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Opinion
Les subbotnikis de
Pâques !
Alexandre Latsa
© Alexandre Latsa
Vendredi 29 avril 2011
"Un autre regard sur la Russie" par
Alexandre Latsa
Се week-end, le printemps est arrivé à Moscou. Je ne vous
parle pas du timide printemps que Moscou connaît parfois à la
sortie de l’hiver, non je vous parle du vrai printemps, celui
qui s’accompagne de lumière, de verdure, de chaleur et de vie.
La température a atteint 16 ou 17 degrés, la ville s’est
retrouvée sous un intense soleil, et les Moscovites en ont
profité pour aller flâner dans les rues et les parcs de la
capitale, afin de bénéficier de la lumière et surtout des
premières chaleurs. J’ai insisté dans ma
précédente tribune sur la rigueur de l’hiver moscovite.
C’est vrai qu’il a encore récemment neigé et que cet hiver a été
vraiment difficile. Chaque année, le basculement définitif vers
le printemps et l’été se fait avec une rapidité et une violence
qui me laisse pantois. Le froid semble si totalement et
profondément incrusté que je me demande comment l’herbe peut
surgir si rapidement et la nature si facilement reprendre sa
place.
Cette année bat des records, puisque les températures en
cette dernière semaine d’avril devraient frôler les 20 degrés.
"Que du bonheur", me disait ma voisine d’étage, Inna, que j’ai
croisée samedi matin et qui s’apprêtait à aller passer un moment
sur un banc dans un parc du quartier afin de profiter du beau
temps. Tous les Moscovites vous le diront, après un hiver à
Moscou et le terrible manque de lumière lié, votre organisme ne
vous demande qu’une chose: de la lumière et du soleil. Par
conséquent comme Inna, j’ai également opté pour un week-end à
l’extérieur à me balader dans mon quartier, tout au bout d’une
de ses interminables lignes de métro. J’ai passé une bonne
partie de mon temps à déambuler, flâner et simplement profiter
de l’arrivée du printemps tout en célébrant cette journée fériée
qu’est Pâques.
D’ailleurs les Russes sont de plus en plus nombreux à
célébrer cette fête, selon le site
chrétienté info si seulement 10 % des Russes déclaraient
faire carême en 2000. Ils sont 35 % en 2011. De la même façon,
plusieurs dizaines de millions de Russes suivront aussi l’office
du soir, puis la procession de minuit autour de chaque église.
Ce renouveau religieux prend de l’ampleur, il est accompagné par
le pouvoir et finalement assez similaire à celui qu’on
observe dans les autres pays anciennement communistes et qui ont
souffert d’une transition démocratique et économique souvent
difficile lors des bouleversements politiques.
Le quartier dans lequel je réside est un quartier assez
typique de la banlieue moscovite, un spalny rayon (quartier
dortoir) très vert. Samedi je me suis assis à la terrasse d’un
Elki-Palki, cette chaîne russe de restaurants traditionnels. La
terrasse était pleine et faisait face à la terrasse d’un
McDonalds, également pleine. Cela reste une énigme pour moi,
alors que certains fantasment sur l’obsessionnel
anti-américanisme primaire des Russes de constater que
finalement McDonalds est si populaire à Moscou, en tout cas à
mon avis au moins autant que les supermarchés Auchan. La densité
de la population dans les rues avait peut être aussi une autre
explication. Samedi était une journée un peu inhabituelle
puisqu’il s’agissait du premier
subbotnik de l’année. Explication: Dans les premiers temps
de l’URSS, les communistes travaillaient bénévolement les
samedis (samedi = subbota), afin de contribuer à une édification
plus rapide du socialisme.
Le premier samedi communiste a eu lieu le 1er mai 1920 à
Moscou, Lénine y participa et la scène fut immortalisée en
peinture. Dans les années 50, cette tradition fut reprise dans
nombre de pays du bloc communiste, en Europe et en Asie
centrale. L’état russe a relancé ces dernières années cette
tradition. Tous les ans, le nombre de participants augmente. Ce
Week-end à donc eu lieu le premier Subbotnik de l’année, et près
de 1,5 million de Moscovites y ont participé, soit un habitant
sur dix. Les activités sont tant le nettoyage des routes que des
passages piétons, des parcs ou des poubelles. A cette occasion,
20.000 façades ont été rénovées dans Moscou et environ 2.000
arbres et 9.000 arbustes plantés. Tout cela je le répète est
bénévole et traditionnel. Les étrangers, notamment français, ne
peuvent qu’être surpris par une telle initiative, le travail du
week-end, même rémunéré étant très tabou en France et sujet à de
nombreuses polémiques.
La forte densité de la foule présente dans les rues
adjacentes aux sorties de métro durant tout le week-end avait
quelque chose de vivant, qui inspirait également une certaine
insouciance. Une multitude de gens poussés vers l’extérieur par
un étrange mélange de religion, de tradition soviétique et de
fête du soleil. En observant la foule qui déambulait dans les
rues, je me disais que finalement ce printemps russe se présente
assez bien, et pas seulement dans le domaine du climat. Sur la
scène internationale, la Russie semble être épargnée tout du
moins provisoirement par les secousses qui frappent le monde
arabe et l’Afrique. Elle ne devrait pas par exemple craindre de
vagues d’immigration incontrôlée, comme l’Europe en subit
actuellement à travers ses frontières sud. Le pays n’est pas non
plus engagé dans un quelconque conflit armé à l’étranger, et
donc à l’abri d’un éventuel effet boomerang à son encontre.
La baisse de tension avec l’Otan à l’ouest et le renforcement
des liens avec les pays asiatiques au sein du groupe BRICS
(Brésil, Russie, Inde, Chine et République sud-africaine)
consolide sa position de puissance régionale. Les tensions dans
le monde arabe ont par contre entraîné une hausse du prix du
pétrole qui devrait permettre à la Russie d’augmenter ses
rentrées financières et de terminer l’année avec un déficit
budgétaire bien plus faible que prévu. Sur le plan
intérieur, cette trésorerie inattendue mais bienvenue devrait
rendre plus facile pour l’état la tenue de promesses et
d’engagements sociaux colossaux,
exprimés par le premier ministre Vladimir Poutine le 20 mars
dernier dans son discours sur le travail du gouvernement à la
Douma. Les indicateurs économiques globaux semblent au vert,
alors que la Russie devrait connaître une croissance économique
assez forte en 2011 mais également en 2012, année de l’élection
présidentielle. Tous ces éléments permettent de ressentir un
optimisme prudent pour les mois à venir, optimisme qui rend
encore plus doux cet agréable printemps moscovite.
Alexandre Latsa, 33 ans, est un blogueur
français qui vit en Russie. Diplômé en langue slave, il anime le
blog DISSONANCE, destiné à donner un "autre regard sur la
Russie".
Article publié sur RIA Novosti
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