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Religion

Mettre l’Imam au centre de l’organisation du culte musulman
Azzedine Gaci*

 

La France compte aujourd’hui plus de 2000 mosquées et lieux de culte. 1500 à 1800 imams y dirigent les prières quotidiennes et célèbrent le prêche du vendredi.

A sa création en Mai 2003, le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) devait fixer la formation des imams comme la priorité des ses priorités. Miné par leurs querelles internes et incapables de dépasser les clivages d’appartenance, les responsables du CFCM n’ont pu faire aucune proposition sérieuse. Les responsables politiques ne semblent toujours pas mesurer l’importance de ce dossier. Depuis 2003, quatre ministres de l’intérieur et des cultes dont l’actuel président de la république M.SARKOZY se sont succédés à place Beauvau. A chaque fois, le ministre en question ouvre le dossier de la formation des imams, affiche une politique volontariste dans ce domaine et à chaque fois, il repart en se contentant de déclarations, louables certes mais sans suite. 

Une autorité religieuse multi-céphale

Il y aurait en France 5 à 6 millions de musulmans originaire du Maghreb et d’Afrique mais aussi de Turquie. Comme partout ailleurs, les musulmans de France n’ont pas de hiérarchie cléricale à l’image des catholiques. L’autorité religieuse de l’Islam est plurielle, multi-céphale et aucune personnalité aussi respectée soit elle ne peut prétendre s’exprimer au nom de tous les musulmans ce qui constitue un véritable problème en France.

Après la mort du prophète Muhamed au 6ème siècle, les savants musulmans s'efforcèrent d'élaborer un cadre juridique pour organiser la vie des musulmans au quotidien. De cet effort intellectuel (Ijtihad), l’Islam sunnite vit naître 4 écoles juridiques ou rites musulmans qui continuent d’exister encore aujourd’hui. Depuis lors, tous les musulmans, y compris de grands savants comme Averroès (12ème siècle) par exemple s’identifient à l’une de ces écoles Hanafite, Malikite, chafiite et Hanbalite du nom de leurs fondateurs unanimement respectés.

L’appartenance à l’une de ces écoles de droit compensait en partie l’absence de hiérarchie chez les musulmans. Au courant du 20ème siècle, est apparu dans le monde musulman un courant de pensée qui appelait les musulmans à se détacher de ces écoles, à leur nier toute légitimité et à se référer exclusivement aux deux textes fondateurs de l’Islam : le Coran et la tradition du Prophète. Bien loin d’avoir suscité le développement d’un quelconque esprit critique, ce courant allait désarçonner les musulmans.

Télé-Muftis et Cyber-Fatwas

En effet, pour la majorité des musulmans, l’appartenance à l’une des écoles de droit aussi critique soit elle leur offrait un cadre et des normes juridiques. Et quand un musulman avait besoin d’une réponse à une question précise, il lui suffisait de s’adresser à l’imam de la mosquée la plus proche. Aujourd’hui, au lieu de consulter l’imam de leurs mosquées, beaucoup de jeunes refusant catégoriquement de s’identifier à une école juridique se tournent vers les « télé-Muftis » de certaines chaines satellitaires ou des sites internet qui regorgent de « Cyber-Fatwas » (Fatwas en ligne) contradictoires (et donc source de confusion) émises par des imams vivant de l’autre côté de la planète et donc incapables de connaître les réalités économiques, sociales et politiques dans lesquelles vivent les musulman de France. A ce désordre, il faut ajouter les discours manipulateurs tenus par des extrémistes en divers point du monde. Tout cela explique en partie l’internationalisation croissante de la violence et la prolifération des organisations radicales pas franchement en phase avec la modernité et les avancées sociales. Cette réalité ne doit être sous-estimée ni en France ni ailleurs. Aux discours extrémistes qui développent les postures intellectuelles les plus fermées, il faut opposer l’autorité morale et spirituelle de personnalités musulmanes respectées et capables de démontrer que ces lectures de l’Islam ne correspondent ni au message ni aux enseignements du Coran.

Mettre l’imam au centre de l’organisation de l’Islam de France

Tout ce qui précède ouvre encore une fois la question de la formation de l’imam et de la place qu’il doit occuper dans l’organisation de l’Islam de France. Il faut le dire avec force, ceux qui en France, rêvent encore d’un islam qui se vit plus culturellement que cultuellement se trompent lourdement. Cela n’arrivera jamais car l’Islam est à la fois une culture, une spiritualité et une pratique. Au lieu de perdre notre temps dans ces considérations stériles qui ne font ni avancer ni reculer la question de l’organisation de l’islam de France, on devrait s’atteler à réfléchir sérieusement au moyens à mettre en œuvre pour faire émerger une génération d’imams de France.

Si la grande majorité des imams officiant dans nos mosquées aujourd’hui ont intégré la notion de séparation entre l’état et les cultes et se sont considérablement adaptés aux limitations imposées par le droit français à l’exercice de leur fonction, beaucoup malheureusement ne parlent pas Français et méconnaissent totalement le contexte dans lequel ils travaillent. On comprend alors aisément le fait qu’ils n’aient pratiquement aucune influence sur les jeunes musulmans de France qui ont eux besoin d'imams qui les comprennent, qui soient comme eux, imprégnés de la culture française et de ses traditions et qui savent parler leur langue. Entre les imams qui ne parlent pas ou très peu Français, les « télé-muftis » et les « cyber-fatwas », l’Islam se construit bien loin des réalités Françaises. Et personne n’est capable de dire ni ne semble se préoccuper d’ailleurs de quoi, et surtout de qui sera fait l’Islam de France dans à peine dix ans.

Aujourd’hui, nous devons remettre la question de la formation des imams au cœur de l’organisation de l’islam de France. Nous devons aider l’imam de France à prendre la parole pour retrouver sa crédibilité, son influence, son charisme et son autorité morale qui repose sur son titre de « premier guide spirituel» de la communauté musulmane. Et pour ce faire, nous devons créer un institut de formation des imams de France.

D’une manière ou d’une autre, le CFCM doit être associé à ce projet. Mais à cause de ses interminables dissensions internes, le CFCM dans sa configuration actuelle du moins, est incapable de mener à bien la réalisation de cet institut qui par ailleurs demande une enveloppe financière conséquente. Sans un engagement ferme de l’Etat dans ce domaine, la meilleure volonté des musulmans quel qu’ils soient pour trouver des solutions sera vaine. Sans trahir la loi, ni l'esprit de la loi de 1905, l’Etat Français doit se résigner à créer cet institut de formation des imams en Alsace-Moselle, à Strasbourg plus précisément.

Nous devons prendre très au sérieux le chaos que pourrait provoquer à court et moyen terme en France les « Cyber-fatwas » et autres « télé-Muftis ». Les beaux discours sans lendemain ne suffisent plus et l’on a plus le droit de se réfugier indéfiniment derrière l’argument de la sacro-sainte laïcité qui sert souvent de paravent pour justifier son propre immobilisme. La formation des imams est devenu aujourd’hui une question trop sensible et l’Etat ne peut plus se contenter de jouer le rôle d’un simple spectateur pour les uns ou manipulateur pour les autres au regard des transformations profondes qui s'opèrent au sein de la communauté musulmane de France. Il y va de l’avenir de notre pays.

Azzedine GACI , président du Conseil Régional du Culte Musulman (CRCM) – Région Rhône Alpes et enseignant chercheur à l'école supérieure de chimie physique électronique de Lyon (CPE Lyon).

Article paru sur le Figaro.fr



Source : Azzedine Gaci


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