Reportage
Le printemps arabe
: une révolution contestée
Les néoconservateurs américains à
l'assaut du monde (13e partie)
Ali El
Hadj Tahar
Dimanche 19 mai 2013
Les «Printemps
arabes» s’inscrivent dans le projet du
Grand Moyen-Orient qui lui-même
s’inscrit dans le plan du Nouvel Ordre
mondial (NOM) évoqué par Bush senior et
qui a d’abord visé à redéfinir les
frontières eurasiennes pour affaiblir
l’ex-bloc soviétique.
Entrant dans ce
cadre, la Yougoslavie a été divisée
après une guerre civile fratricide
nourrie par les Etats-Unis. Ensuite,
Washington s’est débarrassée des
gouvernements proches de Moscou en
fomentant des «révolutions colorées»
supposées pacifiques scénarisées,
programmées et mises en œuvre, y compris
par le recours à des groupes armés. Le
mouvement serbe Otpor (Résistance) (3e
partie) qui a joué un rôle majeur dans
la chute de Slobodan Milosevic (2001)
avec l’aide prouvée des Etats-Unis et de
la CIA deviendra donc le centre
international Canvas chargé de former à
la chaîne d’autres traîtres pour
déstabiliser d’autres pays, toujours
sous contrôle étatsunien. Les «experts»
de Canvas donneront des conseils
pratiques aux dissidents et
cyberdissidents en Géorgie (Kmara, c’est
assez !), en Ukraine (Pora, c’est
l’heure), puis au Kirghizistan (avec le
slogan Kelkel, Renaissance), ainsi qu’en
Biélorussie… En quelques années
(2001-2005), les anciens pays alliés de
la Russie viraient dans le camp
américain, menaçant même d’abriter des
missiles pointés sur Moscou. Canvas
devenait un outil de formation de
traîtres, de collaborateurs et d’agents
pour l’exportation de la «démocratie»
américaine, en somme pour l’instauration
de régimes inféodés à Washington. Une
organisation supposée non
gouvernementale et indépendante est
instrumentalisée par le CIA, directement
et indirectement, pour propager
l’idéologie ultralibérale et la
domination de l’impérialisme américain
qui vise également le remodelage des
frontières. Le remodelage de la carte du
monde musulman est une idée ancienne que
Bush fils a reprise, qu’Obama a encore
développée mais qui a commencé avec la
première guerre d’Irak en 1991. En
effet, le 11 septembre 1990, à la veille
de l’attaque de l’Irak après l’invasion
du Koweït, le président George Herbert
Walker Bush a prononcé devant le Congrès
un discours où il a révélé les grandes
lignes du projet pour un nouvel ordre
mondial : «Nous nous trouvons
aujourd’hui à un moment exceptionnel et
extraordinaire. La crise dans le Golfe
persique, malgré sa gravité, offre une
occasion rare pour s’orienter vers une
période historique de coopération. De
cette période difficile, notre cinquième
objectif, un nouvel ordre mondial, peut
voir le jour : une nouvelle ère, moins
menacée par la terreur, plus forte dans
la recherche de la justice et plus sûre
dans la quête de la paix.» La messe
était dite. La désinformation fera son
travail pour faire croire que le Nouvel
ordre mondial est une bonne chose pour
toute l’humanité. Evidemment, le NOM ne
se contente pas de changer les
frontières issues de Sykes-Picot et
celles du monde pour asseoir l’hégémonie
américaine dans un ordre unipolaire
définitif. Le NOM c’est aussi
l’instauration du libéralisme comme
idéologie dominante à l’échelle
planétaire, avec le FMI et la Banque
mondiale comme outils d’asservissement
des peuples, une idéologie planétaire
qu’aucune idéologie concurrente ne
viendrait remettre en question.
L’économie de bazar préconisée par les
«islamistes» s’y insère parfaitement.
La loi de la
jungle de George Bush
La propagande pour
la «recolonisation» et/ou la destruction
du Moyen-Orient est contenue dans le
discours même de Bush du 11 septembre
1990 (notez la date !) : «Un monde où la
primauté du droit remplace la loi de la
jungle. Un monde où les Etats
reconnaissent la responsabilité commune
de garantir la liberté et la justice. Un
monde où les forts respectent les droits
des plus faibles.» En vérité, ce
«meilleur des mondes» est le pire des
mondes pour les faibles, surtout s’ils
sont musulmans, qu’ils ont du pétrole et
qu’un traître les mène par le bout du
nez. Or, la trahison est une seconde
nature dans la région du Golfe, les
conspirations contre Saddam Hussein en
témoignent. Et c’est exactement au
onzième anniversaire de ce discours,
jour pour jour, qu’aura lieu l’attentat
du WTC et du Pentagone. Dans le sillage
du «Printemps arabe», l’attaque du 11
septembre 2012 contre le consulat
américain à Benghazi s’est soldée par la
mort de l’ambassadeur et deux
fonctionnaires à la suite des émeutes
contre le film antimusulman mais cela a
permis d’implanter une base militaire au
Yémen en catimini et de renforcer la
présence américaine dans la région. Un
autre attentat, celui perpétré contre le
bateau de guerre américain l’ USS Cole,
en vérité laissé sans surveillance ce
jour-là, a déjà permis l’implantation de
l’armée US dans ce pays. Le «Printemps
arabe» vient donc de concrétiser une
grande partie des plans du NOM et du GMO
comme une bonne partie des désirs
expansionnistes d’Israël. Car il est
indéniable que la politique étrangère
américaine est pour une large part
façonnée au profit de l’Etat hébreu et
que les néoconservateurs qui dirigent la
Maison-Blanche depuis Bush sont
foncièrement sionistes et se dévouent
prioritairement à la cause d’Israël,
comme le dit Elliott Abrams dans la Foi
ou la Peur, comment des juifs peuvent
survivre dans une Amérique
chrétienne(1997). Quant au journaliste
Thomas Friedman du New York Times, il a
compté vingt-cinq personnalités
néoconservatrices aux Etats-Unis en 2003
et a écrit à leur sujet : «Si vous les
aviez exilés sur une île déserte il y a
un an et demi, la guerre en Irak
n’aurait pas eu lieu» ! Les
néoconservateurs compensent leur petit
nombre par la multiplication de comités,
projets, think-tanks et autres ONG qui
leur confèrent une force quasi
imparable. Quoique l’apanage d’un petit
nombre d’élus, les néoconservateurs
engrangent des millions de voix aux
Etats-Unis et se permettent de recruter
des dizaines de milliers de serviteurs
et de collaborateurs à travers le monde.
En 1982, la Revue d’études
palestiniennes avait publié un article
d’Oded Yinon, intitulé : «Stratégie pour
Israël dans les années 80», avec une
préface par le professeur Israël Shahak,
ancien président de la Ligue israélienne
des droits de l’homme. Dans sa préface,
Israël Shahak attirait l’attention sur
la proximité entre cette «stratégie pour
Israël» et la pensée néoconservatrice
américaine qui présidera à la politique
étrangère étatsunienne dès l’accession
de George W. Bush au pouvoir.
L’éclatement de l’Irak, les conflits et
tensions communautaires dans la plupart
des pays arabes, l’annexion de Jérusalem
et d’une bonne partie de la Cisjordanie
montrent que certains points de la
vision d’Oded Yinon se sont concrétisés
vingt-cinq ans seulement après sa
publication. Dans ce texte, elle écrit :
«Démanteler l’Egypte, amener sa
décomposition en unités géographiques
séparées : tel est l’objectif politique
d’Israël sur son front occidental, dans
les années 1980. L’Egypte est
effectivement déchirée. L’autorité n’y
est pas une mais multiple. Si l’Égypte
se désagrège, des pays tels que la
Libye, le Soudan et même des Etats plus
éloignés ne pourront pas survivre sous
leur forme actuelle et accompagneront
l’Egypte dans sa chute et sa
dissolution. On aura alors un Etat
chrétien copte en Haute Egypte, et un
certain nombre d’Etats faibles, au
pouvoir très circonscrit, au lieu du
gouvernement centralisé actuel ; c’est
le développement historique logique et
inévitable à long terme, retardé
seulement par l’accord de paix de 1979.»
Oded Yinon
: la partition du monde musulman
Oded Yinon ajoute
: «La décomposition du Liban en cinq
provinces préfigure le sort qui attend
le monde arabe tout entier, y compris
l’Egypte, la Syrie, l’Irak et toute la
péninsule arabe ; au Liban, c’est déjà
un fait accompli. La désintégration de
la Syrie et de l’Irak en provinces
ethniquement ou religieusement
homogènes, comme au Liban, est
l’objectif prioritaire d’Israël, à long
terme, sur son front est, à court terme,
l’objectif est la dissolution militaire
de ces Etats. La Syrie va se diviser en
plusieurs Etats suivant les communautés
ethniques, de telle sorte que la côte
deviendra un Etat alaouite chiite ; la
région d’Alep, un Etat sunnite ; à
Damas, un autre Etat sunnite hostile à
son voisin du Nord : les Druzes
constitueront leur propre Etat, qui
s’étendra sur notre Golan peut-être, et
en tout cas dans le Haourân et en
Jordanie du Nord. Cet Etat garantira la
paix et la sécurité dans la région, à
long terme : c’est un objectif qui est
dès à présent à notre portée.»
Aujourd’hui, la situation en Irak après
la deuxième guerre du Golfe montre que
le plan est en partie en voie
d’achèvement. Sa stratégie semble avoir
été exécutée à la lettre par Bush en
envahissant l’Irak en 2003 : «L’Irak,
pays à la fois riche en pétrole, et en
proie à de graves dissensions internes,
est un terrain de choix pour l’action
d’Israël. Le démantèlement de ce pays
nous importe plus encore que celui de la
Syrie. L’Irak est plus fort que la Syrie
; à court terme, le pouvoir irakien est
celui qui menace le plus la sécurité
Israël. Une guerre entre l’Irak et la
Syrie ou entre l’Irak et l’Iran
désintègrera l’État irakien avant même
qu’il ne puisse se préparer à une lutte
contre nous. Tout conflit à l’intérieur
du monde arabe nous est bénéfique à
court terme et précipite le moment où
l’Irak se divisera en fonction de ses
communautés religieuses, comme la Syrie
et le Liban. En Irak, une distribution
en provinces, selon les ethnies et les
religions, peut se faire de la même
manière qu’en Syrie du temps de la
domination ottomane. Trois Etats — ou
davantage — se constitueront autour des
trois villes principales : Bassora,
Bagdad et Mossoul ; et les régions
chiites du Sud se sépareront des
sunnites et des Kurdes du Nord. L’actuel
conflit irano-irakien peut radicaliser
cette polarisation.» Aujourd’hui, l’Irak
n’est plus que l’ombre de lui-même, avec
des velléités sécessionnistes au nord
comme au sud, et un terrorisme de la
terre brûlée. Au sujet de la Palestine
occupée et de la Jordanie, la vision d’Oded
Yinon semble également bien avancée, le
«Printemps arabe» venant concrétiser une
bonne partie de ce plan sioniste, avec
la bénédiction de l’OLP et de Hamas,
prêts à faire des concessions de taille.
N’est-ce pas que participant du complot
contre la Syrie, son chef, l’islamiste
Khaled Mechaal crachera sur les 300
millions de dollars/an ou plus que lui
offrait Téhéran depuis des décennies et
quittera Damas où il a séjourné
pratiquement depuis sa création en 1987
pour s’installer à Doha ? Quant à
Mahmoud Abbas, il oubliera lui aussi les
nombreuses aides du pays qui a perdu son
Golan pour la Palestine et dira, lorsque
Damas avait besoin de lui, qu’il était
neutre dans le conflit intersyrien ! «La
Jordanie, écrit Oded Yinon, ne peut plus
survivre longtemps dans la structure
actuelle et, la tactique d’Israël soit
militaire, soit diplomatique, doit viser
à liquider le régime jordanien et à
transférer le pouvoir à la majorité
palestinienne. Ce changement de régime
en Jordanie résoudra le problème des
territoires cisjordaniens à forte
population arabe ; par la guerre ou par
les conditions de paix, il devra y avoir
déportation des populations de ces
territoires, et un strict contrôle
économique et démographique – seuls
garants d’une complète transformation de
la Cisjordanie comme de la
Transjordanie. A nous de tout faire pour
accélérer ce processus et le faire
aboutir dans un proche avenir. Il faut
rejeter le plan d’autonomie et toute
proposition de compromis, de partage des
territoires ; étant donné les projets de
l’OLP et des arabes israéliens eux-mêmes
(voir le plan de Shefar’ham) il n’est
plus possible de laisser se perpétuer
ici la situation actuelle sans séparer
les deux nations : les Arabes en
Jordanie et les juifs en Cisjordanie. Il
n’y aura de véritables coexistence
pacifique dans ce pays que lorsque les
Arabes auront compris qu’ils ne
connaîtront ni existence ni sécurité
qu’une fois établie la domination juive
du Jourdain jusqu’à la mer. Ils n’auront
une nation propre et la sécurité qu’en
Jordanie.» Ce qui frappe l’esprit, c’est
que le plan de l’israélienne Oded Yinon
se recoupe parfaitement avec celui
publié dans la revue militaire
américaine AFJ( Armed Forces Journal) et
intitulée Redrawing the Middle East Map
en 2006, où le Moyen- Orient est
recomposé sur la base de critères
ethniques et religieux, depuis la
Turquie, le Yémen à l’Afghanistan : même
l’Arabie Saoudite y serait démantelée en
deux entités, dont un «Etat sacré
islamique» au Hedjaz et regroupant La
Mecque et Médine.
A. E. T.
(A suivre)
Partie
12/18
Partie
14/18
Article publié sur
Le Soir d'Algérie
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