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Israël-Palestine : la géopolitique du divin
Bruno Guigue*
Contrairement à une idée reçue,
les origines du conflit israélo-palestinien ne remontent pas à
la nuit des temps. Le discours de certains protagonistes a beau en
situer l’origine à une époque ancestrale, la démonstration ne
convainc que les convaincus. Loin de s’ancrer dans la rivalité
entre Israël et Ismaël, le conflit israélo-palestinien est un
rejeton de la modernité : Juifs et Arabes s’affrontent en
Palestine depuis un siècle, ce qui est beaucoup dans l’absolu,
mais fort peu à l’échelle de l’histoire.
Pourtant, à propos de cet affrontement
surgi à l’aube du XXème siècle, on accrédite souvent l’idée
qu’il est issu de temps immémoriaux. Comme s’il était
satisfaisant pour l’esprit de penser qu’un conflit aussi
tenace puisse avoir une signification autre qu’historique, on
lui prête une éternité imaginaire. Et parce qu’en lui se
confondent souvent le politique et le religieux, on croit détenir
avec cette confusion l’explication suffisante de son apparente
irréductibilité.
Si le conflit a une dimension
religieuse, elle ne le résume évidemment pas. Et surtout, elle
ne l’explique pas davantage. Omniprésente et répétitive,
la rhétorique du sacré exerce un effet grossissant. Elle conduit
souvent l’observateur à surévaluer l’importance du facteur
religieux. Ce n’est pas parce qu’ils y croient, du reste, que
les idées dont se prévalent les belligérants fournissent une
explication plausible des événements.
Il n’en est pas moins vrai que la
Palestine n’est pas que la Palestine. Le bloc des croyances qui
s’y rapportent peut devenir à l’occasion une véritable force
matérielle. Elle est Eretz Israël (la Terre d’Israël) pour
les uns, l’écrin d’Al-Qods (La Sainte) pour les autres.
Espace sacré, espace symbolique, la Palestine est un espace-prétexte
qui se prête aux tentatives d’appropriation exclusive. Et la
lutte paraît d’autant plus acharnée que les deux camps
revendiquent les mêmes lettres de crédit.
Le sionisme, en dépit de ses
proclamations laïques, est fondé sur une représentation quasi
mystique d’Eretz Israël. Il est inséparable, dans sa genèse,
de l’attachement physique et spirituel qui lie les juifs à la
terre d’Israël. La liturgie s’y enracine, les fêtes juives
parlent du pays d’Israël. Pour certains courants de la pensée
juive, l’altération des rapports du peuple juif à sa terre est
le signe d’une altération de ses rapports avec Dieu. Le retour
des juifs sur la terre d’Israël, pour la travailler, revient
donc à réparer une relation à Dieu abîmée par l’exil. Pour
les âmes en peine du judaïsme russe, à la fin du XIXème siècle,
la terre d’Israël incarna ainsi, tout à la fois, la rédemption
morale et la renaissance physique.
La principale réussite du sionisme est
d’avoir fait de cette terre rêvée le moteur d’une émancipation
nationale. Idéologie moderne, il laïcise l’espérance
messianique en substituant à l’attente du sauveur une action
politique destinée à prendre possession d’Eretz Israël. Mais
pour Theodor Herzl, « si la revendication d’un coin de
terre est légitime, alors tous les peuples qui croient en la
Bible se doivent de reconnaître le droit des juifs ».
Bibliquement établie, la légitimité d’un Etat juif en
Palestine va de soi, et le texte sacré tient lieu de titre de
propriété.
Le droit des juifs sur la terre d’Israël,
dans cette perspective, s’arc-boute sur la transcendance. Pour
le courant sioniste religieux, le retour des juifs en Eretz Israël
est inscrit dans le récit de l’Alliance lui-même. Le sionisme
suit fidèlement la voie tracée par le Tout-Puissant. Prendre
possession de la terre que Dieu a donnée aux juifs fait partie du
plan divin, et ce serait le contrarier que de renoncer à cette
offrande.
Comme la droite révisionniste, les
sionistes religieux rejettent donc tout compromis territorial avec
les Arabes. Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, le grand
rabbin de Palestine déclara devant une commission internationale :
« C’est notre forte conviction que personne, ni individu,
ni pouvoir institué, n’a le droit d’altérer le statut de la
Palestine qui a été établi par droit divin ».
Chef du parti national-religieux, le général
Effi Eitam expliquait en 2002 : « Nous sommes seuls au
monde à entretenir un dialogue avec Dieu en tant que peuple. Un
Etat réellement juif aura pour fondement le territoire, de la mer
au Jourdain, qui constitue l’espace vital du peuple juif…
Aucune souveraineté autre qu’israélienne n’existera jamais
entre la mer et le Jourdain ».
La Bible, un acte notarié ? Il
est vrai qu’elle n’est pas avare de détails sur les contours
de la Terre promise. On y trouve de multiples définitions
territoriales d’Eretz Israël. La première définition
accompagne la promesse de Yahvé à Abraham, dans la Genèse (15,
Trad. Œcuménique de la Bible) : « C’est à ta
descendance que je donne ce pays, du fleuve d’Egypte au grand
fleuve, le fleuve Euphrate ». Englobant lui aussi un vaste
territoire, l’Exode (23) n’est guère plus précis :
« J’établirai ton territoire de la mer des Joncs à la
mer des Philistins, et du désert au fleuve ».
Les définitions bibliques d’Eretz
Israël, assurément, sont sujettes à variation. Elles n’ont
pas le même degré de précision, leur statut théologique est hétérogène,
les contours de la Terre promise y sont écartelés entre une
version maximale et une version minimale. Mais cette diversité
des représentations spatiales fait clairement apparaître un
« noyau dur ». Car dans la toponymie foisonnante qui
émaille le texte biblique, certains noms de lieu sont investis
d’une sacralité hors du commun.
Ville jébuséenne conquise par David,
Jérusalem est au cœur du récit biblique. Elle entre dans la
geste hébraïque lorsque le roi David décide d’y transférer
sa capitale. Erigée en ville-phare du royaume, la cité de David
est proprement sanctifiée, sous le règne de son successeur, en
devenant l’écrin de la présence divine. Le martyre subi lors
de la destruction du Temple n’altère en rien une sacralité qui
se déclinera, désormais, sur le mode de l’attente messianique.
Avant de transférer sa capitale à Jérusalem,
David a unifié les tribus juives dans une cité située au cœur
des monts de Judée : « Toutes les tribus d’Israël
vinrent vers David à Hébron » (Samuel II,5). Mentionnée
avant Jérusalem par le texte biblique, Hébron jouit d’un degré
de sacralité au moins équivalent. Prestigieux vestige de la
geste abrahamique, le Tombeau des Patriarches y fait l’objet
d’une vénération à la mesure de la sainteté d’Abraham,
Isaac et Jacob. Autour de ces deux villes saintes, la Judée-Samarie
et la Galilée forment alors le cœur historique d’Eretz Israël.
Investis d’une signification
religieuse, ces lieux sont aussi les vestiges d’une histoire
nationale magnifiée par l’idéologie sioniste. Espace de
communication avec le divin, ils portent témoignage, simultanément,
de la geste hébraïque. C’est pourquoi l’archéologie israélienne
y a obstinément cherché les traces d’une antique présence
juive. En fournissant les preuves d’une occupation ancestrale,
les fouilles conduites par le « général-archéologue »
Ygal Yadin, dans les années 1960, prétendaient faire entrer dans
l’histoire ce qui relevait du sacré.
L’opinion israélienne crut alors,
avec ces vieilles pierres, détenir la preuve irréfutable que le
royaume de David et Salomon était un fait historique. A cette époque,
l’archéologie officielle n’apportait pas seulement une
caution scientifique au récit biblique : elle offrait un
discours de substitution qui rendait superflu le recours à la foi
pour accréditer l’histoire hébraïque. Mais cette suprématie
de l’argumentaire historique sur le répertoire religieux fut de
courte durée. Car au fur et à mesure des investigations sur le
terrain, nombre de certitudes hâtivement acquises se sont effondrées.
Directeur du département d’archéologie de l’Université de
Tel Aviv, Israël Finkelstein a récemment fait l’inventaire des
connaissances sur les sites bibliques. Ses conclusions sont dévastatrices :
« Les fouilles entreprises à Jérusalem
n’ont apporté aucune preuve de la grandeur de la cité à l’époque
de David et de Salomon. Quant aux édifices monumentaux attribués
jadis à Salomon, les rapporter à d’autres rois paraît
beaucoup plus raisonnable. Les implications d’un tel réexamen
sont énormes. En effet, s’il n’y a pas eu de patriarches, ni
d’Exode, ni de conquête de Canaan, ni de monarchie unifiée et
prospère sous David et Salomon, devons-nous en conclure que l’Israël
biblique tel que nous le décrivent les cinq livres de Moïse, les
livres de Josué, des Juges et de Samuel, n’a jamais existé ? »
Ces déconvenues archéologiques ne
sont pas étrangères, du coup, au retour du théologique dans
l’idéologie dominante israélienne. Peu importe, pour les
sionistes religieux, ce que révèle l’archéologie à propos
des mythes fondateurs, puisque l’essentiel est d’y croire. A
fortiori si cette croyance relève de l’attente eschatologique.
L’avènement des temps messianiques, en somme, frappe d’inanité
toute spéculation sur un lointain passé.
A défaut d’être historique, la
geste des rois d’Israël est donc un mythe mobilisateur qui légitime
la renaissance d’une souveraineté juive en terre biblique. Ce
n’est pas la première fois qu’un dogme ébranlé par la
science renaît de ses cendres, animé d’une vigueur nouvelle.
Et il en faudra sans doute davantage pour désarmer la conviction
des pionniers du Grand Israël, d’autant plus indifférents à
l’histoire qu’ils rêvent d’éternité.
On peut, sans doute, dire des sites
bibliques ce qu’un historien de l’Antiquité disait des ruines
de Troie : « ces lieux sacrés commémorent moins des
faits avérés que les croyances qui en sont issues, et qui s’y
sont fortifiées en s’y enracinant ». C’est cette géographie
du sacré riche de significations symboliques qui hante le
sionisme. C’est elle qui inspire, en Israël, une géopolitique
du divin qui fournit sa justification religieuse à la
colonisation juive.
A sa manière, l’islam sacralise également
la terre palestinienne. La perception arabe et musulmane de la
Palestine plonge ses racines dans le texte coranique, et surtout
dans la tradition qui attribue un rôle primordial à Jérusalem.
C’est l’évocation du Voyage nocturne du Prophète qui en
constitue la source principale : « Gloire à celui qui
a fait voyager de nuit son serviteur de la Mosquée sacrée à la
Mosquée très éloignée dont nous avons béni l’enceinte, et
ceci pour lui montrer certains de nos signes. Dieu est celui qui
entend et qui voit parfaitement » (Coran, XVII, 1. Trad. D.
Masson).
La mosquée très éloignée, que la
tradition identifie à l’emplacement du temple de Salomon, est
le point d’aboutissement du transport nocturne de Mohammad. Mais
le récit du Voyage, dans l’exégèse coranique, est inséparable
de celui de l’Ascension. Dans cette tradition, Mohammad effectue
un voyage initiatique qui le mène jusqu’aux splendeurs célestes.
C’est ce récit qui
est à l’origine de la vénération vouée à la coupole du
rocher, à Jérusalem, lieu depuis lequel Mohammad aurait
entrepris son élévation jusqu’à Dieu. Jérusalem-Al Qods accéda
alors au rang prestigieux de troisième lieu saint de l’islam.
Cible des Croisades, Al-Qods devint en
outre l’enjeu symbolique de l’affrontement entre le monde
arabo-musulman et le monde occidental chrétien. Par son
rayonnement spirituel, la ville sainte confère à l’ensemble du
territoire palestinien le statut d’un bien inaliénable à
vocation religieuse, un waqf. Et, à l’époque
contemporaine, elle cristallise d’autant plus les passions
arabes qu’elle est la proie d’une colonisation systématique
par l’Etat d’Israël. Véritable épicentre du conflit,
Al-Qods entre en résonance avec les trois dimensions symboliques
de la cause palestinienne : le nationalisme arabe, la défense
de l’islam, l’affirmation de l’identité palestinienne.
Si Al-Qods occupe la première place
dans l’imaginaire musulman, le site de Hébron mérite
incontestablement la seconde. La ville est appelée par les Arabes
Al-Khalil (l’ami), épithète dont le Coran honore Ibrahim. Ce
dernier incarne dans sa pureté originelle le message monothéiste.
Avec le non-sacrifice de son fils Ismaël, à La Mecque, il a
contracté l’alliance originelle avec Allah. Inhumé à Hébron,
il confère par sa présence spirituelle une aura particulière à
la terre palestinienne. Ibrahim relie l’Arabie à la Palestine,
en même temps qu’il rattache la geste biblique à la prédication
musulmane.
Ainsi la sacralisation musulmane
redouble-t-elle les sacralisations antérieures. Elle investit
l’espace sacré du judaïsme d’une signification nouvelle qui
intègre, sans l’effacer, les significations symboliques issues
du récit biblique. Mais pour les musulmans, le message coranique
a définitivement clos le cycle des prophéties. Et si elle concède
aux gens du Livre un statut particulier, la tradition islamique
postule en tout état de cause l’irréversibilité de
l’islamisation.
Une guerre de religion, le conflit israélo-palestinien ?
C’est parfois l’impression dominante, en effet. Et l’on a vu
que cette guerre ne manquait pas de munitions, pour peu qu’on
veuille y mettre le feu. Fruit de l’intransigeance israélienne,
la deuxième Intifada a inauguré un nouveau cycle de violence où
le répertoire religieux fut utilisé à satiété, comme si la
montée aux extrêmes se trouvait confortée par le divin. Et la
thématique islamiste du sacrifice pour la Palestine sembla répliquer,
avec virulence, à la brutalité de l’occupation militaire.
La pratique des attentats-suicide témoigne,
notamment, de l’exacerbation d’un conflit qui paraît puiser
dans la foi religieuse son caractère inexpugnable. La figure du shahid
constitue à cet égard, pour les organisations palestiniennes,
une réponse en miroir à la rhétorique religieuse de
l’adversaire. Face à une droite israélienne qui invoque la
Bible pour revendiquer le Grand Israël, le sacrifice suprême des
jeunes martyrs vise à battre le sionisme sur le terrain de la
foi. Et on oublie trop souvent que le premier attentat-suicide fut
perpétré par l’ultranationaliste juif Baruch Goldstein, à Hébron
en 1994.
Cette prégnance du religieux
dans l’idéologie des protagonistes explique, enfin, un autre phénomène :
l’étonnante disproportion entre l’exiguïté du territoire
disputé et l’ampleur de l’affrontement dont il est l’enjeu.
Lors des pourparlers de Camp David (juillet 2000), l’échelle
retenue pour les négociations sur Jérusalem n’excédait pas le
mètre carré. Ce phénomène serait incompréhensible sans
l’exceptionnelle charge émotionnelle qui s’attache à la
terre de Palestine.
Concentré sur le site de Jérusalem,
un puissant faisceau de significations symboliques irradie
l’espace situé entre la Méditerranée et le Jourdain. La
religion, ici, aurait-elle sa part du diable ? Cet excès
de sens pour une si modeste géographie vouerait-il à l’échec
toute tentative de compromis entre des protagonistes qui campent
sur l’absolu ? L’excès de transcendance y rendrait-il
impossible la constitution de cette arène politique où se dénouent,
habituellement, les différends entre les peuples ?
Nulle part ailleurs, l’enchevêtrement
des populations n’est à ce point redoublé par l’enchevêtrement
des significations symboliques. Et depuis septembre 2000, le
conflit entre l’Etat d’Israël et le mouvement national
palestinien, en effet, prend l’allure d’une guerre d’autant
plus impitoyable qu’elle semble opposer les prétendants à la
possession d’un même espace sacralisé.
Ce parallélisme apparent, toutefois,
risque d’induire en erreur. Le sionisme, qu’il soit ou non
d’inspiration religieuse, revendique la Terre d’Israël pour
le seul peuple juif. Réduisant le judaïsme à une religion
nationale et particulariste, il exige la dévolution exclusive de
la Palestine à l’Etat juif. Au nom d’un droit divin qui
percute le droit international, il postule la judéité intrinsèque
d’une terre qui a pourtant accueilli, dans son histoire, de
nombreuses confessions.
Cette dévolution ethnique de la
terre palestinienne, en revanche, est totalement étrangère à la
tradition musulmane. L’islam est une foi universaliste qui n’érige
aucun peuple singulier au dessus des autres, et ne crée aucun
privilège exorbitant du droit commun. En même temps qu’il
sacralise la Palestine, l’islam affirme le droit à la différence
religieuse. La charte du Hamas, par exemple, offre une garantie
islamique indéfectible au droit des chrétiens et des juifs à
vivre en Palestine. Ce qu’elle récuse, c’est la prétention
d’un « Etat juif » à y exercer une souveraineté
absolue.
Certes, la prégnance du sacré
contribue à durcir le conflit. Lorsque la foi devient
l’argument suprême, il n’y a guère de place pour le
compromis. Les positions des uns et des autres sont affectées
d’une intangibilité qui ne favorise pas leur rapprochement et
exclut la synthèse. Mais il n’y a aucune symétrie entre les
deux parties en présence : leurs prétentions ne sont pas de
même nature. C’est un raccourci simpliste d’affirmer que la
droite israélienne et la direction palestinienne rivalisent
d’intolérance en manipulant le religieux. Et un artifice
commode de renvoyer dos-à-dos cette double sacralisation, en la
vouant à la même réprobation indignée auprès de la conscience
laïque occidentale.
Lorsqu’il a rejeté le plan israélo-américain
sur Jérusalem, à Camp David, Yasser Arafat a rappelé ce
qu’aucun de ses interlocuteurs n’était censé ignorer, et qui
figure dans les documents officiels de l’OLP : « En
tant que partie intégrante des territoires occupés en 1967, Jérusalem-Est
relève des dispositions de la résolution 242 du Conseil de sécurité.
Jérusalem-Est est partie intégrante du territoire sur lequel
l’Etat de Palestine, sitôt établi, exercera sa souveraineté ».
Le président de l’Autorité palestinienne n’a pas opposé aux
prétentions israéliennes le récit coranique du voyage nocturne
du Prophète. Il a cité les résolutions de l’ONU. En bref,
cette même légalité internationale dont se prévaut
aujourd’hui le Hamas, sous-jacente à la proposition de trêve
de longue durée formulée dès 1995 par Cheikh Yassine.
Comment, alors, sortir de cette impasse ?
Paradoxalement, l’universalité symbolique du conflit est, à la
fois, ce qui le rend inextricable et ce qui fournit l’élément
de sa résolution. Parce que le conflit israélo-palestinien
n’appartient pas aux seuls belligérants, la communauté
internationale a des obligations à son égard. Et qu’elle ait
été parfaitement incapable de les remplir pour cause de
partialité américaine n’ôte rien à leur caractère
imprescriptible.
Il n’y a aucune autre issue au
conflit israélo-palestinien qu’un partage équitable. Faute
d’y parvenir, le conflit demeurera insoluble, comme ligaturé
par les frustrations dont il se nourrit. Gravée dans le marbre
d’un règlement définitif, la délimitation des espaces de
souveraineté fera disparaître le principal motif de
l’affrontement. Pour dissiper la confusion du politique et du théologique,
la meilleure solution (aujourd’hui), c’est de renvoyer chacun
chez soi.
Mais toute la difficulté réside,
on l’a vu, dans la définition solipsiste de ce « chez soi »
auquel paraît se cramponner obstinément l’une des parties en
présence. Dévolu par promesse divine à un peuple singulier, le
sacré, clament certains, ne se partage pas. Et si l’inverse était
rigoureusement vrai ? Ce partage a pourtant eu lieu durant
des siècles, du calife Omar (qui autorisa les juifs à revenir à
Jérusalem) jusqu’à l’Empire ottoman, expert en tolérance
religieuse. Paradoxalement, il a fallu l’irruption au
Proche-Orient d’un nationalisme séculier, à l’abri de
l’occupation coloniale britannique, pour ruiner cette
coexistence harmonieuse.
Ce n’est pas l’abondance du
symbolique qui pousse à l’affrontement, mais la prétention
d’un Etat confessionnel (et prétendument laïque) à se
l’approprier de façon exclusive. Si la partition du territoire
favorise le partage du sacré, c’est précisément parce
qu’elle opère la déconnexion entre espace symbolique et espace
politique. Partition du territoire entre les deux Etats, partage
du sacré entre tous : pour mettre fin à cette guerre, il
faut réaffirmer l’irréductibilité du sacré ; et, contre
la géopolitique du divin, frapper d’illégitimité toute
tentative de s’approprier l’inappropriable.
Bruno Guigue
Diplômé de l'ENS et de l'ENA
Auteur de "Proche-Orient : la guerre des mots", l'Harattan,
2003
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Publié avec l'aimable autorisation d'Oumma.com
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