Amira Howeidy
Lors de son premier discours destiné
« à la nation » le 14 juillet, juste deux jours
après le début de la guerre, un Nasrallah plein de défi à
délivré un de ses discours les plus mémorables.
« Ne sous-estimez pas la
signification des drapeaux du Hezbollah et des affiches avec la
photo de Nasrallah dans une ville Arabe comme le Caire »,
déclarait en privé la semaine passée un haut responsable
Arabe à l’intention de Ghassan Ben-Jedo, chef du bureau d’Al
Jazeera au Liban.
Ben-Jedo, l’unique journaliste à
avoir interviewé Hassan Nasrallah, secrétaire-général du
mouvement Hizbullah durant la guerre, parlait au téléphone à Al-Ahram
Weekly depuis Beyrouth tôt ce lundi, le jour où le
cessez-le-feu demandé par les nations unies entrait en vigueur
et mettait fin à 34 jours de guerre. Malgré les destructions
qui l’environnaient dans ce qu’il restait du quartier
Al-Dahia au sud de Beyrouth, une place-forte du Hizbullah,
Ben-Jedo expliquait que le Hizbullah, et par conséquent son
secrétaire général, était « plus fort que jamais ».
Et non seulement au Liban, d’après
Ben-Jedo qui rappelait sa conversation avec le responsable
Arabe. « Il m’a dit que nous ne réaliserons pas
vraiment tout de suite l’impact que Nasrallah à eu sur le
monde Arabe, mais qu’il pensait que cet impact était profond. »
Quelques heures plus tard, tandis
que des dizaines de milliers de Libanais déplacés retournaient
vers leurs maisons au sud-Liban, à Baalbek, à Al-Bikaa et dans
le quartier Al-Dahia à Beyrouth, et alors qu’un débat
s’amorçait dans les cercles politiques sur la question du désarmement
du Hizbullah, Nasrallah fit sa seconde apparition télévisée
de la semaine.
Son discours, le premier depuis
l’instauration du cessez-le-feu et le neuvième depuis le début
de la guerre le 12 juillet, a duré exactement une demi-heure.
Nasrallah adopta à cette occasion un ton d’homme d’état,
parlant alternativement comme commandant de l’armée de la résistance,
comme combattant de la liberté, comme responsable politique et
comme citoyen libanais. En l’espace de 30 minutes, avec
tranquillité mais de façon affirmée, le leader
âgé de 46 ans a pris les problèmes d’après-guerre en main.
« Ce que j’ai dit dans les
premiers jours de la guerre [au sujet de la reconstruction]
n’avait pas pour objectif de vous aider simplement à soutenir
le choc », disait Nasrallah. « Aujourd’hui est le
jour où ces paroles doivent devenir réalité et où la
promesse doit être tenue. Si Dieu le veut, vous n’aurez pas
à demander de faveur à qui que ce soit, où à attendre votre
tour, où à aller faire des sollicitations. Nos frères, qui
sont vos frères, seront à votre service et cela dès demain
matin partout dans les villes et les villages. »
Il annonçait la disposition du
Hizbullah à reconstruire ce qu’Israël avait détruit et
offrait une assistance financière directe aux déplacés et aux
victimes de la guerre.
Et non, il n’attendrait pas que
le gouvernement entame sa propre tâche de reconstruction et
apporte les secours attendus. Il annonçait au contraire un plan
en deux phases. La première consiste à fournir une somme
d’argent « raisonnable » à chaque famille selon
ses besoins pour louer un appartement pour une année et pouvoir
l’équiper « de façon adéquate ». La seconde
phase comprend la reconstruction de toutes les habitations détruites
« dans les mois qui viennent ».
Il aborda ensuite la question des
armes du Hizbullah, présentant ses arguments d’une façon que
Mazen El-Naggar, chercheur palestinien au Caire, a qualifié de
« raffinée » et « intelligente ».
Lorsqu’il aborda le sujet de la guerre et de la résistance,
Nasrallah fit référence aux « émotions » et aux
« sentiments » qu’éprouvaient « de larges
secteurs de la population qui croient en la résistance »,
dénonçant ceux qui cherchent à ouvrir un débat public sans
« aucun regard pour les sentiments de tous ces gens qui
ont perdu un être cher dans la guerre ».
Ce que Nasrallah disait
indirectement, c’est que ces « larges » secteurs
de la société sont les chiites libanais dont les opinions sur
la question ne doivent pas être sous-estimées.
« Croyez-vous que ces gens
n’ont pas de sentiments ? Comment sont-ils supposés
comprendre que quelques membres de l’élite, installés dans
des pièces à air conditionné, discutent de désarmer la résistance
sans aucune considération sur la validité de leurs arguments ? »
Ce qui est « étrange »,
disait Nasrallah, c’est de constater que certaines voix à
l’intérieur du Liban contestent la présence d’une résistance
armée au nord du fleuve Litani, alors qu’elle sera remplacée
dans le sud par l’armée libanaise et les forces
internationales selon la résolution 1701 du conseil de sécurité
[des nations unies].
« Des décisions de cet ordre
[désarmer la résistance] ne peuvent être discutées de façon
aussi précipitée », a-t-il prévenu. « Nous savons
que le premier objectif de la guerre israélo-américaine contre
le Liban était de désarmer, isoler et même liquider la résistance.
Je voudrais vous inviter à lire et à écouter ce qu’
explique le ministère israélien des affaires étrangères sur
le fait qu’une des plus puissantes armées du monde ne réussisse
pas à désarmer le Hizbullah. »
Lors d’un discours télévisé le
9 août, avant que ne soit publiée la résolution 1701 du
conseil de sécurité des nations unies, Nasrallah a fait savoir
que le Hizbullah - dont les combattants sont concentrés au
sud-Liban - acceptait que l’armée libanaise soit redéployée
au sud, expliquant que malgré ses craintes pour la sécurité
de l’armée, le Hizbullah souscrivait à ce redéploiement de
façon à stopper la guerre israélienne contre le Liban. Deux
jours après le conseil de sécurité adoptait la résolution
1701 appelant à un arrrêt des combats entre Israël et le
Hizbullah et autorisant le déploiement de 15 000 soldats de
troupes étrangères afin d’aider l’armée libanaise à
prendre le contrôle du sud-Liban.
La résolution appelle Israël à
entamer le retrait de toutes ses forces du Liban, « en
parallèle » avec le déploiement des soldats des nations
unies et de 15 000 soldats additionnels de l’armée libanaise.
La résolution donne la possibilité à la force internationale
d’user de ses armes mais ne lui donne aucun rôle explicite
dans le désarmement du Hizbullah, laissant de côté cette
question pour un accord politique futur.
Le 12 août, Nasrallah fit un autre
discours télévisé réaffirmant l’acceptation par le
Hizbullah du déploiement de l’armée libanaise. Bien qu’il
ait décrit comme « injuste » la résolution 1701
parce qu’elle tenait le Hizbullah responsable de l’escalade
sans mentionner les atrocités israéliennes, il argumenta sur
le fait que étant donné « les objectifs déclarés et
non déclarés de la guerre israélo-américaine », il
s’agissait d’une sortie « raisonnable ».
Bien qu’il n’ait pas développé
sur ce qu’il allait advenir des armes du Hizbullah une fois
que l’armée libanaise se serait redéployée au sud-Liban,
Nasrallah laissa entendre que son organisation n’était disposée
à désarmer à aucun moment et poursuivrait la résistance
aussi longtemps que durerait « l’agression et
l’occupation israéliennes ». Il ajouta que le Hizbullah
appliquera l’accord libano-israélien d’avril 1999 qui
stipule que chaque partie à le droit de se défendre.
Le fait que le discours ait eu lieu
au moment où se tenait la réunion du cabinet libanais pour
discuter de la résolution 1701, a été interprété par les
observateurs comme l’envoi d’un message aux officiels les
informant de la position du Hizbullah, bien avant que les
membres du groupe du 14 mars, qui veulent le désarmement du
Hizbullah, n’aient commencé à renouveler leurs demandes.
Comme le dit Ben-Jedo d’Al Jazeera,
chacune des neufs interventions de Nasrallah à la télévision
durant la guerre avait toujours lieu à un moment choisi avec précision.
« Lorsqu’il fait une
apparition à la télévision, c’est pour une bonne raison »,
nous dit-il, « et ceci s’applique à chacun des discours
faits depuis le 12 juillet ».
Le fait que le groupe du 14 mars
ait commencé à appeler au désarmement du Hizbullah plus tôt
cette semaine explique pourquoi Nasrallah a consacré la seconde
partie de son discours à cette question. Ce qu’il n’avait
pas dit lors des interventions des 9 et 12 août, il l’a
expliqué clairement le lundi 14 août : il n’y aura pas
de désarmement du Hizbullah jusqu’à ce qu’il y ait un état
libanais « fort » et « juste » et
capable de protéger ses frontières et ses citoyens.
Ce ne sera pas la dernière
intervention télévisée de Nasrallah, mais la fréquence de
ses apparitions est susceptible de diminuer maintenant que la
guerre est stoppée. L’impact de ses discours à travers la
guerre, disent les analystes, est aussi important que la stratégie
et les objectifs militaires du Hizbullah durant le conflit.
Nasrallah, qui est également un
symbole fort de la communauté chiite, bénéfice aujourd’hui
de l’admiration et du respect de la grande majorité de
l’opinion publique dans le monde Arabe, lequel ironiquement
est majoritairement sunnite. C’est sans précédent, dit
El-Naggar, mais c’est encore plus important pour la communauté
chiite libanaise car cette communauté a obtenu une victoire qui
est sans rivale dans l’histoire du conflit arbo-israélien.
« C’est à mettre à leur crédit. »
« Le Hizbullah a profondément
changé le statut de la communauté chiite libanaise qui était
traditionnellement considérée comme une société opprimée.
C’était ce que l’on avait ressenti lorsque les forces israéliennes
d’occupation les avaient chassés du sud-Liban en 2000 »,
explique El-Naggar.
Mais aujourd’hui, le Hizbullah a
réalisé ce que Nasrallah a qualifié de « victoire
historique et stratégique » sur Israël alors
qu’auparavant des combinaisons d’armées arabes avaient échoué.
« Cette victoire qui est vécue
intensément à travers le monde Arabe comme au Liban pourrait
bien modifier la psychologie des Chiites pour la première fois
depuis des siècles. Leur référence n’est plus seulement la
tragédie de Kerbala [quand le fils du Prophète Mohammed, l’Imam
Al-Hussein, a été assassiné par les Ummayyades au 7e siècle,
évènement qui a contribué à la formation du courant chiite
dans l’Islam] », ajoute El-Naggar. « Les Chiites
ne sont plus les ‘ misérables sur terre ‘, ils sont à même
de triompher d’Israël. Ils sont profondément admirés pour
leur constance et leur esprit de défiance. » Bien
qu’ayant toujours évité d’adopter un discours proprement
chiite tout le mois dernier, Nasrallah qui avait adopté une
ligne strictement pan-arabe durant la guerre a cependant dérapé
une fois.
Lors de son interview par Ben-Jedo
le 21 juillet pour Al Jazeera, Nasrallah a
fait référence à Kerbala par une citation fameuse lorsqu’il
a mentionné le peuple irakien qui a abandonné l’Imam
El-Hussein à son destin tragique : « Leurs cœurs
sont avec lui mais leurs épées sont contre lui ». Il
voulait par là manifester sa colère aux responsables Arabes
qui avaient critiqué le Hizbullah pour la capture des deux
soldats israéliens le 12 juillet. L’Arabie Saoudite et l’Egypte
avait qualifié « d’aventurisme » l’action du
Hizbullah.
« Nous ne voulons ni vos épées
ni même vos cœurs », dit-il, « évitez juste de
rester dans notre dos ». Les mots ont fait mal. Deux jours
après, le journal indépendant égyptien El
Destour paraissait avec ce titre : « Aux leaders
Arabes : ne restez pas dans notre dos. »
Lors de son premier discours destiné
« à la nation » le 14 juillet, juste deux jours après
le début de la guerre, un Nasrallah plein de défi à délivré
un de ses discours les plus mémorables.
Israël avait entamé sa
destruction à grande échelle du quartier Al-Dahia et prétendait
avoir assassiné Nasrallah.
« Aux sionistes je dis :
vous appprendrez bientôt à quel point votre gouvernement est
fou et stupide... Bombardez Al-Dahia et nous bombarderons Haïfa...
Vous voulez une guerre totale, mais nous y sommes prêts. »
Quant aux leaders Arabes, il leur
dit : « Je ne parlerai pas de votre histoire. Mais
juste un mot : ainsi nous sommes des aventuriers ... Mais
nous sommes des aventuriers depuis 1982 [lorsqu’Israël a
envahi Beyrouth, prenant la résistance pour cible]. Vous et le
monde dites que nous sommes fous, mais nous allons prouver que
nous sommes sages. »
Là aussi les mots ont porté.
Aujourd’hui « aventureux » dans le lexique
politique Arabe prend une connotation qui fait référence à
Nasrallah.
« C’était très fin de sa
part de placer Haïfa au niveau d’Al-Dahia, quartier de
Beyrouth, et plus tard de placer le centre de Beyrouth au niveau
de Tel-Aviv », explique El-Naggar.
Mais le discours du 14 juillet était
mémorable, d’après Ben-Jedo, parce qu’il s’agissait de
la première fois dans l’histoire qu’un ordre militaire était
envoyé par les ondes.
Poursuivant son discours, Nasrallah
annonça le début d’une série de « surprises ».
« Elle débute à l’instant. Maintenant, au milieu de la
mer, le bateau de guerre israélien qui bombarde notre
infrastructure, nos maisons et nos citoyens, regardez comme il
brûle et coule avec ceux qui sont à bord. Ceci n’est que le
début, et jusqu’à la fin il y aura beaucoup d’annonces à
faire. » Quelques secondes après, le bateau coulait avec
son équipage.
Mais c’est peut-être son
entretien avec Al-Jazeera qui a été le
plus révélateur de ce que le responsable du Hizbullah a voulu
réaliser - ou défaire - dans la guerre.
La communauté internationale,
dit-il, a donné « son feu vert » à Israël pour en
finir avec la résistance au Liban. « mais ils ne veulent
pas seulement en finir avec la résistance du Hizbullah, ils
veulent en finir avec la résistance d’où qu’elle vienne...
Ils veulent faire disparaître le mot ‘résistance’, le
rendre tabou. [Le même traitement est appliqué aux mots]
martyr, effort [jihad], immuabilité, combat, libération,
liberté, dignité, fierté, honneur ... Tous ces concepts
devraient être retirés du dictionnaire libanais, de la presse,
des débats politiques, de la pensée politique et de la
psychologie populaire. C’est cela que tente réellement Israël.
Les Etats-Unis en ont besoin pour remodeler la région. »
Deux jours plus tard, la sécrétaire
d’état américaine Condoleeza rice semblait vouloir confirmer
[les dires de Nasrallah] lorsqu’elle annonça - alors qu’Israël
était en train de détruire le Liban - la naissance d’un
nouveau Moyen-Orient.
Est-ce que Nasrallah était au
courant de tout à tout moment ? Son intervention du 25
juillet semble accréditer cette idée. « Après deux
semaines [de conflit], il est maintenant évident qu’il faille
exposer la cause de cette guerre ... C’est pour un nouveau
Moyen-Orient israélo-américain. Qui pourrait croire réellement
que cette guerre a été provoquée il y a quelques jours
uniquement par le fait que nous ayons capturé deux soldats ? »,
demanda-t-il. Les Etats-Unis, poursuit-il, on identifié des
« obstacles » dans leur projet de nouveau
Moyen-Orient : « la résistance au Liban et en
Palestine, ainsi que les régimes syrien et iranien. »
Et, ajoute-t-il, c’est là que se
trouve la vraie raison de la guerre. La surprise était que le
Hizbullah avait déjà eu connaissance d’un plan israélo-américain
gardé secret pour attaquer le Liban - et spécifiquement la région
du fleuve Litani et les bases du Hizbullah - mais au mois d’Octobre
prochain. Mais, déclara-t-il, « notre résistance allait
changer la réalité dans la région. » Malgré son
importance, son discours n’a pas eu l’attention qu’il méritait.
Ben-Jedo d’Al Jazeera donna comme raison
que les médias occidentaux n’avaient aucun intérêt à faire
connaître ce discours tandis que les médias arabes l’avaient
« délibérément » ignoré.
Maintenant que la guerre est
interrompue, l’article publié par Seymour Hersch dans le New-Yorker
du 21 août prouve de façon évidente que Nasrallah disait la vérité.
Israël, écrit Hersch, « avait élaboré un plan pour
attaquer le Hizbullah - et l’avait fait connaître aux
responsables de l’administration Busch - bien avant les enlèvements
[des deux soldats israéliens] du 12 juillet. « Ceci ne
veut pas dire que les israéliens aient posé une trappe sur
laquelle le Hizbullah aurait marché », dit-il encore,
« mais il y avait une fort impression à la Maison Blanche
que les israéliens allaient passer à l’attaque tôt ou tard ».
L’opération menée par le
Hizbullah le 12 juillet avait été baptisée « Promesse
tenue » en référence à la menace faite par Nasrallah
plus tôt cette année d’échanger des prisonniers libanais en
Israël contre des prisonniers israéliens. Mais maintenant que
nous savons par Nasrallah ce qu’étaient les objectifs de
guerre des israéliens - objectifs contrariés par la résistance
- est-ce que le chef du Hizbullah n’aurait pas fait une
promesse plus lourde de conséquences que simplement un échange
de prisonniers ?