|
Opinion
Mannoubia Bouazizi,
mère de la révolution tunisienne
Ali Ben Mabrouk
Lundi 7 mars 2011
La vie est loin d’être un fleuve
tranquille pour Mannoubia, la mère de Mohamed Bouazizi, mort
suite aux brûlures du quatrième degré. Ce geste héroïque l’a
rendu célèbre dans le monde entier. Car il a causé la chute de
trois dictateurs et la liste n’est pas close. Par Ali Ben
Mabrouk
Mohamed Bouazizi avait trois ans quand son père, maçon de son
état, est décédé suite à un accident de travail en Libye. Sa
mère a du batailler très fort pour élever seule ses trois enfant
de bas âge. On peut dire que la vie ne l’a pas épargnée à Sidi
Bouzid, ville agricole où il ne pleut pas assez pour permettre
une bonne récolte d’olives chaque année. Le brave Bouazizi a du
quitter l’école dès l’âge de douze ans pour aller travailler
dans les champs pour aider sa pauvre mère à subvenir aux besoins
de la famille.
Un visage radieux
Doué d’un sens aigu du commerce, le jeune Bouazizi se lança
dans la vente des fruits à la station des taxis de Sidi Bouzid
située tout près du siège du gouvernorat. Il s’est façonné un
petit chariot ambulant, conçu spécialement pour des petites
quantités de bananes, poires et oranges. Le capital était si
maigre, il ne pouvait se permettre de se hasarder avec des
grosses quantités difficiles à transporter. En plus les agents
municipaux pouvaient à tout moment émerger de nulle part pour
s’emparer de son commerce.
Ce qui est arrivé ce vendredi 17 décembre 2010. Sa mère
se rappelait ce matin de bonne heure, avant de quitter son
domicile pour aller cueillir des olives dans un champ situé à
quelque vingt kms de Sidi Bouzid, elle a jeté un regard à la
chambre des enfants. A côté de Mohamed, son demi frère Ziad
dormait paisiblement, mais le plus frappant dans cette scène, et
qui a visiblement marqué la mère, c’était le visage rayonnant de
bonheur qu’affichait Mohamed. Il avait le regard heureux. A
moins un elle allait embrasser ce visage radieux mais elle s’est
ravisant se disant: que va-t-il penser ce jeune homme plein de
vie en voyant sa mère l’embrasser à six heures du matin? Elle
s’est contentée de lui souhaiter en murmurant ces quelques mots:
«Que Dieu soit avec toi mon fils dans tous tes actes.»
Un corps calciné et sans odeur
C’était la dernière fois qu’elle le voyait vivant en train de
respirer. Pendant tout le temps qu’il a passé à l’hôpital des
grands brûlés de Ben Arous, il était pratiquement mort, son
corps calciné ne pouvait produire aucune odeur. De temps en
temps, on le changeait de position comme disaient les docteurs
soignants pour que le sang puisse circuler dans ses veines, mais
pour Mannoubia Bouazizi son cœur lui disait que son fils est bel
et bien mort.
C’est une certaine Fayda Hamdi, agent de contrôle à la
municipalité de Sidi Bouzid qui l’a tué. Elle l’a giflé parce
qu’il a osé lui arracher des mains la balance électronique
qu’elle voulait lui confisquer. Une balance que le pauvre
Bouazizi a empruntée chez un ami. Non seulement elle l’a giflé
mais elle a appelé à son secours ses collègues pour venir le
tabasser et le ruer de coups de pied. Tout cela est arrivé
lors du contrôle et la confiscation de ses biens car le jeune
Bouazizi a appelé au téléphone son oncle maternel, pharmacien
fort connu à Sidi Bouzid, qui a accouru au plus vite en sa
faveur auprès des agents de contrôle.
Cette intervention a déplu à la jeune contrôleuse qui a voulu se
venger en confisquant la maudite balance électronique. C’est
cette balance que Mohamed Bouazizi a voulu récupérer en se
rendant quelques instants après à la mairie où personne n’a
voulu lui prêter la moindre oreille.
Déçu et chagriné par ce mauvais accueil, il s’est adressé au
siège du gouvernorat et a demandé à voir le gouverneur. Hélas
c’est toujours le même refus de l’écouter observé par les
fonctionnaires de l’Etat qui n’ont rien à fouetter des doléances
d’un pauvre petit marchand ambulant.
L’extincteur du gouvernorat était
vide
Devant tout ce mépris, il a confié à un de ses amis les plus
proches qu’il sait comment les ébranler. Cet ami était loin de
se douter qu’il allait acheter de l’essence et s’immoler devant
le siège du gouvernorat.
Quand son corps a pris feu, les agents de sécurité du
gouvernorat ne pouvaient se hasarder à l’approcher de peur de
prendre feu eux-mêmes. Il a fallu que quelques passants
courageux interviennent pour tenter de le sauver en vain et même
l’extincteur du gouvernorat était vide et ne pouvait être
d’aucun secours. Quand l’ambulance est arrivée, le corps de
Mohamed Bouazizi était encore en feu et même lors de son
admission à l’hôpital de Sidi Bouzid, un proche parent de
Mohamed Bouazizi, l’interne de garde à l’hôpital, a affirmé
avoir entendu Mohamed Bouazizi dire ses ultimes prières, il a
remarqué la gravité des brûlures, et comme l’hôpital de Sidi
Bouzid n’est pas équipé pour ce genre de brûlures, il a ordonné
qu’il soit transporté à l’hôpital de Sfax.
Une heure et demie de route ont aggravé la situation d’un corps
déjà carbonisé. A Sfax c’est le même scénario, le corps de
Mohamed Bouazizi était complètement calciné, il fallait le
transporter par hélicoptère vers l’hôpital des grands brûlés à
Ben Arous, mais on s’est dit à quoi bon gaspiller tout ce
kérosène du moment que le pauvre Mohamed Bouazizi n’est plus
récupérable.
A Ben Arous, Mannoubia Bouazizi fut approchée par l’un des
conseillers du président déchu qui l’a invitée à se rendre au
palais de Carthage pour y raconter sa mésaventure. Selon ses
dires, l’ex-président a ordonné l’arrestation de Fayda Hamdi
ainsi que ses deux collègues, puis il a rendu une visite à
l’hôpital des grands brûlés où le pauvre Mohamed Bouazizi gisait
inanimé.
Plus de 20.000 personnes aux
funérailles
On a attendu jusqu’au 4 janvier 2011 après les fêtes de fin
d’année pour annoncer la mort du jeune martyre de Sidi Bouzid.
Plus de 20.000 personnes ont assisté aux funérailles du
brave Mohamed Bouazizi. Ce jour là quelque 4.000 véhicules se
sont rendus à Sidi Bouzid. Seul un membre du gouvernement qui a
préféré garder l’anonymat a présenté ses condoléances par
téléphone à la mère de Mohamed Bouazizi.
Depuis le 19 décembre 2010 à ce jour là, Manoubia Bouazizi
n’a pas cessé de recevoir des journalistes de tous les pays de
la planète. Les médias tunisiens ne sont accourus vers elle
qu’après le 14 janvier 2011 et c’est pour cette raison qu’elle a
refusé de les recevoir et on peut lui donner raison car au fond
d’elle-même, elle le pense et elle le dit très clairement: quand
j’avais besoin des médias tunisiens, aucun journaliste n’est
accouru à mon secours. Aujourd’hui ils veulent organiser des
débats en direct, rien que pour augmenter leur audimat. Son fils
est mort et il ne retournera pas, toute sa vie Mohamed Bouazizi
rêvait d’acheter une 404 bâchée pour exercer librement son
commerce.
Mannoubia refuse 20.000 dinars de
dédommagement
Après sa mort, le gouvernement tunisien provisoire a offert
la somme de 20.000 dinars comme dédommagement à la mère de
Bouazizi qu’elle a refusée. Mohamed n’est plus là pour
acheter la camionnette, donc cet argent n’est plus nécessaire.
En bonne croyante, elle accepte la volonté de Dieu, mais elle ne
pourra jamais pardonner à cette Fayda Hamdi. qui a humilié son
jeune fils et l’a poussé à mettre fin à ses jours car une vie
sans dignité ne vaut pas la peine d’être vécue.
Mohamed Bouazizi était un homme pieux, pratiquant mais loin
d’être fanatique. Il était généreux mais refusait la corruption.
Sa demi-sœur Besma, âgée de 15 ans, le décrit comme un ange,
elle ne cesse de répéter combien il était content chaque fois
qu’il lui donnait de l’argent de poche. Il était son
ange-gardien, elle n’est pas prête de l’oublier et refuse de
croire qu’il est mort car, d’après sa conviction, les anges
vivent au paradis et ne meurent pas.
Mannoubia Bouazizi est affligée par la perte de son fils mais,
au fond d’elle-même, elle est fière d’avoir donné naissance à un
héros dont le nom sera gravé dans tous les esprits. Elle dit
avoir perdu un fils mais le monde a gagné un nouveau leader pour
ceux qui aspirent à plus de liberté et de démocratie.
Qui aurait cru un jour que Ben Ali puisse dégager du jour au
lendemain? Qui aurait pu imaginer voir Moubarak suppléer son
peuple pour le laisser mourir en Egypte? Qui aurait pu dire à
Kadhafi dégage, lui qui croyait être aimé par tous les Libyens?
Copyright © 2011 Kapitalis. Tous
droits réservés
Publié le 8 mars 2011
avec l'aimable autorisation de Kapitalis
Le dossier Tunisie
Dernières mises à
jour
|