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Arabs48
Qui instaurera une
commission d'enquête sur les crimes ?
Dr. Azmi Bishara
3 mai 2007
Si le gouvernement d'Olmert était revenu de la guerre du Liban
avec une victoire ou du moins, avec une image victorieuse,
une photo d'un haut responsable du Hizbullah, enchaîné à un hélicoptère,
il n'y aurait pas de commission Winograd, même si le
gouvernement avait commis les mêmes erreurs notées dans le
rapport actuel.
Olmert, expert en climat médiatique et en psychologie politique
israélienne, plus que dans la direction d'un gouvernement et
d'une guerre, sait cela, et c'est pourquoi il a essayé, par
tous les moyens, à la fin des opérations militaires, d'envoyer
des commandos pour arracher une victoire, même illusoire ou
infime, mais il a échoué. Il a échoué à la guerre et même
à arracher une photographie d'une victoire illusoire.
C'est pourquoi nous disons que la défaite est la mère des
commissions d'enquête, et non pas les erreurs, ni la recherche
sur ce qui aurait été possible, comme le prétendent
et font les commissions connues. S'il y avait eu une victoire
due à la défaite de l'adversaire, ou à cause d'une trahison
ou autre, ou si la résistance avait échoué ou bien son échec
avait entraîné un succès israélien, quelle que soit
l'ampleur des erreurs israéliennes commises, il n'y aurait pas
eu de commission d'enquête car ce ne sont pas les erreurs
qu'elle recherche, à postériori, mais c'est plutôt la
victoire de la résistance et sa capacité à diriger la
bataille qui a conduit à mettre en place une commission d'enquête.
La presse israélienne grouille de journalistes et de
chroniqueurs, et de personnalités publiques qui réclament la démission
d'Olmert. Ce sont les mêmes, qui sont traduits par la presse
arabe sans aucune lecture critique ou même aucune mémoire
critique, qui avaient incité et poussé Olmert à déclencher
la guerre après la capture des deux soldats israéliens, que
nous devons appeler incident frontalier.
L'opération fut déclenchée à cause du refus d'Israël de libérer
les prisonniers libanais, alors qu'il l'avait fait auparavant.
L'opération de capture de deux soldats a entraîné la guerre,
dont la date a été avancée sans avoir été préparé et sans
étude des scénarios possibles, et sans savoir l'arrêter,
selon le langage de Winograd. Comment cela s'est-il passé ? En
exposant un gouvernement faible et contraint à paraître fort,
par la pression, les battements de tambour et les encouragements
par les mêmes politiciens et les hommes des médias qui
demandent aujourd'hui de tirer les leçons, et pour n'avoir pas
hésité à lier la guerre aux buts stratégiques américains
dans la région et au Liban.
Ceux-là ne pardonnent ni à Olmert ni à son chef d'armée
car il ne leur a pas apporté la victoire qu'ils ont promise à
leurs lecteurs. Ils ne pardonneront pas à la direction de l'armée
ce scandale d'une armée sur laquelle ils avaient bâti tout
leur gonflement national. Les mêmes qui se moquent aujourd'hui
de son discours guerrier devant le parlement, ce qui le met, lui
aussi, en difficulté, avaient décrit ce discours comme
"le discours du chef".
La commission Winograd et ses résultats, mais aussi la
propagande médiatique autour des résultats, ne sont pas des
indicateurs d'un quelconque démocratie, ni la présence d'un
questionnement n'est un élément de démocratie, mais tout
indique plutôt que la société des réalisations, de
l'arrivisme politique et non politique est une société
d'opportunistes, composée de personnes de bas niveau, qui
punissent pour n'être pas parvenus et non sur la manière
de parvenir. La personne n'est pas jugée ou questionnée sur
l'erreur mais sur l'échec. Il est normal que les régimes non démocratiques
soient jugés généralement sur leur échec, car c'est cela qui
met les masses en mouvement, qui mène à des coups d'Etat et
aux tentatives de réformes ou même aux démissions.
Donc, réclamer des comptes à cause de l'échec
n'est pas une distinction des régimes démocratiques. Le
changement au Portugal a, par exemple, commencé par un coup d'Etat
après une défaite militaire dans sa guerre coloniale en
Afrique, et cette défaite a mis en cause la légitimité du
système en cours. En Grèce, l'équipe militaire a dû
organiser des élections après sa défaite face à la Turquie,
et en Argentine, après sa défaite face à la Grande-Bretagne
lors de guerre des Falkland. L'échec est en soi une demande de
compte, lorsque l'adversaire politique veut poursuivre la
vie, il l'achève et la poursuit en une demande de compte
consciente pour en tirer les conséquences.
Le gouvernement d'Olmert n'a pas réussi à poser les objectifs,
il a échoué dans la direction de la guerre et pour n'avoir pas
remporté une victoire. Pour cet échec, il est actuellement jugé
par les mêmes qui l'ont poussé à la guerre. Nous n'avons pas
entendu parlé d'un journaliste qui s'est demandé des comptes
à lui-même en arrêtant d'écrire, car il avait incité à la
guerre ou avait réclamé que Bint Jbeil soit rasée au sol, ou
parce qu'il avait proposé des plans militaires pour la victoire
alors qu'il est assis dans sa maison. Mais le même genre de
journalistes pose actuellement des scénarios sur l'évolution
après Olmert, et souhaite que nous les prenions au sérieux et
que nous les croyions et en soyons préoccupés.
Ce qui a poussé à l'enquête, c'est d'abord l'échec, ou pour
être plus précis, le fait que la résistance a empêché Israël
de réaliser une victoire, même illusoire.
Ensuite, c'est l'arrogance et le racisme. Comment parlons-nous
d'arrogance alors que l'enquête fait croire à une transparence
et une modestie, puis que vient faire le racisme là-dedans ?
Pour une raison donnée, la société israélienne a cru que
l'exemple des guerres est celle de 67. Et que toute guerre qui
ne réalise pas la victoire en six heures nécessite une
commission d'enquête et des quantités de déceptions et
d'amertumes. Et pour une raison donné, Israël fut convaincu
que les Arabes combattent toujours comme en 1967, bien que cette
guerre ne s'est déroulée qu'une seule fois et qu'elle ne fut
pas répétée, ni dans la bataille d'al-Karame qui l'a suivie
trois mois après, ni dans la guerre d'octobre 1973, ni lors de
la résistance contre le siège de Beirut en 1982 ni lors de la
résistance libanaise, ni lors de l'Intifada.
La guerre de 67 ne s'est déroulée qu'une seule fois, mais elle
continue à paralyser la conscience arabe face à la menace
d'une agression israélienne. Cette conscience arabe doute
de sa possibilité à résister et à réaliser des acquis.
Quant à Israël, cette guerre a des effets négatifs car les
Israéliens croient que leur qualité fondamentale et le trait
principal de leur différence avec les Arabes est qu'ils peuvent
réaliser des victoires faciles, où aucun soldat ne tombe,
parce que les Arabes seraient incapables de faire payer un prix
à l'agresseur. Si nous observons la stupéfaction des Israéliens
à cause d'une centaine à peine de soldats tombés dans la
guerre, face à la destruction du Liban et la mort de milliers
de civils libanais, dont un nombre impressionnant et inquiétant
d'enfants, nous réalisons le racisme des présupposés qui font
agir la commission d'enquête.
La commission d'enquête n'a pas eu du tout l'idée de juger le
crime de tuer, sans aucune clémence, les enfants, par des
bombardements aériens, ni la destruction systématique et
barbare du tiers du Liban. La commission qui regroupe des
experts en droit et des historiens, de courants israéliens dont
les méthodes et les visions sont anciennes, font penser aux
cadres du parti Mapaï, a jugé le manque d'expérience, le
manque d'attention, le manque de patience, l'arrogance,
l'individualisme dans les prises de décisions, dans la fixation
des objectifs et la vitesse des prises de décision. Mais le
prix payé par les Libanais, à cause de cela, non seulement
c'est hors du champ de la raison et du discours de la commission
d'enquête, mais si encore plus d'enfants avaient été tués,
si encore plus de villages avaient été détruits
dans une guerre dont les objectifs auraient été étudiés, et
qu'une partie de ces objectifs avait été réalisée, il n'y
aurait pas eu de commission d'enquête.
Il ne fait aucun doute que la résistance libanaise a donné une
leçon pour remédier au découragement arabe face à
l'arrogance israélienne, mais le racisme israélien a encore
besoin d'être traité. Il ne sera pas traité tant que les
Arabes ne réalisent pas ce que signifie de réclamer le
jugement des criminels, les suspectés et accusés d'avoir
commis des crimes de guerre en Palestine, au Liban, en Egypte et
en Syrie. Le comportement avec la question des prisonniers égyptiens
suscite des milliers de questions sur les valeurs humaines, ce
qui est en relation aussi avec les enquêtes sur les
catastrophes et les incidents intérieurs, dont sont les
victimes des citoyens innocents. Ces images des enfants retirés
des décombres après chaque bombardement israélien d'un
village du sud ou de la banlieue et de la Békaa, as-tu oublié
? Qui peut oublier les bombardements de ces colonnes de civils
fuyant lerurs villages bombardés et devenus l'enfer ?
En réalité, je suis étonné par cet intérêt arabe aux enquêtes
et aux détails de la commission Winograd. Je peux comprendre
l'intérêt du Hizbullah qui attend une reconnaissance
officielle israélienne de la défaite, face à une mise en
doute arabe permanente chez certains qui croient que non
seulement Israël a gagné au Liban, mais que les Etats-Unis ont
gagné en Irak. Je peux comprendre son intérêt pour les leçons
militaires qu'il veut tirer du rapport israélien. Mais l'indifférence
à ces accusations réciproques entre Israéliens doit être
l'attitude politique arabe. Les politiciens se massent comme des
loups autour du cadavre politique d'Olmert espérant arracher un
siège parlementaire dans les prochaines élections ou ministériel
dans le gouvernement actuel, ou pour fuir une responsabilité et
réduire les dommages qui les poursuivront. Pourquoi les Arabes
doivent-ils se préoccuper de ces détails du carnaval de
l'opportunisme politique et des scénarios des médias israéliens
après Olmert ? En résumé, si Olmert s'accroche à son siège,
il poursuivra sa paralysie politique, et s'il démissionne, il y
aura un autre du parti Kadima, pour une étape intermédiaire, où
aucune décision importante ne sera prise, et dans tous les cas,
il y aura des élections anticipées.
On dira aux Arabes de regarder vers les conséquences, ou bien
certains amis américains les convaincront de miser sur un
candidat au lieu d'un autre... Cela n'a pas changé depuis que
les Arabes ont décidé de s'occuper des affaires internes
d'Israël sans se préoccuper sur la manière de peser sur cette
situation, au lieu de s'y intégrer, devenant des analystes sans
aucune vision stratégique, d'aucune sorte.
Nous devons indiquer à l'opinion arabe la nécessité de juger
les criminels car les victimes ont été cachées
derrière un rideau fait de questions superficielles et
ennuyeuses. Le tableau en cours est celui entre Winograd, Olmert,
son ministre des affaires étrangères, et le président de sa
coalition Shimon Pérès, l'éternel, qui attend de paraître,
au bout de tout cela, comme un chef de gouvernement, même
pour deux mois, sans qu'il ne profère aucun mot, attendant dans
la tension et le silence, de peur d'ouvrir la bouche et de faire
tomber le morceau, qui se trouve aux bords des lèvres, comme il
est tombé à chaque fois.
Que nous importe tout cela tant qu'Israël ne jugera pas des
criminels dont les mains sont tâchées de sang ? Les victimes
ont été mises derrière le rideau politique, afin de laisser
la scène pour une nouvelle pièce de théâtre vaine, où les
Arabes sont les spectateurs paresseux. Et le problème, c'est
qu'ils n'en tirent même pas les conséquences, même pas pour
une initiative de paix qu'ils ont voulu faire revivre lorsque
Olmert commençait à décliner.
Les médias et la politique arabes doivent refuser de considérer
ce jeu central, et que les titres principaux soient occupés par
Israël. Au niveau arabe, la question qui doit être posée est
celle du sort des responsables des massacres commis au
Liban et en Palestine cet été. Ne pas poser ces questions ou
les ignorer confirme le racisme israélien qui s'étonne
lorsqu'un Israélien tombe face à des milliers d'Arabes, ou
lorsqu'un soldat israélien est capturé avec que des milliers
d'Arabes sont kidnappés dans les prisons.
Pourquoi ne pas nous préoccuper par le jugement d'un
intellectuel arabe de l'intérieur pour avoir discuté avec des
Libanais, pour un article ou une attitude de principe,
une idée démocratique ou son appartenance arabe, et que ce
sont les mêmes criminels qui le jugent, alors que la gauche et
la droite, la même presse et les mêmes journalistes, comme au
début de la guerre contre le Liban, sont unis contre lui. Nous
pouvons aussi nous demander pourquoi ils ne permettent pas à ce
même intellectuel arabe de les juger, au lieu qu'il le soit
lui-même, non pour un entretien, un article, une idée, un
programme, même raciste, mais pour avoir tué des milliers de
gens.
Traduit par Centre
d'Information sur la Résistance en
Palestine
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