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IRIS

Irak : entre éclatement des « camps confessionnels » et vaines tentatives de rabibochage
Barah Mikaïl


Barah Mikaïl - Photo IRIS

IRIS, 15 octobre 2007

Affirmer aujourd’hui que la situation en Irak reste bien loin de s’améliorer revient bien entendu à enfoncer des portes ouvertes. Si les média occidentaux se focalisent actuellement un peu moins sur les évolutions du pays, cela n’est en rien synonyme d’un quelconque progrès dans le pays, ni sur le plan sécuritaire, ni même sur le plan de la reconstruction. Les attaques revendiquées par l’Etat islamique en Irak – qui regroupe une partie des formations djihadistes en action dans le pays – sont moins audibles aujourd’hui, certes ; mais les Irakiens restent généralement bien loin de pouvoir entrevoir un éclaircissement prometteur de leur horizon, sur le court terme à tout le moins. Et l’on aurait tort de croire que la nouvelle opération récemment lancée par les Américains dans des fiefs réputés abriter des djihadistes puisse être couronnée d’un succès durable. L’expérience prouve en effet que la traque et le bombardement des positions des aspirants-qaïdistes en Irak a pour seul effet de repousser quelque peu les échéances concernant la reprise de leurs attaques, jamais de les annuler. Le pays reste ainsi bien loin de pouvoir prétendre à un succès concret sur le plan de la lutte contre le terrorisme.

Les évolutions de terrain sont légion, pourtant, qui annoncent des avancées concrètes dans le pays. Pour le meilleur, ou pour le pire ? Seul l’avenir le dira. Mais il convient de rester conscient de ce que, à l’instar de la situation qui s’était imposée il y a près de deux ans, au lendemain du dynamitage du Mausolée de Samarra, quiconque entretient aujourd’hui l’espoir de voir les Irakiens s’unir sous une seule et même bannière nationale risque fort de voir ses espoirs déçus. L’Irak un n’est en effet plus, et le meilleur des scénarii susceptibles d’aboutir à l’avenir passerait par la consécration d’un Irak fédéralisé chapeauté par un gouvernement creux et entièrement démuni sur les plans politique et gestionnaire comme sécuritaire.

L’heure étant au pragmatisme, il serait vain de revenir sur le désastre causé par l’aventure menée par les Américains en Irak. L’Administration Bush a bel et bien échoué à garantir la sécurité de ce pays, et seul le résultat des élections présidentielles de novembre 2008 pourra nous renseigner sur l’importance accordée par les électeurs américains aux orientations internationales annoncées par leurs candidats. D’ici là, l’Irak se sera-t-il ressaisi ? Il est permis d’en douter. Reste néanmoins que les évolutions inter-irakiennes ont elles-mêmes connu ces derniers temps des recadrages importants qu’il convient de souligner.

Ainsi, particulièrement significative fut la manière par laquelle, au début de l’été 2007, l’armée américaine avait encouragé des chefs de tribu sunnites à former des « Conseils de réveil » (Majâliss Sahoua) voués à la lutte contre la mouvance djihadiste en Irak. Les responsables tribaux n’adhéreront cependant pas tous à cet appel, et ce sera d’ailleurs là un motif supplémentaire de division inter-sunnite. Celui-ci viendra dès lors se superposer à une polarisation du camp sunnite déjà marquée par la rivalité engagée depuis la fin de l’année 2005 entre chacun du Conseil des oulémas sunnites et du Parti islamique irakien.

Certains chefs tribaux feront cependant le choix de répondre favorablement à la proposition de Washington, et officialiseront leur engagement dans un combat contre les djihadistes. Il faut dire que les perspectives restaient alléchantes, de leur point de vue, puisque cela restait – et reste – le meilleur moyen pour eux d’obtenir gracieusement un armement qui, parallèlement à la traque des qaïdistes, pourra(it) leur servir à assurer leurs propres moyens de défense. L’histoire ne dit pas si Washington, exemple afghan des années 1980 à l’appui, a prévu de confisquer le restant de cet armement à ces Conseils le jour où il estimera que la mouvance djihadiste en Irak aura été effectivement réduite à néant. En attendant, sa proposition a fait des émules, puisque le Conseil du réveil de la province d’al-Anbar ouvrira la porte à l’institution de plusieurs structures homologues dans d’autres provinces et/ou villes à majorité sunnite du pays, telles que Sulaymaniyya, Salaheddin, ou encore Mossoul.

Prévue pour lutter efficacement contre les djihadistes, cette initiative a donc participé d’une division supplémentaire au sein du « camp sunnite » irakien, une autre preuve de cette situation résidant d’ailleurs dans l’attaque lancée au début du mois d’octobre 2007 par le chef du Conseil du réveil d’al-Anbar à l’encontre du Parti islamique irakien. Qui plus est, le fait que l’organisation « al-Qaïda en Irak » ait, en l’espace de deux semaines, revendiqué l’assassinat des Cheikhs Abdel-Sattar Abou Richa et Mo’âwya Joubara, chefs respectifs des Conseils d’al-Anbar et de Salaheddin, ne contribue en rien à atténuer les rancoeurs. Or, dans ce même contexte, il reste important de souligner que c’est un nouveau type d’organisation à composante sunnite dont les Irakiens viennent d’apprendre l’existence. Le 11 octobre 2007, la chaîne d’informations al-Jazeera annonçait ainsi la naissance du Bureau politique unifié pour la Résistance (al-Majliss al-Siyâssi al-Mowahhad lil-Moqâwama), organisation composée de six formations inspirées par le salafisme djihadiste pour les unes, et par l’organisation des Frères musulmans pour les autres, et ayant vocation à lutter contre l’occupation de l’Irak. Transconfessionnel dans les apparences, ce « Bureau » a pourtant de fortes chances de chercher à prôner un exclusivisme sunnite, tant au vu du passé et des convictions de certaines des formations en faisant partie, qu’en raison de l’un des pans de son programme en appelant à lutter contre « les occupants et les traîtres collaborateurs ». Ce qui reste une référence claire aux Kurdes d’Irak, mais aussi (voire surtout) à leurs homologues arabes chiites.

L’éclatement du « camp sunnite » en Irak ne s’étant jamais porté aussi bien qu’aujourd’hui, et le pire restant probablement à venir, on comprend que les perspectives d’alliances entre les différentes formations politiques irakiennes restent amplement compromises, ce qui n’est d’ailleurs que la confirmation d’une tendance engagée depuis un bon moment. Sauf à avoir foi dans un soudain miracle, on voit mal en effet comment le Gouvernement régional du Kurdistan pourrait décider de troquer son début d’indépendance annoncée pour une consécration du fait national irakien. Côté chiite, les perspectives ne sont pas plus prometteuses, puisque, à l’exception de la mouvance du Cheikh Moqtada al-Sadr, toutes les formations à coloration confessionnelle chiite restent d’accord sur un point : la nécessité qu’il y a pour elles de définir les limites administratives des régions méridionales à majorité chiite amenées à participer de la consécration d’un Irak fédéral. Il convient en effet de ne pas oublier que le projet de Loi sur la fédéralisation de l’Irak est d’ores et déjà prêt, et qu’il devrait être soumis au vote des députés à compter du mois d’avril 2008. Son adoption reste loin d’être acquise, et le texte pourrait très bien connaître le sort de la Loi sur le pétrole et le gaz en Irak, prévue pour être adoptée en avril 2007, mais restée en suspens depuis faute d’accord interparlementaire. Néanmoins, à supposer que la Loi sur la fédéralisation de l’Irak puisse être rapidement adoptée, il reste à se demander sur quelles bases les divisions administratives irakiennes pourront être esquissées. Le « camp chiite » lui-même est en effet largement divisé sur cette question, les uns en appelant à la constitution d’une sorte de « Chiistan » dans le Sud du pays, les autres prônant le respect des limites des gouvernorats actuels de manières à en arriver à un Etat fédéral constitué de 18 Etats, un peu sur le modèle institutionnel américain. Ce ne sont ainsi ni la posture du Cheikh Moqtada al-Sadr, ni l’alliance annoncée entre ce dernier et le Conseil suprême de la Révolution Islamique en Irak (CSRII) d’Abdelaziz al-Hakim et de son successeur annoncé ‘Ammar, ni même le combat de type « nationaliste laïque » à relents opportunistes lancé par l’ancien Premier ministre Iyad ‘Allaoui, qui permettront d’apaiser les perspectives irakiennes à l’avenir. Quant au « plan de réconciliation nationale » révélé par le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki au début du mois d’octobre 2007, il donne à maints égards l’impression de n’engager que sa propre personne. Dans ce contexte, l’alliance « sunnito-chiite » annoncée le 14 octobre entre le CSRII et le chef du Conseil d’al-Anbar dégagera-t-elle des perspectives plus reluisantes ? Encore une fois, il est amplement permis d’en douter. Les perspectives irakiennes ne sont en effet plus à l’union nationale ; elles sont tout simplement à l’esquisse des modalités de partage du pouvoir et des richesses nationales qui permettront à chaque responsable politico-confessionnel de prétendre à brève échéance à une part substantielle du gâteau irakien.

On peine ainsi à esquisser les scénarii du futur qui pourraient participer de l’engagement de l’Irak sur des rails prometteurs. Bien au contraire, c’est bien le risque de contagion régionale qui semble menacer, posant la possibilité de voir les « minorités » des pays avoisinants revendiquer à leur tour des particularismes locaux et territoriaux. Il faut se garder de tout fatalisme, certes ; dans le même temps, le débordement extranational de la situation irakienne est bel et bien une réalité. Le pilonnage engagé le 11 octobre 2007 par l’armée turque à l’encontre des positions du Parti des travailleurs kurdes (PKK) en Irak en est une preuve ; le fait que l’Iran lui-même ait participé de cette même tendance en procédant depuis quelques mois au bombardement de positions du PJAK (Parti pour une vie libre au Kurdistan), en pleines concertation avec l’armée turque, s’inscrit dans la même logique. Les informations faisant état de la fuite de certains contingents du qaïdisme en Irak vers d’autres pays de la région n’apparaît ainsi à ce titre que comme l’un des effets périphériques de l’enfoncement abyssal de l’Irak vers le chaos. Une fois encore, c’est, au-delà de la douloureuse situation traversée par ce pays, la question de la nature à venir des frontières politiques du Proche-Orient qui semble s’imposer à nouveau sur l’agenda régional. Pour le pire bien plus que pour le meilleur.

Barah Mikaïl Chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), spécialisé sur le Moyen-Orient. Auteur de La Politique américaine au Moyen-Orient (Dalloz, 2006)



Source : IRIS
http://www.iris-france.org/...


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