Tribune
Réflexion sur les
manifestations en Russie
Alexandre Latsa
©
Alexandre Latsa
Mercredi 28 décembre
2011
"Un autre
regard sur la Russie" par Alexandre
Latsa
L’année 2011 se termine et avec elle
un mois de décembre placé sous le signe
des manifestations politiques. Rappelons
les faits: suite aux élections du 04
décembre 2012 qui ont entraîné une
baisse de Russie Unie et une forte
hausse des partis nationalistes ou de
gauche, des fraudes électorales ont été
dénoncées. Ces fraudes auraient permis
au parti au pouvoir et disposant de
la ressource administrative, de
gonfler son score et de fausser les
résultats. Pourtant, près de deux
semaines après les élections, alors que
des enquêtes sont en cours suite aux
plaintes déposées, le nombre de fraudes
recensées dans le pays y compris Moscou
ne semble pas avoir faussé notablement
le scrutin, dont les résultats sont
conformes aux nombreux sondages et
estimations
d’avant et d’après vote.
Revenons aux manifestations: Le 10
décembre 2011, un grand meeting unitaire
d’opposition avait lieu à Moscou,
rassemblant 30 à 40.000 personnes. J’ai
déjà décrit la relative incohérence
politique de cette manifestation qui
rassemblait côte à côte des membres de
la jeunesse dorée Moscovite, des
nationalistes radicaux, des
antifascistes, ainsi que des libéraux et
des communistes. Souhaiter le départ à
la retraite de Vladimir Poutine n’est
pas un programme politique, et quand à
la tenue de nouvelles élections, on se
demande en quoi elle concerne des
dizaines de sous-groupuscules politiques
non candidats à la représentation
nationale.
Le 17 décembre le parti d’opposition
libérale Iabloko a
rassemblé quelques 1.500 partisans,
alors que le meme jour
qu’un millier de sympathisants du
mouvement eurasien et du syndicat
des citoyens russes (Профсоюз
Граждан России) se réunissaient pour
dénoncer les manipulations oranges et
rappeler la nécessité d’un état fort. Le
lendemain, le 18 décembre, ce sont près
de
3.500 militants du parti Communiste
qui se sont réunis. Le 10 décembre, lors
de la grosse manifestation dopposition,
l’un des leaders de l’opposition
liberale, Mikhaïl Kassianov, avait
affirmé que "Si aujourd'hui nous sommes
100.000, cela pourrait être 1.000.000
demain". Celui ci a appelé à un
printemps politique en Russie, un
discours étrangement similaire à celui
de l’excessif républicain John Mc Cain
ces dernières semaines. Pour autant
aucune marée humaine n’a déferlé dans
les villes du pays, au grand dam de
nombre de commentateurs occidentaux qui
annonçaient déjà l’Armageddon en Russie,
et c’est seulement une neige abondante
qui a recouvert le pays le 24 décembre,
jour de la manifestation unitaire.
Cette journée du 24 décembre n’aura
finalement été un succès qu’a Moscou. En
province, dans les autres villes de
Russie, la mobilisation aura faibli par
rapport aux rassemblements du 10
décembre. A Vladivostok, la
manifestation a réuni 150 personnes,
contre 450 le 10 décembre. A
Novossibirsk 800 personnes ont défilé
contre 3.000 le 10 décembre. A
Tcheliabinsk dans l’Oural, les
manifestants étaient moins de 500 contre
1.000 le 10 décembre, à Iekaterinbourg
800 personnes ont manifesté contre 1.000
le 10 décembre dernier. A Oufa, 200
manifestants se sont rassemblés, soit
autant que le 10 décembre. Enfin 500
personnes ont défilé à Krasnoïarsk
contre 700 le 10 décembre. Notons qu’à
Saint-Pétersbourg, haut lieu de la
contestation et bastion libéral en
Russie, de 3 a 4.000 personnes ont
défilé, contre près de 10.000 le 10
décembre dernier. (Sources :
Ria-Novosti et
Ridus.ru).
Dans la capitale le 24 décembre, 3
meetings différents ont eu lieu.
2.000 nationalistes du parti
nationaliste Libéral-Démocrate de
Vladimir Jirinovski, et
3.000 sympathisants du politologue
Sergueï Kurginyan ont manifesté
séparément pour répondre à la "peste
orange". Enfin et surtout dans ce qui
est sans doute le plus gros meeting
d’opposition de l’année, avenue
Sakharov, ce sont
40 à 50.000 personnes qui se sont
rassemblées. La manifestation de Moscou
s’est déroulée sans incidents notables,
si ce n’est à la fin du meeting, quand
des radicaux d’extrême droite ont
tenté de monter sur la tribune en
force, alors même que le leader ultra
nationaliste Vladimir Tor (dirigeant du
mouvement NazDems) avait pris la parole
quelques minutes auparavant. On peut du
reste se demander pourquoi les nombreux
journalistes occidentaux présents n’ont
pas relevé le fait que plusieurs
milliers de jeunes nationalistes
radicaux sifflaient ou criaient "russophobe"
en direction de certains orateurs de
diverses confessions et scandaient des
slogans tels que: "les russes ethniques
de l'avant", ou "donnez la parole aux
russes ethniques". Un deux poids deux
mesures pour le moins surprenant.
Dans le pays et donc surtout à
Moscou, les rassemblements du 24
décembre ont tourné à la cacophonie
politique totale. Les meetings ont de
nouveau rassemblé toutes les composantes
politiques les plus improbables, des
nationalistes radicaux aux
antifascistes, en passant par les
libéraux, les staliniens, les activistes
gays et lesbiennes ou quelques stars du
Show Business russe. Plus surprenant,
toujours lors de la manifestation de
Moscou, la présence du milliardaire
Prokhorov et de l’ancien ministre des
finances Aleksei Koudrine, pourtant
proche de Vladimir Poutine. Aleksei
Koudrine a d’ailleurs pris la parole,
ajoutant à la cacophonie ambiante et
déclenchant un record de sifflements du
public. Pour la première fois un député
d’opposition très connu a
mis le doigt sur cette désunion
systémique de la soi disant opposition,
en quittant la manifestation avant même
de prendre la parole. Même son de cloche
pour l’analyste politique Vitali Ivanov,
pour qui l'opposition à Vladimir Poutine
est une nébuleuse qui mène des
conversations de cuisine.
La prochaine grande journée de
manifestation devrait avoir lieu en
févier, c’est à dire pendant le mois
précédant l’élection présidentielle du 4
mars 2012. Pour autant, on imagine
difficilement comment Vladimir Poutine
ne serait pas réélu et tout d’abord au
vu de la situation économique que
connaît le pays. La croissance du PIB
devrait frôler les 4,5% en 2011 et sans
doute autant en 2012. Le taux de chômage
est descendu à 6,3%, la dette du pays
est faible, inférieure a 10% du PIB, et
les réserves de change sont d’environ
500 milliards de Dollars. L’inflation
est à la baisse, estimée pour cette
année à 6,5% soit son plus faible niveau
depuis 20 ans. La Russie est aujourd’hui
la 10ieme économie du monde en produit
intérieur brut nominal et la 6eme
économie mondiale à parité de pouvoir
d'achat. Selon les analyses du centre de
recherche britannique CBER la Russie
devrait être la
4ieme économie de la planète aux
environ 2020.
Il est donc très difficile d’imaginer
comment la personne jugée directement
responsable de ce redressement
économique par la majorité des citoyens
pourrait ne pas être réélue. Bien sur il
est plausible que la vague de
mécontentement se reflète dans les
scores de la présidentielle de mars
2012, et que Vladimir Poutine ne soit
pas élu au premier tour avec 71% des
voix, comme en 2004, ou avec 72% des
voix, comme Dimitri Medvedev en 2008,
dans une Russie en totale euphorie
économique. Celui ci devra probablement
envisager un score plus proche de celui
de mars 2000 (Vladimir Poutine avait
obtenu 52% des voix) voire se préparer à
un second tour. Si tel est était le cas,
il y affronterait probablement le
candidat du parti communiste, Guennadi
Ziouganov. Un choix cornélien pour les
occidentaux, mais qui refléterait
parfaitement la tendance électorale
initiée par les dernières élections
législatives russes qui ont vu les
partis de gauche augmenter fortement
leur poids électoral.
L’opinion de l’auteur ne coïncide
pas forcément avec la position de la
rédaction.
Article publié sur
RIA Novosti
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