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Arabs48

Le sloganisme vide
Azmi Bishara

Source : Arabs48
http://www.arabs48.com/display.x?cid=7&sid=25&id=44243

Toute une génération, chez les Arabes, est née avec la malédiction du discours creux auquel sacrifiaient les régimes traditionnels, tant conservateurs que radicaux-révolutionnaires, au début du conflit contre le sionisme, puis contre Israël. Le rejet de cette génération pour ce type de discours résulte du choc de la terrible défaite de 1967, qui représenta une humiliation personnelle pour tous ceux qui y adhéraient. Certains d’entre ses membres commencèrent à avoir un problème personnel avec Israël – un problème dans lequel interagissent des questions complexes, telles la dignité, l’identité et le gap culturel. La défaite a posé des questions du même type que les questions historiques relatives à la Renaissance arabe [du XIXème siècle : la Nahdhah, ndt], mais en contrepartie de facteurs tels l’Etat arabe et son combat pour la survie, l’éparpillement sectaire de la conscience arabe derrière des allégeances envers certains régime et contre certains autres, au lieu d’une césure sur ces causes, et le mélange du nationalisme en tant qu’idéologie justificatrice avec le nationalisme en tant que réalité en soi a eu pour effet d’éliminer les questions sérieuses.

La nation arabe, dans son entier, stagne encore aujourd’hui dans l’étape [historique] inaugurée par cette défaite. Les intellectuels se sont divisés, sainement, entre l’appel à l’autocritique et entre la désolation et la contrition ; entre les divers mouvements de revivification et les tiraillements entre le retour aux fondamentaux et la critique des insuffisances et du caractère inachevé de la modernisation.

Et sans qu’il en ait nécessairement l’impression, l’expression « slogans creux » convoque, dans l’esprit de l’enfant de cette étape historique, des concepts tels : le gouffre entre la parole et l’acte, des expectatives bien supérieures aux possibilités, la mobilisation avant la préparation, la minimisation des possibilités de l’adversaire et la légèreté en matière d’évaluation du rapport effectif des forces, de même que le gouffre entre la présentation de soi-même et sa formulation au niveau du discours, non seulement en ce qui concerne les possibilités, mais aussi du point de vue de la modernisation et de l’organisation de l’Etat et de la société arabes.

Naturellement, sans qu’aient changé les possibilités réelles, vingt l’étape des ordonnances thérapeutiques, tantôt sous la forme du retour au khalifat, tantôt sous celle de la critique de la religion, ou encore en posant la nécessité d’approfondir l’alliance avec les Etats-Unis ou avec l’Union soviétique… A chaque fois, il était confirmé que des entraves plus profondes, telle que la nature même de l’Etat et la nature de la relation entre le processus d’édification de la matrie [‘ummah] et de pérennisation de la communauté [tâ’ifah] et de la tribu [‘ashîrah] en tant qu’unité de base sociopolitique, ainsi que d’autres obstacles structurels faisaient avorter toute ordonnance thérapeutique, ou bien l’absorbaient et l’assimilaient. Et si nous ne les prenions pas comme points de départ de notre dialogue culturel, fût-ce à partir de nos différentes positions, il était quasi impossible que les thèses dépassent les simples slogans, quand bien même il ne se serait pas agi de slogans vides et creux dans l’acception explicitée plus haut. En effet, nous ne parlons pas, ici, des trompettes des régimes, mais bien d’intellectuels dotés du niveau minimum de désintéressement. Et même si la fidélité avait été présente, même si le gouffre entre la parole et les actes avait été moins large, la différence entre l’action et la tchatche, d’un côté, et la réalité, de l’autre, restait bel et bien présente, transformant ce gouffre en slogans, dans la réalité objective.

A chaque fois, les grandes crises de l’échec structurel principal, tantôt en Algérie, tantôt en Irak, ou encore au Liban ou ailleurs nous remettent en mémoire la grande avarie structurelle qui, si nous ne nous la traitons pas, ni les alliances ni les ordonnances thérapeutiques du type démocratique, ni la tyrannie éclairée ou non-éclairée ne serviront de rien, ni même un dialogue sérieux entre nous, pour ou contre la démocratie, pour ou contre l’alliance avec l’Amérique.

Sur cette base se déplaçant sans cesse, nous nous tenons, tous, gardant à grand-peine notre équilibre, et pas de différence entre un intellectuel et un autre, de ceux qui veulent diagnostiquer le tableau complet. Que nous le voulions ou non, tous, nous nous heurtons à l’impossibilité de l’Etat et à l’impossibilité d’édifier la Nation sur la base du tribalisme et du confessionnalisme et, par voie de conséquence, à l’impossibilité que s’établisse l’équation économico-sociale, puis politique dans l’unité et dans le conflit : Etat / société civile. Que nous le voulions, ou non, nous tous, nous nous dressons sur le socle d’un avortement colonialiste patent et prématuré de la possibilité d’édifier une Nation arabe, du fait de son éclatement en pays [‘aqtâr], du fait de la transformation du pluralisme en effilochage du tissu social en pluralité tribale… et de la mutation du politique en son contraire, c’est-à-dire en politiques d’identités particularistes primitives.

Mais, par ta vie, il y a là un mystère, assurément : comment les intellectuels, dans ce contexte, dans lequel nous avons le plus grand mal à conserver notre équilibre, peuvent-ils se muer en intellectuels « modérés » et en intellectuels « extrémistes » ?

Il est certain que, dans cette réalité complexe, où l’on suppose que les intellectuels éclairés doivent se réunir afin de la critiquer et de dialoguer à son sujet, la division expédiente opérée par l’Amérique entre régimes, d’un côté les « régimes modérés », et de l’autre les régimes « extrémistes » n’est pas censée entraîner de séparation entre les intellectuels eux-mêmes. Mais ceux qui se posent cette question oublient les intellectuels de cour [les intellectuels liges aux régimes, muthaqqafû-l-‘anzimah]. Nous signalons cela, à notre plus grand regret pour les forces gaspillées à cause de cette division.

Dans cette polarisation artificielle, il n’est pas difficile de trouver des intellectuels modérés et des intellectuels extrémistes, ou encore des intellectuels laïcs libéraux dans leur mode de vie quotidienne personnelle, théorisant des « régimes modérés » qui n’ont de « modéré » que leur seule alliance avec l’Amérique. En matière de pratique et de culture des droits de l’homme et du citoyen, pas plus que dans le domaine des libertés politiques ou de l’émancipation des femmes, il ne s’agit de régime effectivement « modérés ».

C’était là une situation connue, que l’on pouvait refuser, et dont on pouvait, dans le même temps, s’accommoder, si tant est que ces intellectuels soutenaient et louangeaient des régimes sous un unique angle : celui de leur position par rapport à l’Amérique et à l’Occident, ainsi qu’en ce qui concerne les nécessités d’un règlement avec Israël. En ce sens ces intellectuels-là ont totalement intégré la classification américaine entre modération et extrémisme, au point de considérer modérés tous ceux qui adoptent la politique américaine et extrémistes tous ceux qui s’y opposent. Il leur est quasi impossible d’imaginer le contraire : selon leurs concepts, il leur est très difficile de considérer « modéré » quiconque est opposé aux politiques des Etats-Unis, ou de considérer « extrémiste » quiconque y adhère. Il ne s’agit ici, bien entendu, nullement de définitions scientifiques, ni de catégories obéissant à de quelconques impératifs rationnels des sciences sociales. Néanmoins des intellectuels éclairés adoptent parfois ces notions, qui divisent le monde arabe en y recourant, comme actuellement, après le discours de George Bush, par exemple.

Passons à une étape supérieure de la tolérance, et disons que tant qu’on conservera ces définitions importées totalement déconnectées de la situation interne dans chaque pays, la chose sera entendue, en particulier si l’intellectuel prédicateur travaille dans un journal ou dans une revue ou encore dans une institution financée par lesdits régimes. Pas de différence, en ce qui concerne la nécessité de faire vivre leur famille, entre les intellectuels extrémistes et les intellectuels modérés ! Mais il n’est pas nécessaire de tolérer les louanges élevées à la sagesse de ces régimes, y compris sur le plan de la politique intérieure, ni de composer avec les flagorneries au moyen de propos non-dénués d’emphase rendant hommage à leur habileté interne, à leur tribalisme ou à leur machiavélisme, entre autres laudes.

Mais, d’une manière générale, la chose s’est limitée à défendre les positions capitulardes à tout prix, et à accuser le refus arabe, et non pas Israël, de la pérennité de la cause palestinienne et de la position d’alliance avec l’Amérique, en tant que pragmatisme dont le caractère judicieux aurait été démontré par l’effondrement du camp socialiste.

Mais, depuis la guerre américaine contre l’Irak, ces intellectuels-là sont passés à l’attaque contre les autres intellectuels opposés à la guerre américaine contre l’Irak, considérant qu’ils représentent la culture des « slogans creux », le « sloganisme », et rien d’autre.

En réalité, de même que certains des slogans des régimes révolutionnaires et traditionnels, et de leurs intellectuels affidés, au lendemain des indépendances et de la Nakbah, étaient des slogans creux, la « modération », dans son acception actuelle, n’est pas moins creuse, car elle ne renferme pas la moindre molécule de modération réelle. Cette « modération » est creuse, sans contenu, sauf à considérer l’alliance avec l’Amérique comme un contenu suffisant à remplir le concept de modération.

Il y a aussi une différence énorme entre la pratique personnelle de l’intellectuel libéral et son soutien à des régimes adeptes du libéralisme économique sauvage et une position opposée au libéralisme et aux libertés politiques, c’est-à-dire que le gouffre entre le slogan et la pratique personnelle existe, lui aussi. Quant au règlement, à la paix et au pragmatisme, nous assistons à une exagération répétée et non-étudiée dans la création d’expectatives de la part d’Israël. Cette culture politique a engendré la dislocation de la nation irakienne et un caractère sanguinaire tant dans le domaine politique que dans le domaine social dépassant le caractère sanguinaire de n’importe quel autre régime arabe, ainsi que l’effilochement de la cause palestinienne entre règlements iniques ne méritant pas le qualificatif de règlements, ainsi que bien d’autres défaites et bien d’autres échecs encore. Parler de règlement et de pragmatisme, ce sont seulement paroles verbales. Cela est devenu une industrie de la parole et des congrès, une industrie de transformation de la cause palestinienne en relations publiques… Les régimes accusés de sloganisme, quant à eux – accusation à laquelle votre serviteur a la joie de s’associer – n’ont pas pu financer ni subventionner toute cette industrie du discours ni mobiliser cette quantité de gens qui en vivent, même au plus fort de leur voix.

Aucun de ces intellectuels n’a procédé à la moindre autocritique, ni ne s’est excusé de ses positions en faveur de l’agression contre l’Irak. Ils se sont tus, quelque temps, d’ailleurs certains se taisent encore, certains ont accusé la société irakienne ou quiconque était susceptible de leur avoir fait perdre leur pari. Le massacre quotidien, en Irak, étant devenu routine, c’est le contraire qui s’est, cette fois-ci, produit : bien loin de s’excuser, ils sont passés à l’offensive. Ils attaquent quiconque ose critiquer la grande « réussite arabe », actuellement, à Riyadh, ou ils critiquent le silence total de ce sommet sur ce qui se passe à Mogadiscio, ou bien encore ils fustigent l’attachement de mendiant des Arabes à une initiative de paix qui ne saurait que se transformer en apaisement d’Israël, en amadouant ce pays au moyen de la logique de la flatterie et de la flagornerie… Puisqu’aussi bien, il est impossible que la méthode de l’apaisement aboutissent à quoi que ce soit d’autre, et ils s’en prennent à tous ceux qui doutent de l’ambiance festive qui a entouré les conclusions dudit sommet.

Ils lancent l’insulte du « sloganisme creux », mais en réalité, cette expression, comme nous l’avons montré, n’est elle-même qu’un slogan creux comportant toutes les caractéristiques du slogan creux, détaillées ci-dessus, telles qu’elles s’étaient imprimées dans nos esprits à l’époque évoquée.

traduit de l’arabe par Marcel Charbonnier



Source et traduction : Marcel Charbonnier


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