Comment je vois le Monde
Esprit de Novembre
en Algérie :
Les défis du XXIe siècle
Chems Eddine Chitour
Le Pr
Chems Eddine Chitour
Samedi 3 novembre
2012
«La révolution se
fera même avec les singes de la Chiffa»
Mohamed Boudiaf membre des 22,
coordonateur des 6
On le sait, avec un rituel de métronome,
chaque année, on réchauffe péniblement,
avec de moins en moins d'imagination, la
symbolique du 1er Novembre en invitant
les anciens de plus en plus âgés à venir
témoigner le temps d'une collation. Dans
ce partage des rôles, l'année 2012 n'a
pas dérogé au rituel. On se retrouve
entre anciens et on laisse aux jeunes le
soin de valser au son de «50 ans- 50
chansons», la nouvelle trouvaille qui
permet de sacrifier à la cérémonie en
faisant le minimum syndical et en
divertissant une fois de plus les jeunes
dans la plus pire tradition de «Panem et
circenses»; c'est-à-dire «du pain et des
jeux de cirque» à la plèbe romaine pour
lui permettre d'oublier que l'Empire est
en déclin et pour amortir les révoltes,
voire les différer.
Ces jeunes, que l'on craint, au lieu de
leur indiquer le sens de l'effort, ne
connaissent rien de l'histoire de
l'Algérie qui, pourtant -sans être
éduqués dans le culte de la patrie- ont
au fond d'eux-mêmes le «feu sacré» qui
fait que nous pourrions faire des
Algériens un peuple fasciné par
l'avenir. Comment et pourquoi la
Révolution a embrasé l'Algérie? Deux
faits résument l'état de délabrement
physique et psychique de la société
algérienne disloquée par 130 ans de
racisme. Faut-il évoquer, comme le
rapporte le Journal de la Révolution «El
Moudjahid»: «ces officiers bourgeois qui
se faisaient transporter à dos d'homme
par des «portefaix professionnels» à un
bal du duc d'Orléans, et portant
l'inscription infamante «Arabe soumis» -
une sorte d'étoile jaune avant l'heure
un siècle avant celle des juifs- que,
par ordre de Bugeaud, des Algériens
étaient tenus d'afficher sur leurs
vêtements.
A bien des égards, vu le combat
titanesque de ces pionniers qui ont fait
embraser le monde avec cette flamme de
la révolution, à telle enseigne que des
thèses étaient soutenues sur la
révolution, a cependant été un modèle de
lutte pour la dignité humaine pour les
peuples colonisés. Souvenons-nous de cet
appel du 1er Novembre qui n'a pas perdu
un pli: «C'est ainsi que notre Mouvement
national, terrassé par des années
d'immobilisme et de routine, mal
orienté, privé du soutien indispensable
de l'opinion populaire, dépassé par les
événements, se désagrège progressivement
à la grande satisfaction du colonialisme
qui croit avoir remporté la plus grande
victoire de sa lutte contre
l'avant-garde algérienne.» C'est par cet
appel qu'une poignée de dignes fils de
l'Algérie profonde et qui ne dépassaient
pas la trentaine décidaient de se battre
contre une puissance membre de l'Otan
qui devait déployer plus de 500.000
soldats avec pour tout viatique leur foi
en l'inéluctabilité du combat et en la
victoire.
«Pour comprendre, écrit Yves Courrières,
comment certaines hommes de valeur qui
vont jouer un rôle essentiel dans la
préparation de cette révolution, en sont
arrivés à l'action armée, il est
nécessaire de retracer l'histoire de
leurs déceptions, de leurs rancunes.
Beaucoup ont fait la guerre 1939-1945
avec héroïsme. Il y a des croix de
guerre et des médailles militaires sur
la poitrine d'entre ceux qui chasseront
la France d'Algérie.» (1)
L'Algérie de 2012
et ses contradictions
A l'Indépendance, nous étions tout feu,
tout flamme et nous tirions notre
légitimité internationale de l'aura de
la glorieuse Révolution de Novembre. La
flamme de la Révolution s'est refroidie
en rites sans conviction pour donner
l'illusion de la continuité. L'Algérie
de 2012, qu'est-ce que c'est? Un pays
qui se cherche, qui n'a pas divorcé
d'avec ses démons du régionalisme, du
népotisme? qui peine à se déployer, qui
prend du retard, qui vit sur une rente
immorale car elle n'est pas celle de
l'effort, de la sueur, de la créativité?
C'est tout cela en même temps! br>
Le pays s'enfonce inexorablement dans
une espèce de farniente trompeur tant
que le baril couvre notre gabegie. Notre
système éducatif est en miettes. Notre
université est moribonde, les jeunes
diplômés se sauvent du pays; il est
curieux de remarquer que l'université
n'est jamais sollicitée. A-t-on vu le
pouvoir récompenser des jeunes pour leur
innovation, leur recherche, des
enseignants pour leur sacerdoce? Qu'on
se le dise, les 11 millions d'élèves, le
million et demi d'étudiants, les cinq
cent mille enseignants de l'éducation et
les 50.000 du supérieur, ne représentent
rien dans l'échelle actuelle des
valeurs. Pourquoi ne flatte-t-on les
Algériens que dans le sens de la
facilité? A savoir le soporifique du
football, une drogue sans lendemain, et
les soirées musicales, c'est à se
demander à quoi sert le ministère de la
sous-culture chargé d'administrer à
longueur d'année des soporifiques aux
jeunes.
Une
humiliation de plus de cette France
ambivalente
Parallèlement, on apprend qu'à la veille
du 1er Novembre, Mohamed Cherif Abbas,
le ministre des Moudjahidine, a appelé
la France à une reconnaissance franche
des crimes coloniaux commis en Algérie.
Au «regard des crimes perpétrés par ce
colonisateur contre un peuple sans
défense et compte tenu de leur impact
dans l'esprit même des générations qui
n'ont pas vécu cette période, sachant
que tout un chacun connaît les affres
subies par notre peuple du fait de la
torture, des mutilations et de la
destruction, les Algériens veulent une
reconnaissance franche des crimes
perpétrés à leur encontre». Dans le même
ordre, dans une déclaration rendue
publique, il y a trois jours, Farouk
Ksentini avait affirmé que la
colonisation "a été un crime massif" et
a invité la France à ´´se repentir si
elle envisage d'établir avec l'Algérie
de bonnes relations. Me Ksentini avait
également fait part des souffrances du
peuple algérien "dont il n'est pas sorti
indemne et qu'il ne peut effacer de sa
mémoire" . Non sans signaler que la
repentance n'est "ni une danse
humiliante ni un aveu"». (2)
La réponse de l’autre France- après les
mots d’apaisement de François Hollande-
nous a été donnée par le bras d'honneur
de Gérard Longuet, ancien ministre de la
Défense de la présidence précédente.
Peut-on avoir de doute sur ces propos?
Non, à regarder le profil de l'intéressé
nous lisons dans l'Encyclopédie
Wikipédia: «Gérard Longuet prend part,
en compagnie d'Alain Madelin, à la
création du mouvement Occident,
groupuscule d'extrême droite souvent
impliqué dans des affrontements violents
contre l'extrême gauche. Gérard Longuet
est inculpé et condamné le 12 juillet
1967 en même temps que douze autres
militants d'extrême droite, dont Alain
Madelin, Alain Robert et Patrick
Devedjian. Après la dissolution,
«d'Occident» en octobre 1968, il rejoint
le Groupe union défense (GUD),
groupuscule d'extrême droite puis «Ordre
nouveau», destiné à rassembler les
nationalistes. En 1972, il rédige le
premier programme économique du Front
national, créé la même année.»
Un autre triste personnage , Gérard
Collard va plus loin: «Il a bien fait,
il a enfin un peu d'honneur au bout du
bras. Moi, j'ajoute mon bras à celui de
monsieur Longuet (...). Il a bien fait
de le faire et j'espère que ce bras
d'honneur a été tellement amplifié par
les médias que ceux qui nous demandent
de nous repentir l'ont reçu en pleine
figure.» Pauvre Algérie être traitée de
la sorte pour cette maladresse ou cette
décision délibérée et n'avoir comme
réponse pour le moment que le silence de
la défaite, de la pensée ou les
rodomontades qui appartiennent au siècle
passé. Imaginons ces tristes personnages
faire cela à l'endroit d'Israël ou des
juifs quand le président Hollande
reconnaissait la responsabilité de la
France dans la déportation des juifs à
partir du Vélodrome d'hiver que les
Algériens ont eu à redécouvrir dans les
Nuits de cristal du 17 au 21 octobre
1961. Il est à parier qu'ils ne le
feront pas! à moins d'être fous pour le
faire car ils signent leur arrêt de mort
politique.
En fait, tout est là, il n'est pas
question d'histoire mais de rapports de
force. Ces bras d'honneur se veulent un
discours politique pour en finir avec
l'hypocrisie d'une amitié retrouvée.
C'est donc des «nostalgériques» de la
première heure! Il n'y a donc pas à
s'indigner, on sait à quoi s'attendre.
En fait, Longuet exprime tout haut et
avec un geste indigne l'état d'esprit de
cette France de la droite extrême dont
le fond rocheux est profondément raciste
car sûr de son bon droit vis-à-vis des
races inférieures.
Ceci étant dit en écoutant à l'autre
bout du curseur - en théorie - le
ministre des Affaires étrangères, on
s'aperçoit que l'idéologie concernant la
manière dont il faudra traiter
l'Algérie, fait l'objet d'un consensus
qui transcende les clivages
gauche-droite dont on s'aperçoit de plus
qu'ils n'existent plus face à un
néolibéralisme qui poursuit sa marche
dévastatrice, laissant aux
nationalistes, aux xénophobes le soin de
faire diversion. Il n'y a rien à
attendre de ce côté. Rien de nouveau
sous le soleil .Seule notre puissance
scientifique, économique culturelle
permettra de faire comprendre à la
France, le gain qu'elle aura à
développer avec l'Algérie une
coopération d'égale à égale. La
nécessité pour elle de reconnaître sa
faute- ce qu'elle a fait avec d'autres
pays- sera, alors, le premier pas d'un
réel départ pour des relations apaisées.
Quelques
réflexions pour un nécessaire nouveau
départ
Notre indépendance a atteint l'âge de
raison. Mais l'Algérie peine toujours à
se redéployer dans un environnement
mondial de plus en plus hostile. Est-ce
parce qu'elle n'abrite pas en son sein
les compétences à même de la faire
sortir de l'ornière? Est-ce qu'elle n'a
pas les ressources qui lui permettraient
de financer son développement? Non!
Comment alors expliquer cette panne dans
l'action qui fait que nous sommes encore
à chercher un projet de société et à
vivre au quotidien gaspillant une rente
imméritée qui hypothèque lentement mais
sûrement l'avenir de nos enfants, leur
laissant, ce faisant, une terre inculte,
ouverte à tout vent où rien de
«construit» par l'intelligence de
l'homme ne lui donnera une singularité.
Il nous faut repartir du bon pied en
nous attaquant sans les différer aux
différents défis. Il nous faut sans plus
tarder arriver à savoir ce que nous
sommes.
Qu'est-ce
qu'être Algérien au XXIe siècle?
Nous sommes en 2012, il y a encore des
Algériens qui s'identifient à leurs
tribus, leurs régions, leurs quartiers.
Il y a ceux qui sont encore arrimés
mentalement à une sphère moyen-orientale
au nom d'une arabité de la résurrection
(El Baâth), il y a ceux qui pensent
qu'il faut en revenir au socle rocheux
amazigh maghrébin. Il y a enfin ceux qui
ne parlent pas de pays mais de oumma.
Dans cette errance identitaire il n'y a
pas de place pour l'homme qui se veut
être Algérien sans n'appartenir à aucune
de ces catégories. C'est le cas à titre
d'exemple de tous ceux qui à défaut
d'être traités comme des «Algériens à
part entière», sont traités comme des
«Algériens entièrement à part!». C'est
dire que le moment est venu pour que
l'Algérie fasse son aggiornamento pour
enraciner dans le coeur des Algériens
«ce désir d'être ensemble et de faire
que la nation comme le dit si bien
Renan, soit un plébiscite de tous les
jours.
L'apport
bien compris du Service national
Pour cela, l'un des moteurs de la
consolidation de l'identité algérienne,
en l'occurrence, le Service national,
doit être urgemment réhabilité avec une
feuille de route pour aussi participer à
l'édification du pays par une politique
de grands travaux. L'opinion publique
nationale est tenue loin d'un dossier
aussi sensible que le dossier malien,
alors qu'un débat sérieux aurait dégagé
un consensus plus large et pour le moins
nécessaire. Les vrais décideurs sont
ailleurs. Les grands de ce monde n'ont
aucun état d'âme. L'Afghanisation du
Mali est en marche. Comment alors gérer
nos frontières et contenir un tsunami
dont nous ne maîtrisons ni les tenants
ni les aboutissants?
Le monde a changé. Le chaos malien est à
nos portes. La seule chose à reconnaître
au pouvoir est que nous arrivons à
résister aux loups qui attendent la
curée à quel prix? Sûrement avec ce qui
nous reste de sagesse d'une époque où la
diplomatie algérienne était rayonnante
mais pas seulement, il faut savoir
ployer pour ne pas rompre d'autant que
nous n'avons pas d'anticorps de défense
immunitaire n'ayant pas de relèves et
les partis actuels seraient utiles en
incitant les Algériens à travailler,
s'instruire, bref être une nouvelle
Révolution, celle de l'intelligence.
Les autres
défis
Comment préparer l'avenir en ayant une
politique extérieure qu'il faudra
expliquer au peuple pour avoir son
adhésion. Comment peut-on reconstruire
le système éducatif autrement que de le
laisser foncer dans l'inconnu avec des
mots creux comme l'approche par
compétence ou le fumeux LMD dont on
connait les prouesses? Comment tourner
le dos à la rente en mettant en place
une stratégie énergétique où on ne parle
plus de gaz de schiste pour la
génération actuelle mais comme viatique
pour les générations futures? Ce sont
tout cela une partie des défis qui nous
attendent et que nous devons affronter
en mettant les Algériens au travail
Qu'on se le dise! L'Algérie n'est pas
sortie de l'ornière tant que le peuple
n'est pas associé à son destin,
l'Algérie sera vulnérable. Il nous faut
changer de fusil d'épaule. Nous avons
perdu notre indépendance graduellement
depuis 50 ans en acceptant de devenir
vulnérables, la rente ayant anesthésié
toute mise en marche de nos neurones à
telle enseigne que tout est importé,
l'Algérie se contente de consommer ce
qui ne nous appartient pas.
La devise néolibérale: «Ne pensez pas,
dépensez!» a trouvé en Algérie une
brillante application. Jusqu'à quand? Le
combat que nous devons mener dans ce
XXIe siècle de tous les dangers est de
donner une nouvelle indépendance à
l'Algérie. La réponse indigne de tous
les Longuet de France et de Navarre ne
doit pas nous empêcher de donner une
chance de dialogue d'une égale dignité
au gouvernement Hollande pourvu que
l’approche soit sincère et non ambigüe.
Cependant Le premier Novembre de Papa
appartient à l'histoire, par contre
l'Esprit de Novembre qui a fait que des
jeunes par leur sacrifice suprême ont
arraché l'Algérie des griffes du pouvoir
colonial est toujours en nous. Nous
devons le réanimer chacun de nous en
donnant l'exemple de l'abnégation. Pour
cela seul le parler vrai, l'honnêteté et
le travail permettront à nos aînés de se
reposer enfin, sachant que le flambeau
est définitivement entre de bonnes
mains.
1. Yves Courrières «Les fils de la
Toussaint» p.30. Editions Fayard 2001.
Casbah 2005
2.http://www.libertealgerie.com/actualite/cherif-
abbas
-invite-a-son-tour-la-france-a-se-repentir-apres-la-sortie-de-farouk-ksentini-187933
Professeur émérite Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique Alger enp-edu.dz
Publié le 5 novembre 2012 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
Le sommaire du Pr Chems Eddine Chitour
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