Opinion
Cacher la réalité
Charles
Enderlin
Charles
Enderlin - Joël Saget AFP
Dimanche 28 avril 2013
Sous le titre : « Israël-Palestine :
l’option des deux États a vécu », le
Monde a publié, le 19 avril, un état des
lieux très exact de ce conflit.
L’auteur, Gilles Paris, constate
que le dossier israélo-palestinien est
désormais rangé « dans un angle mort
diplomatique », que la colonisation
israélienne de la Cisjordanie a produit
un enchevêtrement rendant
progressivement impossible une division
territoriale. Et conclut : «
Le renoncement à la formule des deux
États a beau rester un tabou
international, c’est pourtant une autre
réalité qui se structure et qui
s’enracine, promesse d’aggiornamento
douloureux ».
Une telle réévaluation douloureuse a
très certainement déjà été réalisée par
l’administration Obama. Durant son
précédent mandat, le président des États
Unis a tenté à plusieurs reprises de
réanimer le processus de paix sans le
moindre succès. Le laissant dans
l’impasse avec le refus de Benjamin
Netanyahu de geler totalement la
colonisation et accepter la ligne de
cessez le feu de 1967 comme base de la
négociation. Conditions sine qua non
pour Mahmoud Abbas avant toute relance
des pourparlers. Depuis, tout indique
que les positions des parties ne
bougeront pas d’un iota. Et puis, il y a
la réalité sur le terrain. Dani Dayan,
l’ancien président du conseil des
implantations répète à qui veut
l’entendre qu’il y a 350000 israéliens
vivant dans les colonies de Cisjordanie.
Avec un rythme de croissance annuel de
5%, ils seront 400 000 en 2014. En
incluant Jérusalem Est dans
ces statistiques, cela veut dire qu’un
israélien juif sur dix vit dans les
territoires occupés lors de la guerre de
Six jours. 160 000 vivent aujourd’hui à
l’extérieur des blocs d’implantations
situés près de la ligne de 67 et
discutés lors des négociations
précédentes. En d’autres termes, dans le
cas improbable d’un accord, quelles que
soient les formules d’évacuation, des
dizaines de milliers de colons, les plus
militants, se retrouveront en territoire
palestinien avec la ferme intention de
ne jamais quitter ce qui est pour eux,
la Terre d’Israël.
Pour « déménager »
les 8000 colons de Gaza, il avait fallu
13000 militaires et policiers. Un nombre
qu’il faudrait multiplier au moins par
sept ou huit afin de mener une opération
similaire en Cisjordanie. Or,
actuellement, près de 40% des officiers
d’infanterie viennent du milieu sioniste
religieux et un pourcentage non
négligeable d’entre eux refusera
certainement de participer d’affronter
les quelques dizaines de milliers de
colons qui refuseraient de partir.
Mais, ce n’est pas
tout. Reste le problème de Jérusalem
Est, et surtout du mont du Temple. Selon
la sociologue, Tamar Herman, l’immense
majorité du public israélien n’acceptera
certainement pas une souveraineté
musulmane palestinienne sur l’ensemble
de ce qui est le troisième lieu saint de
l’Islam. Tout au plus, une partie des
Juifs israéliens séculiers pourraient
accepter un partage du mont. Les
sionistes religieux et aussi certains
ultra-orthodoxes s’opposent à toute
concession sur ce lieu saint juif et, au
contraire, réclament le droit d’y prier.
C’est la victoire du fondamentalisme
messianique telle que je la décris dans
mon livre " Au nom du Temple. Israël
et l’irrésistible ascension du
messianisme juif. 1967-2013."
La perspective
d’une solution à deux états, une
Palestine indépendante, avec Jérusalem
Est pour capitale, aux côtés d’Israël,
paraît effectivement impossible. C’est
le secret de polichinelle que le
gouvernement israélien, l’administration
Obama et l’ensemble de la communauté
internationale, et même la Ligue arabe,
veillent à ne pas admettre publiquement.
Cela aurait des conséquences
catastrophiques pour la région. La
remise en question des traités de paix
entre Israël, la Jordanie et l’Égypte.
Reste à savoir combien de temps il sera
possible de cacher la réalité.
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