29 octobre 2008
La date de l’élection américaine avance à
grands pas, et les dernières grandes manœuvres s’organisent dans
les deux camps, avec un avantage qui semble désormais quasi
décisif pour Barack Obama. Au-delà des thèmes de campagne et de
l’actualité politique, qui profitèrent au candidat démocrate, et
au-delà de son profil atypique, certains soutiens jouèrent un
rôle considérable dans sa campagne.
On se souviendra ainsi de l’appui précoce du
sénateur Edward Kennedy, quand les grands cadres du parti
hésitaient encore à se prononcer pour Barack Obama ou Hillary
Clinton, et de l’importance de ce soutien. On se souviendra
aussi de l’appui de l’ancien président Bill Clinton, reparti en
campagne en Floride pour son candidat. Mais la particularité de
cette fin de campagne est venue du soutien de l’ancien
Secrétaire d’Etat de Bush de 2001 à 2005 : Colin Powell.
Le 21 octobre, Barack Obama a ainsi reçu un
soutien de poids lorsque Colin Powell, général quatre étoiles
respecté de tous et conseiller des trois derniers présidents
républicains, a pris ouvertement position dans cette campagne
après avoir été discrètement courtisé par les deux camps durant
des mois, qualifiant Obama de « transformational figure », dont
l’élection pourrait « électriser le monde » lors d’une émission
télévisée nationale. Cette annonce est survenue à point nommé
pour le candidat démocrate qui se trouvait alors en Caroline du
Nord, Etat qui abrite une importante population militaire, et
permet de neutraliser dans une certaine mesure l’avantage
supposé ou réel de McCain en politique étrangère – comme l’a
reconnu le très conservateur Newt Gingrich, ancien porte-parole
de la Chambre des représentants lors du deuxième mandat de
Clinton, « cela a permis d’éliminer d’un coup le facteur
expérience ». Conseiller à la sécurité nationale sous Ronald
Reagan, chef d’état-major interarmées (le plus haut poste
militaire des Etats-Unis) de George Bush père et premier
Secrétaire d’Etat du président actuel, Colin Powell fut même
fortement pressenti pour être le candidat du Grand Old Party
(parti républicain) en 1996 avant d’annoncer à la surprise
générale qu’il ne se présenterait pas à cause de la nature
personnelle et vicieuse des attaques inévitables dans une
campagne politique. Son choix en faveur d’Obama peut donc
paraître à première vue surprenant, et en aucun cas négligeable,
même si certains analystes (notamment Rush Limbaugh,
présentateur radio conservateur très influent) imputent cette
décision au seul facteur racial (Colin Powell est un
Afro-américain). Les raisons mises en avant par l’intéressé, qui
reconnaît ne s’être décidé qu’au cours des derniers mois,
s’apparentent en fait à un véritable rejet en ordre des choix
récents de McCain (à qui il a donné l’an dernier 2.300 dollars,
le montant maximal autorisé) d’orientation de plus en plus
conservatrice, et semblent représentatives d’un certain type de
républicanisme, proche des centristes.
Obama, figure unificatrice et source
d’inspiration
Lors de son entretien télévisé, le général
Powell a insisté à plusieurs reprises sur les qualités propres
du candidat démocrate, dont l’élection constituerait un
« événement historique » et source de fierté pour tous les
Américains, susceptible d’électriser la nation mais aussi le
monde entier – des propos qui suggèrent implicitement que Barack
Obama serait le plus à même de restaurer le leadership
international américain, dont l’érosion récente constitue une
source de hantise pour nombre d’Américains. De fait, Obama
aurait selon Powell le potentiel d’être « un président
exceptionnel », grâce à « sa capacité à inspirer [les autres], à
cause de la nature inclusive de sa campagne et parce qu’il étend
la main à tous à travers l’Amérique […] il possède à la fois le
fond et la forme ». Par ailleurs, Colin Powell a fait part de sa
préoccupation à l’idée de voir deux juges conservateurs de plus
sur le banc de la Cour Suprême ; la thématique du conservatisme
est revenue à plusieurs reprises lors de l’interview, au cours
de laquelle Colin Powell s’est dit « troublé » à plusieurs
reprises par certaines orientations récentes au sein de son
propre parti et au sein de la campagne de McCain.
Une critique du « jugement » de McCain et des
dérives conservatrices
Colin Powell a eu en effet des mots très durs
pour plusieurs aspects de la campagne de McCain, y compris des
thèmes inabordables pour les démocrates. Il a paru déçu, pour ne
pas dire écœuré, par la tactique au centre des efforts de
l’entourage du candidat républicain qui consiste à essayer de
lier Obama au terrorisme , à travers son association avec Bill
Ayers, l’un des membres fondateurs d’un groupe terroriste
domestique actif dans les années 1960, et actuellement
professeur en université à Chicago – « je trouve que cela fait
apparaître la campagne de McCain comme étroite d’esprit ». De
même, les rumeurs qui circulent affirmant qu’Obama serait un
musulman (rumeurs que McCain a personnellement réfuté, sans être
imité par tous dans son parti). « J’ai entendu plusieurs membres
haut placés de mon parti suggérer ‘il est musulman et pourrait
être associé avec des terroristes’. Cela ne devrait pas être la
façon de procéder aux Etats-Unis ».
Deux épisodes surtout ont paru ébranler la
confiance de Colin Powell dans le jugement du sénateur de
l’Arizona : son attitude face à la crise financière, et surtout
son choix de Sarah Palin comme colistière, emblématique des
dérives conservatrices du parti républicain à ses yeux. De façon
significative, parlant de la crise économique, Powell a évoqué
l’attitude très incertaine de McCain (« presque tous les jours,
il y avait une approche nouvelle du problème, et cela m’a
inquiété, de sentir qu’il n’avait pas une maîtrise complète des
problèmes économiques »), mais n’a fait référence à aucune
action particulière d’Obama, dont il a juste mentionné la
« constance ».
Un point de vue emblématique d’une partie de
l’électorat ?
Mais c’est peut-être les réactions de Powell
face à la désignation de Sarah Palin, et les propos tenus par
celle-ci depuis, qui pourraient avoir le plus grand impact le 4
novembre, et ce pour plusieurs raisons : il s’agit là d’un thème
que les Démocrates n’osent pas aborder, et qui pourrait avoir
une résonance particulière auprès des centristes ou des
indépendants, vus à l’origine comme un atout de McCain. « Je
suis inquiet par la sélection de Gouverneur Palin. […]
maintenant que nous avons pu l’observer pour environ sept
semaines, je ne pense pas qu’elle soit prête à être présidente,
ce qui est le rôle du vice-président. Et donc cela m’a conduit à
questionner en partie le discernement dont a fait preuve
Sénateur McCain ». « Le parti s’est déplacé plus encore vers la
droite, et la gouverneure Palin a indiqué un décalage plus loin
encore dans cette direction ». Pouvant parler ouvertement de
tels sujets sans être accusé de mener une guerre partisane,
incarnant pour beaucoup une aile modérée du parti républicain,
proche des centristes, Colin Powell a peut-être apporté avec ces
déclarations un soutien capital pour capter les indécis, à
l’heure où la campagne de McCain, derrière dans les sondages,
peine à mobiliser un électorat autre que la base du parti.
Les réactions des partisans de McCain
Si certains républicains ont reconnu la
portée très grande de cette intervention, d’autres ont cherché à
en minimiser l’impact, de plusieurs façons. Peu ont retenu
l’approche de Rush Limbaugh visant à discréditer directement
Colin Powell, que ne peut se permettre aucune personnalité
politique (bien qu’il ait réitéré son opposition à tout
calendrier pour le retrait des troupes d’Irak, peu en phase avec
la situation actuelle) ; Rudy Giuliani a contesté l’affirmation
qu’Obama était « transformational », le qualifiant au contraire
de « Démocrate libéral très traditionnel, un retour au passé »,
accusant Obama de vouloir orchestrer une prise en main par le
gouvernement de nombreux sujets sur un mode presque socialiste.
Cela reprend implicitement les propos récents du sénateur de
l’Illinois répondant à un plombier de l’Ohio, Joe, en expliquant
qu’il fallait « redistribuer la richesse » (dont la critique a
joué un rôle central dans les dernières semaines de la campagne
de McCain). Par ailleurs, « Joe le plombier » a servi de fil
conducteur pour Roy Blunt, représentant du Missouri et House
Minority Whip, qui a déclaré que « Joe » avait plus d’importance
que l’association d’Obama avec Ayers ou le soutien de Powell. En
fait, personne parmi le camp McCain n’a cherché à contester la
dérive vers la droite, ni les errements de leur candidat face à
l’économie, que Powell a stigmatisés et qui sont peut-être les
arguments les plus dévastateurs mis en avant lors de cette
interview, et les plus susceptibles d’attirer à Obama un
électorat indécis, mal à l’aise avec non seulement les idées
défendues par McCain et Palin, mais aussi le ton général de leur
campagne, très négatif contre la personne même d’Obama au lieu
de se concentrer sur les enjeux économiques.
Barthélémy Courmont,
chercheur à l’IRIS assisté de Colin Geraghty
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Publié le 1er novembre avec l'aimable autorisation de l'IRIS.