Il y a bien des explications pour rendre
compte du conflit israélo-palestinien, les meilleures
reconnaissant la responsabilité des deux parties. Mais celle
fournie par David Brickner au terrorisme palestinien (le 17 août
dernier) dans la Wasilla Bible Church, peut-être en présence de
Sarah Palin, colistière républicaine de John McCain (selon une
information, elle y était), avait recours, non à la raison ou à
la logique, mais à la théologie ou, si l’on préfère, à la magie.
On peut considérer cette explication de
Brickner comme clairement offensante : l’idée que des hommes,
des femmes et des enfants aient été brûlés, réduits en lambeaux
et transformés en chair sanguinolente à cause d’une décision
théologique prise par de lointains ancêtres, paraît constituer
une gifle dans la figure des valeurs des Lumières et de
l’éthique américaine selon laquelle nous entrons dans la vie
avec une ardoise à zéro, nous pouvons faire ce que nous voulons
de notre vie ou la réinventer. La théorie du « kamikaze divin »
de Brickner ressemble comme une sœur au « Dieu a envoyé Hitler »
de John Hagee. Un schéma religieux où Dieu est un agent
immobilier qui re-lie les juifs à Israël à travers
l’antisémitisme, la persécution, les pogroms et la Shoah [1]
Les juifs, nous apprend Brickner, sont
irrémédiablement rebelles et donc maudits. Il est possible que
cette révélation mette un peu de sel sur les plaies de juifs
américains déjà meurtris, ou qu’elle accentue leur méfiance à
l’égard de John McCain, des républicains, du sionisme chrétien
et de la droite chrétienne américaine en général (que ce soit
justifié ou non). D’autant que, dans son sermon, Brickner
s’étend longuement sur les efforts des « juifs pour Jésus » pour
promouvoir son type de fondamentalisme chrétien à l’intérieur
d’Israël. A vrai dire et sans excès de langage, le prosélytisme
chrétien en Israël n’a pas très bonne presse.
Il y a des questions sur cet événement dont on
espère qu’elles recevront des réponses. Sarah Palin, gouverneure
de l’Alaska, était-elle présente dans la Wasilla Bible Church au
moment où l’actuel chef des juifs pour Jésus, David Brickner,
affirmait que les morts horribles et les mutilations
d’Israéliens victimes d’attentats suicides palestiniens étaient
de la responsabilité des victimes elles-mêmes, à cause du refus
collectif des juifs d’accepter Jésus en masse, en tant que
peuple ?
L’introduction du pasteur Larry Kroon au
sermon de David Brickner peut, lui aussi, susciter quelques
interrogations, car quand il raconte que c’est une rencontre
avec les juifs pour Jésus, dans les années 70, qui l’a pour la
première fois attiré vers le christianisme, ses opinions
pourraient paraître assez extrêmes. Sarah Palin n’a-t-elle rien
remarqué ? Ou bien pense-t-elle aussi que l’héritage juif est
frappé d’une malédiction ancestrale ?
Ce genre de révélations, sous la forme de
théories chrétiennes fondamentalistes adoptées par une église
que Sarah Palin a fréquentée pendant un an ou deux, continuera
probablement pendant quelque temps, car elle a fréquenté deux
autres églises à Wasilla et une autre à Juneau (Alaska). Pour le
moment, ni les médias traditionnels ni les blogueurs n’ont pu
cerner exactement quelles étaient les opinions théologiques
défendues dans les quatre églises que Sarah Palin a fréquentées
(Wasilla Assemblies of God, Juneau Christian Center, Church on
The Rock et Wasilla Bible Church).
L’une de ces églises mérite néanmoins un
examen plus attentif que les autres : Sarah Palin a été
rebaptisée, à l’âge de 12 ans, à la Wasilla Assemblies of God,
et elle a fréquenté cette église pendant au moins 25 ans avant
d’en fréquenter trois autres, toutes ensemble. Mercredi matin,
la page web qui héberge les archives des sermons de la Wasilla
Assemblies of God avait disparu, remplacée par une page web
statique qui expliquait que le problème venait d’une surcharge
du serveur. C’est peut-être vrai, mais si c’est le cas, la
Wasilla Assemblies of God, qui dispose d’un site web extrêmement
moderne et aux technologies sophistiquées, avec une grosse bande
passante, ne semble pas pressée de rétablir l’accès aux sermons
de l’église archivés sur le site, audio et vidéo. Cela suggère
une possible inquiétude, soit du QG de campagne de McCain, soit
de l’église, soit des deux, à l’idée que les médias s’y
intéressent.
Etrangement, la campagne
de McCain semble incapable d’éviter ces « catastrophes
religieuses » : en 2005, le prêcheur texan John Hagee, l’un des
soutiens de John McCain et un important relais auprès des
électeurs évangélistes, avait déclaré lors d’un sermon (diffusé
en mai 2008) qu’Hitler et les Nazis avaient été envoyés par Dieu
pour chasser les juifs d’Europe jusqu’en Palestine car,
affirmait Hagee, "la priorité suprême
de Dieu est de faire retourner le peuple juif sur la terre
d’Israël. Dieu a envoyé un chasseur ... Hitler était un
chasseur." 48 heures après la
diffusion de la vidéo, McCain renonçait au soutien politique d’Hagee
(voir la note 1 en bas de page qui renvoie à l’un de nos
articles traitant de cette affaire).
Maintenant, nous retrouvons les mêmes idées
émises dans une église fréquentée par Sarah Palin. L’affirmation
théologique avancée par David Brickner dans son sermon ressemble
beaucoup à celle d’Hagee, même si elle moins choquante,
peut-être parce que Brickner n’a pas parlé d’Hitler ni affirmé
qu’Hitler était un envoyé de Dieu.
Reste que Brickner a suggéré que « les juifs »
sont punis collectivement, dans le cadre d’une malédiction trans-générationnelle
qui court depuis deux millénaires, pour avoir rejeté Jésus. De
surcroît, si « les juifs » sont maudits, alors, si l’on suit
Brickner, la judaïté reviendrait à une sorte de souillure
spirituelle. Mais quid des enfants de couples mixtes,
« demi-juifs » ? Hériteraient-ils d’une demi-malédiction ? Ou
des gens qui ont un grand parent juif, les « quarts-de-juifs » ?
Hériteraient-ils du quart de la malédiction ?
Hitler et les Nazis avaient défini les juifs
comme ayant 3 grands-parents juifs, alors qu’en avoir 1 ou 2
conférait un statut « mixte ». Mais avec la « Loi de citoyenneté
du Reich » du 15 septembre 1935, les juifs, même citoyens
allemands, n’ayant qu’un seul grand parent juif étaient
dépouillés de leurs droits fondamentaux de citoyens. La
« judaïté » était déterminée sur la base de registres
paroissiaux allemands méticuleusement conservés, remontant à
plusieurs siècles. Du temps du 3e Reich, le seul document que
tous les Allemands devaient avoir sur eux en toute circonstance
était une déclaration de leur pasteur attestant de leur héritage
racial sur la base de ces registres paroissiaux.
Une fois encore, le sénateur John McCain a
fait une bourde en se laissant associer à des opinions
antisémites d’une partie de la droite chrétienne américaine (qui
est loin d’être uniformément antisémite) et choisi de s’associer
à une gouverneure dont la dernière église affirme que les juifs
sont punis collectivement (et déchiquetés par des assassins
envoyés de Dieu) pour leur entêtement. Cela ne signifie pas,
bien entendu, que McCain partage ces opinions, mais cela remet
en question son jugement, et il y a plein d’affaires en cours
sur Sarah Palin qui ne concernent pas le comportement de ses
enfants [2].
Bien sûr, les opinions antisémites n’ont rien
de nouveau aux Etats-Unis. Il est probable que plusieurs
millions d’Américains fondamentalistes partagent les idées de
David Brickner, qui s’exprimait à l’invitation expresse de Larry
Kroon, pasteur en chef de la Wasilla Bible Church. De même, le
pasteur John Hagee, ancien soutien de McCain (et soutenu par
McCain), a les mêmes idées, à savoir que les juifs sont
collectivement atteints d’une souillure, théologique ou
spirituelle, et ses croyances sont diffusées dans le monde
entier.
Le fameux sermon de John Hagee de 2005 sur
« Dieu a envoyé Hitler » a circulé sur de gros réseaux de
diffusion et a touché plusieurs dizaines de millions de foyers.
Son impact estimé en 2008 est d’une centaine de millions de
foyers, ce qui revient à dire que le sermon de David Brickner du
17 août 2008 à la Wasilla Bible Church, accessible en podcast
depuis le site web de l’église mais non actif, comparé à la
force thermonucléaire des vociférations antisémites du pasteur
Hagee, n’était qu’un simple murmure. Sauf que la gouverneure de
l’Alaska (à un battement de cœur de la présidence des Etats-Unis
en cas de victoire de John McCain) était peut-être présente.
Les juifs n’ont pas l’exclusivité des
condamnations du pasteur Larry Kroon. Le 22 juin 2008, dans un
sermon intitulé « La colère vengeresse du Seigneur », Kroon
avertissait, en baissant la voix jusqu’à sonner comme un murmure
sinistre, que Dieu allait châtier l’Amérique pour ce que Kroon
définissait comme une immoralité croissante.
Ces allégations sur une supposée immoralité
croissante sont un refrain récurrent de la part de la droite
chrétienne américaine, mais elles tendent à voler en éclats à
l’épreuve des faits, au moins ces dernières années. Qu’est ce
que « l’immoralité » ? Depuis plus d’une décennie, les chiffres
américains sur les meurtres, les crimes avec violences, les
divorces, les grossesses chez les adolescentes et les viols ont
tendance à baisser régulièrement, depuis la fin des années 80 /
début des années 90 jusqu’au milieu de la décennie actuelle.
Aujourd’hui, avec la récession économique, il se peut que les
chiffres augmentent (les difficultés économiques ont tendance à
alimenter certains types de crimes), mais les descriptions des
Etats-Unis comme une sorte de « cloaque moral » paraissent
largement exagérées. La question qui s’impose est : Sarah Palin
pense-t-elle que l’Amérique est en chute libre morale et que
l’attendent la colère et le châtiment divins ?
"Dieu maudisse l’Amérique",
avait déclaré Jeremiah Wright, ex-pasteur de Barack Obama, mais
Obama ne paraît pas partager ces sentiments. Mais il nous faut
poser la question : et Sarah Palin ? La possibilité d’un pays
gouverné par un président américain (au cas où McCain serait élu
et décéderait au cours de son mandat) qui pense que Dieu va
bientôt frapper les Etats-Unis collectivement, ou qui pense que
le conflit israélo-palestinien est dû au fait que les juifs
n’ont pas adopté le christianisme, paraît une perspective bien
sombre. Les médias traditionnels s’en feront-ils l’écho ? Les
porte-parole des chrétiens conservateurs et du Parti républicain
vont-ils condamner le sermon de Brickner ? Je ne suis pas très
optimiste, mais il est possible que les juifs américains et les
Israéliens qui vivent aux Etats-Unis le fassent. Ce serait un
bon début.
[1]
Sur l’affaire Hagee, voir
John McCain, Joe Lieberman et leurs amis
évangélistes