Opinion
Militaires et
islamistes testent la cohésion de
l'Egypte
Andreï Mourtazine
Photo: RIA
Novosti - © AFP/ Khaled Desouki
Mardi 22 novembre
2011
Le weekend dernier,
la place Tahrir du Caire est devenue une
arène d'affrontements parmi les plus
violents depuis le début de la révolte
en janvier 2011. Les milliers de
manifestants en colère contre la
politique du gouvernement militaire de
transition ne se sont pas limités cette
fois au rassemblement traditionnel du
vendredi et ont installé sur la place un
campement démantelé par la police qui a
utilisé les balles en caoutchouc et les
gaz lacrymogènes. Selon les communiqués
des agences de presse, l’affrontement a
coûté la vie à 22 personnes, et près de
2.000 personnes ont été blessées.
Quelles sont les revendications des
manifestants, qui est derrière ces
troubles et pourquoi ont-ils éclaté
précisément maintenant?
Les
islamistes sont derrières les émeutes
Il est à noter que les partis
égyptiens libéraux (Wafd et Egyptiens
libres, ainsi que le parti de gauche
Tagammu et les mouvements de jeunes
révolutionnaires) ont immédiatement nié
leur implication dans la dernière action
de la place Tahrir en la qualifiant de
"provocation." Par contre, les
islamistes faisaient venir sur la place
leurs partisans des quatre coins du
pays, déployaient leurs tentes et
envoyaient des messages SMS invitant au
rassemblement. En Egypte contemporaine
il existe deux véritables forces
politiques capables de résister aux
militaires: les Frères musulmans et la
Jamaa Islamiya (groupe islamique),
similaire dans son esprit.
Il est à noter qu’après le
renversement de Hosni Moubarak ses
anciens partisans militaires sous le
commandement du maréchal Mohamed Hussein
Tantawi ont abrogé la constitution mais
n’ont pas levé l’état d’urgence,
instauré le 6 octobre 1981 après le
meurtre du prédécesseur de Moubarak,
Anouar el-Sadate, et toujours en
vigueur. Pourquoi?
Le fait est que le principal ennemi
des militaires égyptiens n’est pas
Israël ou les Etats-Unis, mais les
islamistes. Ces derniers ont assassiné
Anouar el-Sadate, et ils déclarent
ouvertement que leur objectif consiste à
transformer l’Egypte - république laïque
- en Etat islamique. C’est la raison
pour laquelle l’état d’urgence est
toujours en vigueur. L’état d’urgence ne
limitait aucunement les déplacements des
Egyptiens, et les touristes étrangers et
les diplomates accrédités ne l’ont
jamais ressenti. Ses principaux
avantages étaient l’interdiction des
rassemblements et des manifestations non
autorisés, ainsi que l’interdiction de
créer des partis religieux, autrement
dit la légalisation politique des
islamistes était impossible.
D’ailleurs, l’interdiction des partis
religieux a été instaurée par Gamal
Abdel Nasser dès 1954 après une
tentative d’assassinat échouée organisée
par les Frères musulmans. Après le
renversement de Moubarak et l’abrogation
de la constitution, les Frères musulmans
ont créé un parti religieux légal – le
parti de la liberté et de la justice.
Cependant, ils affirment qu’ils
n’avanceront aucun candidat à la
présidentielle de 2012.
La
formation du nouveau parlement sera
longue
Les législatives précéderont la
présidentielle. Elles commenceront le 28
novembre et se dérouleront en plusieurs
étapes sur plusieurs mois. Pour
l’instant, le pays est dirigé par le
Conseil suprême des forces armées et le
gouvernement formé par des militaires,
qui est peu populaire auprès de la
population.
Les militaires repoussent sciemment
les délais de formation du nouveau
parlement en craignant que toute
"démocratie non militaire" mette une
croix non seulement sur eux, mais
également sur l’Etat laïque.
Les militaires égyptiens mais aussi
les voisins de l’Egypte, avant tout
Israël, ainsi que les principaux acteurs
proche-orientaux de la politique
mondiale, à savoir les Etats-Unis et
l’Europe occidentale, craignent ce
scénario. Le scénario turc d'évolution
de l’Egypte - avec au pouvoir un
président et un premier ministre civils
- aurait parfaitement convenu à
l’Occident, sachant que les militaires
pourraient toujours avoir leur mot à
dire en cas de détérioration de la
situation politique.
A quoi
peut-on s’attendre de la part des Frères
musulmans
A la veille du la prière du vendredi
18 novembre, l'imam de la mosquée Omar
Makram sur Tahrir, cheikh Mazhar
Chahine, a appelé les libéraux à ne pas
craindre l’islam en Egypte.
"Ne craignez pas l’islam en Egypte.
L’Egypte restera à jamais un pays
musulman, mais l’islam en Egypte permet
à chaque citoyen de vivre librement et
exercer ses droits", a déclaré Mazhar
Chahine.
Les islamistes accusaient Moubarak et
el-Sadate de diriger le pays dans le
sillage de la politique américaine. Mais
c’était bien plus sûr et mieux pour la
région que l’islam belliqueux. La
population d’Egypte se chiffre à près de
80 millions de personnes, les ressources
manquent et la crise alimentaire a déjà
atteint les rives fertiles du Nil.
Si les Frères musulmans arrivaient au
pouvoir, le pays des pharaons pourrait
être confronté à l’isolement politique
et au chaos économique. La politique
étrangère pourrait devenir agressive si
l’expansion des valeurs islamiques en
devenait la pierre angulaire.
En pratique cela pourrait signifier
la déclaration du jihad aux voisins et
l’aspiration à exporter la "révolution
islamique" au-delà des frontières
égyptiennes. L’ex-président du pays
Hosni Moubarak a dû renoncer à beaucoup
d’attributs de la démocratie occidentale
afin d’éviter un tel scénario.
L’état d’urgence au pays des
pyramides pendant de nombreuses années
était une condition nécessaire de
l’existence d’un gouvernement stable et
est devenu une institution du système
politique de l’Egypte. On ignore ce que
les successeurs de Moubarak feront.
L’opinion de l’auteur ne coïncide
pas forcément avec la position de la
rédaction
© 2011 RIA
Novosti
Publié le 23 novembre 2011
Le dossier
Egypte
Les dernières mises à jour
|