Opinion
Les États-Unis et
le Japon partenaires
dans la falsification de l'histoire
Capitaine Martin
Lundi 21 octobre 2013
Qui ne connaît pas Oliver Stone ? Douze
fois nominé aux Academy awards,
ce célèbre producteur, volontaire durant
la guerre du Vietnam avant de se lancer
dans le cinéma, a notamment remporté
l’Oscar du meilleur scénario adapté (Midnight
Express), les Oscars du meilleur
film et celui du meilleur réalisateur (Platoon)
et l’Oscar du meilleur réalisateur (Né
un 4 juillet). Il s’est aussi engagé
depuis 2008 avec l'historien Peter J.
Kuznick dans la réalisation de « the
Untold History of the Unites States »
(l'histoire cachée des États-Unis), une
série documentaire pour la télévision en
dix épisodes sur les événements de
l’histoire américaine au XXème
siècle, qui raconte la seconde guerre
mondiale, les bombardements d’Hiroshima
et de Nagasaki, la guerre froide, la
guerre du Vietnam et la lutte contre le
terrorisme. Tout comme la série, le
livre éponyme de 750 pages est
disponible dans le commerce depuis peu.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que
les deux hommes, qui ont signé, au
retour d’une conférence de douze jours
au Japon, un long article intitulé « The
U.S. and Japan: Partners in Historical
Falsification », n’en ont pas
fini avec les sujets qui dérangent.
« Être à Hiroshima et à Nagasaki le
jour anniversaire du lancement de la
bombe atomique a été une expérience
intense pour nous et aussi un rappel
particulièrement fort car mystifier le
passé est fondamental pour perpétuer
l'Empire. C’est un projet auquel
collaborent les États-Unis et le Japon
depuis soixante-huit ans ». Comme
l'écrivent les auteurs, les élites des
deux pays ont sans doute bénéficié de
cette relation symbiotique. Jusqu'à ce
que le Japon soit récemment dépassé par
la Chine, les États-Unis et le Japon ont
été les deux économies dominantes. Ces
deux pays font partie des cinq pays
ayant les dépenses de défense les plus
élevées au monde. Depuis la fin de la
seconde guerre mondiale, le Japon a été
au cœur de la politique en Asie et le
moins qu’on puisse dire, c’est le pays
du soleil levant le lui rend bien. En
plaçant les bombardements atomiques
d’août 1945 au centre de leurs analyses
des empires américain et japonais post
conflit, les auteurs affirment que
presque tout ce que les jeunes
Étasuniens et Japonais apprennent sur la
guerre est exactement le contraire de ce
qui s’est passé.
Les auteurs nous racontent à vrai dire
l’histoire des États-Unis d’une façon
très différente de
celles auxquelles nous
avons été habitués. Trois mythes sont
pour eux à la base d’une manipulation
sans précédent :
-
la bonne guerre menée par des
États-Unis se sacrifiant pour les
autres pays,
-
l’Amérique au cœur vaillant allant
délivrer l’Europe,
-
la guerre froide est la conséquence
de l’expansion territoriale
soviétique et de l’hostilité envers
l’Occident capitaliste.
En ce qui concerne le premier mythe, les
auteurs expliquent comment le monopole
atomique a pu faire naître aux
États-Unis ce sentiment de supériorité
qui les pousse à vouloir imposer leur
volonté au monde. Suite aux deux
bombardements mortifères, des
responsables américains ont rapidement
apporté une version des faits qui
justifiait ces actes barbares. Il a
ainsi été expliqué au monde médusé par
ce crime à grande échelle que les bombes
avaient été larguées avec une certaine
forme de clémence dans le but de finir
la guerre au plus vite, en évitant une
invasion qui aurait coûté selon Truman
un demi-million de vies humaines... Les
États-Unis n'auraient finalement pas eu
pas d’autres choix. C’était pour les
vainqueurs un acte juste, presque
humanitaire si l’on peut dire... Il
suffit d’imaginer tous ces Japonais qui
auraient été tués dans une invasion des
troupes étasuniennes.
En réalité, le Japon était déjà à quatre
pattes et à la recherche d'une reddition
acceptable depuis le mois de mai 1945.
Les bombardements atomiques n'étaient ni
plus ni moins qu’une tentative
étasunienne pour hâter la fin du Japon
avant que les Soviétiques ne reçoivent
les restes du pays vaincu, et ce en
violation des accords de Yalta. Bien
plus grave de conséquences pour
l'histoire de l'humanité, il fallait
montrer aux Soviétiques que les
États-Unis pouvaient être dépourvus de
tout scrupule lorsque la défense de
leurs intérêts était en jeu. Il a fallu
une dextérité extraordinaire pour que
les média et les institutions éducatives
n’opposent aucune contradiction à la
version officielle.
Le second mythe touche à la Seconde
guerre mondiale. Les États-Unis ont
bravement gagné la guerre alors que,
comme le rappelait Churchill, les
Soviétiques ont fait face durant
quasiment toute la durée de la guerre à
la machine de guerre allemande. Les
soldats de Staline ont dû affronter plus
de deux cents divisions quand les
Américains et les Britanniques n’en
affrontaient qu’à peine une petite
dizaine… Les généraux Eisenhower et
Marshall étaient en réalité furieux de
voir l’Oncle Sam jouer à la marge, de
devoir défendre les intérêts
britanniques en Afrique du Nord, en
Méditerranée et en Birmanie plutôt que
de devoir se battre frontalement avec
les Allemands. Au moment du débarquement
de Normandie, qui est concomitant de la
naissance du fameux mythe, les
Soviétiques ont depuis longtemps déjà
inversé le cours de la guerre.
Enfin, le troisième mythe consiste à
faire croire que la guerre froide était
le fruit de l'expansion territoriale
soviétique et de l’hostilité envers
l'Occident capitaliste. En fait, Truman
a mis moins de deux semaines pour
détruire la vision qu’avait Roosevelt
d'un monde multipolaire basé sur la
collaboration entre les États-Unis et
l'URSS. Commença alors, inévitablement,
une longue période de méfiance et
d'hostilité réciproque.
Étonnamment, la façon dont la Seconde
guerre mondiale est enseignée aux
étudiants japonais est trompeuse et
malhonnête. Au Japon aujourd'hui, on
commence à aborder les questions du
massacre de Nankin et de l'esclavage
sexuel des femmes coréennes, mais il y a
une totale absence de débat sur la
brutalité et les assassinats aléatoires
imputables à l'agression japonaise
impériale en Asie durant cette période.
Peu de gens savent que
plus d’un million de Vietnamiens ont
péri au cours de la brève occupation
japonaise. Tout aussi peu de gens
connaissent les atrocités commises par
l’Empire du Soleil levant en Indonésie,
en Malaisie, aux Philippines, à Taiwan
ou en Birmanie, frappant indistinctement
hommes, femmes ou enfants.
Le subterfuge continua après la guerre.
Lors des
procès de Tokyo, on ne retint pas
les accusations contre les dirigeants
japonais pour le massacre aérien de
Chinois et de civils d’autres
nationalités, de façon à ce qu’on ne
puisse faire aucun parallèle avec les
bombardements incendiaires américains
contre les Japonais ou avec des crimes
de guerre encore plus graves que
constituent les bombardements atomiques.
Les États-Unis ont effectivement
amnistié ou simplement libéré des
dizaines de criminels de guerre de
première catégorie, dont bon nombre ont
continué à exécuter les ordres de
l'Amérique après la guerre, comme
Matsutarō Shōriki, le fondateur du
Nippon TV et Président du
Yomiuri Shimbun, un journal de
tendance conservatrice vendu
quotidiennement à plus de dix millions
d’exemplaires. Il a étroitement
collaboré avec la CIA et l'USIA. Citons
également
Nobusuke Kishi, qui est allé jusqu’à
devenir premier ministre du Japon en
1957. Il a notamment contribué au
maintien des bases américaines au Japon.
Le cas d’Eisaku
Satō est édifiant à plus d’un titre.
Prix Nobel de la paix en 1974 pour avoir
officiellement mené une politique
pacifiste opposée à la prolifération
nucléaire, la déclassification de
documents confidentiels montre en 2008
que Satō avait demandé aux États-Unis de
se préparer à mener une attaque
nucléaire contre la Chine en cas de
conflit avec le Japon. On apprit aussi
en 2010 qu’il avait signé plusieurs
accords secrets avec Washington, l’un
permettant aux navires américains de
faire escale au Japon, et l’autre aux
États-Unis de stocker des armes
nucléaires à Okinawa Hontō… ce que
contredisaient les principes
antinucléaires forgés par l’intéressé
lui-même.
L’État que Martin Luther King décrivait
comme « le plus grand avocat de la
violence dans le monde » continue de
remplacer la diplomatie par la force en
s’accrochant à la conviction que la
puissance produit le droit. Les
bombardements atomiques de 1945 ont
paradoxalement évité aux États-Unis une
condamnation universelle.
Comme le déclare non sans arrogance
l’ancienne secrétaire d’État Madeleine
Albright : « Si nous devons
utiliser la force, c’est parce que nous
sommes l’Amérique ; nous sommes la
nation indispensable. Nous nous tenons
droits et nous voyons plus loin dans
l’avenir que les autres pays, et nous
voyons les dangers qui nous menacent
tous. Je sais que les soldats américains
sont prêts au sacrifice pour défendre la
liberté, la démocratie et le mode de vie
américain ».
L’histoire est écrite par les
vainqueurs, c’est un fait. Les
États-Unis en ont jusque-là joué et
abusé, allant jusqu’à nous faire prendre
des vessies pour des lanternes. Il est
intéressant de constater que la version
officielle qu’ils nous ont jusqu’ici
imposée est de plus en plus battue en
brèche. L’histoire continue sa marche
mais le modèle étasunien est
singulièrement ébranlé. Perdant toute
crédibilité, les États-Unis semblent
être bel et bien rentrés dans la phase
crépusculaire de leur Empire.
Capitaine Martin
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