Opinion
Mali : ingérence humanitaire ou nouveau
Sahelistan ?
La Françafrique par mercenaires et
traîtres interposés (14e partie)
Ali El
Hadj Tahar
Mercredi 20 février
2013
L’opération Serval peut aussi
s’expliquer par la nécessité militaire
de donner du service à des éléments qui
ont fait l’Afghanistan. Un service que
les Etats-Unis rendent en faisant
avancer le pion français au Mali,
d’autant que les marines et autres GI’s
ont encore quelques affaires à régler en
Afghanistan. De plus, cela passe mal
pour les Etatsuniens de s’ingérer dans
un pays d’Afrique après la Libye, la
Syrie et le Yémen où ils n’ont pas
laissé une bonne impression au sein de
l’opinion musulmane.
Entreront-ils au Mali en 2014, lorsque
leur retrait d’Afghanistan sera total,
et surtout lorsque les conditions
militaires et/ou politiques auront été
réunies ? Le pourrissement de la
situation au Mali servira probablement
de prétexte d’une entrée des Etats-Unis,
et l’histoire montre que les Américains
apprécient les conflits ouverts par les
Français, le Vietnam étant le meilleur
exemple. La France s’est donné le mandat
de s'immiscer au Mali à coups de
mensonges et subterfuges. Hollande a dit
qu’il laissait la doctrine
néocolonialiste Françafrique derrière
lui, mais elle colle à la politique
extérieure française, surtout dans le
lourd héritage d’un parti socialiste
marqué de forts relents mitterrandiens.
Sarkozy l’a prouvé en Côte d’Ivoire, en
se donnant ainsi un véritable pouvoir
politique dans ce pays après avoir
dégommé Gbagbo et placé Ouattara, comme
Chirac l’a fait en 1999, en fomentant un
coup d’Etat militaire contre le
président Henri Konan Bédié, ouvrant
ainsi pour ce pays plus d’une décennie
de guerre, de massacres et de violences
ethnico-religieuses. Laurent Gbagbo
avait fermé la base française d’Abidjan,
alors la France imposera Ouattara qui
prétendait avoir gagné les élections
face à son prédécesseur : il permettra
le maintien de la base française. Au
Tchad, la France maintient un millier
d’hommes appelés dans le cadre du
dispositif Epervier mis en place pour
sauver un certain criminel, Hissène
Habré, le président tchadien putschiste
installé par la France et qui a appelé
Paris à l’aide lorsque le président
déchu, Goukouni Oudeï, a essayé de
reprendre le pouvoir avec l’aide de
Kadhafi, en 1986. Responsable de la mort
de presque 40 000 personnes et de
nombreux assassinats politiques, Habré
sera d’ailleurs arrêté, mais, à ce jour,
la France ne permet pas son jugement par
la cour internationale de justice. La
fin de la mission de l’opération
Epervier au Tchad est proche et elle
risque d’être fermée d’autant, qu’en
2010, le président Idriss Deby avait
reproché à la France de ne rien payer
pour sa présence militaire. Une
opération coup-de- poing au Mali va
donner à réfléchir à ces présidents qui
osent chasser les troupes françaises et
suivre les conseils de l’artiste Alpha
Blondy qui chantait : «Armée française
allez-vous en ! Allez-vous en de chez
nous... Nous ne voulons plus
d'indépendance sous haute surveillance.»
En 1960, l'armée française comptait 30
000 hommes en Afrique ; en 1980, 15 000
; aujourd'hui, ils sont à peine plus de
5 000, répartis sur trois bases : au
Gabon (980), au Cap-Vert (1 200) et le
plus gros contingent est à Djibouti (2
900). Rien qu'en 2011, près de 2 500
soldats ont quitté Djibouti (république
de Djibouti), Dakar (Sénégal) et Abidjan
(Côte d'Ivoire) où la force Licorne
n’est plus que de 450 hommes. Avec un
budget de 800 millions d'euros par an en
2008, pour la présence française en
Afrique (sur un budget militaire
français de 31,4 milliards d'euros en
2013), la France ne peut pas avoir les
mêmes objectifs géostratégiques que les
Etats-Unis qui octroient à la Défense
près de 50% du budget étatique alors
qu’en France, il n’est que le deuxième
après l’éducation. En début d'année, la
fermeture de la base française au
Sénégal avait confirmé le désir de
plusieurs chefs d'Etat africains de voir
ces symboles de la Françafrique
disparaître. Le président sénégalais
Abdoulaye Wade a récemment déclaré que
le Sénégal ne sera «pas le dernier pays
à maintenir une base (militaire)
française en Afrique. Il ne peut pas y
avoir d'agressions extérieures, j'ai
beau réfléchir, je ne vois pas qui peut
agresser le Sénégal».
L’ingérence au nom du droit de
défendre…
Cette fermeture des bases françaises
en Afrique n’explique-t-elle pas
l’acharnement de François Hollande à
intervenir au Mali pour l’aider à se
débarrasser des méchants «islamistes» ?
Le drame n’a-t-il pas été scénarisé
depuis le début, avec des armes qui se
perdent en Libye, des partis fantoches
qui se créent comme des champignons sous
la pluie ? Beaucoup de peuples arabes
n’ont pas pris conscience de la
supercherie de cet hiver appelé
«Printemps arabe» qui a amené des
wahhabites au pouvoir et dans leur
suite, et des crises à la chaîne, dont
celle du Mali pourrait ouvrir la boîte
de Pandore d’un terrorisme pour des
décennies. L’objectif avoué d’une
intervention au Mali est la lutte
antiterroriste, mais cet alibi a souvent
eu bon dos pour l’occupation de régions
convoitées, si ce n’est un argument créé
de toutes pièces, les cas afghan et
irakien étant des classiques des
nouvelles ruses de l’impérialisme
camouflé en ingérence humanitaire. En
effet, le vœu du sioniste français
Bernard Kouchner finira par se
concrétiser, et l’ONU par adopter une
résolution en 2009 autorisant la
responsabilité de protéger, la R2P (Responsibility
To Protect) qui permet à la «communauté
internationale» de s’ingérer pour
pallier les «défaillances» d'Etats
incapables de prendre en charge leur
propre population. C’est pour sauver des
populations civiles de prétendus
massacres que l’ONU a adopté la
résolution 1973 qui a permis à l’OTAN
d’intervenir en Libye. Au nom de cette
ingérence humanitaire, la France est
pressée d’intervenir pour s’incruster
dans un Mali convoité dont le président
déchu, Amadou Toumani Touré, lui aurait
refusé l’installation d’une base
militaire. En forçant la main aux
nouvelles autorités,
putsch-invasion-libération aidant, Paris
finirait par avoir sa base. Les
Etats-Unis, eux aussi, cherchent un pays
où installer la base de l’Africom, et
ils l’a trouveront probablement dans le
pays qui s’avérera le plus faible ou le
plus choyé par de futurs libérateurs :
le Niger où, selon le New York Times,
ils viennent de décider de la création
d’une base pour le lancement de drones,
ce qui augure de beaux jours pour
Al-Qaïda, Ansar Dine, Mujao et autres
mercenaires pseudo-djihadistes dans la
région. Le fait que les Américains
participent à l’intervention française
n’annule pas tout ce qui vient d’être
dit plus haut sur la différence de point
de vue entre la Maison- Blanche et
l’Elysée, car il n’y a pas de différend
entre puissances amies mais néanmoins
rivales. Tout n’a été que mensonges et
camouflage pour préparer les conditions
d’une intervention au mépris des
milliers de réfugiés, des morts et des
mains coupées ? L’impérialisme français
ou américain n’a jamais fait cas de la
vie humaine, et ce qui se passe en
Syrie, en Irak et au Pakistan montre
l’insensibilité implacable des
atlantistes. Le raid israélien contre la
Syrie pendant que les pays de l’OTAN y
envoient leurs mercenaires atteste que
notre analyse est juste. Maintenant, on
comprend aussi pourquoi ni la France ni
les autres pays, qui ont accouru avec
leurs avions au Mali, ont préféré cette
option à mettre la main à la poche pour
offrir la modique somme de 375 millions
de dollars nécessaire aux forces de la
Misma. On comprend aussi pourquoi l’ONU
n’a pas demandé une aide internationale
pour les réunir ni pour l’envoi des
troupes africaines : l’intervention
française était déjà dans les plans
entre Obama, Hollande et Cameron. Les
Russes, préoccupés à sauver la Syrie, ne
se sont pas ingérés dans la question :
ils ont été éjectés de l’Afrique, y
compris par cette ancien ami algérien
qui a participé aux exercices de l’OTAN
en même temps qu’Israël en 2010…
Plusieurs auteurs partagent la thèse du
complot impérialiste au Mali, la France,
l’ancien maître colonial est
naturellement choisi «parmi les
puissances occidentales pour diriger une
aventure néo-impérialiste dans cette
région stratégiquement importante»,
écrit Finian Cunningham, un journaliste
irlandais.(1) Les sommes dépensées par
l’armée française dans le cadre de
l’opération Serval (pour rendre servile
?) ont dépassé 30 millions d’euros en
une semaine sur un budget de 630
millions d’euros destiné aux Opex
(opérations extérieures) par le
ministère de la Défense français, ce qui
signifie d’ailleurs que ce budget ne
pourrait pas tenir plus de deux mois.
Cela signifie-t-il, par conséquent, que
la France va se désengager du conflit
malien au-delà de mars-avril, ou bien,
va-t-elle s’engager pour une durée
imprévisible malgré sa récession
économique ? On ignore si les pays du
Golfe vont payer la facture comme en
Libye et en Syrie, car il n’a rien
filtré de la visite de Hollande aux EAU.
Le 13 janvier, le ministre français de
la Défense, Jean-Yves Le Drian, a dit
que la France n'a «pas vocation à rester
éternellement dans ce pays», ce qui
contredit ses propres déclarations
quinze jours plus tard et celles
d’autres officiels français.
Les associations «caritatives»
qataries
Quelle va être la durée du conflit ?
Militairement, il aurait été très facile
pour l’armée malienne à elle seule de se
débarrasser de ces bandes criminelles, à
condition que le fonds de commerce de
l’Azawad ne soit pas utilisé. Les
Maliens ont subi un traumatisme qui les
place dans le camp de l’opposition
totale aux islamistes qu’ils aideront à
éradiquer et à combattre. Sages, les
Touareg ont compris que leur credo a été
sali par le MNLA. Ils ont conscience
qu’un démembrement du Mali sera
dramatique pour eux et pour la région,
comme ils le voient dans un Soudan
divisé mais instable. La deuxième
condition est le départ rapide des
forces occidentales, et la
non-implantation de bases américaines ou
françaises. Or, malheureusement, comme
nous l’avons écrit plus haut, une base
américaine va bientôt être créée au
Niger. Les Français auront-ils la leur
au Mali ? Dès lors que le ver sera dans
le fruit à cause de ces bases, il sera
impossible de prévoir une fin heureuse
pour le conflit dans la région. Et tant
que les associations «caritatives»
qataries qui financent le terrorisme et
le soutiennent, y compris sur le plan
médical et chirurgical, l’issue n’est
pas optimiste, de surcroît si la
Maison-Blanche fait toujours semblant
d’oublier les accusations graves portées
par l'amiral Giampaolo Di Paola,
président du Comité militaire qui
regroupe les chefs d'état-major des pays
de l'OTAN, qui disait que «plus de 10
000 missiles sol-air» ont été perdus par
l’OTAN en Libye et celles portées par
Mahmoud Jibril, le chef du parti au
pouvoir dans ce pays, disant que le
Qatar refuse de récupérer les armes
«oubliées» chez les groupes islamistes
libyens, entendez par-là, celles du GICL
(lire 2e partie). Le pays, qui accepte
de servir de tremplin pour les forces
atlantiques, permet la propagation du
terrorisme. En Irak, dix années durant,
Al-Qaïda – dont le but supposé était de
nuire aux forces coalisées – a tué des
centaines de milliers d’Irakiens à
travers des attentats à la bombe dont la
plupart n’étaient même pas placés à
proximité des unités coalisées. Ce sont
les forces révolutionnaires chiites et
sunnites et quelques supporters de
Saddam qui ont ciblé les 5 000
Américains et les quelques dizaines de
Français ou d’Allemands, tués en Irak,
et non pas les djihadistes financés,
formés et soutenus par l’Arabie Saoudite
et d’autres pays du Golfe pour créer le
chaos dans ce pays et lui faire le plus
de mal possible. Depuis le fameux
«Printemps arabe», plusieurs pays
servent de bases arrière aux groupes
terroristes ou leurs assurent une
formation : la Jordanie, la Turquie et
le Liban abritent des milliers de
terroristes qui sont en train de
détruire la Syrie. 100 000 terroristes
sont entrés en Syrie, dont 90% par le
territoire turc. La Tunisie, la Libye et
l’Egypte ont des agences et des agences
de voyages servant au recrutement de
terroristes destinés à la Syrie. Selon
les déclarations d’un jeune Tunisien
revenu de Syrie, après son recrutement
dans une agence de voyages ayant pignon
sur rue à Tunis, il aurait suivi une
formation d’une semaine avant d’être
transféré en Libye, puis vers la
Turquie. Les terroristes d’aujourd’hui
sont des mercenaires sans conviction,
intéressés par l’argent qatari ou
saoudien, les principaux payeurs des
nouvelles guerres impérialistes par
l’entremise du terrorisme. Le terrorisme
«islamiste» est transnational, mais il
ne frappe que les pays musulmans et
africains. Il est international mais les
victimes sont musulmanes. Voilà pourquoi
il y a dans les paroles de Hollande et
de Cameron une indécence et un cynisme
qui font honte. Le terrorisme est une
création occidentale et il n’a jamais
menacé ni touché les intérêts
occidentaux : de nombreux ouvrages, les
nombreuses preuves, les innombrables
zones d’ombre attestent que tous les
attentats où il y a eu des victimes
occidentales ont un lien (de complicité
avérée ou de négligence volontaire) avec
la CIA ou les autres services de
renseignements occidentaux. Les affaires
libyennes, syriennes et maliennes
attestent que l’Occident ne cache même
pas son alliance avec le terrorisme.
A. E. T.
(A suivre)
1.
http://www.silviacattori.net/article4154.html
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13e partie
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15e partie
Publié sur
Le Soir d'Algérie
Le dossier Afrique noire
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