Reportage
Le printemps arabe
: une révolution contestée
Les Etats-nations séculiers : les
premiers et les seuls visés (17e partie)
Ali El
Hadj Tahar
Jeudi 23 mai 2013
Comme conséquence
directe du printemps arabe, les armées
des pays de «révolutions» sont réduites
et affaiblies. Désormais, ces pays
servent tous de bases arrière aux
opérations «terroristes» régionales, et
l’OTAN y dispose de ports indispensables
au contrôle de la Méditerranée.
La Tunisie,
l’Egypte, la Libye et le Yémen se sont
rangés derrière le Qatar et l’Arabie
Saoudite qui se sont appropriés la Ligue
arabe transformée en cartel du crime
contre le peuple syrien et de
compromission avec Israël. Aujourd’hui,
la guerre arabe contre la Syrie est au
profit d’Israël. Car jamais Ben Ali ni
Moubarak et encore moins Kadhafi
n’auraient sacrifié la Palestine comme
le font aujourd’hui les gouvernements
respectifs de ces pays, ni accepté de
sacrifier la Syrie et encore moins d’y
envoyer des terroristes et surtout de
transformer leurs pays en bases arrière
du terrorisme dans le monde musulman.
Grâce au «printemps», la balkanisation
du monde arabe et sa division en petits
Etats fragiles basés sur des critères
ethniques et religieux sont bien
enclenchées, afin (également) que se
réalise le Grand Israël stable et
prospère qui puisse davantage
s’agrandir. Jamais du temps de Moubarak,
de Ben Ali et de Kadhafi, Barack Obama
n’aurait osé dire comme il l’a fait lors
de sa toute récente visite en Israël :
«La terre palestinienne est une terre
historique juive» ! Tous les autres
Etats arabes, moins la Syrie et l’Irak
et une Algérie au gris, se sont
également rangés contre l’Iran, dans le
cadre d’un croissant dit sunnite mais
qui vise en réalité l’axe anti-israélien
et pro-wahhabite. Les cibles visées par
les «révolutions 2.0» de 2011 sont les
Etats-nations séculiers. De modèle
socialiste ou libéral, ils comptaient
parmi les plus avancés du monde
musulman. Les régimes du Golfe et de la
Péninsule arabique semblent avoir été
immunisés ou vaccinés contre la
«révolution spontanée». Les régimes les
plus antidémocratiques et les plus
archaïques, le Qatar, l’Arabie Saoudite,
les Emirats et le Koweït seront ceux-là
mêmes qui donneront des leçons de
démocratie aux autres ! Ce sont eux qui
seront soutenus par les pays occidentaux
qui sont allés renverser Kadhafi en
s’alliant à l’armée qatarie. Les
«révolutions» arabes ont donc visé les
Etats-nations les plus avancés sur les
plans politiques, économiques, sociaux
et culturels. Aucun de ces pays ne
figure parmi les pays pauvres, bien au
contraire, surtout s’agissant de la
Libye, de la Tunisie et de la Syrie dont
le système de gouvernance est sans
comparaison aucune avec celui des pays
épargnés par les «printemps», en
l’occurrence le Qatar et l’Arabie
Saoudite. Dans tous les domaines sociaux
et des droits de l’homme, les pays
ciblés par les «révolutions» sont de
loin les meilleurs que les pays qui
dirigent actuellement la Ligue arabe.
Pourquoi la Tunisie a-t-elle été ciblée
en premier ? Pour casser la Libye et la
Syrie, mais aussi pour casser le
bourguibisme le seul modèle social et
politique avec le baâthisme qui fait
face au wahhabisme et à ses variantes
réactionnaires. Le modèle socialiste
étant abandonné par les Arabes, les
seuls modèles modernes et nationaux
demeuraient le bourguibisme et le
baâthisme, qu’il a fallu éradiquer. La
Tunisie a aussi été visée en premier,
comme nous l’avons expliqué plus haut,
parce que sans instabilité dans ce pays,
les Etats-Unis ne pouvaient pas réussir
leur effet domino déstabilisateur.
Régression féconde
des pays «révolutionnaires»
A la solde, les
Etats du «printemps arabe» constitueront
de nouveaux chevaux de Troie qui ne se
contenteront pas de ruer. Ils auront à
faire les basses besognes : massacrer
les Syriens sous prétexte de leur
apporter la démocratie, en envoyant des
milliers de terroristes wahhabites
recrutés à travers le monde. Pour les
monarchies de la péninsule arabique, le
«printemps» a été l’occasion de se
venger de ces démocraties socialistes,
nassériennes ou baâthistes qui les
avaient tant empêchées de dormir en
paix. A l’époque de Nasser, Boumediène,
Hafid El-Assad, Saddam, Kadhafi et même
Bourguiba, ces rois et émirs étaient
méprisés autant que leurs «idéologies ».
Deux années à peine après le
«printemps», il devient patent qu’aucun
des raïs déchus ne pouvait offrir plus
que les nouveaux alliés de l’Occident :
maintenant qu’il les tient en laisse
ainsi que leur Ligue arabe, il peut
envoyer l’OTAN dans n’importe quel pays
musulman sans être accusé de croisade.
Et les frères musulmans autant que les
wahhabites, grâce au «printemps», auront
obtenu une honorabilité qui les propulse
aux fauteuils de la présidence et des
Parlements (Morsi, Ghannouchi, Abdel-
Jalil) et même à des postes militaires
importants, comme ceux attribués aux
terroristes libyens notoires Ismaïl Al-Salabi,
Abdelhakim Belhadj et Abu Sofiane Qoumou.
A la tête des hordes terroristes
recrutées aux quatre coins du monde, la
Maison-Blanche s’en va faire des
«révolutions» dans le monde arabe avec
comme objectif final de mettre à genoux
l’un des derniers raïs arabes modernes,
El-Assad. Comment l’invasion de l’Irak
en 1991 et 2003, l’attaque contre la
Libye n’a affecté que très peu de
musulmans, la majorité voyant cela comme
un jeu vidéo qui consiste à supprimer un
«dictateur» sans faire de dégâts. Or, il
y a eu au moins 50 000 morts dans
l’attaque de l’OTAN, avec des milliers
de morts parmi les militaires et des
civils innocents sans parler des 20 000
martyrs dont a parlé Abdel-Jalil qui n’a
compté que les morts de son camp. Selon
Mahmoud Jibril, les Libyens morts
équivaudraient à la moitié de la
population qatarie ! Apathie,
indifférence, soumission, fatalisme : la
nation arabe a accepté son «destin» même
si son «printemps arabe» n’est qu’un
retour en force de l’impérialisme dans
une nation musulmane désormais asservie
à l’Occident. En cette époque où le
non-alignement aurait dû être un
paravent de sécurité, les pays musulmans
se sont jetés dans les bras de
l’Amérique : dans la guerre prochaine,
ils feront les frais de leur
positionnement risqué au profit de
Washington. Ce qu’ils donnent aux
Etats-Unis, ils ne pourront plus le
reprendre : les bases ouvertes dans ces
pays ne pourront pas être recouvrées
qu’à un prix très élevé comme l’ont
montré les expériences dans d’autres
pays, notamment au Panama. Leur
positionnement sur l’Amérique est un
abandon du non-alignement qui les a
sauvés de catastrophes certaines par le
passé. Au nom de la «révolution» contre
la dictature, une nouvelle dictature a
été instaurée en Egypte au point où une
deuxième «révolution» a été initiée en
2013. Car loin d’être le symbole de
l’émancipation des peuples d’Afrique du
Nord et du Proche-Orient face à la
«tyrannie», le «printemps arabe», cet
événement majeur du XXIe siècle, est une
mise de la nation islamique sous le
boisseau impérialiste, voire une étape
cruciale d’une néo-colonisation en bonne
et due forme pour des siècles si ce
n’est des millénaires. Au lieu de
s’améliorer, la situation en matière de
droits de l’homme a reculé dans tous les
pays «printaniers», notamment en Egypte
et en Tunisie. La torture est pratiquée
en Tunisie comme par le passé. Le statut
de la femme y régresse au même moment où
apparaissent des menaces contre les
minorités non musulmanes, contre les
intellectuels, ainsi que le phénomène de
la destruction de monuments religieux.
L’installation de régimes «islamistes»
ou à forte coloration «islamistes» a
ouvert la boîte de Pandore de la
violence. Quant aux événements de Syrie,
ils ternissent davantage l’image de
l’islam par des assassinats crapuleux y
compris de savants comme Al-Bouti dans
une mosquée. Une des conséquences des
«printemps arabes» est que les pays
décideurs de la nation arabe ne sont
plus l’axe de la résistance ni les Etats
modernistes et les Etats-nations
progressistes mais les Etats valets
d’Israël, opposés à l’Iran et rangés
derrière les Etats-Unis. Ce n’est pas
pour rien que le sénateur
néoconservateur McCain s’est rendu à
Tunis le 21 février 2011, au Caire le 27
février 2011 et à Benghazi le 22 avril
2011. Rappelons tout de même que McCain
est président du conseil
d'administration de l'IRI (International
Republican Institute), un organisme qui
finance l'exportation de la
«démocratie», c’est-à-dire chargé de
déstabiliser des pays pour y placer des
vassaux. Aujourd’hui, grâce au
«printemps» générateur de la crise
malienne, les Etats-Unis ont une base de
drones au Niger et le général William
Ward, commandant de l’Africom, est
devenu le maître à bord dans tous les
pays du Sahel et d’Afrique du Nord sans
exception. Il est indéniable que ces
Etats du «printemps» ont perdu leur
souveraineté comme la majorité des
autres Etats arabes. L’ambassade des
Etats-Unis y forme des collaborateurs et
des traîtres au vu et au su du monde,
comme elle le faisait au Maroc et au
Qatar avant 2011. Elle donne des ordres
à des gouvernements supposés
indépendants : le Tunisien Soufiane
Chourabi, un salarié de Freedom House, a
été arrêté le 6 août 2011 pour
ivrognerie sur la voie publique en plein
Ramadan avant d’être relâché quelques
heures après et les charges contre lui
abandonnées, suite à un coup de fil de
l’ambassade des Etats-Unis ! Déjà en
mars 2010, l'ambassade des Etats- Unis
au Caire est intervenue pour demander la
libération de la bloggeuse Shahinaz
Abdel Salam (pensionnaire de Freedom
House) ainsi que celle d'autres
activistes emprisonnés par Moubarak lors
des manifestations contre la fusillade
contre une église copte à Nagaâ Hamadi.
«On avait préparé une liste de tous les
militants pro-démocratie emprisonnés,
pour que les Américains puissent
demander leur libération»,
raconte-t-elle. L’ambassade des
Etats-Unis se place désormais au-dessus
de la justice, s’agissant de ses
protégés, devenus des intouchables ! Des
traîtres en liberté et avec des badges
en plus…
A. E. T.
(A suivre)
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Article publié sur
Le Soir d'Algérie
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