs gouvernants au Sud ,
investissent plus dans les armes que
dans la nourriture, l’éducation la
santé, la paix ? Souvenons nous du
Rapport Lugano :les populations doivent
plus de temps à se demander ce qu’ils
sont à se disputer avec leurs voisins
qu’à travailler.
1.http://www.opex360.com/2012/04/17/le-niveau-des-depenses-militaires-mondiales-sest-stabilise-en-2011/17
avril 2012
2.
http://www.tdg.ch/monde/europe/moscou-augmente-budget-defense/story/26702147?track
3.http://www.algeria-watch.de/fr/article/mil/depenses_hausse.htmEl
Watan, 24 mai 2012
4.Trafic d’armes : Encyclopédie
Wikipédia
5.Philippe Leymarie
http://blog.mondediplo.net/2012-07-03-Commerce-des-armes-vers-un-traite-robuste
6.http://journal.alternatives.ca/fra/
-vol-3-no-715/article/un-nouveau-rendez-vous-manque
7.Alain Howiller On moralisera demain
1Aout 2012 http://3-ufer.com/?p=23186
Professeur
émérite Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
Publié le 6 août 2012
avec l'aimable autorisation de l'auteur
Le sommaire du Pr Chems Eddine Chitour
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