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Time Magazine
Une
paix (relative), à Gaza
Andrew
Lee Butters
Fishermen
man their boat at the port of Gaza City, Gaza Strip on July 30,
2007.
Tivadar Domaniczky for TIME
depuis (la ville de) Gaza
in Time Magazine, 2 août 2007
http://www.time.com/time/magazine/article/0,9171,1649291,00.html
[J’attire votre attention sur ce reportage, exemplaire de par sa déontologie
journalistique, tellement rare dans les médias américains. Time
va non seulement recevoir des milliers de courriers de
protestation des lobbyistes juifs, menaçant de se désabonner au
cas où ils ne l’auraient pas déjà fait, lâchant les chiens
des officines sionistes de chasse aux sorcières antisionistes
Camera et Honesteporting et, très vraisemblablement, organisant
des visites en chair et en os de certains des censeurs les plus
puissants duLlobby, tel Abe Foxman de l’Anti-Defamation League
ou le président tout aussi odieux, bien que moins vociférant, de
l’American Jewish Congress, David Harris. Heureusement, le
parlement est en vacances, sinon nous aurions assisté à
l’adoption d’une résolution contre Time pour avoir apporté
« assistance et réconfort à un ennemi d’Israël »…
Aussi Time a-t-il besoin de vos courriers d’encouragement et de
vos abonnements, si cela vous dit. Andrew lee Butters, ce
journaliste qui n’a pas froid aux yeux, a besoin de notre
soutien. Jeff Blankfort.
PS : l’adresse mél de Time est letters@time.com
et son numéro de fax est le 1-212-522-8949. Vous pouvez aussi
envoyer votre lettre d’encouragement à cette adresse :
TIME Magazine Letters, Time & Life Building, Rockefeller Center,
New York, N.Y. 10020
(votre lettre devra comporter votre nom complet, votre adresse et
votre numéro de téléphone. Soyez bref ! JB)]
Patrouillant le quartier de Shijaiyah, le
plus dur de la ville de Gaza, le lieutenant Naim Ashraf Mushtaha,
trente-et-un ans, officier de la Force Exécutive du Hamas, débusque
un homme en civil, portant un fusil d’assaut M-16, en train de
marcher entre les étals encombrant la rue, en plein jour. Ses
officiers encerclent prestement le suspect, lui demandent de décliner
son identité, et de leur remettre son arme. L’homme s’avère
un membre d’un des clans les plus puissants du voisinage – il
refuse de remettre son flingue. « Comment que je
m’appelle, déjà, les mecs ? », crie-t-il à la
foule des badauds curieux, qui commence à s’étoffer. « Mohassi
Abbas ! » répondent-ils tous en chœur. « Alors,
vous voyez bien : tout le monde sait qui je suis ! »,
dit l’homme au fusil. « Je me moque de qui tu peux bien être »,
dit calmement Mushtaha, sans élever ni la voix, ni son arme.
« Les lois sont pour tout le monde ».
L’état de droit est de retour, à Gaza.
Voici encore seulement deux mois, cette languette côtière de
dunes sablonneuses et de jungles de béton, abritant environ un
million et demi de Palestiniens, était un des endroits les plus
dangereux sur notre planète. En juin, après quelques jours de
guerre intestine, le Hamas, une formation palestinienne
combattante, a pris le contrôle de Gaza sur son rival, le Fatah.
Depuis lors, Gaza est en état de siège. Pratiquement tous les
chargements, à l’exception des fournitures humanitaires de
première nécessité, sont interdits d’entrée, et presque
aucune marchandise ne peut sortir. Ce blocus s’inscrit dans une
stratégie israélo-américaine visant à isoler le Hamas, dans
l’espoir que les Palestiniens se détourneront de ses dirigeants
islamistes, qui n’ont jamais reconnu Israël, au profit du
Fatah, qui est pris d’un prurit de processus de paix.
Jusqu’ici, ce plan de marche pas. Ayant les coudées franches
pour gouverner comme il l’entend, le Hamas conquiert le soutien
populaire et acquiert une capacité militaire qui survivra très
vraisemblablement au blocus international.
Le service de sécurité est un pilier
porteur, pour le Hamas. Une semaine, seulement, après la prise de
contrôle de Gaza, le crime, le trafic de drogues, les rixes
tribales et les kidnappings avaient pratiquement cessé. Plusieurs
associations de défense des droits de l’homme attestent que la
capacité de la Force Exécutive d’obtenir un tel résultat
donne une indication du degré de corruption et de collusion
criminelle au sommet des services de sécurité inféodés au
Fatah, qui contrôlaient jusqu’ici la bande de Gaza. « Depuis
un an et demi, on assisté à une escalade dans le chaos, orchestrée
par des officiers dignes d’une république bananière, visant à
‘démontrer’ que le Hamas était incapable de contrôler Gaza »,
explique Raji Sourani, directeur du Centre Palestinien pour les
Droits de l’Homme. « Gaza était devenu une nouvelle
Somalie, un nouvel Afghanistan, un nouvel Irak. Les malfrats et
les gangsters faisaient la loi, certains d’entre eux étant
soutenus et protégés par nos propres « forces de sécurité » ».
Certes, il y a eu des cas de violations des
droits civiques par la Force Exécutive, depuis sa prise de contrôle
de Gaza. Mais le Hamas n’a pas instauré de tribunaux islamiques
qui appliqueraient la shari’a. Sans aucune aide de la part de la
police régulière, des procureurs et des juges – tous s’étant
vu intimer l’interdiction de reprendre leurs fonctions par le
gouvernement palestinien (mazénien, ndt) – le Hamas
s’efforce, petit à peu, de se former à l’administration de
la justice palestinienne. Mushtaha et ses officiers passent le
plus clair de leur temps à rédiger des dépositions et à
tarabuster les familles d’hommes recherchés afin qu’ils dénoncent
les suspects. Dans les faubourgs de Gaza, tout le monde se connaît,
et il n’y a nul endroit où se planquer : [contrairement à
ce qui se passe presque partout ailleurs], les escrocs de
Gaza ne sont pas à la veille de pouvoir aller se mettre au vert
en Israël !
La tranquillité étant de retour dans les
rues, la société civile est en train de réapparaître à Gaza.
Vendredi soir, au centre de la ville de Gaza, les rues sont
encombrées de limousines emportant des nouveaux mariés et leur
parentèle vers les restaurants du bord de mer. Il ne « manque »
qu’une seule chose : les tirs en l’air célébrant
ordinairement les mariages (notamment) palestiniens ! Le
Hamas a interdit de manifester sa joie avec des rafales de
mitraillette… Mais il n’y a eu aucune chape de plomb
culturelle, depuis la prise en main des manettes par le Hamas. La
société gaziote est depuis très longtemps plus religieuse et
conservatrice que le reste de la société palestinienne – il y
a bien longtemps qu’on n’a pas aperçu de boissons alcoolisées,
dans les parages. Mais ces femmes laïques, circulant dans les
rues de Gaza visage et cheveux au vent, disent qu’elles avaient
bien plus de risques d’être importunées par des malfrats dans
la Gaza d’hier que par des religieux conservateurs dans la Gaza
d’aujourd’hui. Les rumeurs selon lesquelles le Hamas aurait
donné consigne aux coiffeurs de ne plus raser les barbes ne
tiennent pas la route : j’ai fait raser la mienne par
Hossein Hussuna, le coiffeur du dirigeant Hamas (le Premier
ministre) Ismail Haniyyéh, qui m’a confié que la plupart des
huit enfants de celui-ci n’arborent ni moustache, ni barbe !
Ce n’est que si des petits entrepreneurs
comme mon coiffeur réussissent que la normalité reviendra à
Gaza. Mohammad Talbani possède la plus grande usine de Gaza ;
elle produit des biscuits et des crèmes glacées. Mais il ne peut
se procurer ni ses matières premières, ni ses emballages, à
cause de l’embargo israélien, et il ne peut pas non plus expédier
ses productions vers la Cisjordanie, où les détaillants se
fournissent d’ores et déjà au Liban. « Cela fait trente
ans que je me défonce pour créer de toute pièce ce marché, et
puis voilà : il a disparu », dit-il, amer.
Les plages de Gaza ont beau être bondées et
ses rues parfaitement sûres, ses entreprises sont fermées, et
ses magasins n’ont pratiquement plus de clients. Le dommage économique
causé par le blocus est énorme, le chômage atteignant près de
44 %. Près de 80 % des habitants perçoivent une aide alimentaire
de diverses agences de l’Onu. Nasser el-Helou, propriétaire
d’un hôtel et chargé des relations publiques de la Chambre de
Commerce, indique que l’économie gaziote s’effondrera d’ici
quelques semaines seulement, si le blocus se poursuit.
Reste que les entrepreneurs de Gaza, comme
MM. Talbani et el-Helou – des hommes pragmatiques et totalement
apolitiques – sont unanimes à imputer la cause de leurs problèmes
à Israël, et non au Hamas. « Si nous sommes libres, nous
devrions contrôler nos propres frontières », m’a dit M.
el-Helou. « Mais ce n’est pas le cas, donc la
responsabilité est entièrement du côté israélien. » Et
les chefs d’entreprise mettent le doigt sur le paradoxe inhérent
à ce blocus : il a le don de détruire la seule catégorie
de Palestiniens qui ne voyaient pas Israël d’un mauvais œil.
La plupart des gros commerçants parlent l’hébreu et ont – ou
plutôt, avaient – des clients, des partenaires et même
des amis israéliens. Jusqu’à il y a peu, ils attendaient
impatiemment ce jour où il n’y aurait plus de barrières
commerciales entre une Palestine indépendante et un Etat d’Israël
en paix. « La majorité des Gaziotes n’aiment pas Israël »,
m’a dit Amassi Ghazi, directeur d’une compagnie
d’importation de matériaux de construction. « Jusqu’à
présent, seul le secteur privé avait de bonnes relations avec
Israël. Alors, je vous en prie : ouvrez la frontière, avant
que TOUS les Gaziotes soient devenus les ennemis d’Israël ! »
Certains d’entre eux prennent leur rôle
d’ennemis d’Israël très au sérieux. A minuit, sur ce qui
fut naguère le champ de parade de la police côtière
palestinienne, une vingtaine d’hommes s’exercent aux armes légères.
Ils appartiennent à la Brigade Izzeddine al-Qassâm, l’aile
militaire du Hamas, et ils sont prêts à s’égayer immédiatement
dans la nature en cas d’apparition d’un avion de guerre israélien
au-dessus de leurs têtes. Mais depuis que le Fatah a été éconduit
de Gaza, m’a dit Abu Ahmad, commandant de cette unité, il y a
moins de collaborateurs espionnant le Hamas au profit d’Israël,
et les frappes israéliennes ont diminué d’autant. Les
combattants de la Brigade Qassâm sont depuis lors en mesure
d’opérer avec une relative impunité. Un peu plus tard, Abu
Ahmad m’a emmené jusqu’à une position de la Brigade Qassâm,
à quelques centaines de mètres du point de passage d’Erez,
conduisant en Israël. Immédiatement, un drone de surveillance
israélien s’set mis à ronronner au-dessus de nous, et nous
nous sommes partis en toute hâte, revenant à Gaza-Ville à
travers les dunes de sable. Dans les rues patrouillaient Mushtaha
et ses hommes : tous, ils ont l’air très calmes.
Mais, dès la nuit tombée, la guerre entre le Hamas et Israël se
poursuit…
Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier
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