Tribune
Dialogue Russie -
Occident: un problème de morale ?
Alexandre
Latsa
©
Alexandre Latsa
Mercredi 28 novembre
2012
"Un autre
regard sur la Russie" par Alexandre
Latsa
Source:
RIA Novosti
Lorsqu’en 2010 Paris et Berlin
s’efforçaient de
tirer Moscou vers l’Ouest, l’espoir
de l’Occident tout entier, exprimé par
la majorité des analystes et
commentateurs politiques, était que la
Russie se défasse enfin de sa dimension
eurasiatique pour rejoindre la famille
occidentale.
L’épisode malencontreux d’août 2008
en Géorgie était plus ou moins digéré,
la crise devait réunir la riche Russie
et l’Europe endettée, et surtout la
présidence de Dimitri Medvedev était vue
par beaucoup à l’Ouest comme un symbole
d’ouverture et de libéralisation, dans
une Russie qui tournait sans doute et
enfin la page Poutine.
Fin 2012 la situation est toute
autre. Certes les relations avec la
France semblent toujours au beau fixe et
ce malgré le changement de majorité
présidentielle, une bonne surprise.
Contre toute attente, c’est l’Allemagne
qui ne se présente plus comme le
partenaire idéal qu’elle a été pour la
Russie pendant de nombreuses années. Un
refroidissement
inattendu puisque qu’une motion
votée au Bundestag appelle le
gouvernement allemand à exprimer
clairement ses critiques, liées au
retour de Vladimir Poutine au Kremlin
mais aussi à l’affaire Pussy Riot.
L’affaire aurait pu en rester là si un
député conservateur, Andreas
Schockenhoff, envoyé spécial de la
chancelière pour la Russie n’avait pas
dénoncé “ l'intimidation et la
répression de la société civile“ et
affirmé que: “ la Russie a choisi la
mauvaise voie“. Des déclarations qui ont
entraîné la colère des russes et une
légère tension diplomatique. Lors de la
dernière visite d’Angela Merkel en
Russie mi novembre, le ton était
froid mais cordial, la coopération
économique et stratégique restant
visiblement primordiale, pour Berlin
tout comme pour Moscou.
Mais l’Allemagne n’est pas le pire
point de discorde entre la Russie
l’Occident. Le groupe
ADLE (Alliance des démocrates et des
libéraux pour l’Europe) a récemment tenu
son congrès en Irlande. Les
congressistes, après avoir reçu les
membres du parti d’opposition russe
Iabloko (3,43% des voix en Russie),
ont appelé au vote d’une résolution de
condamnation de la Russie par le
parlement européen et le conseil de
l’Europe. Ne s’arrêtant pas là, ils ont
simplement menacé la Russie d’être
exclue du Conseil de l'Europe, rien
que ça. Une tactique similaire à celle
d’août 2008, comme vient de le
révéler Wikileaks. Est-ce l’effet
Syrie, comme c’était l’effet Géorgie en
2008? Ou bien serait-ce l’effet
gaz de schiste comme le
pense Alexandre Adler qui imagine
sans doute un peu rapidement une Europe
libérée de la dépendance énergétique
russe et de la tyrannie de la société
Gazprom qui est de plus en plus dans le
collimateur des organismes européens?
Bien sur, l'ADLE, Schockenhoff,
Iabloko, les Pussy Riot et les Femen ne
pèsent pas bien lourd, ni en Europe ni
en Russie, mais ils existent et il faut
en tenir compte. Mais ces nouvelles
tensions avec l’Occident se produisent
alors que le Kremlin a affirmé ses
ambitions à l’Est, dans son
extrême orient bien sur mais surtout
vers l’Asie, tout en affirmant sa
nature et son statut de
pays européen. Ce faisant, la Russie
semble surtout de plus en plus
réaffirmer sa dimension eurasiatique, à
cheval entre l’Europe et l’Asie,
position qui historiquement a toujours
été celle qui lui a le plus profité.
Mais il n’y a pas que ça. L’UE apparaît
de plus en plus comme un partenaire de
moins en moins fiable (d’où la volonté
de rééquilibrage avec l’Asie) et c’est
surtout son modèle moral et politique
qui semble périmé et ne constitue
visiblement plus un exemple attractif
pour la Russie.
Les récents raidissements de la
Russie (du point de vue occidental) ne
sont pourtant que des ajustements
mineurs en vue d’un probable gros
changement de cap. On peut par exemple
s’offusquer des condamnations des Pussy-Riot,
mais il faut ouvrir les yeux sur le fait
que la grande majorité du peuple russe (80%)
soutient leur condamnation, la moitié
des russes pensant même que la peine est
insuffisante! Quand aux Femen, elles ont
peut être trouvé de maigres
soutiens en France mais sont
purement et simplement
interdites de séjour en Russie.
On peut ne pas être d’accord à
l’ouest, mais les russes eux sont
aujourd’hui plutôt majoritairement
d’accord avec leur pouvoir politique et
aussi avec leur église, car ils
s’affirment de plus en plus comme un
peuple authentiquement chrétien. Selon
deuxa target="_blank" href="http://en.rian.ru/russia/20121123/177696597.html">
récents sondages,, 79% des russes
sondés s’affirment orthodoxes et 38%
affirment qu’être orthodoxe est très
important pour être considéré comme un
vrai russe, contre seulement 15% en
1996. Seuls 53% des sondés pensent même
que le passeport est une preuve
suffisante d’appartenance à l’identité
nationale. Ce retour à la religion et
aux traditions, ainsi qu’à une certaine
idée non citoyenne de l’identité
nationale s’accompagne d’une
réaffirmation
totale de l’implication de l’état
dans ces changements. Il s’agit
d’accompagner le retour de la société
russe vers un système moral en
adéquation avec ses aspirations
profondes. Comme l’a parfaitement
défini Fedor Loukianov: “Le modèle
que Poutine voudrait rétablir revient à
faire reconnaître par l'Occident que la
Russie est un pays différent par sa base
idéologique et morale“.
Il faut sans doute se demander dès
maintenant si la rupture morale avec
l’Occident ne serait pas déjà consommée
et si dans un avenir proche, ce n’est
pas la Russie qui pourrait devenir un
modèle de civilisation pour une Europe
de l’Ouest de nouveau en recherche de
valeurs.
© 2012
RIA Novosti
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