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IRIS
Les déclarations du
Hamas, une opportunité à saisir
Barah Mikaïl
Barah Mikaïl - Photo IRIS
IRIS, 22 avril 2008
Faut-il croire le Hamas sur parole ? Alors que l’ancien
président américain Jimmy Carter vient d’achever une « tournée
pour la paix » moyen-orientale d’une durée de 9 jours, le débat
(ré)amorcé aujourd’hui sur l’actualité du conflit
israélo-palestinien a au moins un aspect positif : celui de
contribuer à mettre les points sur les « i ». On ne compte en
effet plus le nombre d’hypothèses et diverses contre-thèses qui
ont pu accompagner les interprétations liées aux évolutions du
principal épicentre conflictuel du Moyen-Orient depuis le 26
janvier 2006 particulièrement, date d’accès du Hamas au pouvoir
dans les Territoires palestiniens. Les uns y voyaient
l’émergence d’une nouvelle donne compromettante pour la paix
dans la région, arguant du déni existentiel affiché par cette
formation vis-à-vis de l’Etat d’Israël ; les autres tentaient,
au contraire, d’y voir une opportunité pleinement exploitable,
conformément au principe selon lequel seuls les ennemis mutuels
(soit le Hamas d’une part, et l’exécutif israélien) peuvent
négocier concrètement les termes d’une paix. Il aura cependant
fallu passer par de profonds tiraillements inter-palestiniens,
de nouvelles – et graves - inflexions dans l’état des relations
israélo-palestiniennes, ainsi que par une donne
israélo-libanaise exacerbée, pour en arriver à un constat : le
Hamas, pas plus que le Hezbollah libanais, n’ont finalement
courbé l’échine. Deux ans après l’accès du Hamas au pouvoir, et
un an et demi après la fin officielle du dernier des
affrontements israélo-libanais d’ampleur, retour à la case
départ donc, avec l’échec des Israéliens, des Américains, et de
leurs alliés occidentaux à tordre le cou tant à leurs principaux
ennemis régionaux (Hamas et Hezbollah) qu’à leurs parrains
supposés (la Syrie et l’Iran).
Une donne régionale toujours aussi explosive implique ainsi de
trouver des solutions nouvelles, et durables. Dans ce contexte,
la récente annonce du Hamas, qui se dit disposé à respecter une
trêve militaire de longue durée avec Israël si toutefois ce
dernier acceptait se retirer sur les frontières territoriales
qui prévalaient à la veille de l’éclatement de la guerre des
Six-Jours de juin 1967, est-elle à placer dans la catégorie des
propositions nouvelles et sérieuses formulées par une formation
qui a réussi à maintenir ses assises contre vents et marées ?
Pas vraiment. Une fois encore, le Hamas fait en effet montre
d’une reconnaissance implicite de sa part de l’Etat hébreu, et
quand bien même il refuse de procéder à une énonciation formelle
de son accommodation du fait israélien, il convient de ne pas
oublier que le cheikh Ahmad Yassine lui-même, ancien chef
spirituel du Hamas, avait procédé à une proposition similaire au
début de l’année 2004, quelques semaines tout juste avant son
assassinat par l’armée israélienne. La trêve n’est pas une
reconnaissance, disent les Israéliens ; pas de reconnaissance de
notre part, mais des garanties de sécurité en cas d’un retrait
des Israéliens de nos territoires occupés depuis 1967,
rétorquent les Palestiniens du Hamas. Et l’on voit mal comment
les positions des uns et des autres pourraient en venir à
évoluer plus avant dans les prochains temps. Le Hamas a le
soutien de la « rue palestinienne » en effet, si l’on en croit
les sondages d’opinion à tout le moins ; le gouvernement d’Ehoud
Olmert, pour sa part, ne voit pas pourquoi il devrait prendre en
considération les affirmations du Hamas alors que le Fatah est
beaucoup plus acquis à ses volontés. Même si les termes d’une
alliance objective ne sont jamais totalement exclus dans
l’alchimique et complexe moule proche-oriental, on ne voit ainsi
pas ce qui pourrait réellement les motiver aujourd’hui.
Car, une fois n’est pas coutume, le verdict hypothétique des
urnes est bel et bien un déterminant incontournable des
évolutions intervenant tant côté palestinien qu’israélien, et
c’est en ce sens que les perspectives prévalant d’un côté comme
de l’autre se font une fois encore miroir. Car l’aspect
relativement nouveau de cette actualisation des exigences du
Hamas pour la pacification des perspectives réside dans son
annonce selon laquelle il serait prêt à accepter les termes
d’une paix négociée entre l’Autorité palestinienne (représentée
donc par le Fatah) et le gouvernement israélien à l’une des
conditions suivantes : soit que les Palestiniens signifient par
référendum leur accord vis-à-vis d’un tel et hypothétique texte
; soit que cette même disposition soit validée par un nouveau
Conseil législatif palestinien qui aurait été consacré par la
voie des urnes. Le Hamas sait, en effet, que les sondages lui
sont favorables aujourd’hui, et qu’ils ne jouent par contre en
rien en faveur du Fatah ; dès lors, il voit mal pourquoi il se
priverait d’un recours à une telle piqûre de rappel. Ce scénario
annoncé, quand bien même il n’aboutirait pas concrètement, ne
lui donnerait en effet pas moins des arguments supplémentaires,
sur le principe selon lequel toute absence de prise en compte de
ses propositions est en soi-même un aveu de faiblesse de la part
des négateurs. Quant à Ehoud Olmert, auquel les sondages
d’opinion ont été beaucoup plus favorables depuis qu’il a validé
tour à tour, ces derniers mois, un bombardement sur un site
nucléaire syrien supposé (septembre 2007) ainsi qu’une nouvelle
série d’opérations musclées à l’encontre de la bande de Gaza, il
voit probablement très mal pourquoi il devrait acquiescer à une
prise en compte sérieuse des déclarations du Hamas dans un
contexte où un tel acte pourrait être synonyme, aux yeux de sa
population, d’un aveu de faiblesse vis-à-vis des Palestiniens.
Autant dire que les perspectives demeurent loin d’abonder en
faveur de la réouverture d’un canal diplomatique franc entre
Israéliens et Palestiniens, et que l’on ne saurait d’ailleurs
voir Israël dire oui au Hamas à un moment où il n’hésite pas à
faire valoir bien des oppositions à la volonté américaine de
voir la création d’un Etat palestinien aboutir d’ici à la fin de
l’année 2008.
Il ne faut pourtant pas en déduire une quelconque inutilité dans
la démarche courageuse entreprise ces derniers jours par J.
Carter, qui, c’est le moins que l’on puisse dire, a été très
sérieusement tancé par les exécutifs israélien comme israélien.
Ces nouvelles déclarations du Hamas ont en effet au moins un
mérite : celui de montrer que la voie militaire est loin d’être
le choix stratégique exclusif de cette formation. Ce n’est ainsi
pas le moindre des mérites de J. Carter que d’avoir contribué,
si besoin en était, à la clarification de cet aspect. Quant à
Israël, aux Etats-Unis, mais aussi à l’Union européenne (ou du
moins la majorité de ses membres), leur boycott du Hamas a, au
bout de deux ans, montré ses limites : la formation islamiste a
su se maintenir, sa popularité n’a pas subi l’érosion
initialement escomptée, et ses revendications assumées restent
intactes. Il n’est ainsi en rien inutile de rappeler qu’il est,
plus que jamais, urgent pour les pays occidentaux de consacrer
le Hamas au rang de partenaire politique, au même titre que le
Fatah. Cela ne signifie en rien d’acquiescer à l’ensemble des
conditions que pourrait en venir à afficher cette formation pour
l’avenir des relations israélo-palestiniennes, bien entendu. Ce
serait, au contraire, une manière de la responsabiliser, et de
lui montrer qu’elle peut obtenir un gain politique conséquent à
partir du moment où elle ferait montre de pragmatisme, et
surtout de souplesse supplémentaire. Car, si le Hamas est
capable de parler d’une trêve avec Israël en dépit de la guerre
à outrance qu’il connaît depuis plus de deux ans, rien n’empêche
de penser qu’il pourrait se montrer encore plus souple et
réaliste à compter du moment où il trouvera face à lui des
interlocuteurs efficaces, et probants. Jusqu’à preuve du
contraire en effet, pas une négociation à l’international n’a
été initiée au départ de postures initiales consensuelles de la
part des protagonistes concernés. Il n’y a pas de raisons qu’il
y en aille différemment dans le cas du conflit
israélo-palestinien.
Barah Mikaïl
Chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques
(IRIS), spécialisé sur le Moyen-Orient. Auteur de La
Politique américaine au
Moyen-Orient (Dalloz, 2006)
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