Retour à la réalité pour Al-Qaïda. Depuis quelques semaines, la
nébuleuse terroriste de Ben Laden enregistre de sévères revers
sur le terrain. Des échecs qui pourraient durement frapper la
transnationale du terrorisme. Certes, il serait présomptueux
d’annoncer sa défaite mais il se pourrait qu’Al-Qaïda soit à un
tournant stratégique. La cause de sa faiblesse : oublier que le
terrorisme est aussi un acte politique. C’est en Irak que se
joue une partie de son avenir.
Depuis quelques mois, Al-Qaïda y est affaiblie par ses
options militaires. La stratégie initiée en 2003 par Abou-Moussab
Al-Zarqaoui, (tué en 2006), aboutit à une impasse. En
faisant du chiite sa première cible, Zarqaoui s’est trompé
d’ennemi. Il a brouillé le message d’Al-Qaïda qui a toujours
désigné l’Occident comme la principale cause des malheurs
des Arabes. Après de longues tractations, Ben Laden et Ayman
Al Zawahiri, ont été obligés de le désigner comme leur
représentant en Irak. Aujourd’hui, ils paient cette erreur.
Car les deux leaders d’Al-Qaïda n’ont jamais fait des
chiites leurs pires ennemis. Au contraire, lorsqu’il était
réfugié au Soudan entre 1991 et 1996, Ben Laden n’a cessé de
rencontrer le gratin de l’islamisme mondial à travers les
conférences arabo-musulmanes organisées par le Soudanais
Hassan Tourabi, qualifié à l’époque de Pape noir de l’islam.
Les leaders chiites n’étaient pas les derniers à fréquenter
ces grands raouts de « l’islamintern ». C’est au cours de
ces cinq années au Soudan que le milliardaire saoudien a
commencé à tisser sa toile.
Autre preuve du soutien d’Al-Qaïda aux chiites : à l’été
2006, en pleine guerre libano-israelienne, le numéro deux
d’Al-Qaïda, Ayman Al-Zawahiri, appelait tous les musulmans à
soutenir les chiites du Hezbollah en prise avec Tsahal.
Quelques jours plus tard, certaines grandes voix du sunnisme
saoudien se prononçaient contre le soutien au Hezbollah.
Zarqaoui a donc forcé la main de Ben Laden pour obtenir son
label en Irak. Et sa stratégie a déstabilisé voir délégitimé
la présence d’Al-Qaïda dans l’ex-Mésopotamie.
Les Américains ont parfaitement compris où se situait le point
faible d’Al-Qaïda. D’où leur revirement stratégique.
Depuis quelques mois, l’armée américaine ne fait pas
seulement la guerre, elle fait aussi de la politique. Elle
applique enfin les concepts de la guerre asymétrique qu’un
penseur militaire des années 60 a théorisés. Ce stratège est
un officier…français. Ancien d’Indochine et d’Algérie, David
Galula a rédigé deux ouvrages en anglais lors de son exil
aux Etats-Unis. Son livre majeur, « Contre-insurrection »,
rédigé en 1963 est publié pour la première fois en français
cette année . Ce sont les enseignements du
lieutenant-colonel Godula que l’armée Américaine a appliqué
sur le terrain et plus particulièrement ce principe
fondamental dans la lutte insurrectionnelle. « Les
interactions entre les opérations politiques et militaires
deviennent si fortes qu’on ne peut plus nettement les
séparer ; au contraire, toute opération militaire doit être
planifiée en prenant en compte ses effets politiques, et
vice versa. »
Après avoir tenté d’exclure les sunnites (minoritaires) du
pouvoir en Irak, l’US Army a décidé d’en faire des alliés,
tout en gardant le contact avec les chiites mêmes radicaux.
Les Américains ont profité de la colère de la population
confrontée à la violence inouïe des insurgés pour les
diviser, et réarmer les plus remontés contre l’extrémisme
des hommes d’Al-Qaïda. Faire de la politique pour les
Américains, c’est revenir à un objectif simple mais
primordial dans ce genre de conflit : protéger la
population. Comme le général Petraeus, commandant des
troupes en Irak, l’écrit dans la préface du livre de David
Godula, « …toutes les actions de contre-insurrection doivent
avoir pour but la protection de la population indigène. »
Résultat de cette nouvelle stratégie : les rangs d’Al-Qaïda
se vident.
Sans projet, Al-Qaïda se décompose. Comme les GIA en Algérie
dans les années 90, Al-Qaïda paie son inconséquence
politique : la violence aveugle ne peut pas être son unique
réponse à la présence étrangère en Irak. D’où le fossé qui
ne cesse de se creuser entre elle et la population. Or,
aucun mouvement d’insurrection ne peut réussir s’il n’a pas
son appui. Ben Laden le sait et c’est pour cette raison
qu’il a dénoncé les GIA en Algérie.
Nous aurions tort de nous réjouir trop rapidement des déboires d’Al-Qaïda en Irak. Car cet échec devrait entraîner
la mise en place d’une nouvelle stratégie. Cette fois-ci
axée sur l’ennemi lointain, ce qu’on nomme dans le jargon
jihadiste, la tête du serpent. Autrement dit les pays
occidentaux. Les ressources humaines et financières des
groupes terroristes, accaparées aujourd’hui par l’Irak,
pourraient très rapidement se redéployer en Europe et aux
Etats-Unis. Al-Qaïda fera tout alors pour que la violence
due à la discorde (fitna) entre les musulmans se retourne
contre des cibles occidentales. En invitant dernièrement ses
sympathisants à frapper l’Europe, Ben Laden tente ainsi de
définir une nouvelle stratégie pour faire oublier l’échec
irakien.
Ali Laïdi, chercheur à l'IRIS
Diplômé de l'Ecole de
journalisme de Paris, Ali Laïdi a travaillé pour différents
médias (Le Figaro, Le Nouvel Observateur, L'Express, TF1,
France Télévision notamment) où il a couvert les questions
relatives au terrorisme islamique et à la guerre économique.
Il a enseigné en majeure de journalisme à Sciences-po Paris
(2001-2004).
Auteur de nombreux
articles dans des revues spécialisées (dont Politique
internationale), Ali Laïdi est également l'auteur de
plusieurs ouvrages : « Retour de Flamme » (Calmann-Lévy,
2006), « Les secrets de la guerre économique » (Seuil,
2004), « Le Jihad en Europe » (Seuil, 2002) et co-auteur
d'un ouvrage collectif « Guerre secrète contre Al-Qaïda »,
(Ellipses, 2003).