Une famille palestinienne innocente, qui compte une vingtaine de
personnes. Tous des femmes et des enfants, sauf trois hommes. La
famille est encerclée par quelques dizaines de Juifs masqués qui
cherchent à les lyncher. Un pogrom. Je ne joue pas sur les mots,
il n’y a pas de double sens. Il s’agit d’un pogrom au pire sens
du terme. D’abord, les hommes masqués mettent le feu à la
buanderie qui se trouve dans la cour. Puis ils tentent de mettre
le feu à l’une des pièces de la maison. Les femmes crient à
l’aide, "Allahou Akhbar." Mais les voisins ont trop peur pour
s’approcher de la maison, effrayés par les membres de la milice
venue de [la colonie de] Kiryat Arba, qui avaient scellé la
maison et qui insultaient les journalistes qui voulaient rendre
compte de ce qui se déroulait.
Les cris pleuvent comme les volées de pierres
lancées par les hommes masqués en direction de la famille
Sa’afan, terrée dans la maison. Quelques secondes s’écoulent et
un groupe de journalistes, pourtant habitués à ces moments
difficiles, décide d’intervenir. Ils s’engouffrent dans la
maison au secours des gens qui se trouvent à l’intérieur. Le
cerveau a besoin d’une ou deux minutes pour assimiler ce qui est
train de passer. Des femmes et des enfants pleurent, leurs
visages renvoient une expression d’horreur, sentant leur mort
prochaine, suppliant les journalistes de les sauver. Des pierres
atteignent le toit, les fenêtres et les portes. Des flammes
s’engouffrent par l’entrée sud de la maison. La cour est jonchée
de pierres lancées par les hommes masqués. Les fenêtres ont volé
en éclats, les enfants ont peur. Tout autour, comme s’ils
assistaient à un concert de rock, des centaines de témoins juifs
observent les événements avec un grand intérêt, offrant même
leurs conseils aux jeunes juifs dans la cour sur la meilleure
façon de faire mal à la famille. On ne voit ni police, ni armée.
Dix minutes auparavant, alors que les forces
de sécurité étaient occupées à disperser les émeutiers près de
la maison de Hebron [évacuée de force], de la fumée noire
s’était élevée du wadi qui sépare Kiryat Arba de Hebron. Pour
une raison inconnue, aucun des officiers de haut rang, de la
police ou de l’armée, n’a été perturbé par ce qui transpirait
déjà en contrebas de Kiryat Arba. Or, quiconque se trouvait à
plusieurs centaines de mètres pouvait remarquer que des dizaines
d’émeutiers étaient en train de grimper sur le toit de la maison
des Abou Sa’afan en lançant des pierres. Quelques instants plus
tard, on avait compris qu’il y avait des gens à l’intérieur de
la maison.
Je dévale rapidement le
wadi et accoste trois soldats :
"Qu’est-ce que tu me veux ? Nous sommes responsables à trois de
tout ce secteur", dit l’un deux, en
montrant la totalité du wadi."Utilise
la procédure d’urgence radio", lui
dis-je. Il répond qu’il n’est pas équipé de radio.
Un groupe de journalistes s’approche de la
maison. Problème : que faire ? Il n’y a aucune force de sécurité
alentour, et maintenant, ces fauteurs de troubles juifs ont
décidé de cibler les journalistes. Nous en appelons aux
miliciens de Kiryat Arba pour qu’ils interviennent et stoppent
le lynchage. Mais ils encerclent la maison pour empêcher un
« secours palestinien ».
La maison est détruite. La
peur est palpable sur le visage des enfants. L’une des femmes,
Jihad, est étendue sur le sol, à demi consciente. Le fils, qui
agrippe un gros bâton, se prépare au moment où il devra
affronter les émeutiers. Tahana, l’une des filles, n’arrive pas
à se calmer : "Regardez ce qu’ils ont
fait à la maison, regardez."
Tess, la photographe,
éclate en sanglots alors que les événements se déroulent autour
d’elle. Ce ne sont pas des larmes de peur. C’est de la honte, à
la vue de ce qui se produit, des actes de ces jeunes qui se
prétendent juifs. Honte de ce que nous partagions la même
religion. A 17h 05, un peu plus d’une heure après le début des
événements, une unité spéciale de la police arrive pour
disperser le groupe d’hommes masqués. Les membres de la famille
palestinienne refusent de se calmer. En quittant la maison, on
entend un colon hurler à un officier de police :
"Nazis, honte à vous !" Oui. Honte à
vous.