La politique américaine
au Moyen-Orient n'est pas toujours exempte de répercussions
inattendues. En novembre dernier, la victoire - relative mais
non moins acquise - des Démocrates à l'issue des élections de
mi-mandat aux États-Unis avait ainsi confirmé les limites de
la stratégie moyen-orientale post-11 septembre formulée par
l'Administration du président George W. Bush. Elle mènera à
la démission du jusqu'alors inamovible secrétaire d'État à
la Défense Donald Rumsfeld, ainsi qu'à la perte annoncée par
John Bolton de son poste de représentant des États-Unis auprès
de l'ONU. Cette mise à l'écart officielle de figures néo-conservatrices
incontournables ne semblait pas entièrement étrangère à la
publication, quelques jours plus tard, du rapport Baker-Hamilton
sur la situation en Irak
Il convient cependant de
voir dans ces événements le signe d'un recalibrage tactique américain,
et non d'un quelconque bouleversement stratégique. Les
constantes moyen-orientales restent en effet intactes dans
l'ensemble. Les fuites précédant la publication du rapport
Baker-Hamilton avaient d'ailleurs vite poussé une délégation
irakienne officielle de haut niveau à se rendre à Washington
pour s'assurer du maintien par les Américains de leurs troupes
en Irak. Et le mystère entretenu dans un premier temps par G.
W. Bush sur cette question aura pour sa part tôt fait de s'éclaircir.
Le 22 décembre 2006, le nouveau secrétaire américain à la Défense,
Robert Gates, en visite en Irak, s'est déclaré en faveur d'une
augmentation du nombre de militaires étrangers en présence
dans le pays, pour des besoins officiels de formation de l'armée
irakienne et de rétablissement de la sécurité nationale.
On comprend aisément les
raisons qui ont poussé l'Administration Bush à éviter tout
retrait précipité d'Irak. Une telle action s'apparenterait à
un lourd échec dont les effets rejailliraient indubitablement
sur les intérêts américains dans la région à moyen et long
termes. Mais ce même agrippement reste tout aussi bien en phase
avec les aspirations de la majorité des gouvernements voisins
de l'Irak. L'Arabie saoudite, le Koweït et la Jordanie restent
ainsi favorables à une présence militaire américaine qui est,
selon eux, la meilleure garantie contre un renforcement de
l'Iran sur la scène irakienne ; la Turquie sait que tout
retrait américain aurait pour corollaire une nouvelle
accentuation des tendances communautaires qui consacrerait les
tentations sécessionnistes des principales communautés d'Irak,
dont les Kurdes du Nord ; et les principaux représentants
politiques du gouvernement irakien restent quant à eux les
premiers demandeurs d'un maintien supplémentaire, voire d'un
renforcement, des troupes étrangères en présence dans leur
pays. Sans oublier, bien entendu, les pays membres de l'Union
européenne, mais également des acteurs aussi importants que la
Chine et la Russie, qui, s'ils se réjouissent pour certains
d'entre eux des difficultés rencontrées par Washington en
Irak, préfèrent néanmoins le maintien de cette présence
militaire à la création d'un vide qu'aucun d'entre eux ne
pourrait combler pour l'heure. Quant à la Syrie et à l'Iran,
ils ont aussi paradoxalement intérêt au maintien de ce statu
quo dans l'immédiat ; celui-ci reste en effet, chaos sécuritaire
oblige, synonyme de grandes difficultés pour l'hyperpuissance
mondiale. Or, pensent-ils, tant que Washington sera confronté
aux difficultés irakiennes, il pourra difficilement tenter
l'ouverture d'un nouveau front militaire régional.
Ces considérations
laissent cependant posée la question de l'avenir concret de
l'Irak. Du destin de ce pays découleront les perspectives et défis
s'imposant à ses voisins frontaliers. Pour l'instant, tout
retrait américain serait incontestablement catastrophique pour
l'évolution d'un pays dans lequel les tensions d'ordre
politico-communautaire sont, certes, exacerbées, mais n'ont pas
pour autant atteint leur point de non-retour. Néanmoins, aucun
scénario de sortie de crise viable ne semble être envisagé
pour autant, ni par la puissance occupante, ni par un quelconque
autre membre de la communauté internationale, ni même par la
plupart des acteurs politiques irakiens. L'urgence reste
pourtant à la mise en place d'une sorte de feuille de route
pour l'Irak, aux orientations limpides et constructives, et que
pourrait encadrer - hypothèse souhaitable - l'ONU. Car quelles
que soient les options à venir, elles ne sauraient faire fi
d'un nouvel élément fondamental : le parlement irakien vient
d'adopter, de justesse, une loi prévoyant la fédéralisation
officielle du pays à l'horizon 2008. Or, une telle consécration
du fait politico-communautaire, si elle venait à connaître son
aboutissement, a évidemment peu de chances de pouvoir
revivifier un sentiment national irakien en état avancé de décomposition.
Les États voisins de la région se priveraient-ils dès lors de
faire de l'ingérence dans un pays dont ils redoutent les débordements
? La réponse est évidemment négative, tant la raison d'État
demeure le maître mot des relations internationales