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La psychologie
traumatique d'Israël et l'agression contre Gaza
Avigail Abarbanel
Avigail Abarbanel
4 janvier 2009
http://www.avigailabarbanel.me.uk/gaza-2009-01-04.html
Une des choses dont on ne parle pas
beaucoup, dans les médias, c’est l’insistance avec laquelle il
est question, en Israël, d’attaquer l’Iran. La rumeur, dans la
rue israélienne, dit qu’une attaque aérienne contre les
réacteurs nucléaires de l’Iran est imminente.
Cela fait pas mal de temps, déjà, qu’une
« bonne guerre » démange Israël. L’agression foirée contre le
Liban, en 2006, a provoqué un désarroi psychologique, le but
n’ayant pas été atteint, et cela n’a conduit qu’à
l’approfondissement du chiasme entre les milieux politique et
militaire, en Israël. Un ami israélien m’a dit, dégoûté, l’autre
jour, qu’il règne là-bas une ambiance d’ « orgasme national », à
l’idée de s’en prendre à l’Iran. Ainsi, paradoxalement, tandis
que les habitants de Gaza se reçoivent des bombes sur la
tronche, tous les Israéliens ne parlent que d’une seule chose :
l’attaque annoncée contre l’Iran. Mais pas si paradoxalement que
ça, car il y a un lien, entre les deux…
Les problèmes sociaux d’Israël se sont
aggravés de manière exponentielle, ces quinze dernières années.
L’Israël d’aujourd’hui, c’est un Israël qui est bien différent
de celui où j’ai grandi. Il y règne plus de crime violent et
organisé que par le passé, et il y a plus de violence domestique
et de maltraitance à enfants que jamais. Il y a plus de drogue
en circulation, et plus de consommation, et ils ont aussi des
gens bourrés au volant, chose que je n’avais jamais connue quand
j’habitais encore dans ce pays. Cela trouve un écho dans les
rapports officiels, et aussi dans la presse quotidienne. Mon
frère, qui habite en Israël, m’a raconté que des soldats faisant
leur service militaire dans les territoires palestiniens
occupés, où ils font régner la brutale occupation israélienne,
ne rentrent chez eux, le week-end, que pour se retrouver
impliqués dans des bringues alcoolisées et dans des assassinats.
Impensable, ça, de mon temps…
Les Israéliens n’ont jamais été
particulièrement tendres pour leurs propres compatriotes. C’est
d’ailleurs, de fait, une des raisons qui ont fait que j’ai
quitté ce pays. Tandis que j’allais sur la trentaine, j’ai
commencé à ne plus supporter l’atmosphère inamicale, brutale et
impitoyable qui m’entourait. Israël était un endroit dur à
vivre, non pas à cause de nos soi-disant « ennemis », mais bien
à cause de la manière dont les Israéliens se traitaient entre
eux. Vous auriez pu croire qu’il s’agissait de gens tous ennemis
les uns des autres, et absolument pas d’un peuple qui aurait eu
en commun une quelconque sorte d’héritage partagé… La seule
chose qui pouvait, à la rigueur, unir les gens et susciter, très
fugitivement, un peu plus de gentillesse et de sens de
l’entraide, c’était un sentiment d’être confronté à une menace
collective, et en particulier à une « bonne guerre globale ».
J’ai vécu la guerre de 1967, et l’euphorie nationale qu’elle
généra, et aussi la guerre du « Yom Kippour », en 1973, ainsi
que la guerre d’usure, qui lui succéda. Au moment de l’invasion
du Liban, en 1982, j’étais moi-même au service militaire. La
dernière guerre que j’aie vécue en Israël fut la guerre du
Golfe, en 1991 : un missile Scud irakien avait atterri à
quelques mètres seulement de mon immeuble, à Ramat-Gan, près de
Tel-Aviv…
Je me souviens très bien de l’atmosphère
avant, pendant et après les guerres. C’était les meilleurs
moments. Vous pouviez sentir un changement, palpable, dans
l’air. Les gens semblaient avoir un sens renouvelé des
proportions des choses. Même des querelles de famille ou de
voisinage de longue date étaient mises de côté, et tout le monde
aidait tout le monde. Il y avait davantage de patience, et nous,
les enfants, nous recevions beaucoup moins de torgnoles. Bien
que j’eusse été terrifiée par les guerres, je me rappelle aussi
avoir ressenti de l’excitation. Il faut dire qu’il y avait un
truc qui aidait : le fait que nous adhérions tous au mythe selon
lequel nos quatre guerres, toutes les quatre, étaient du type « milchemet
ein breira » : « des guerres où nous n’avions pas le
choix ». Le genre de guerre qui nous était imposé, et dans
lesquelles nous devions nous impliquer « à notre corps
défendant », et uniquement afin de nous défendre. Nous croyions
aussi au « tohar
ha’neshek », la « pureté de (no)s armes », c’est-à-dire à ce
mythe selon lequel nos soldats se comportent, toujours,
honorablement, et ne tuent que lorsqu’ils n’ont pas d’autre
choix, et jamais des civils sans défense. Nous étions toujours
les « braves gars », dans toutes nos histoires collectives, ce
qui, bien entendu, ne faisait qu’ajouter au vague sentiment
patriotique général.
Israël, et aussi, sans doute, le reste du
monde, refusent de voir que les problèmes d’Israël sont la
conséquence directe d’un trauma juif profondément atavique, et
de ses conséquences. La réponse d’Israël à ce trauma consista à
s’armer jusqu’aux dents et à devenir un pays incroyablement
agressif, tout en perpétuant, tant à l’intérieur qu’à
l’extérieur, le mythe de la victimitude et de la bonté. En tant
que psychothérapeute, je reconnais cette réaction à un trauma.
Certaines personnes qui ont été traumatisées réagissent à ce
trauma en devenant très puissantes et absolument effrayantes.
C’est une réaction au fait d’avoir été blessé, et une réponse au
désir de ne plus jamais être meurtri.
Malheureusement, ça n’est pas, là, une
bonne manière, une manière complète, de vivre. C’est un mode de
vie qui perpétue des conflits intérieurs, qui conduit à
l’isolement et qui suscite l’animosité chez les autres. Il est
très difficile de semer la bonne volonté et la gentillesse dans
le monde quand son propre monde intérieur est fondé sur un
fondement hostile. Ce qui vaut pour les individus vaut aussi
pour des sociétés tout entières. Israël avait eu une chance de
cicatriser son passé juif traumatisé, mais, en lieu et place, il
a délibérément choisi de perpétuer le trauma et de le
transmettre de génération en génération. La création même de
l’Etat d’Israël est une réaction à un trauma.
Dès lors que vous comprenez la dynamique du
trauma et les solutions que les gens s’efforcent d’y trouver,
vous êtes en mesure de comprendre pour quelle raison l’existence
d’Israël a depuis toujours été affectée par le trouble. Le fait
qu’Israël n’ait jamais utilisé son système d’éducation ni ses
institutions nationales afin de faciliter sa guérison du trauma
est bien triste, mais c’est quelque chose de classique. Le
trauma devient a ce point une partie intégrante de la
personnalité de la victime que guérir reviendrait à changer la
fondation-même de qui vous êtes, et c’est là quelque chose que
la plupart des gens (quant à des cultures entières, n’en parlons
même pas) sont rarement préparés à faire.
Beaucoup d’Israéliens qui ont quitté le
pays l’ont fait pour les mêmes raisons que moi. Nous étions tous
en quête d’un mode de vie plus calme, plus sympathique, dans
lequel les gens pouvaient se montrer amicaux et serviables les
uns envers les autres, plutôt que déplaisants et suspicieux.
C’est dur, de quitter son foyer, mais si votre pays est à ce
point douloureux, vous n’avez qu’une possibilité, c’est partir,
parce que le prix personnel que vous devriez payer pour rester
est plus élevé que le prix du chagrin de perdre votre maison.
Le dernier crime de guerre en date, en
train de se dérouler à Gaza, et l’insistance lancinante, dans
les conversations, sur une attaque contre l’Iran, sont une
réponse à une nouvelle phase, dans le cycle du trauma collectif
israélien. En effet, le trauma obéit, toujours, à une dynamique
cyclique. Il est difficile de vivre avec, avec cette peur et
cette méfiance de tous les instants. C’est épuisant et
démoralisant, et cela peut épuiser les moindres parcelles
d’énergie que vous veniez justement de rassembler dans la
matinée, avant de vous atteler à vos tâches quotidiennes. Les
gens peuvent continuer ainsi durant un certain temps, en vivant,
pour ainsi dire, au jour le jour. Mais inévitablement, tout a
une fin, et la vie devient invivable.
C’est là habituellement un moment très
familier, dans le cycle, et celui qui en souffre pensera, le
plus souvent : « Oh, non ! Pas : encore une fois ! ». En ces
instants-là, les gens recherchent quelque chose désespérément,
une sorte de solution temporaire leur permettant d’alléger leur
souffrance, que sais-je, un nouveau régime alimentaire, un
nouveau job, des rénovations de leur appartement, ou alors,
tiens, pourquoi pas : la guerre. Cela s’accompagne, très
souvent, du sentiment désespérant que, cette fois-ci, ils vont
trouver la solution suprême à tous leurs problèmes, et que tout
ira très bien une fois cette phase achevée. Je pense que les
Israéliens croient réellement que s’ils peuvent écraser le
Hamas, à Gaza, tous leurs problèmes seront aplanis et qu’ils
pourront vivre heureux à jamais, libérés des roquettes Qassam ou
de toute forme de résistance palestinienne. La question du futur
des Palestiniens n’entre même pas dans l’équation. Quand vous
souffrez d’un traumatisme, votre pensée est en permanence à
courte-vue et autocentrée. La focalisation se fait, toujours,
sur votre propre survie à court-terme.
Le trauma s’accompagne souvent du déni, et
les gens passent leur vie à rechercher des solutions en-dehors
d’eux-mêmes. Dans les réponses agressives et violentes au
trauma, les gens vont croire que c’est « cette personne », en
particulier, ou « ce groupe » qui est en train de causer leur
problème, et ils vont tenter de faire quelque chose pour les
atteindre ou les éliminer. En fin de compte, les gens recourent
à la thérapie, une fois qu’ils ont tout essayé et qu’ils
prennent conscience que des mesures externes en sauraient
solutionner leur problème, qu’il y a peut-être quelque chose, en
eux-mêmes, qu’ils doivent régler. Malheureusement, les
traumatisés du type agressifs sont très rares à en arriver au
stade de la thérapie. Beaucoup d’entre eux finissent en tôle, en
lieu et place. Des gens souffrant de trauma non guéri peuvent
être destructeurs, pour les autres, mais en fin de compte, ils
vivent une vie invivable, et ils ont un comportement
autodestructeur. Bien des mesures qu’ils vont prendre, tout au
long de leur existence, s’avèreront contreproductives, et elles
finiront par leur faire autant de mal qu’ils en font à autrui.
Les Israéliens ont fait des Palestiniens un
« problème » perpétuel, afin d’avoir quelqu’un à accuser à
chaque fois que leur trauma atteint son point cyclique
ingérable. Si Israël avait voulu résoudre son problème avec les
Palestiniens, il aurait pu le faire depuis fort longtemps. Il
aurait pu commencer par reconnaître l’épuration ethnique de
1948, puis offrir un droit au retour et des compensations aux
réfugiés, conformément à la résolution 194 de l’Onu, de décembre
1948, et l’affaire aurait été réglée. Mais pour ce faire, Israël
aurait dû renoncer à son rêve raciste et antidémocratique d’être
un Etat exclusivement juif. Et le fait d’être un Etat
exclusivement juif, c’est, en soi, une réaction au trauma juif.
Celui-ci repose sur l’idée, très simple,
que les juifs ne sont pas en sécurité avec des non-juifs et que,
par conséquent, ils ont besoin d’avoir un Etat en propre, où ils
puissent vivre séparément, et donc en sécurité. Mais renoncer à
ce rêve requerrait une réévaluation complète de l’identité juive
et de l’identité israélienne, ainsi que de tout un système de
croyance. Les gens devraient cesser de croire que le monde est
mauvais, pour les juifs, et que les juifs ne sont en sécurité
qu’entre eux. Cela signifie qu’il faut questionner certains des
principes les plus fondamentaux du judaïsme, ainsi que de la
culture juive. Un tel procès de questionnement mettra
inévitablement Israël sur la voie de la guérison, et cela
signifiera, aussi, qu’Israël devra trouver une autre manière
d’être qui n’implique ni une vision adverse du monde, ni la
guerre perpétuelle. Je ne pense pas qu’Israël y soit prêt.
Guérir, c’est quelque chose que, malheureusement, peu de gens
sont prêts à faire, et j’imagine qu’il en va de même pour les
sociétés tout entières.
Mais la guerre faite aux Palestiniens est
devenu très laide, au fil des années. Le monde est révulsé, les
Palestiniens se défendent, et cette guerre en cours contre des
civils est démoralisante ; elle sape le moral des soldats
israéliens, et elle a un effet négatif sur l’ensemble de leur
société. Cette (pseudo) « solution », cette manière de continuer
à vivre, malgré le trauma (c’est-à-dire en maintenant les
Palestiniens dans un statut d’ennemis) a un effet boomerang.
Aussi, bien loin de résoudre le problème, Israël est en quête
d’une autre guerre, plus large et davantage « légitime », qui
soit bien moins compliquée. Une guerre à laquelle tous les
Israéliens pourraient acquiescer, et au sujet duquel ils
pourraient s’exciter, une guerre qui unirait à nouveau le
peuple, et lui offrir un soulagement requinquant de l’effort
épuisant de tous les jours que représente le fait de vivre en
Israël.
Du point de vue militaire, les dirigeants
israéliens suivent en permanence le principe « faire d’une
pierre, deux coups ». Je pense que l’attaque contre Gaza sert
deux objectifs : elle vise à casser la résistance palestinienne,
mais elle est, aussi, une tentative de contraindre l’Iran à
faire quelque chose, n’importe quoi, qui puisse être utilisé
comme prétexte pour attaquer les installations nucléaires de ce
pays, et qui sait quoi d’autre encore. Israël ne peut pas se
payer le luxe
d’aller en Iran, comme ça, et d’attaquer ce pays, sans réelle
« excuse », et la rhétorique fatiguée de Bush au sujet des
capacités nucléaires de l’Iran et de la menace potentielle que
représenterait ce pays s’effiloche, tandis que Bush fait son
baluchon.
Israël ne sait pas encore si Obama est du
lard, ou du cochon, aussi les dirigeants israéliens pensent-ils
qu’ils vont devoir trouver une manière de faire eux-mêmes le
(Tsahal) boulot, avec, ou sans les Américains. C’est la raison
pour laquelle Israël a refusé d’appeler à un cessez-le-feu à
Gaza. Ils ont un plan très clair, qu’ils ont l’intention de
suivre, quel que soit le coût en vies humaines, et il s’agit au
moins autant de guerre psychologique que de canons et de tonnes
de bombes. C’est horrible à dire, mais les Palestiniens sont, et
ont toujours été, simplement des pions, dans la dynamique
perverse du trauma israélien/juif. Sinon, les Palestiniens n’ont
pas réellement d’importance, pour les Israéliens. La plupart des
Israéliens ont toujours eu du mal à voir dans les Palestiniens
des êtres humains comme eux, et je pense qu’ils n’ont
strictement rien à cirer des souffrances qu’ils sont en train de
leur infliger. S’ils en avaient quelque chose à cirer, ils se
comporteraient autrement.
Plus ils feront durer leur plaisir de leurs
bombardements aériens sur Gaza, plus le monde sera furieux, en
particulier le monde arabe, et c’est exactement ce qu’Israël
s’efforce d’obtenir. Prolonge ton déversement de bombes jusqu’à
ce que tout le monde soit totalement exaspéré, et puis commence
une attaque terrestre qui soit juste un peu en-dessous
d’insupportable aux yeux des Iraniens. Après quoi Israël
pourrait attaquer l’Iran, chose qu’il se prépare à faire depuis
des années, en prétendant qu’il est en train d’exercer son
« droit à se défendre lui-même ». Le monde a montré qu’il est
incapable de résister à cet argument, même lorsqu’il n’est
question que de quelques roquettes provenant de Gaza qui
égratignent à-peine Israël, alors ne parlons même pas d’un pays
parfaitement organisé, doté de sa propre armée, comme l’est
l’Iran ! L’allégation d’Israël selon laquelle il se défendrait
apparaîtrait, dès lors, totalement plausible…
La psychologie du trauma est traîtresse,
elle est pleine de contradictions internes. C’est précisément la
raison pour laquelle le monde doit intervenir de manière
décisive dans le conflit palestino-israélien : pour sauver les
Palestiniens des tueurs israéliens et pour sauver les Israéliens
contre eux-mêmes, et si possible nous épargner une guerre d’une
tout autre ampleur. En l’absence d’une intervention
(internationale) mature, affirmée et clairvoyante, ce cycle de
trauma, avec les violences qu’il génère, continuera, jusqu’à ce
qu’un jour, il s’épuisera de lui-même parce que suffisamment de
gens auront perdu la vie, ou parce qu’un coup final aura été
asséné, quelque part, par quelqu’un, à partir duquel il ne
saurait y avoir nul retour.
Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier
[* Psychothérapeute, Avigaïl Abarbanel est
la présidente de l’association
Deir Yassin Remembered
de Canberra (capitale politique de l’Australie), où elle vit
avec son mari, Ian
Barnes et « deux chats très mal élevés »].
Copyright © 2009 Avigail Abarbanel
Publié le 19 février 2009
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