Opinion
Premier papier sur
mon livre dans le Soir. Bruxelles
Charles
Enderlin
Charles
Enderlin - Joël Saget AFP
Samedi 6 avril 2013
« Les colons ont gagné ! »
Publié le 3 avril 2013 par Baudouin Loos
Charles Enderlin, chef du bureau de
France 2 à Jérusalem, habite en Israël
depuis 1968. Auteur prolixe d’essais et
de documentaires de qualité, il récidive
avec la sortie au Seuil, le 4 avril, de
son dernier livre, « Au nom du Temple »
(Israël et l’irrésistible ascension du
messianisme juif, 1967-2013), qui fera
aussi l’objet d’un documentaire sur FR2.
Rencontre à Jérusalem.
Pourquoi ce livre?
On pourrait dire « les colons ont gagné
! ». Le sionisme religieux a gagné.
C’est le message de mon livre qui montre
comment pendant la période qui débute
après la guerre des Six Jours en 1967,
la mouvance des colons est devenue une
force dominante dans la société
israélienne, avec un discours
théologique eschatologique (prévoyant la
fin du monde, NDLR).
Une idéologie qui avait de la
peine à s’imposer jusque-là…
La simple idée du retour en terre
d’Israël était bannie chez les
religieux. Quand le sionisme politique
fut inventé par Herzl à la fin du XIXe
siècle, les ultra-orthodoxes y étaient
farouchement opposés, les maîtres
rabbins y voyaient trois interdits : les
juifs ne peuvent se révolter contre les
nations du monde, ils ne doivent pas
revenir en masse en Eretz Israël (terre
d’Israël) car c’est Dieu qui décidera de
ce retour, et enfin il ne faut pas que
les nations du monde se montrent trop
dures envers le peuple juif. Pour sa
part, le sionisme libéral façon Herzl –
on ne dira pas laïque – envisageait,
lui, la cohabitation avec les minorités
comme les Arabes, prévoyait un
vice-président arabe, etc. Avec le
réveil du sionisme religieux, les
interdits susmentionnés sont tombés.
Surtout après le choc de 1967…
Oui, en 1967, lors de la guerre, Israël
conquiert les lieux de son histoire
biblique. Dont Jérusalem et le mont du
Temple. C’est le réveil des
nationalistes religieux juifs, qui y
voient un processus eschatologique et un
dessein de Dieu. Les plus déterminés se
dirigent tout de suite vers Hébron (où
se trouve, selon la tradition hébraïque,
le tombeau des Patriarches, dont celui
d’Abraham). Ils proviennent de la
mouvance messianique, qui croit que le
Messie arrive, qu’il faut préparer sa
venue. Ce ne sont donc pas les
utra-orthodoxes (hommes en noir, les
haredim ou « craignant-Dieu », qui
pensent que Dieu décidera quand il le
choisira de l’envoi du Messie, que les
croyants n’ont pas à s’en mêler, NDLR).
Cela dit, on commence maintenant à voir
des ponts entre ces deux mouvances : des
ultra-orthodoxes qui deviennent
sionistes et des religieux sionistes qui
deviennent ultra-orthodoxes. Ce
phénomène est favorisé par la création
dans les territoires occupés
d’implantations destinées aux
ultra-orthodoxes, comme Beitar Illit,
près de Bethléem.
Justement, parlons des colons de
2013. Croyez-vous qu’ils pourraient
retourner en Israël en cas d’accord de
paix avec les Palestiniens ?
Sans parler des 200.000 Israéliens
installés dans des colonies urbaines à
Jérusalem-Est (partie arabe de la ville
sainte), ils sont environ 350.000 en
Cisjordanie occupée. Avec un rythme de
croissance de 5% l’an, ils seront donc
400.000 dans trois ans. On n’évacuera
pas 300 ou 400.000 colons. Même pas
50.000. Il avait fallu 13.000 soldats et
policiers en 2005 pour évacuer 8.000
colons de Gaza et cette démarche, alors,
faisait consensus en Israël. Pour les
colons, le statu quo est idéal. Parmi
eux, les laïcs ne refuseraient pas de
voir les Palestiniens dotés d’une
autonomie dans les domaines économiques,
culturels…
Comment l’Etat israélien les
considère-t-il ?
Les autorités sont infiltrées à tous
niveaux par les colons, ce qui produit
des « miracles » comme quand de
nouvelles collines de Cisjordanie
appartenant à des Palestiniens sont
occupées (illégalement même aux yeux de
la loi israélienne) pour y installer des
avant-postes de colons destinés à
devenir de nouvelles colonies et que
l’électricité et l’eau y parviennent. Et
il faut de cinq à dix ans à la Cour
suprême pour se prononcer sur la
légalité de ces faits accomplis.
On constate aussi parmi eux
l’émergence d’une jeunesse très
radicale, qui n’a jamais habité en
Israël même, qui s’en prend volontiers
aux Palestiniens…
Il existe une nouvelle génération
d’enfants de colons, qu’on appelle « la
jeunesse des collines », depuis que
Ariel Sharon, après le sommet de Wye
Plantation en 1998 avait lancé le slogan
« Emparez-vous d’un maximum de collines
! ». Ces jeunes sont quelques centaines,
peut-être plus. Des « durs ». Des «
salafistes juifs » ! Pour eux, la fin
justifie les moyens puisqu’ils se
croient investis d’une mission
théologique. Dans ce cadre, il n’y a pas
la place pour un Etat palestinien. Comme
d’ailleurs, pour les extrémistes
religieux musulmans, il n’y a pas place
pour un Etat juif en Palestine.
Les colons religieux sont des
révolutionnaires ; ils ont un but.
Les partis non religieux
sont-ils complices ?
En tout cas, la responsabilité des
dirigeants de la droite israélienne
n’est pas mince. Les Begin, Shamir,
Sharon ou Netanyahou ont toujours évoqué
« le droit historique des juifs en Eretz
Israël » (terre d’Israël au sens
biblique). Depuis des décennies, la
Cisjordanie n’est pas appelée en Israël
autrement que par ses noms bibliques de
« Judée et Samarie ». De toute façon,
qu’ils soient ou non directement
représentés au gouvernement, les colons
vont continuer à grandir en nombre.
Propos recueillis par BAUDOUIN LOOS
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