Comment je
vois le monde
Vingt ans après
Oslo :
Disparition de l'Etat de Palestine et
menace sur l'Iran
Chems Eddine Chitour
Le Pr
Chems Eddine Chitour
Jeudi 3 octobre 2013
«Celui
qui m'a transformé en réfugié m'a
transformé en bombe»
Mahmoud Darwiche
Il y a vingt ans, le 13 septembre 1993,
étaient signés les accords d'Oslo par
Yasser Arafat et Yitzhak Rabin. Mais
l'espoir soulevé par ce traité
historique s'est évanoui, au désarroi
des Palestiniens qui attendent toujours
leur État. L'image historique est encore
dans les mémoires: Yasser Arafat et
Yitzhak Rabin se serrant la main sur la
pelouse de la Maison-Blanche en présence
de Bill Clinton. C'était le 13 septembre
1993. Les accords devaient poser les
jalons pour régler le conflit
israélo-palestinien et établir les bases
d'une autonomie palestinienne à
l'intérieur des frontières de 1967.
Les
critiques et les soutiens de l'accord de
la défaite
Il ne faut pas croire que cet accord a
fait l'unanimité. Edward Saïd,
l'Ecrivain américain d'origine
palestinienne, démissionna du CNP et fut
très critique Dans un essai d'une
lucidité très actuelle, Edward Saïd
écrivait à l'automne 1993 dans la London
Review of Books: «A présent, écrit-il,
que l'euphorie s'est un peu évaporée,
nous pouvons réexaminer l'accord
Israël-OLP avec tout le bon sens
nécessaire. Il ressort de cet examen que
l'accord est plus imparfait, et pour la
plupart des Palestiniens, plus
déséquilibré que ce que beaucoup
supposaient au départ. Les vulgarités du
défilé de mode de la cérémonie à la
Maison-Blanche, le spectacle dégradant
de Yasser Arafat remerciant tout le
monde pour la privation de la plupart
des droits de son peuple, et la stupide
apparition de Bill Clinton en empereur
romain du XXe siècle pilotant ses deux
rois vassaux à travers les rituels de la
réconciliation et de l'obéissance: tout
cela n'a obnubilé que temporairement les
proportions vraiment incroyables de la
capitulation palestinienne. Alors, avant
tout, appelons cet accord de son vrai
nom: un outil de la capitulation
palestinienne, un Versailles
palestinien. Ce qui le rend pire encore,
c'est qu'au cours des 15 dernières
années, l'OLP aurait pu négocier un
arrangement meilleur que ce Plan Allon
modifié, et exigeant de faire moins de
concessions unilatérales à Israël
(...).» (1)
Il y a naturellement parmi les
Palestiniens des laudateurs qui font
dans la méthode Coué pour défendre
l'indéfendable du fait de leur statut
privilégié. Leila Shahid souligne comme
principale raison de l'échec des accords
d'Oslo, l'annexion de territoires par
l'État hébreu et «notamment
Jérusalem-Est qui doit devenir la
capitale de la Palestine, et beaucoup de
territoires en Cisjordanie». Dénonçant
la poursuite de la colonisation
israélienne, elle rappelle
qu'aujourd'hui «520.000 colons habitent
dans le territoire palestinien». Et de
conclure: «Si on veut vraiment négocier
sur la base de deux États, il faut être
cohérent et arrêter de construire un
mur, des colonies et d'importer des
gens. A moins qu'Israël ne souhaite un
État d'apartheid.»
Ce n'est pas l'avis d'un besogneux d'un
Palestinien d'en bas: «A Hébron, Moussa
Jaber, un ouvrier agricole palestinien,
témoigne de ce sentiment de désespoir.
«Ma maison est vieille et j'aimerais en
construire une autre, mais on nous
l'interdit», confie-t-il aux reporters
de l'AFP. «Par contre, les Israéliens ne
se gênent pas pour construire»,
observe-t-il, amer, en désignant du
doigt un lotissement en face. Et
d'ajouter: «Les maisons de Kiryat Arba
[une colonie], en face, sont toutes
neuves, mais si on construisait une
maison, ils viendraient la démolir».
(...) Après trois ans de gel, Israéliens
et Palestiniens ont repris le 29 juillet
2013 des négociations directes sous
parrainage américain. La colonisation
continue plus que jamais. (2)
La triste réalité
des accords d'Oslo: les conséquences du
processus de paix
Quatre marqueurs permettent au-delà de
tout discours de se rendre compte du
bilan de vingt ans d'occupation: les
forces israéliennes auraient tué 7000
palestiniens dont l'opération Plomb
durci avec le meurtre de 1 500 personnes
en 2007-2008 dont 450 enfants. Le
Rapport Goldstone qui pointe du doigt
les crimes d'Israël a été jeté aux
orties avec la complicité de Mahmoud
Abbas qui s'en tient toujours à l'utopie
de recueillir des miettes de la partie
israélienne malgré des discours
ésotériques à mille lieues de la
réalité; Oslo c'est aussi 12.000 maisons
détruites par Israël avec interdiction
aux Palestiniens de réparer ou de
construire de nouvelles maisons. Oslo
c'est ensuite la colonisation avec plus
de 250 000 nouveaux colons sur les
terres palestiniennes qui s'ajoutent aux
250 000 précédents; Oslo c'est aussi la
judaïsation rampante d'El Qods avec la
sape des fondations de la mosquée d'Omar
pour cause de fouille concernant
l'ancien Temple de Jérusalem. Oslo c'est
aussi la destruction de l'aéroport de
Ghaza construit par les fonds
européens...
Ghaza c'est enfin et sans être exhaustif
l'apartheid dans toute son horreur avec
son cortège d'humiliations au quotidien,
la pénurie des eaux d'un côté et
l'abondance de l'autre, c'est les
restrictions concernant les Palestiniens
qui vivent en apnée. C'est les meurtres
des humanitaires des flottilles venant
apporter un peu d'espoir aux Ghazaouis.
C'est le mur d'apartheid de 700 km qui a
été condamné en vain par la Cour pénale
internationale, mur qui a pris la relève
de celui de Berlin tant honni par
l'Occident dont l'indignation est plus
que jamais sélective au point de laisser
40 résolutions sans effet; et l'invasion
de l'Irak avec en prime la pendaison de
Saddam Hussein s'est faite sans
résolution de l'ONU; il a fallu aussi
une résolution arrachée par le tandem
Sarkozy-BHL pour dépecer la Libye et
lyncher en direct et d'une façon
inhumaine et abjecte le colonel El
Gueddafi.
Dans un réquisitoire sans concession, le
site de l’Assocaition France Palestine
déclare: «Vingt ans plus tard, les
Palestiniens ont certes célébré
l'adhésion de l'État de Palestine aux
Nations unies, mais en tant que simple
État observateur, non membre. Et la
Palestine vit toujours sous occupation;
la colonisation israélienne s'y
intensifie en toute arrogance et en
toute impunité; une ceinture de colonies
sépare Jérusalem de son arrière-pays
palestinien morcelé; un réseau de murs
annexe de facto à Israël une partie
substantielle de la Cisjordanie, de ses
terres, de ses ressources en eau en
dépit des condamnations, jamais
contraignantes, des Nations unies; le
contrôle israélien du territoire
palestinien et des mouvements de
population enclave les villes et
villages, asphyxie toute vie économique
et entrave toute vie sociale ou
culturelle palestinienne; la bande de
Ghaza survit sous blocus; »(3)
« Les bombardements et les morts parmi
la population civile se succèdent; les
réfugiés palestiniens le demeurent,
génération après génération. La
détention de plusieurs milliers de
prisonniers politiques se poursuit dans
les geôles israéliennes, otages d'une
négociation à durée indéterminée. En
Israël même, plusieurs dizaines de
milliers de bédouins palestiniens,
citoyens israéliens, sont victimes d'un
transfert forcé. L'occupation militaire
reste la première préoccupation de la
population palestinienne (3).
La vision
des intellectuels palestiniens vivant en
Europe sur la tragédie palestinienne
Dans le cadre d'une initiative organisée
par Médiapart , plusieurs intellectuels
ont donné leur perception de ces vingt
ans d'Oslo.Dans ce débat, Julien
Salingue a brillamment résumé pourquoi,
selon lui, «il n'y a jamais eu de
processus de paix»: car loin d'avoir
confirmé une reconnaissance de l'OLP,
encore moins du droit
d'autodétermination du peuple
palestinien, Israël a institué et
intégré l'Autorité palestinienne (AP)
dans le «redéploiement de son
dispositif» de contrôle et de
domination.(4)
« Face à ces arguments, Elias Sanbar,
ayant participé à la négociation d'Oslo,
a mis l'accent, quant à lui, avec force
et émotion, sur ce jour de 1993 où «les
Palestiniens sont redevenus visibles»,
c'est-à-dire reconnus internationalement
comme acteurs et négociateurs directs de
leur propre cause - la Palestine (sans
peuple) ayant été jusqu'alors l'affaire
des États arabes voisins. E.Sanbar,
actuellement ambassadeur des
Palestiniens à l'Unesco, n'a pas répondu
à bien des questions: celle du
journaliste de Médiapart, Pierre Puchot,
sur le Hamas; celles de J.Salingue sur
les territoires ingérables et le rôle de
l'Autorité palestinienne (intégrée aux
activités de «sécurité» policière
exigées par Israël et tributaire de ses
financements); il s'agirait plutôt -
selon Sanbar - de quasi «allocations
chômage». Le choix éventuel par ces
derniers d'une solution de «deux États»
- avec leurs frontières de 1967 donc sur
20% du territoire palestinien d'origine;
un État palestinien bien «symbolique»
quand la réalité est celle des
Territoires occupés et des espaces non
continus - n'implique pour «nous» (à
l'extérieur) aucun renoncement à la
dénonciation du contenu sioniste de
l'État d'Israël dans les divers facettes
de sa politique: colonisation par
expulsion, par occupation et par statut
discriminatoire d'une partie de ses
citoyens. (4)
Peut-on tout dire pour défendre Israël?
s'interrogent trois intellectuels Julien
Salingue, Nicolas Dot-Pouillard et
Catherine Samary. Rapportant les écrits
d'Eric Marty, ils critiquent sévèrement
le partis pris: «Eric Marty s'interroge,
dans une tribune publiée le 21 avril sur
Le Monde.fr: «Le boycott d'Israël,
est-il de gauche?». Ce qui semble être
une critique de
la campagne BDS (Boycott
Désinvestissements- Sanctions) contre
Israël excède en réalité largement son
objet, et redéfinit les termes du
conflit opposant Israël aux
Palestiniens. L'argumentaire de M. Marty
est aussi spécieux qu'original, et
mérite un petit exercice de «sociologie
littérale». M. Marty balaie allègrement
les avis d'Amnesty International, de la
Croix-Rouge ou de l'ONG israélienne
B'tselem. Il fait en outre peu de cas de
l'avis de la Cour internationale de
justice (juillet 2004), qui qualifiait
le mur de «violation du droit
international» et demandait à Israël de
le «démanteler immédiatement». Selon le
dernier rapport de l'ONU, le mur
serpentera sur 709 km, alors que la
ligne verte n'en mesure que 320. Par
endroit, il pénètre de 22 km en
Cisjordanie (large de 50 km). 10% du
territoire palestinien est annexé de
facto à Israël, dont 17 000 ha de terres
auxquelles les paysans ne peuvent
quasiment plus accéder ».(5)
« Pour la seule partie nord de la
Cisjordanie, 220.000 villageois sont
affectés.(...) Or, les témoignages et
rapports d'ONG le confirment: Israël a
enfreint le droit de la guerre en
déversant des bombes au phosphore blanc
(considérées, y compris par les
Etats-Unis, comme des armes chimiques)
sur des zones densément peuplées, en
empêchant le personnel médical de
secourir de nombreux blessés ou en
utilisant des boucliers humains. Les
témoignages de soldats recueillis par
l'ONG israélienne Breaking the Silence
sont, à ce titre, éloquents. De
surcroît, Israël, avec la complicité de
l'Egypte, a bouclé la minuscule bande de
Ghaza (360 km2), empêchant les civils de
fuir un déluge de fer et de feu. En
violation totale du droit de la guerre,
le blocus se poursuit, empêchant la
reconstruction et aggravant les
conditions sanitaires.(5)
Le mépris
d'Israël contre la Palestine et sa
croisade contre l'Iran
Avec un rare mépris, Benyamin Netanyahu
n'a dit un mot du problème palestinien,
tout son réquisitoire était à charge
contre l'Iran et Hassan Rohani qu'il a
traité de tous les noms. Il va jusqu'à
donner la marche à suivre à la
communauté internationale concernant le
programme nucléaire oubliant au passage
que son pays a bafoué toutes les
résolutions du Conseil de sécurité de
l'ONU depuis 1947, en traitant avec
mépris l'Aiea, en ne signant aucun
protocole ni sur les armes chimiques ni
sur le nucléaire allant jusqu'à avertir
la Communauté internationale que si
l'Iran n'arrête pas son programme
nucléaire,Israël l'attaquera.
Le Premier ministre israélien, Benjamin
Netanyahu, a affirmé solennellement
mardi dernier à l'ONU que son pays était
prêt à «agir seul» militairement pour
empêcher Téhéran de se doter de l'arme
nucléaire, rompant ainsi avec le timide
rapprochement de son allié américain
avec l'Iran la semaine dernière.:
«Israël ne laissera pas l'Iran obtenir
des armes nucléaires. Si Israël est
obligé d'agir seul, il agira seul»,
(...) Il a estimé qu'un Iran nucléaire
serait aussi dangereux que «cinquante
Corées du Nord». On ne doit «lever les
sanctions que quand l'Iran aura
totalement démantelé son programme de
fabrication d'armes nucléaires». Le
Premier ministre israélien prend ainsi
et une nouvelle fois le contre-pied de
Barack Obama. Un diplomate iranien a
immédiatement réagi en séance au
discours de M.Netanyahu en le qualifiant
d'»extrêmement provocateur» et de
«belliqueux». (6)
Les
conséquences des accords
Pour Pascal Boniface: une bombe à
retardement, directeur de l'Institut de
relations internationales et
stratégiques (IRIS) La signature des
Accords d'Oslo fut un formidable moment
d'euphorie collective. Aujourd'hui,
malgré la reprise des négociations, les
perspectives d'un accord semblent très
lointaines, voire irréalisables. On peut
même se demander si la solution des deux
États est encore possible matériellement
du fait de l'émiettement des Territoires
palestiniens et de la poursuite de la
colonisation israélienne. Il y avait, en
1993, 250.000 colons israéliens sur les
territoires palestiniens, ils sont
aujourd'hui 500.000. D'ailleurs, aucun
accord de paix acceptable par les
Palestiniens ne le serait par l'extrême
droite dont dépend le gouvernement
Netanyahu. Il faudrait une recomposition
complète du paysage politique israélien
pour parvenir à une véritable paix. Or,
les élections de janvier 2013 ont encore
marqué une poussée à droite et la montée
en puissance du poids des colons dans la
vie politique israélienne. À l'époque,
Arafat et Rabin ont fait preuve de
réalisme et de leadership. Il en fallait
pour qu'Arafat annonce que la charte de
l'OLP était caduque et accepte de ne
créer un État palestinien que sur 22% de
la Palestine mandataire. Mais si Rabin
s'est lancé dans cette direction ce
n'est pas par mansuétude à l'égard des
Palestiniens. C'est qu'il avait compris
qu'il en allait de l'intérêt national
d'Israël, notamment parce qu'il risquait
en cas contraire d'avoir de grandes
divergences avec les Américains.
Aujourd'hui, il n'y a plus de pressions
de la part des États-Unis sur le
gouvernement israélien. Celui-ci a un
sentiment d'impunité qui le conduit à ne
faire aucune concession. (7)
On l'aura compris, les Palestiniens sont
mal barrés pour trois raisons majeures:
Mahmoud Abbas et son équipe sont passés
de mode, ils ont goûté au luxe et ils
n'ont plus le feu sacré. Ajouter à cela
un gouvernement israélien plus que
jamais de droite et enfin la
colonisation qui laisse des confettis de
territoires non viables. Seul un Etat
israélo-palestinien de tous ces citoyens
permettrait de ramener la sérénité et
aboutirait enfin à cette paix entre deux
peuples cananéens depuis la nuit des
temps mais aussi dans cette région du
Moyen Orient harassée depuis un siècle
par des conflits qui la dépasse.
1 Edward Saïd Oslo: le jour d'après
http://www.ujfp.org/spip.php?article2892
2.
http://www.france24.com/fr/20130913-vingt-ans-accords-oslo-israel-palestine-paix-rabin-arafat
3.
http://www.france-palestine.org/20-ans-apres-Oslo-20-ANS-APRES
4. http://blogs.mediapart.fr/edition/accords-doslo-20-ans-apres/article/011013/vingt-ans-apres-oslo-8-catherine-samary-quelles
demarches?&utm_source=newsletter&utm_
medium=email&utmcampaign=Catherine_Samary:_Vingt_ans_apr%C3%A8s_Oslo,_quelles_d%C3%A9marches_?_
5http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/04/27/peut-on-tout-dire-pour-defendre-israel
-par-julien-salingue-nicolas-dot-pouillard-et-catherinesamary_1343645_3232.html
6. http://www. humanite.fr/monde/onu-le-discours-va-t-en-guerre-de-netanyahu-contre-550165
7. http://blogs.mediapart.fr/edition/accords-doslo-20-ans-apres/article/190913/vingt-ans-apres-oslo-2-pascal-boniface-une-bombe-retardement
Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
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