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IRIS
L'Union
méditerranéenne, une réitération annoncée d'ambitions
déçues ?
Barah Mikaïl
Barah Mikaïl - Photo IRIS
IRIS,
24 octobre 2007
Il n’est probablement en rien excessif d’affirmer que le
contenu du discours de Nicolas Sarkozy sur l’Union de la Méditerranée
prononcé à Tanger le 23 octobre 2007 l’aura largement cédé
à deux types de sentiments : l’un, de satisfaction ; mais
l’autre, de frustration. On ne saurait pourtant faire grief au
Président de la République française d’avoir voulu préciser
les contours de cette Union méditerranéenne à laquelle il
appelait du temps déjà où il était candidat à la magistrature
suprême. Sur ce plan, force est de constater que ce sont bien les
meilleures intentions du monde qui l’animent, lui qui parlera
dans son discours de la Méditerranée comme ayant vocation à être
le trait d’union entre l’Europe et l’Afrique, le lieu où se
décidera « si oui ou non les civilisations et la religion se
feront la plus terrible des guerres », ou encore l’un des
enjeux « décisifs pour l’avenir des peuples riverains,
mais importants aussi pour l’avenir de la Méditerranée » On
ne pourra pas plus lui reprocher sa volonté de voir l’Union méditerranéenne
incarner à terme une « expérience originale, unique »,
qui en appelle à un pari engageant « notre génération »,
qui a ainsi pour devoir de la « rendre irréversible ».
Nicolas Sarkozy érige ainsi l’Union européenne comme modèle,
sans pour autant aspirer à lui calquer son idée d’une Union méditerranéenne.
Ce qui, dit autrement, revient à en appeler à une nécessaire
singularité pour cette Union, celle-ci restant motivée par
l’exemple de rapprochement qu’ont réussi à adopter les pays
actuels de l’Union européenne dès leur sortir de la Seconde
guerre mondiale. Mais le tout sans, pour autant, que puisse prévaloir
une quelconque tendance à vouloir superposer un modèle
institutionnel européen « occidental » sur un projet
en appelant à un rapprochement des perspectives entretenant deux
ensembles géographiques dits civilisationnels. Pour résumer les
faits en une phrase, le Président de la République française
veut ainsi faire de l’Union méditerranéenne le symbole et la
preuve de la réussite d’une alchimie mêlant le multiculturel
à l’opérationnel. Pour autant, il y a bien des motifs de déception
qui peuvent prévaloir devant le discours de M. Sarkozy. Certes,
celui-ci est pragmatique quand il annonce que « cette Union
ne se fera pas en un jour », ou encore que la particularité
du projet l’amène à être nécessairement « à géométrie
variable ». Mais dans le même temps, une « Union de
projets », pour reprendre sa formule, suffira-t-elle réellement
à construire un projet durable ? On ne peut que le souhaiter.
Mais il n’est pas pour autant déplacé de percevoir le Président
comme étant par trop ambitieux. Les termes par lesquels il définit
sa vision pour une Union méditerranéenne laissent en tous cas
difficilement prévaloir le contraire. En appeler à une Méditerranée
basée sur des modalités de coopération touchant au développement
durable, à l’énergie, aux transports, à l’eau, tout en
ayant pour priorités la culture, l’éducation, la santé, le
capital humain, la lutte contre les inégalités et
l’attachement à la justice est en effet tout ce qu’il y de
plus louable. Mais ce n’est pas pour autant que l’insistance
sur une telle nécessité de conscientisation pour l’ensemble
des riverains de la Méditerranée permettra de provoquer le déclic
sollicité d’une « volonté politique ». En effet,
non seulement l’ambition dépasse ici la faisabilité induite
par la réalité géopolitique prévalant sur la rive Sud de la Méditerranée
; mais elle surenchérit de surcroît sur la réalité factuelle
de l’Union européenne en tant qu’instance collective. Qui
saurait en effet voir dans cette dernière autre chose qu’un
large projet économique très largement démuni de perspectives
politiques solides et prometteuses ? Il n’est pas besoin
d’aller jusqu’à l’incapacité de l’Union européenne à
se bâtir une politique étrangère aux principes clairs et établis
pour illustrer cette donne. Il suffit de constater que Nicolas
Sarkozy reconnaît, à travers le même discours, que le projet
d’Union méditerranéenne auquel il aspire sera amené à être
proposé à la Commission européenne afin qu’elle puisse y être
« associée », participer « à tous ses travaux »,
« de façon à ce que les deux Unions s’épaulent et se
renforcent l’une l’autre et que progressivement elles se
forgent un seul et même destin ». Le Président voudrait
mettre la Commission européenne au fait des limites du Processus
de Barcelone qu’il ne s’y prendrait pas autrement. Sur le
fond, les faits lui donnent alors plutôt raison. Mais en parallèle,
il reste à se demander comment un pays appartenant à un ensemble
institutionnel européen veut proposer à ses voisins méditerranéens
d’imiter ce dernier alors qu’il a opté par lui-même pour un
projet personnel qu’il affirme devoir être endossé par ses
partenaires européens. En invitant « tous les chefs d’Etat
et de gouvernement des pays riverains de la Méditerranée à se réunir
en France en juin 2008 pour jeter les bases d’une Union
politique, économique et culturelle fondée sur le principe d’égalité
entre les Nations », M. Sarkozy donne ainsi l’impression
de mettre ses homologues méditerranéens devant le fait accompli.
Pour le reste, ses profondes convictions sur la santé et la
validité de son projet méditerranéen semblent le pousser à
exclure toute possibilité qu’il y aurait pour ces derniers de
repousser son offre. Certes, l’on voit mal ces derniers chercher
à opposer au Président français une fin de non-recevoir sur un
projet aussi ambitieux, et aux relents si positifs. Mais dans le même
temps, une coopération entre les pays européens de la Méditerranée
aurait peut-être dû être le préalable au discours de Tanger.
Non seulement M. Sarkozy aurait été fort peu susceptible de voir
son projet rejeté par ses partenaires ; mais de surcroît, il
aurait ainsi pu donner à sa proposition une envergure autrement
plus grande que ce qui prévaut actuellement. L’Union européenne
peut-elle en effet asseoir par elle-même les conditions de sa
consolidation politique tant que certains de ses membres donneront
l’impression de vouloir faire cavaliers seuls sur certains
sujets ? Tous ces constats ne doivent évidemment pas pour
autant occulter l’essentiel. A savoir qu’une Union méditerranéenne
conforme au portrait annoncé par le Président français reste
souhaitable, et surtout mille fois favorable à la claire désunion
politique et à la méfiance qui prévalent entre pays du Maghreb
et du Machrek à l’heure qu’il est. Pourtant, avec le discours
de Tanger, les choses n’ont pas donné l’impression de
beaucoup avancer. Certes, mettre en place les prémices d’une
Union méditerranéenne qui éviterait aux Européens de réitérer
les erreurs du Processus de Barcelone reste en soi un objectif
souhaitable mais aussi amplement réalisable. Pour autant, aspirer
à la mise en place d’une Union européenne bis – formule que
nous utilisons ici par souci de simplification – n’est pas
pour autant amené à pouvoir s’imposer en l’espace d’une génération.
A moins que « les Européens » ne puissent œuvrer,
dans l’intervalle, tour à tour à la résolution du conflit
israélo-palestinien, au désamorçage des crises israélo-arabes
comme syro-libanaise, à la mise en place de solutions contribuant
à l’apaisement des velléités iraniennes actuelles, à un
rapprochement des perspectives politiques entretenues par chacun
des pays de la Péninsule arabique comme du Maghreb, sans oublier
au passage la nécessaire érection de solutions contribuant à la
pacification de la donne irakienne ou encore l’impérative
institution de logiques permettant d’atténuer le clivage
grandissant prévalant entre les gouvernants du Moyen-Orient et
chacune de leurs opinions publiques. La route de l’Union méditerranéenne
est longue, semée d’embûches, et la priorité au désamorçage
des donnes politiques reste, et de loin, le préalable aux
motivations et options de type économique. Sans quoi, l’Union
du Maghreb arabe, le Conseil de Coopération des Etats arabes du
Golfe, ou tout simplement l’organisation de la Ligue arabe
auraient réussi depuis longtemps à incarner une assise concrète
et prometteuse pour un projet tel que celui développé par M.
Sarkozy. Tant que les logiques seront inversées, on ne voit pas
au nom de quoi la Mare Nostrum pourra avoir vocation à
incarner une Mater Nostrum, selon les deux formules
consacrées par Pierre Balta. Barah Mikaïl
Chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques
(IRIS), spécialisé sur le Moyen-Orient. Auteur de La Politique américaine au
Moyen-Orient (Dalloz, 2006)
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