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L'EXPRESSIONDZ.COM
ET SI L'OCCIDENT CESSAIT DE S'INGÉRER
Les peuples arabes seraient
maîtres de leur destin
Chems Eddine
Chitour
Manifestation au Yemen
Samedi 5 février 2011
«(...) Peuple des beaux départs: entraîné le
plus follement par le concept le plus abstrait, déployant dans
la lutte un courage et une invention sans limites, et
indifférent à la fin; peuple aussi instable que l’eau. Mais,
précisément, comme l’eau, assuré peut-être, à la fin, de la
victoire.»
Lawrence d’Arabie (Les Sept piliers de la sagesse)
On a tout dit de la Révolution de Jasmin,
on dit beaucoup de choses de la révolution du narguilé, qu’en
est-il exactement? Voilà des peuples arabes harassés par des
pouvoirs dictatoriaux soutenus à bout de bras par un Occident
qui trouve des vertus à la gestion calamiteuse de ces pays
pourvu que lui y trouve son compte; la doxa occidentale va
jusqu’à distribuer les couleurs et les parfums des révolutions.
On dit que les gouvernants arabes tremblent pour leur pouvoir.
Et que l’alternance au pouvoir se fait par l’émeute ou par le
darwinisme. A la décharge des Arabes, ils ont été, tout au long
du XXe siècle, manipulés par les puissances de l’époque qui
avaient, dans le sillage de la Première Guerre mondiale, procédé
au dépeçage de l’Empire ottoman.
Il est vrai que les peuples sont imprévisibles. Lawrence
d’Arabie, un fin connaisseur des Arabes et de leurs moeurs,
assénait à tort des certitudes qui font que les Arabes faisaient
des révolutions de cartouches mouillées, il disait à juste
titre, nous le lui concédons, que c’était un Peuple avec une
émotivité irrationnelle. Il écrivait: «Ce peuple à l’esprit
étroitement limité, peut laisser en friche son intelligence avec
une résignation dépourvue de curiosité. Son imagination est
vive; elle n’est pas créatrice. La grande industrie leur est
étrangère...Peuple de convulsions, de soulèvements,
d’illuminations mentales: race du génie individuel. L’instinct
règle leurs convictions; (...)..»
C’est peut-être la dernière phrase qui serait capable
d’expliquer in fine, le résultat de ces révolutions. Ce que
Lawrence d’Arabie ne dit pas est que les peuples en général et
les peuples en particulier ne pourront s’émanciper que si leur
révolution est endogène et n’est pas parasitée de l’extérieur
par des ingérences de l’Occident comme c’est le cas pour le
Monde dit arabe, tant il est vrai que les locuteurs de l’arabe
ne sont pas, dans une grande mesure au sens strict, des Arabes,
mais des peuples qui ont embrassé l’Islam avec leur propre
spécificité.
Justement, à propos d’ingérence, le journaliste El Houssine
Madjoubi fait le point de quelques ingérences qui retardent les
pays arabes. «L’Europe, dit-il, France en tête, est complice des
crimes des dictatures du Monde arabe. Les habitants du Monde
arabe suivent avec grand intérêt et enthousiasme les événements
historiques qui ont lieu en Tunisie. Cette révolution met en
évidence non seulement le rôle crucial des nouvelles
technologies pour mobiliser les peuples, mais aussi le rôle
répugnant de l’Occident, qui apporte un soutien inconditionnel à
la perpétuation de dictatures moyenâgeuses. Malgré le manque de
libertés, l’injustice sociale, les niveaux insupportables de
corruption et l’Etat policier, l’Occident n’a cessé de défendre
ces régimes. Jusqu’à ce que Ben Ali soit renversé, l’Occident le
considérait comme un «élève exemplaire». D’un côté, l’Union
européenne, France en tête, fait pression sur les présidents
ivoirien, soudanais et iranien, et de l’autre, elle garde un
silence plus que suspect sur ce qui se passe dans le Monde
arabe, et surtout au Maghreb. Si l’Occident a joué un rôle
crucial dans la démocratisation des pays de l’Europe de l’Est,
il fait tout le contraire avec les pays arabes. Non seulement il
soutient les régimes dictatoriaux, mais il les aide à piller les
richesses nationales en leur permettant d’ouvrir des comptes où
ils peuvent déposer leur butin, et d’acquérir des biens
immobiliers et des actions de grandes entreprises européennes
Pis, l’Occident ne cesse de répéter qu’il lutte contre les
mouvements islamistes et les terroristes, mais les études
sociologiques montrent que le fanatisme découle directement de
l’injustice sociale et de la corruption de ces régimes
dictatoriaux. Malgré cela, l’Occident ferme les yeux sur cette
réalité et sur ces faits et se lie avec les dictatures.(1)
Bush avait-il raison avec sa démocratie
aéroportée?
Les détracteurs de l’approche «pragmatique» d’Obama écrit Howard
LaFranchi dans le The Christian Science Monitor, vis-à-vis des
régimes arabes, affirment que son prédécesseur avait raison de
mettre la démocratie en avant, si besoin était par la force.
D’autres soutiennent, au contraire, que la guerre en Irak n’a
fait qu’en retarder l’avènement au Moyen-Orient. (2)
La politique étrangère des Etats-Unis, telle que la concevait le
président George W. Bush, a-t-elle quelque chose à voir avec les
manifestations en faveur de la démocratie qui ébranlent
aujourd’hui le régime égyptien et contraignent le reste du Monde
arabe à s’adapter? Face aux événements de ces dernières semaines
dans le «grand Moyen-Orient», il est naturel que la politique
étrangère du président Obama fasse l’objet d’une analyse
attentive (...). Mais de ce fait, un bras de fer qui n’avait
jamais vraiment pris fin et qui oppose partisans et adversaires
de «l’agenda de la liberté» de Bush connaît un regain en
Amérique même. Si certains experts voient dans les
bouleversements en Egypte une justification de sa volonté de
hâter la démocratisation dans la région, d’autres laissent
entendre que la politique de l’ancien président a fait plus de
mal que de bien aux forces favorables à la démocratie sur place.
(2)
Elliott Abrams, conseiller adjoint à la Sécurité nationale
durant la présidence de Bush, explique que ce dernier était
fermement convaincu que les Arabes éprouvaient le même désir de
«liberté» que les autres peuples et que les dictatures «ne sont
jamais vraiment stables». S’exprimant dimanche, dans les
colonnes du Washington Post, il cite un extrait d’un discours de
Bush en 2003: «Tant qu’au Moyen-Orient, la liberté ne pourra
toujours pas prospérer, la région restera synonyme de
stagnation, de ressentiment et d’une violence qui ne demande
qu’à s’exporter.» Il ajoute que «la révolte en Tunisie, la vague
gigantesque des manifestations en Egypte et les marches plus
récentes au Yémen, montrent toutes clairement que Bush avait
raison - et que le rejet de cette orientation par le
gouvernement Obama n’est rien moins qu’une tragédie». Shibley
Telhami, spécialiste du Moyen-Orient à l’Université du Maryland,
n’est pas de cet avis. Il assure que les Etats-Unis doivent à
tout prix s’abstenir d’imposer un résultat dans la région -
aussi démocratiques et favorables à la liberté que soient leurs
propres idées. «Quand le gouvernement Bush s’est servi de la
guerre en Irak comme d’un vecteur de diffusion du changement
démocratique au Moyen-Orient, écrit-il, le ressentiment à
l’égard des Etats-Unis, et la profonde méfiance qu’inspirent
leurs intentions, ont acculé à la défensive les authentiques
partisans de la démocratie dans la région.»(2)
Pourtant, on a l’impression que les peuples arabes lèvent la
tête et veulent réellement être acteurs de leurs destins. On le
voit, le soldat Moubarak ne sera pas sauvé mais tout sera fait
pour que ceux qui sont comme lui, émergeront. Quelles que soient
les visions de Bush, celle de la démocratie aéroportée ou celle
d’Obama du «soft power», la chute de Moubarak est inéluctable.
Dans une analyse magistrale et sans concession, Khaled Hroub
énumère les conditions d’un renouveau. «L’exemple tunisien,
écrit-il, montre que la stabilité et la modernité de façade
ainsi que le soutien de l’Occident ne suffisent pas à sauver une
dictature. La principale leçon à tirer des événements de la
Tunisie est que la stabilité d’un pays ne peut être qu’apparente
si elle est fondée sur le verrouillage de la vie politique et
sur l’accaparement du pouvoir. Certes, à court terme, on peut
promouvoir à l’intérieur et à l’extérieur l’image d’un pays
stable et beaucoup de gens l’attesteront, surtout si le pays en
question est l’allié des pays occidentaux. C’est à la fois
trompeur et dangereux, puisque cette apparence de stabilité
n’est qu’une couche de vernis au-dessus du volcan. La deuxième
leçon concerne l’instrumentalisation de la modernité et de la
laïcité. Elle produit des effets puissants, nourris de la
crainte très répandue et amplement justifiée que la seule
alternative aux régimes en place serait les islamistes.
Que doivent faire les Arabes en dépit
des ingérences inébranlables?
Ainsi, le choix se réduit à des régimes laïcs corrompus et
tyranniques d’un côté, et de l’autre à des mouvements
fondamentalistes aux programmes obscurs, tel qu’on peut le
constater en Iran, au Soudan ou à Ghaza avec le Hamas. Ainsi,
beaucoup arguent qu’on peut être acculé à prendre parti pour les
régimes en place. Ce point de vue n’est pas dépourvu d’une
certaine pertinence et ne peut être écarté d’un revers de la
main. Toutefois, l’expérience et un nombre croissant de
témoignages contredisent la logique qui le sous-tend. Là encore,
à long terme, la modernité et la laïcité ont tout à perdre à
être représentées par des régimes corrompus. Leurs échecs et les
dégâts qu’ils ont infligés à ces valeurs ont été le principal
moteur de la montée des courants islamistes.» (3)
«La troisième leçon à tirer est qu’il faut réviser l’accusation
accablante qui est faite à la jeunesse arabe, la décrivant comme
futile - puisqu’il s’agirait de la génération Star Ac’ - et
indifférente à la chose publique. En réalité, cette jeunesse
arabe est consciente de ce qui se passe et elle est même prête
au sacrifice suprême pour affronter la tyrannie et l’injustice.
L’exemple tunisien montre également que la rue arabe n’est pas
seulement investie par les jeunes militants islamistes. Il
s’agit d’un mouvement global que l’on ne peut réduire à tel ou
tel courant, islamiste ou laïc. Les images venant de Tunisie
semblent même indiquer l’absence d’islamistes. La quatrième
leçon est qu’il n’est plus possible pour aucun régime arabe de
s’abriter derrière des succès économiques pour perpétuer ses
méthodes répressives. Il n’est pas possible de réaliser une
réforme et une ouverture économiques sans les accompagner d’une
réforme et d’une ouverture politiques. Il suffit de rappeler que
l’égalité des chances, la transparence et le principe de
responsabilité sont au coeur de toute réussite économique. Tout
cela ne peut prospérer que dans un climat de liberté politique
et dans le cadre d’un Etat de droit. En l’absence d’une justice
indépendante, de pluralisme politique et d’une presse libre, une
économie en apparence florissante crée très vite un climat de
corruption généralisée». (3)
«La cinquième leçon est qu’on ne peut assurer une stabilité
durable en voulant compenser l’absence de légitimité intérieure
par un appui extérieur. Il n’y a aucune alternative à une
légitimité fondée sur un consensus et consolidée par des
structures institutionnelles. Les deux plus proches alliés du
régime tunisien, la France et les Etats-Unis, qui avaient gardé
un silence honteux, ont été contraints de critiquer ouvertement
l’usage disproportionné de la force. L’Histoire nous enseigne
que les grandes puissances occidentales n’hésitent pas à
changer, le moment venu, de cheval de bataille. (3)
Qu’en est-il de notre pays?
L’Algérie ne ressemble à aucun autre pays. Elle a payé le prix
du sang de la glorieuse révolution, point d’orgue d’une
colonisation abjecte d’un Occident imbu de sa certitude qu’il
appartient à la race des seigneurs. Elle a payé le prix du sang
avec la décennie rouge, période où l’Occident comptait les
points avec le «qui tue qui». Elle en est sortie vaccinée, il
n’est pas dans son intérêt de repartir à zéro elle qui a vécu
dans sa chair l’ouverture démocratique. Toute la sagesse des
dirigeants c’est de préparer dans le calme et la sérénité,
l’alternance au pouvoir en libérant sans arrière-pensée tous les
espaces démocratiques. A ce titre, ce qu’a décidé le pouvoir, va
dans la bonne direction, L’ouverture du champ médiatique,
notamment la télévision, est important. Il permettra enfin, en
dehors des accusations classiques de connaître enfin, ce que
proposent les partis politiques de l’opposition comme projet de
société pour les vingt prochaines années. Et là, la démagogie ne
suffit pas, outre le fait qu’elle est contre-productive, elle ne
fera que reculer l’échéance d’un état des lieux sans
complaisance. Cela étant dit, la société civile, les
intellectuels ont aussi leur mot à dire même s’ils ne se sentent
aucun atome crochu avec les partis politiques au pouvoir ou dans
l’opposition. Est-ce suffisant? Assurément non! Le monde est
impitoyable, l’aisance de l’Algérie actuelle ne doit pas cacher
les problèmes réels auxquels doit s’atteler l’Algérie et chaque
citoyen est partie prenante du destin de ce pays. Alors, le
phénomène douloureux et justifié des harragas, de ces jeunes qui
s’immolent, appartiendra à l’histoire.
1. El-Houssine Majdoubi: L’Occident, un obstacle à la
démocratisation - El País20.01.2011
2. Howard LaFranchi: Et si Bush avait eu raison? The Christian
Science Monitor02.02.2011
3. Khaled Hroub: Cinq leçons pour les Arabes. Al Hayat20.01.2011
Pr Chems Eddine Chitour,
Ecole nationale polytechnique
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Publié le 5 février 2011 avec l'aimable autorisation de l'Expression
Les textes du Pr Chems Eddine Chitour
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