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Haïti : Profits pour
les élites,
faim et maladie pour des millions de personnes
Bill Van Auken
Mercredi 24 février 2010
« Il est grave de ne pas profiter des opportunités d'une
crise », a confié George Sassine, président de l'association des
manufacturiers d'Haïti, au Washington Post.
« C'est ce qu'est le tremblement de terre aujourd'hui : une
chance, une chance immense », a ajouté Reginald Boulos, décrit
par le Post de lundi comme le propriétaire d'un « petit
empire » constitué de supermarchés, d'un hôtel et d'un
concessionnaire automobile. « Je crois que nous devons faire
savoir que nous sommes prêts à faire des affaires. C'est
vraiment un monde de possibilités. »
Le Miami Herald a rapporté la semaine dernière que « des
firmes américaines ont commencé à manoeuvrer pour profiter du
filon des travaux de nettoyage », et qu’« au moins deux
compagnies des Etats-Unis ayant des relations politiques ont
recruté les services de puissants alliés haïtiens afin de se
positionner pour cette importante avenue économique. »
L'une de ces compagnies, AshBritt, s'était vu attribuer un
contrat fédéral de 900 millions de dollars pour le nettoyage de
la Nouvelle-Orléans après l'ouragan Katrina, surtout grâce à ses
contacts avec de puissants lobbyistes comme Haley Barbour,
gouverneur du Mississippi et ancien président du Parti
républicain.
Ces compagnies concluent maintenant des ententes avec des hommes
d'affaires haïtiens et courtisent les politiciens du pays pour
gagner des contrats qui vont assurément accaparer une grande
partie de l'aide internationale offerte pour la reconstruction
d'Haïti.
Même avant le séisme, Haïti était le pays le plus pauvre
des Amériques
ainsi qu'un des plus inégaux : 80 pour cent de la population vit
dans la pauvreté, 70 pour cent est au chômage et plus de la
moitié survit avec moins d'un dollar par jour.
Il semble maintenant certain que la catastrophe va élargir le
gouffre entre la richesse et la pauvreté, la caractéristique
centrale de la société haïtienne.
La riche élite dirigeante haïtienne, ainsi que des sociétés
américaines, salive devant les possibilités de richesses et de
gros profits liés à la reconstruction pendant que des millions
de travailleurs pauvres sont menacés par la famine et des
maladies qui pourraient venir alourdir de plusieurs centaines de
milliers de morts un bilan qui est déjà épouvantable.
Il a plu encore une fois sur Port-au-Prince dimanche, ce qui a
rendu les conditions encore plus infernales pour le demi-million
de personnes se trouvant toujours dans des camps de fortune dans
la capitale, souvent avec rien d’autre qu’une couverture pour se
protéger des éléments. Il est estimé que plus d’un million et
demi de personnes sont sans abri dans le pays à cause du séisme.
Le plus récent rapport du Bureau de la coordination des affaires
humanitaires
des Nations unies (BCAH) a indiqué que des centaines de
milliers
de sans-abri sont menacés par la saison des pluies qui débutera
sous peu. Parmi ceux-là, on trouve 25.000 personnes campant sur
un terrain de golf de Pétionville, le
plus grand camp de sinistrés en Haïti.
L’agence de l’ONU décrit le camp densément peuplé comme « un des
sites les plus vulnérables aux épidémies et aux inondations »,
avertissant qu’un « grand nombre d’abris sont installés sur des
pentes instables et des pluies importantes pourraient les
emporter ».
La distribution d’abris d’urgence est désespérément lente. « En
date du 11 février, plus de 49.000 bâches ont été distribuées
ainsi que 23.000 tentes pour une famille » a rapporté le BCAH.
Le gouvernement haïtien a insisté sur le fait qu’il avait besoin
de 200.000 tentes de façon urgente, près de 10 fois plus que le
nombre distribué à ce jour.
Dans de telles conditions, la crainte grandit
que de nombreuses autres personnes
meurent.
La plus importante cause de décès
dans les camps est maintenant l’infection pulmonaire aiguë,
selon le rapport. Plusieurs de ceux qui ont été sérieusement
blessés dans le séisme se retrouvent dans ces camps où les
mauvaises conditions d’hygiène et le manque d’abris menacent de
voir leur état se compliquer d’une infection fatale. Il y a la
menace plus générale que
la malaria et de la dysenterie,
des maladies habituellement courantes durant la saison des
pluies, se développent à grande échelle en plus des autres
maladies infectieuses,
à cause des conditions misérables auxquelles des millions de
personnes sont condamnées.
Alors que les agences de secours ont établi un système
d’approvisionnement de nourriture mieux supervisé, nombreux sont
les sinistrés qui n’ont toujours pas d’aide alimentaire. « La
sécurité alimentaire, déjà précaire
avant le tremblement de terre, s’est empirée », a déclaré un
porte-parole du BCAH.
Les Haïtiens sont de plus en plus frustrés par le fait que la
vaste majorité de la population n’a toujours pas une aide
suffisante. Au cours des derniers jours, cela a éclaté en
mouvement de colère dénonçant les responsables du gouvernement
haïtien autant que les agences et les dirigeants étrangers, y
compris l’ancien président américain Bill Clinton choisi comme
émissaire spécial de l’ONU en Haïti.
De nombreux travailleurs de l’aide humanitaire sont aussi
frustrés devant l’échec à amener plus rapidement à la population
les immenses quantités de matériel qui s’empilent à l’aéroport
de Port-au-Prince. Cet aéroport est sous contrôle de l’armée
américaine depuis le lendemain du tremblement de terre du 12
janvier.
Un article du Miami Herald du lundi 15
février
donnait un compte rendu parlant de la situation régnant en
Haïti.
« Une enquête des Nations unies a établi que les organismes
d’aide humanitaire ont distribué environ 20.000 matelas aux
survivants du tremblement de terre en une journée récemment. 35
fois ce nombre attend toujours dans un entrepôt » a écrit le
Miami Herald.
« Environ 32.000 bâches ont été
distribuées
dimanche dernier, mais on en trouve 104.132 entreposées alors
que des dizaines de milliers
de personnes
s’abritent encore sous des couvertures
qu’ils ont tendues au-dessus de leurs têtes pour se faire un
abri improvisé. »
Eric Klein, le fondateur de l’organisme d’aide humanitaire
CAN-DO, actif en Haïti, a dit au Miami Herald « Il n’y a
pas d’excuses pour que du matériel médical stagne dans un
entrepôt se trouvant à cinq minutes d’un hôpital où l’on fait
des amputations et où l’on a que de l’ibuprofène pour soulager
la douleur. »
Un correspondant du réseau de télévision
vénézuélien
teleSur a rapporté que la nourriture distribuée à partir de
l’aéroport arrive souvent à la population dans un mauvais état
pour avoir été entreposée si longtemps au soleil.
Les médecins, les travailleurs et les responsables de l’aide
humanitaire de plusieurs pays ont blâmé la militarisation de
l’aide après le tremblement de terre par le gouvernement
américain pour les retards, particulièrement lors des deux
premières semaines si cruciales.
Environ 22.000 soldats et marins américains ont été déployés
dans ce pays des Caraïbes, alors que des troupes équipées pour
le combat prenaient le contrôle de l’aéroport, du port et du
palais présidentiel. Pendant ce temps, les navires de guerre et
de la garde côtière américaine patrouillaient au large de la
côte haïtienne pour empêcher les victimes du séisme de fuir vers
les Etats-Unis. La semaine dernière,
les garde-côtes
ont retourné 78 Haïtiens interceptés
au large des Bahamas dans leur pays sinistré.
Le général Douglas Fraser, le commandant en chef du Commandement
du Sud américain, a annoncé samedi que le Pentagone avait
diminué le nombre des troupes à 13.000. La plus grande partie de
soldats quittant Haïti seront déployés en Irak ou en
Afghanistan. Le général a refusé de dire pour combien de temps
les troupes restantes en Haïti demeureront en Haïti, affirmant
seulement que ce sera aussi longtemps que « nécessaire ».
La considération principale de cette occupation militaire est la
défense de l’élite dirigeante haïtienne ainsi que des compagnies
américaines cherchant à tirer profit de la main d’œuvre à bon
marché et de la dévastation contre la menace que la crise ne
provoque une révolte sociale au sein de la population appauvrie
d’Haïti.
(Article original anglais paru le 16 février 2010)
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Publié le 24 février 2010 avec l'aimable autorisation du WSWS
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