Chroniques de la Palestine occupée
De l'inexistence
de l'Etat d'Israël en droit international
Aline et Manuel de Diéguez
Mercredi 6 octobre 2010
En raison de la maturation rapide de la situation au Moyen
Orient, mon mari et moi signons ci-dessous une brève réflexion
commune.
"Nul ne colonise innocemment. (…) Une
nation qui colonise, une civilisation qui justifie la
colonisation - donc la force - est déjà une civilisation malade,
une civilisation moralement atteinte, qui, irrésistiblement, de
conséquence en conséquence, de reniement en reniement, appelle
son Hitler, je veux dire son châtiment."
Aimé Césaire
A l'heure où Benjamin Netanyahou sillonne
la planète afin de tenter de convaincre la communauté
internationale de ce qu'Israël doit être reconnu en tant qu'"Etat
juif", l'Europe est appelée à
mesurer les conséquences de l'émergence d'une classe de simples
techniciens du droit que leur formation rudimentaire a rendus
inaptes à prendre la mesure des problèmes de survie de notre
civilisation que pose le Moyen Orient.
Dans cet esprit, il faut rappeler,
primo, que
le droit international ne connaît pas d'Etat dont la définition
se fonderait sur la religion ou la race et qu'il appartient donc
à Israël de proposer au monde civilisé les critères qui
permettraient aux jurisconsultes de préciser la nature d'un "Etat
juif", afin d'introduire un concept
soit tribal , soit de nature religieuse dans le droit des "gentes",
puisque le droit international public s'appelle également le "droit
des gens",
le jus gentium,
au sens latin de gens,
la nation,
le peuple;
secundo,
que la reconnaissance d'Israël
en tant qu'Etat à laquelle
Yasser Arafat s'est résigné 1988 étant étrangère à ses
compétences, l'invalidité de sa signature a ouvert la voie dans
laquelle se sont engouffrés des successeurs bien décidés non
seulement à collaborer avec l'occupant, mais à oublier qu'une
telle décision n'a aucun fondement possible en droit
international public, du simple fait qu'aucun peuple ne dispose
du pouvoir absurde de parapher son propre auto-anéantissement.
Autrement dit, pour que le "droit
des peuples à disposer d'eux-mêmes"
accède à son sens juridique, il faut que les peuples préexistent
en tant que sujets
de droit,
donc en tant que "personnes
morales", ce qui exclut que leur "liberté"
puisse aller jusqu'à se rayer de la carte de leur propre chef et
d'un trait de plume. On ne saurait "
disposer de soi"
si le "soi"
en question se trouve réduit à un fantôme par le prétendu effet
de la volonté d'un faux négociateur.
Dans une analyse juridique serrée, mais
étrangère à l'analyse des fondements transcendantaux du droit,
Mme Monique Chemillier-Gendreau, Professeur de droit
international à l'université Paris-VII (Denis-Diderot) souligne
qu'"aucune procédure n'a jusqu'ici
ôté légalement aux Palestiniens le titre inaliénable qu'ils
détiennent sur leur territoire".
Mais l'expression "jusqu'ici"
présuppose qu'une telle procédure pourrait exister, autrement
dit, qu'un droit déclaré inaliénable pourrait cependant se
trouver légalement aliéné. Mme Chemillier-Gendreau ajoute que "l'occupation
militaire et la colonisation juives de la Palestine sont
illégales" et que seuls les
Palestiniens "disposent d'un titre
légitime, bien que la violence les ait jusqu'ici empêchés de
l'exercer".
[1]
Que peut bien signifier l'expression "
titre légitime"
si l'on ne s'interroge pas sur l'origine métaphysique du droit
positif et de la notion de légitimité? Car ou bien l'adjectif "illégal"
signifie qu'une proposition n'a pas d' existence juridique et
qu'elle demeure étrangère à la planète mentale qu'on appelle "le
droit" ou bien elle est
contradictoire, ce qui revient au même, aucune science ne
pouvant se fonder sur des propositions contraires à la logique
supposée la soutenir.
C'est ainsi qu'une foule de jugements ou
d'arrêts de simples laborantins du droit sont contradictoires en
ce qu'ils croient pouvoir renier sans dommage la cohérence
interne de la science juridique qu'ils invoquent pourtant dans
leurs attendus ou leurs considérants ; et, dans cet esprit, ils
prétendent "annuler"
des actes qui ne sauraient se trouver "annulés"
en droit, puisqu'ils n'ont jamais existé en droit et qu'il
convient de les déclarer "nuls et
non avenus".
C'est ainsi que la
Déclaration de 1988
est simplement "nulle et non
avenue" en ce qu'elle n'a jamais
débarqué dans la science juridique, du seul fait que M. Yasser
Arafat ne disposait nullement du pouvoir de fonder en droit
l'acte extra-juridique par nature et par définition que
l'occupant lui demandait de signer. S'il est absurde d' "aliéner"
un droit qu'on a proclamé "inaliénable"
par définition, donc consubstantiel à l'existence spécifique
d'un peuple et de conférer la légitimité à une nation inventée
par un colonisateur, on comprend pourquoi Mme Golda Meir a
toujours prétendu que le peuple
palestinien n'existait pas,
parce que cette condition est nécessaire pour qu'Israël puisse
s'attribuer le statut d'un Etat.
Un "gouvernement"
palestinien ne saurait donc pas davantage se dessaisir librement
d'une certaine surface de son étendue territoriale au profit
d'une masse d'immigrants débarqués sur ses arpents qu'un
gouvernement français ne dispose de la capacité juridique d'
offrir son sol ou une parcelle de celui-ci à une puissance
étrangère. Il y faut une procédure en usage au seul profit des
ambassades étrangères et que régit le droit diplomatique.
On a pu constater l'usage abusif que les
Etats-Unis en ont fait le 6 juin 2009 : il a suffi que le
cimetière français de Colleville/sur/mer, fût devenu à titre
perpétuel un lopin de la nation américaine pour que M. Barack
Obama pût inviter le Président de la République française à se
rendre auprès du souverain étranger campé sur son territoire à
lui soixante-cinq ans après son débarquement.
Barack Obama, le Prince Charles, le
premier ministre britannique Gordon Brown, son homologue
canadien Stephen Harper, et Nicolas Sarkozy, au cimetière de
Colleville-Sur -Mer, près de Caen, samedi 6 juin (Photo Mori/AP).
Certes, une
guerre et un traité de paix peuvent se conclure par le rapt
d'une portion du sol d'un Etat à son propriétaire ; mais ce coup
de force n'est jamais légitimable en droit pur et demeure
toujours récusable - sinon ce serait en violation du droit
international que la France aurait reconquis l'Alsace et la
Lorraine par la force des armes en 1918.
Aussi, tous les traités internationaux
reconnaissent-ils expressément que leur champ d'application
demeure seulement de l'ordre du temporel, donc du provisoire, et
n'accède en rien au statut transcendantal du droit - ce
qu'exprime la formule obligatoirement ajoutée à titre de
codicille contraignant à l'égard des Etats signataires:
Rebus sic stantibus
qu'il faut traduire par: "les
clauses du présent traité ne sont valables que le temps que
durera l'équilibre des forces actuellement en présence".
Du reste, ses
propres missiles, rodomontades, pressions, massacres,
corruptions de dirigeants palestiniens convainquent si peu
Israël lui-même de ce que la Palestine disposerait du pouvoir
souverain de légitimer l'implantation d'un Etat étranger et
souverain sur son propre territoire que Tel-Aviv refuse à la
résistance palestinienne son statut de guerre de libération
nationale, statut pourtant aussi connu des historiens que celui
de l'Espagne contre les Maures, qui a duré de 711 à 1492, ou
celui de l'Islam contre le Royaume latin de Jérusalem, qui a
duré de 1100 à 1291, ou celui du Général de Gaulle, qui n'a
jamais reconnu l'ombre d'une existence juridique au Gouvernement
de Vichy.
La tragique
régression mentale de la civilisation européenne lui a fait
abandonner l'enseignement de la philosophie du droit et même de
la philosophie du droit pénal, ce qui signifie que notre
malheureux continent ne dispose plus d'aucun centre de réflexion
institutionnel sur les fondements philosophiques et
anthropologiques du droit.
Or, un droit déclaré "inaliénable"
trouvait son fondement dans le sacré, terme qui signifie
séparé, du
latin sacer
. C'était encore sur ce modèle que la loi de 1957 sur la
propriété littéraire et artistique édictait que la propriété
d'un auteur sur son œuvre est
inaliénable, ce qui signifiait
- et signifie encore - que les éditeurs n'acquièrent jamais
qu'un droit d'exploitation, donc d'usage ou d'usufruit, et
toujours dans des conditions expressément convenues avec
l'auteur. Mais si le droit est fondé en dernier ressort sur le
sacré, c'est qu'il est lié à une philosophie de l'éthique, donc
du "spirituel".
De quel prix politique payons-nous le
naufrage de la pensée philosophique de l'Europe ? Car le droit
inaliénable dont les Palestiniens demeurent détenteurs leur
donne le pouvoir de révoquer le prétendu "acquiescement"
de M. Yasser Arafat, puisque cet "acquiescement"
est aussi illusoire, donc nul et non avenu qu'aurait été le
retrait par Rome, de sa qualité d'évêque à Mgr Gaillot. Le Saint
Siège s'est vu contraint d'en faire l'évêque de
Parthenia -
c'est-à-dire de nulle part; mais il demeure évêque en tant que
son titre est consubstantiel au sacré qui l'a oint, donc
étranger au profane, transcendant au monde et "absolu",
au sens latin de "solutus",
détaché du temporel, dénoué,
délivré.
C'est ce
fondement métaphysique de la Liberté que le Général de Gaulle et
le Hamas ont compris, l'un au nom d'une France transcendante au
monde, l'autre au nom de la spiritualité religieuse.
Pour l'instant, la Palestine
occupée est un Parthenia où Israël croit reléguer physiquement
une nation palestinienne qui, dans son fondement spirituel,
n'est pas corporelle - et c'est pour cela que son invisibilité
et son immatérialité chasseront les corps qui prétendent usurper
physiquement son statut transcendantal.
Mais Israël se
trouve en position de faiblesse. Ce prétendu Etat est à la
recherche désespérée de sa légitimation. Il est réconfortant que
le droit international et son éthique soient fondés sur le sacré
; sinon il n'y aurait pas de civilisation de l'esprit et des
bombes en nombre suffisant finiraient par légitimer des pseudo
Etats à la pelle.
[1]
http://www.monde-diplomatique.fr/1999/04/CHEMILLIER_GENDREAU/11901
Publié le 7
octobre 2010 avec l'aimable autorisation de Aline de Diéguez
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