Reportage
Le printemps arabe
: une révolution contestée
Résultat : même pas l'illusion d'une
post-dictature (18e partie)
Ali El
Hadj Tahar
Samedi 25 mai 2013
Le recul de la
souveraineté des Etats du «printemps»
devant les Etats-Unis, mais même devant
le Qatar et l’Arabie Saoudite, qui
s’ingèrent impunément dans leurs
affaires intérieures. Cette régression
de l’autonomie de décision étatique
touche tous les pays arabes, y compris
l’Algérie, du fait non seulement des
pressions américaines mais d’un
opportunisme qui fait croire que l’on
peut être toléré en courbant l’échine.
Le 22 février
2011, Philip Crowley, porte-parole du
Département d’Etat, ose écrire un tweet
sur internet : «La décision du
gouvernement algérien de lever l’état
d’urgence est positive, mais elle doit
se traduire par une extension des
libertés et un véritable changement.»
Par conséquent, Bouteflika va offrir à
la Maison-Blanche plus qu’elle
n’espérait : un engagement plus grand au
sein de l’Otan, renforcer Africom et les
intérêts économiques américains. Le
Maroc a, certes, fait des avancées grâce
au «printemps arabe», mais il s’est
indéniablement aligné davantage sur les
pays du Golfe, sur la France et les
Etats-Unis d’Amérique, probablement
aussi pour l’affaire du Sahara
occidental. Un plan d’une extrême
sophistication, sous nos yeux, a permis
d’écarter des raïs, non sans engendrer
d’énormes dégâts et causer des milliers
de morts. Les cas libyen et syrien
montrent que ce ne sont pas seulement
les raïs qui étaient visés : ce qui
était visé, d’abord et avant tout,
c’était le modèle politique de
l’Etat-nation articulé sur une
Constitution moderne, séculière.
D’ailleurs, tous les nouveaux décideurs
politiques du «printemps arabe» se sont
empressés de changer ou voulu changer le
texte fondateur dans un sens qui est une
régression par rapport à celui de
l’ancien «régime», notamment pour les
minorités et les femmes. La deuxième
régression fondamentale qui a suivi le
«printemps arabe» est celle de l’axe de
la résistance au profit de l’axe de la
compromission face à Israël et aux
Etats-Unis : cela a permis d’engager un
plan de démantèlement et de remodelage
des frontières afin d’émietter les Etats
qui existent en mini-Etats à caractère
ethniques et communautaires. Le
vice-président américain Joe Biden a dit
une chose juste sur la guerre livrée par
l’OTAN à la Libye au nom de l’ingérence
humanitaire, et plus précisément du
droit de protéger de l’ONU : «Dans cette
affaire, l’Amérique a dépensé 2
milliards de dollars et n’a pas perdu
une seule vie. C’est plus de cette
manière que nous traiterons les affaires
du monde à l’avenir.» Il n’a pas à
donner la liste des cibles à venir,
elles sont toutes désignées. Après avoir
analysé la composante des acteurs
interdépendants du «printemps arabe»,
après avoir compris que même le timing
était déterminé à l’avance, il est
indéniable que cette stratégie – digne
de grands maîtres des échecs et du
billard – n’a pas été le fait du seul
département d’Hillary Clinton : elle a
impliqué de grands stratèges militaires
de deux pays au moins, les Etats-Unis et
le Qatar, qui ont coordonné toutes les
actions du plan pour tirer le meilleur
bénéfice des pièces qui tombent afin de
faire tomber la suivante. Est-il
possible que la France et l’Angleterre
n’aient été prévenues du plan «printemps
arabe» par les Etats-Unis que s’agissant
de la Libye où ils ont été impliquées
dès le départ ? L’opération contre la
Libye entre dans le plan «printemps
arabe» comme les précédentes et les
suivantes. Le «printemps arabe» est une
opération commandée par les Etats-Unis,
avec des rôles selon les étapes des
«matchs». D’ailleurs, il n’est pas
possible que l’obligé des Etats-Unis, le
Qatar, entreprenne une opération avec la
France aux fins de déstabiliser la Libye
sans aviser Washington. Est-il possible
que la France et la Grande-Bretagne
lancent des manœuvres militaires
conjointes en novembre 2010 (code de
l’opération : «Southern Mistral 11»)
sans aviser Washington ? (Lire 9e
partie)
Des «printemps»
contagieux aux désillusions de masses
Cohérent et
précis, le plan de la Maison- Blanche et
du Pentagone a été exécuté dans le
respect de ses phases successives, en
allant du problème le plus simple au
plus compliqué, commençant par la
Tunisie, puis l’Égypte pour abattre la
Libye dans une parfaite théorie des
dominos ; ensuite de grouper les forces
de ces trois pays pour renforcer
l’attaque contre la Syrie. Le Yémen
était un détail, mais il aura déjà servi
à faire croire qu’une révolution est
contagieuse, outre le rôle de ses
djihadistes qui alimentent le foyer
anti-syrien et un terrorisme
international crucial pour justifier
l’impérialisme états-unien. L’Arabie
Saoudite et le Qatar paieront la facture
pour que l’Oncle Sam sévisse. Pas une
seule goutte de sang américain n’a été
versée dans la guerre version 2.0. Mais
ce «printemps» a fait couler beaucoup de
sang libyen, tunisien, égyptien, syrien…
Il semble même avoir définitivement
ouvert les robinets du sang arabe, les
anciens vassaux de l’Oncle Sam disposés
à financer les expéditions de la mort et
les nouveaux vassaux, prêts à envoyer
leurs fils tuer et se faire tuer au nom
de l’absurde. Le «printemps arabe»
semble avoir bel et bien ouvert le champ
au chaos constructeur tel que conçu par
les néoconservateurs de la
Maison-Blanche pour les peuples dont ils
convoitent les richesses. Grâce au
wahhabisme, l’impérialisme a pu
redéfinir ses thèses faisant de la
trahison un droit inhérent à la liberté
de pensée. C’est au nom de ce droit que
les Etats- Unis s’ingèrent dans les
affaires internes des pays pour défendre
leurs agents et collaborateurs, même
dans des affaires non politiques de
droit commun comme ils l’ont fait pour
le Tunisien Soufiane Chourabi alors
qu’il a été arrêté pour saoulerie en
plein Ramadan (lire 17e partie) ! C’est
l’écrivain Serge Latouche qui écrivait
que l’enjeu réel de la colonisation
était celui de «la conquête des esprits
et des imaginaires». Fondamental pour la
survie du libéralisme, comme l’ont
défini les plus grands théoriciens, dont
Karl Marx, l’impérialisme se redéfinit,
se re-théorise, se re-légitime et se
donne perpétuellement une virginité pour
faire de son image celle d’un bon
Samaritain que les médias, y compris
ceux à la solde du Qatar et de l’Arabie
Saoudite, se chargeront de légitimer
davantage. La position qatarie,
saoudienne, des pays du Golfe et des
wahhabites, d’une manière générale
contre les raïs déchus, n’est pas
superficielle : elle s’articule sur leur
idéologie, ce wahhabisme camouflé sous
des masques divers (Frères musulmans,
salafistes, «islamistes modérés»…) Tout
en disant agir au nom de la démocratie,
ils en sapent les principes premiers qui
sont l’Etat séculier : ils l’ont fait en
Tunisie, en Égypte, en Libye, au Yémen,
en Syrie, de manière résolue et
impitoyable et sanguinaire. Les
agissements des Frères musulmans en
Égypte et les velléités de changer la
Constitution en Tunisie et en Libye
attestent que les «islamistes» utilisent
le jeu démocratique comme marchepied
pour instaurer une théocratie en
espérant saper les institutions
démocratiques de l’intérieur. Le
«printemps arabe» a eu raison de l’ordre
ancien dans lequel se coulaient les
Arabes et qui leur a permis de passer
l’écueil de la guerre froide sans trop
de périls, car il n’y a pas eu de
remodelage de frontières depuis les
accords de Sykes-Picot, à part celles de
la Palestine. Aujourd’hui, les Arabes
semblent avoir tous rejoint le camp
américain : il est donc logique que
l’Oncle Sam leur désigne un contremaître
de leur race, cet émir qatari qui ne
lésine pas sur les coups de bâton.
Désormais intouchable, le Qatar se met à
financer des partis islamistes dans tous
les pays arabes au mépris des lois
nationales sans que quiconque lui tire
les oreilles. Du moment qu’il finance
les opérations de déstabilisation, les
guerres de basse intensité et autres
coups bas de l’Oncle Sam, se rendant
ainsi nécessaires pour toute action en
terre arabe, il est désormais impliqué
dans la redéfinition de la carte du
monde et rétribué par la possibilité
d’installer ses copains salafistes ou
fréristes aux commandes des pays
conquis.
Les rumeurs sur
ces raïs appelés dictateurs
Dans les pays du
«printemps», le rêve d’une démocratie
n’a même pas engendré une
post-dictature. Mais les rumeurs les
plus folles sur les raïs déchus
continuent de courir alors que les
gouvernements sont incapables d’apporter
les preuves des accusations qui les ont
portés au pouvoir : la fortune de Ben
Ali, disait-on, serait de 45 milliards
de dollars, celle de Moubarak entre 40
et 70 milliards de dollars, soit parmi
les premières fortunes de la planète
alors qu’ils ne disposent ni d’usines ni
de puits de pétrole ; la rumeur les a
fait plus riches que certains émirs des
EAU, du Qatar et le roi d’Arabie
Saoudite, dont nul d’ailleurs ne
questionne la fortune, cependant ! La
foule a été manipulée ; peu importe la
vérité aujourd’hui. Dans une prochaine
étude intitulée «Ces raïs appelés
dictateurs», nous verrons avec d’autres
faits et d’autres preuves et arguments
que le «printemps arabe» est un complot
américain auquel s’inscrivent des
intérêts français et anglais, évidemment
toujours avec l’électron qatari. Nous
verrons comment s’est fait le coup
d’Etat contre Ben Ali et celui contre
Moubarak et comment le complot contre
Kadhafi s’est transformé en guerre
totale de l’OTAN contre un Etat
indépendant. Les données économiques de
chacun de ces pays vont attester que les
réalisations des raïs déchus sont très
honorables, plus que ceux de leurs
prédécesseurs en tout cas, bien que les
poncifs et les rumeurs aient toujours la
peau dure car ressassés par des médias
devenus des spécialistes de la
propagande et de la désinformation. Dans
cette étude, nous irons au détail,
creuser le cœur de ces «dictatures» sans
statues à la Saddam, ces raïs sans armes
de destruction massive, ces chefs d’Etat
dont l’un a laissé des coffres pleins
d’or et les comptes gorgés d’argent, et
qui tous ont perpétué un nationalisme
qui faisait la fierté des peuples il y a
à peine cinq ans. Nous parlerons donc de
Ben Ali, de Moubarak, de Kadhafi, de
Abdallah Salah et de Bachar El-Assad :
il s’agira de politique mais aussi
d’économie, de chiffres, surtout. Des
chiffres qui attestent des réalisations
énormes effectuées en Tunisie, en Syrie
et en Libye surtout, un pays qui n’était
que sable en 1969 lorsqu’eut lieu la
vraie révolution contre la monarchie
dont 94% des sujets étaient analphabètes
et tous les champs de pétrole du pays
étaient gérés par les Britanniques
depuis 1955. Non, aucun «dictateur»
arabe n’a fait couler autant de sang que
le plus sage des présidents américains.
Non, aucun des «dictateurs» arabes
déchus ne mérite le sort qui lui a été
réservé dans son propre pays.
A. E. T.
Partie
17/18
Article publié sur
Le Soir d'Algérie
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