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L'EXPRESSIONDZ.COM
INDÉPENDANCE DE LA TCHÉTCHÉNIE
Une lutte qui dure depuis 150 ans
Pr Chems Eddine Chitour
Djennet Abdourakhmanova et son
mari, l'émir du Daguestan abattu le 31 décembre 2009
Lundi 5 avril 2010 «A
l’heure qu’il est, la condition essentielle pour que la
civilisation européenne se répande, c’est la destruction de la
chose sémitique par excellence, la destruction du pouvoir
théocratique de l’islamisme. Là est la guerre éternelle, la
guerre qui ne cessera que quand le dernier fils d’Ismaël sera
mort de misère. L’Islam est le fanatisme. L’avenir est donc à
l’Europe et à l’Europe seule; l’Europe conquerra le monde et y
répandra sa religion.»
Ernest Renan, le 23 février 1882
Fin mars, un attentat dans le métro de
Moscou fait une quarantaine de morts et plusieurs dizaines de
bléssés. La presse occidentale décrit par le menu l’horreur,
fustige le terrorisme sans parler objectivement des causes
profondes de ce conflit attribué immédiatement au Caucase. Mieux
encore, dans les heures qui ont suivi, les images en boucle
savamment agrémentées de messages subliminaux sur l’Islam, sur
les «veuves noires» achèvent de marquer dans le marbre et
dans les consciences des téléspectateurs, la barbarie de l’acte
comme l’écrit Le Monde dans un article d’une rare partialité.
Lisons: «Il n’y a aucune "fatalité" à ce que deux jeunes
femmes viennent commettre un attentat dans le métro, comme ce
lundi matin 29 mars dans la capitale russe à l’heure de la plus
grande affluence: trente-neuf innocents fauchés à mort, des
dizaines d’autres mutilés à vie. S’il s’agit bien de deux
attentats-suicides, la responsabilité en incombe à leurs auteurs
- et uniquement à eux. Ils ou elles ont choisi la barbarie -
personne d’autre. Ce fut leur choix, délibéré. Dans
l’inhumanité, on ne placera un peu plus haut peut-être que ceux
qui ont manipulé les deux terroristes. Ceux qui leur ont confié
leurs ceintures d’explosifs. Ceux qui entretiennent une morbide
culture de la mort et du martyre. (...)»(1)
Une longue lutte
De qui s’agit-il en fait? La République Tchétchéne nommée
Itchkérie par les indépendantistes, est un petit pays 15.500
km2, 1.103.686 hab. (2002). Le président est Ramzan Kadyrov
depuis février 2007. Pour l’histoire, au début du Moyen Âge, sur
le territoire de la Tchétchénie actuelle, se forma une union
multilingue des peuples nomades et sédentaires (dont les Alains),
l’Alanie. La peuplade des Nakhs prit rapidement de l’importance
au sein de l’Alanie jusqu’à l’invasion des Tatars-Mongols au
XIIIe siècle (tout particulièrement les troupes nomades des
commandants Djebé et Subötai (Soubdé) de Gengis Khan en 1238)
qui ravagèrent ce royaume. Sur les décombres de l’Alanie
s’érigea progressivement l’État musulman de Simsim, à son tour
anéanti en 1395 par le grand conquérant venu d’Asie centrale,
Tamerlan. Les Cosaques (colons libres russes) s’installèrent sur
la plaine tchétchène au bord des rivières Terek et Sounja (au
nord du pays) à partir du XVIe siècle. Dès le début de
l’occupation russe, le peuple tchétchène, réputé pour son
caractère montagnard, rejetant toute domination externe et
notamment chrétienne, mena une résistance féroce contre les
forces russes. Les chefs de la lutte de libération nationale,
Ouchourma, plus connu sous le nom de Cheïkh Mansour (à la tête
des insurrections en 1785-1791), Beïboulat Taïmiev (1819-1830)
et surtout le grand chef de guerre Chamil (1834-1859), devinrent
vite des figures emblématiques de cette lutte armée qui se solda
par un échec sanglant. La farouche résistance des tribus
montagnardes ne prit fin qu’avec la reddition, en 1859, du chef
musulman Chamil. La résistance, dans sa dimension historique et
mythique, se présente en élément central de la consolidation
d’une identité tchétchène. Le soufisme, un courant de l’islam
sunnite qui s’est implanté dans le Caucase du Nord-Est au début
du XIXe siècle, prône un rapport mystique du fidèle à Dieu, sans
intermédiaire. En Tchétchénie, l’allégeance religieuse se situe
au niveau de deux confréries soufies: la Naqchabandiyya et la
Qadiriyya». (2) En août 1996, le représentant tchétchène Aslan
Maskhadov et le secrétaire du Conseil de la sécurité de la
Russie, Alexandre Lebed, ont signé à Khassaviourt un accord de
paix mettant fin aux hostilités de la Première guerre de
Tchétchénie. Cet accord a ouvert la voie au retrait des forces
fédérales russes de la Tchétchénie et à l’indépendance de facto
de la république (les négociations sur le statut de la
Tchétchénie ont été repoussées à l’an 2000). En 1997 Aslan
Maskhadov, un leader tchétchène considéré comme modéré, ayant
établi des contacts constructifs avec Moscou, fut élu président,
opposé à Chamil Bassaïev. Deux conflits majeurs armés éclatent
entre le gouvernement fédéral et les groupes armés tchétchènes
en 1994-1995 et en 1999-2000. Selon les données de différentes
ONG, ces conflits auraient causé la mort de plusieurs dizaines
de milliers de personnes et le déplacement de quelque 350.000
réfugiés. La Deuxième guerre est déclenchée en septembre 1999,
sous le commandement de Vladimir Poutine, alors Premier ministre
russe. L’opération se solda par un rapide succès et la prise de
Grozny par les forces fédérales russes en janvier 2000. Poutine
instaura la gouvernance directe de Moscou dans la République.
Le 8 mars 2005, le président indépendantiste tchétchène Aslan
Maskhadov fut abattu à Tolstoï-Iourt suite à une «opération
spéciale» menée par les forces russes. La petite république
de Tchétchénie est relativement riche en pétrole et gaz naturel.
Une des raisons des conflits d’intérêts russes et américains
dans le Caucase n’est pas tant le contrôle des ressources
naturelles de ces territoires (que le contrôle de l’acheminement
de l’or noir depuis la mer Caspienne hors Russie (Azerbaïdjan,
Kazakhstan) dont les pipelines passent par cette région
(Géorgie, Arménie, Caucase du Nord russe - dont la Tchétchénie)
jusqu’aux ports de la Méditerranée, particulièrement le port de
Ceyhan en Turquie.(2)
Boualem Bessaieh décrit dans son ouvrage les parcours
exemplaires de l’Emir Abdelkader et de l’Imam Chamyl qui eurent
à combattre les pouvoirs répressifs français et tsaristes à la
même époque et qui furent tous les deux exilés loin de leur
pays. Ces deux hommes se trouvent aux deux extrémités de
l’Empire ottoman. Ils vont affronter des puissances
considérables de l’époque des territoires sous tutelle directe
ou indirecte de la Sublime Porte et en tout cas dans des zones
d’influences incontestables de l’Empire turc qui est incapable
de réagir à l’expansion russe, française et anglaise sur les
marches de son empire comme il est incapable de réagir à Mohamed
Ali Pacha en Egypte et à l’expansion wahhabite au Hedjaz. (..)
Entre la montée en force des puissances européennes et le déclin
inexorable de la puissance turque, ils porteront une idée neuve
qu’ils n’arrivent pas tout à fait à formuler pour leurs peuples,
celle de nation.
Sur l’instant ils luttent contre des infidèles et des
envahisseurs. Leurs référents idéologiques dominants sont
religieux, leur expérience de l’Etat est celle de leur monde qui
n’a pas encore enfanté avec netteté l’idée nationale même si
elle fait son chemin. Pourtant, ils en jetteront les bases avec
plus de réussite pour l’Algérie au vu des développements
ultérieurs. (...) Ce texte sur l’imam Chamyl est le deuxième que
Boualem Bessaïeh lui consacre. En quelques tableaux, il met le
lecteur au coeur du processus de conquête du Caucase par la
Russie tsariste. A chaque tableau, il développe un des facteurs
de la confrontation et de son évolution.(3)
Pour en revenir à la lutte actuelle, selon les premiers éléments
de l’enquête, écrit le Monde Djennet Abdourakhmanova aurait tué
une vingtaine de personnes en actionnant les explosifs qu’elle
portait dissimulés autour de la taille dans la station de métro
Loubianka lundi matin, rapporte vendredi le quotidien Kommersant.
Les autorités ont également établi que Djennet était la veuve -
depuis à peine trois mois - d’un proche de l’«émir du Caucase»,
le chef rebelle islamiste qui a revendiqué cette semaine les
deux attentats et promis de nouvelles frappes contre la
population civile russe. L’époux de Djennet, alias «Al-Bara»,
aussi surnommé l’«émir du Daguestan». Il avait été abattu
le 31 décembre 2009. Les deux jeunes gens s’étaient rencontrés
via Internet lorsque la jeune fille n’était encore âgée que de
16 ans. Les femmes kamikazes, souvent surnommées «veuves
noires», sont l’arme privilégiée de la rébellion islamiste
du Caucase du Nord. Les spécialistes considèrent que c’est
souvent la vengeance ou la manipulation, plutôt que leurs
convictions, qui les poussent à passer à l’acte. Le quotidien
Moskovski Komsomolets indique pour sa part que la police a
retrouvé sur Djennet une lettre d’amour écrite en arabe se
terminant par les mots «Nous nous verrons au ciel».(4)
Actes de désespoir
En visite éclair dans la République caucasienne du Daghestan,
jeudi 1er avril, le président russe, Dmitri Medvedev, a dévoilé
son plan de lutte contre la rébellion islamiste qui défie le
Kremlin. Malgré l’apparente pacification de la Tchétchénie sous
la houlette de Ramzan Kadyrov, l’homme lige de Moscou, la guerre
entre les forces fédérales et la rébellion n’a jamais cessé. Au
nom de la lutte contre la rébellion, les forces fédérales, peu
regardantes sur les méthodes, commettent de nombreuses bavures
systématiquement impunies. Le 11 février à Archty, un village
ingouche, une patrouille du FSB (services de sécurité) a tué
sauvagement (par balles et armes blanches) plusieurs civils
occupés à cueillir de l’ail dans la forêt. Ni excuses, ni
enquête, ni condamnations: les familles des victimes sont
invitées à oublier. Les rares personnes qui dénoncent cet état
de fait sont assassinées,(...). Les dirigeants indépendantistes
modérés (Djokhar Doudaev, Aslan Maskhadov), avec lesquels Moscou
a refusé de s’entendre, préférant les éliminer, ont été
remplacés par une autre génération, adepte d’un islam radical et
hostile au compromis.(5) En fait, le pouvoir russe notamment
avec Poutine qui a un langage «spécifique» pour les
Tchéchènes n’a jamais voulu d’éléments modérés et d’une relative
autonomie de ce peuple. Le témoignage d’un dirigeant tchétchène
qui aurait pu arrêter cette guerre séculaire est poignant.Dans
une lettre «testament», adressée à M.Javier Solana, Haut
représentant de l’Union européenne pour la Politique étrangère
et de Sécurité commune, le président indépendantiste tchétchène
assassiné le 8 mars, avait appelé Moscou au dialogue, demandait
à l’Europe de s’impliquer dans le règlement du conflit comme
elle l’avait fait avec l’Ukraine. Ecoutons-le: «En mars 2003,
j’ai, par l’entremise de mon ministre des Affaires étrangères,
M.Ilyas Akhmadov, rendu publique une proposition de paix qui, se
faisant forte de l’expérience de la communauté internationale au
Timor Oriental et au Kosovo, voulait apporter une nouvelle
contribution à la résolution de ce conflit en prenant en compte
les légitimes intérêts en termes de sécurité de la partie russe,
et les trois exigences auxquelles la partie tchétchène ne peut
renoncer: un mécanisme de garantie internationale, sous une
forme ou sous une autre, de tout nouvel accord entre les deux
parties; une implication directe, durant une période de
transition, de la communauté internationale dans la construction
d’un Etat de Droit et de la démocratie en Tchétchénie et dans la
reconstruction matérielle de mon pays; et, au terme de cette
période de transition, une prise de décision finale, selon les
normes internationales en vigueur, sur le statut de la
Tchétchénie. Malheureusement, cette proposition, pas plus que
les précédentes, pas plus que la toute dernière, à savoir le
cessez-le-feu unilatéral que j’ai ordonné au début de cette
année, ne suscita d’autres réactions de la part des autorités de
Moscou (..). J’ai suivi avec toute l’attention que ma condition
de président-résistant me permettait les événements d’Ukraine,
la "révolution orange", et le rôle, décisif selon moi, joué par
l’Union européenne, dans son heureux dénouement. J’ai constaté
en particulier combien l’Europe pouvait être forte et efficace
quand elle décidait de parler d’une même voix, au travers des
interventions de différents Chefs d’Etat ou de gouvernement, ou
au travers de celle de son Haut représentant pour la Politique
étrangère et de Sécurité commune». «Quant aux actes
terroristes perpétrés par des franges de la résistance
tchétchène, je les ai, comme vous le savez, chaque fois
condamnés. Et je continuerai à le faire. Il reste que ce
terrorisme n’a rien à voir avec le terrorisme fondamentaliste
international. Il est le fait de désespérés qui ont, la plupart
du temps, perdu des proches dans des circonstances atroces, et
qui estiment pouvoir répondre à l’agresseur et à l’occupant en
utilisant les mêmes méthodes que celui-ci. (...). Le terrorisme
à l’oeuvre en Tchétchénie, qu’il soit le fait des forces
occupantes ou d’éléments isolés de la résistance, naît et
prospère sur la guerre, sur les violences les plus abjectes et
sur les violations quotidiennes et massives des droits les plus
fondamentaux. Seules la paix et la démocratie peuvent le
conjurer. Loin de vouloir exagérer l’importance de mon peuple
dans les affaires du monde et de l’Europe, il reste qu’il est
aujourd’hui victime d’une lente extermination et que la question
tchétchène constitue, pour le pouvoir de Moscou, un élément-clé
dans son oeuvre de déconstruction de la démocratie et de l’Etat
de droit (...)»(6)
Tout est résumé dans ce testament! En fait que l’on parle de
Tchétchénie, de Palestine on parle de la même chose, on a beau
diaboliser des actes de désespoir des kamikazes -mot japonais
qui désigne les pilotes qui se sont sacrifiés -il s’agit d’une
lutte pour la dignité humaine, l’aspect religieux est
secondaire. A quand une espérance pour ces peuples qui ont le
malheur de ne pas intéresser les puissants de ce monde?
1.Barbarie-répression, la spirale caucasienne. Le Monde
|02.04.10
2.Tchétchénie - Un article de Wikipédia, l’encyclopédie libre.
3.http://fr.allafrica.com/stories/201001140526.html
4. Djennet, «veuve noire» du métro de Moscou Le Monde.fr
avec AFP | 02.04.10
5.Marie Jégo-Le président russe renforce l’arsenal de lutte Le
Monde 02.04.10
6.L’ultime appel d’Aslan Maskhadov à l’Europe. Libération.fr le
25 février 2005
Pr Chems Eddine Chitour, Ecole nationale
polytechnique, enp-edu.dz
Droits de reproduction et de diffusion
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Publié le 5 avril 2010 avec l'aimable autorisation de l'Expression
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