Religion
Burqa et République... Ne pas se voiler la
face
Antoine Bracq
Mercredi 4 novembre 2009 L’actualité, même
écrite avec un a minuscule, du moins ceci étant à espérer, est
un éternel recommencement.
Ainsi avons nous vu récemment le grand
retour d’un sujet que l’on croyait naïvement réglé depuis la loi
STASI de mars 2004, celui du port du voile islamique et plus
précisément dans sa dernière version, celle du voile intégral,
appelé burqa sous sa
forme afghane ou
niqab sous sa forme
iranienne.
En effet, à l'instigation du député
communiste de Vénissieux André GERIN, une "Mission
parlementaire d’information" regroupant des membres de
diverses tendances politiques a été formée dans le but de
traiter de la question du port du voile intégral par certaines
femmes musulmanes en France, elle rendra ses conclusions à la
fin de cette année.
L’écho favorable qu’a reçu cette initiative
de la part de la classe politique française semble révélateur de
l’inquiétude que suscite chez nous le développement de ces faits
de société et des signes de radicalisation qu’ils contiennent en
filigrane.
Il serait en effet hypocrite de prétendre
que cette initiative relève du simple souci de la défense de la
condition de la femme dans notre république laïque et
égalitaire, une récente enquête des Renseignements Généraux,
rapportée dans le Monde du 31 juillet, révélant que seulement
367 femmes porteraient en France le voile intégral, chiffre à
rapprocher des 48 000 viols commis annuellement dans notre pays
et des 400 000 cas estimés de violences conjugales, et qui eux,
semble t il, laissent
nos députés de marbre.
Alors la
burqa tempête dans un
verre d’eau ou véritable problème de société ?
Pour répondre à cette question il convient
tout d'abord d’en définir le fond en dehors de toutes
considérations passionnées tant démagogiques que politiques.
De
quoi s’agit-il ?
Il faut savoir que la
burqa est une
invention récente du mouvement intégriste
salafiste
revendiquant un
Islam rigoriste dans les pays du Golf et au Pakistan. Reprenant
une tradition séculaire ce vêtement ne date lui-même que d’une
vingtaine d’années et est destiné à enfermer la femme qui le
porte dans un anonymat absolu en la soustrayant au regard des
hommes en général et du reste du monde, et notamment des
services d'état civil, par extension.
Il est à noter, comme le précise le recteur
de la grande mosquée de Paris, Dalil Boubaker, que ce vêtement
ne se base sur aucune prescription coranique mais sur une
coutume imposée arbitrairement par une tendance islamiste
extrême.
Que
dit la Loi ?
Il va de soi que si l’on regarde
la burqa et le
niqab comme de
simples signes d’une pratique religieuse, alors il convient
d’appliquer le régime de la liberté tant dans l’espace privé que
dans l’espace publique, au même titre que pour la croix, la
kippa ou le voile simple, ceci bien évidemment sous condition du
strict respect des lois (notamment celles de 1905 et de 2004) et
des règlements.
Mais à ce jour ces attributs, on l’a vu,
sont considérés non comme des signes attachés à une pratique
mais comme les signes de la radicalisation de cette pratique.
C’est dans cet esprit que le Conseil d’Etat considère ces
manifestations comme (sic) "incompatibles
avec les valeurs essentielles de la communauté française et
notamment avec le principe d’égalité des sexes", et refusera
de ce fait la naturalisation à une femme portant la
burqa au titre du non
respect de la condition d’assimilation posée par le Code civil
(arrêt Mme MABCHOU, 27 juin 2008).
C’est sur cette position de la
jurisprudence que s’est constituée la mission GERIN.
Le décor planté il convient de s’interroger
sur les véritables problématiques que pose, ou poserait, le
développement de cette pratique.
La
première problématique se situe bien évidemment au regard du
principe de laïcité.
Pourtant, à y regarder de plus près, aussi
visible et provoquant qu’il soit pour un instrument destiné à
cacher, on ne peut pas considérer que le voile intégral porte
atteinte en lui-même aux règles de la laïcité puisqu’en aucun
cas il n’amène l’état à contrevenir, du moins à ce jour, aux
principes de la loi de 1905 et à son non engagement dans la vie
cultuelle ou religieuse.
Le problème se situe ailleurs dans la
mesure où le port du voile intégral est avant tout la
manifestation de l’appartenance à une minorité radicale. De ce
fait on pourrait considérer qu’il n’est plus la traduction d’un
acte religieux, mais bien celle d’un acte politique. Ce n’est
plus la règle laïque qui est alors bafouée mais nos valeurs
humanistes de liberté, d’égalité, et de respect d’autrui, parce
qu’elles entraveraient l'expression des minorités les plus
radicales qui souhaiteraient voir la loi religieuse,
la charia, se
substituer aux lois de la République.
C’est bien cette approche qui effraie
aujourd’hui notre classe politique. Pour résumer très crument la
situation, si "Belphégor" fait peur à la République ce n’est pas
tant parce qu’il porte un voile mais bien parce que
c’est
"Belphégor", spectre d’une "pieuvre" cherchant à tester les
limites de la République et de sa résistance aux aspirations
communautaristes.
La
seconde problématique est d’ordre sociologique, relative à la
place de la femme dans notre société.
Signe religieux extrême le voile intégral a
pour particularité de gommer totalement la personnalité de celle
qui le porte. C’est le rejet de l’aspiration identitaire
individuelle, la négation même de la femme considérée comme
individu, et qui n’a alors d’autre fonction sociale que celle de
représenter sa communauté.
La femme, en tant qu'individu, s’efface
pour laisser la place au non être, sa singularité disparaît au
profit de la prééminence du groupe qui manifeste ainsi sa
puissance par l'emprise qu'il exerce sur ses membres. Mais si il
y a dans cette pratique négation de l’individualité il s’agit
exclusivement de celle de la femme, elle ne s’applique pas aux
hommes parce qu’elle est signe de soumission et que, dans cette
démarche là,
l'homme n'a à se soumettre qu'à dieu.
On pourrait bien évidemment considérer, au
titre de l’acceptation de la différence, qu’il ne nous
appartient pas de juger des comportements coutumiers propres à
chaque communauté, parce qu’ils sont le fruit d’une culture,
d’une histoire et d’une tradition spécifiques dont la portée
symbolique et sociale peut nous échapper.
Mais cette tolérance se pratique dans les
limites de l’intérêt collectif. Pouvons-nous accepter sur le
territoire national,
dans l’espace publique, des pratiques portant atteinte aux
règles et aux valeurs fondamentales de notre République
notamment en matière de dignité de la femme et d’égalité des
droits ?
La
troisième problématique, également d'ordre sociologique est
relative à la volonté ou non de la recherche du " bien vivre
ensemble".
En soustrayant la femme de la sphère
publique, en lui déniant tout droit au lien social, en affichant
par ailleurs son radicalisme de façon prosélyte, ceci tant à
l'égard de la communauté d'accueil qu'envers les autres
communautés, cette pratique manifeste par essence le refus d'un
rapport à l'autre harmonieux.
Bien évidemment, et comme pour tous les
signes ostentatoires, le port du voile intégral nous interpelle
sur les limites de notre propre capacité à l'acceptation
d'autrui et de ses différences. Mais il est à se demander si ce
n'est pas justement sur ce point que s'appuieraient les tenants
des pratiques extrémistes, utilisant le cheval de Troie de la
tolérance et du respect des libertés individuelles accordés
par les autres pour
imposer l'intransigeance de
leur radicalité.
Manifestation d'une revendication
identitaire, le port de la
burqa semble être
éminemment un signe de rejet de l'assimilation à une communauté
nationale dont on refuserait de considérer les règles du fait de
sa propre singularité.
Face à cette situation quelle position
adopter et très concrètement faut il ou non interdire la
burqa ?
2 visions antagonistes s'opposent.
a)
La première, dans l'esprit du tout laisser faire,
consisterait à voir là un épiphénomène marginal concernant moins
de 400 femmes et ne portant pas en soi atteinte à l'ordre
public.
Pour les partisans de cette approche,
légiférer sur l'interdiction du voile poserait d'abord le
problème de la restriction de la liberté individuelle du fait
d'une différence identitaire. Démarche qui pourrait être
considéré, de plus, comme une forme de stigmatisation de l'islam
et entrainer des comportements de réaction se traduisant par
exemple en une généralisation, par provocation, du port du voile
intégral ou de tout attribut de type
burkini ou autre.
b)
La seconde approche, plus ferme, consisterait à voir dans
le port de la burqa
d'abord une remise en cause des valeurs essentielles de la
République-Terre d'accueil, notamment quant à la dignité de la
personne humaine et du principe constitutionnel d'égalité des
sexes.
A ce titre, cette pratique, exigée ni par
le coran ni par les
hadiths, les paroles du prophète, et
jugée par la communauté
islamique elle-même comme issue d'un autre âge, pourrait être
interdite par le législateur dans un cadre juridique cohérent
tant au regard de la constitution qu'à celui de la loi, comme
cela a été fait pour la loi STASI de Mars 2004.
S'il appartient à chacun de réfléchir et de
se positionner avec sagesse et discernement face à un fait de
société aussi sensible, il serait irresponsable de se "voiler la
face" et occulter la menace que fait peser sur l'unité et
l'harmonie de notre République, une attitude laissant croire que
le devoir
d'intégration pourrait être indéfiniment et impunément
transgressé au titre d'un
droit unilatéral
autoproclamé à une différence identitaire.
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