Tribune
Tripoli-Damas-Paris
Alexandre Latsa
©
Alexandre Latsa
Mercredi 28 mars
2012
"Un autre
regard sur la Russie" par Alexandre
Latsa
Il y a tout juste un an, seulement 48
heures avant le début des bombardements
en Libye, j’écrivais un article intitulé
“les
enjeux de la bataille pour Tripoli”.
En substance le texte soulevait la
question des motivations de l'offensive
occidentale en Libye mais aussi de ses
conséquences potentielles, tant pour le
pays que pour la stabilité dans la
région. L'article citait le spécialiste
en géopolitique Evgueny Satanovski qui
conseillait à la Russie de ne surtout
pas s’ingérer dans les affaires
intérieures de la Lybie, mais plutôt de
consacrer tant ses ressources que son
énergie au développement de la Russie.
Il semblerait que celui-ci ait été
entendu par le président Medvedev, qui
ouvrit sans doute involontairement la
porte à l'intervention militaire
occidentale en Libye. On sait ce qu'il
advint, après 7 mois de bombardements,
le régime de Mouammar Kadhafi détruit et
ce dernier assassiné, après avoir été
capturé par le Conseil National Syrien,
la structure de coalition de ses
opposants. Un an plus tard, on est loin
des rêves de démocratie de la coalition
occidentale. La situation en Libye n’est
pas apaisée, loin de là, et le
renversement du régime libyen par cette
méthode a probablement créé plus de
problèmes qu'il n'en a résolus. La Libye
devrait voir la Charia devenir sa loi
fondamentale et l'Est du pays est en
état de quasi sécession. Les grandes
villes sont toujours le théâtre
d’affrontements sporadiques entre
partisans de l'ancien régime, et
diverses milices du nouveau pouvoir. Les
vidéos répugnantes de travailleurs «
noirs » (libyens ou étrangers
originaires d’Afrique)
martyrisés ont en outre fait le tour
de la planète.
Le temps passe, et la rhétorique de
la libération et de la démocratisation
continue. Aujourd'hui c'est la Syrie qui
est sous le feu médiatique occidental,
alors que chacun se demande si une
intervention militaire occidentale n’est
pas de plus en plus probable, sur le
modèle libyen. Pourtant il y a, au nom
de la démocratie, quelque chose
d'extraordinairement subversif et
pervers dans ce qui se passe
actuellement et que certains qualifient
encore de Printemps Arabe. Jusqu’à
maintenant, l’onde de choc qui frappe
les pays arabes et aboutit à des
renversements de pouvoir prend deux
formes bien différentes.
La première variante se manifeste
sans trop de violences meurtrières, et
prend la forme de rassemblements et de
soulèvements populaires comme cela fut
le cas en Tunisie ou en Égypte. Très
logiquement, les échéances électorales
qui ont découlé de ces manifestations
ont vu la prise de pouvoir des partis
religieux, les peuples montrant ainsi
clairement qu'ils ont plus confiance
dans leur clergé que dans des hommes
politiques corrompus et autoritaires.
Quel est donc l’intérêt des occidentaux
(s'il y en a un) à provoquer la mise en
place de régimes islamistes?
La seconde variante de ces
soulèvements est moins pacifique, les
opposants au régime choisissant la lutte
armée, avec le soutien (moral,
médiatique et logistique) des
occidentaux. Le fait que les rebelles
syriens soient infiltrés par des
combattants islamistes radicaux
salafistes, voire proches d’Al-Qaïda
comme ceux qui ont combattu en Libye est
passé sous silence. Le fait que des
armes soient livrées par divers canaux à
ces mêmes combattants radicaux, avec les
risques évidents engendrés, ne fait
curieusement pas la une du mainstream-médiatique
occidental.
Il y a un autre aspect important de
ces événements dans le monde arabe qui
est occulté. Les états concernés
(visés?) par ces renversements de
pouvoir sont maintenant des états non
alignés du monde musulman chiite. Qu'est
ce que cela veut dire? Les démocraties
occidentales font bloc avec la “ligue
arabe” (sous contrôle de l'Arabie
Saoudite et du Qatar, les deux seuls
états wahhabites) contre des états comme
la Syrie ou l’Iran. Ce faisant, les
états occidentaux contribuent
directement à l'extension de l'islamisme
le plus radical et ils encouragent par
ailleurs (peut être volontairement ?),
un conflit inter religieux entre
musulmans Sunnites et Chiites, conflit
qui se développe lentement. Très
curieusement lorsque des manifestations
de civils Chiites ont eu lieu, par
exemple à Bahreïn, et ont été violemment
réprimées avec l'aide de l’armée
saoudienne, cela n’a pas entrainé de
protestations en occident. On ne peut
qu’être surpris par un tel système à
deux poids et deux mesures.
Lorsque la guerre contre l'Islamisme
radical et contre Al-Qaïda a été
déclenchée en 2001, des opérations
militaires de grande envergure ont été
lancées en Afghanistan et en Irak. Les
Talibans ont été provisoirement chassés
du pouvoir (ils y reviennent peu à peu)
et l'Irak est devenu l’épicentre du
conflit Sunnite-Chiite alors même
qu'aucune arme de destruction massive
n'a été découverte dans ce pays. Le 11
septembre 2001, ce ne sont pourtant pas
des iraniens, des syriens ou des libyens
qui ont contribué à tuer 3.000 citoyens
américains. Sur les 19 terroristes
impliqués, 15 étaient saoudiens et 2
émiratis. Je parlais plus haut de
l'Arabie Saoudite et du Qatar, et si les
liens entre ces deux pays et les
États-Unis sont bien connus de tous,
ceux de la France avec l'Arabie Saoudite
le sont moins, l'hexagone étant pourtant
le
principal fournisseur européen
d'armes du royaume Saoudien. Quand au
Qatar, le journal "l'expansion"
décrivait récemment les très forts
investissements de ce pays en France
sous le titre: "le
Qatar rachète la France". L'article
mentionnait notamment les
investissements faits dans les banlieues
françaises, pour y promouvoir “la
diversité culturelle et religieuse via
le soutien aux petites entreprises des
quartiers défavorisés musulmans” via un
fonds d'investissement créé fin 2011. Y
a t-il un lien avec cette première et
étonnante rencontre à Bagnolet au
mois d’octobre 2011 et qui appelait à un
printemps arabe en France?
Il est donc difficile de décrypter le
but des ingérences de la France et de
ses alliés occidentaux dans le monde
arabo musulman. Les projets de
démocratisation en Tunisie, en Egypte et
en Lybie n’ont pas donné les résultats
attendus, l’occupation de l’Afghanistan
et de l’Irak non plus. En Irak,
l’intervention militaire a permis au
bloc chiite de venir au pouvoir, mais la
coalition occidentale fait maintenant le
jeu des sunnites en Syrie, avec l’appui
de l’Arabie Saoudite et du Qatar. De
plus, il y a maintenant une menace
sérieuse d’affrontements inter religieux
entre musulmans dans la région, et
toutes ces révolutions paraissent avoir
favorisé l’implantation de certains
mouvements terroristes.
Les assassinats de Toulouse et de
Montauban devraient apparaître pour la
France tout comme pour un certain nombre
d’états occidentaux comme un
avertissement quand à leurs politiques
extérieures, mais aussi intérieures. Au
lieu de rêver à une révolution du genre
printemps démocratique en Russie, les
stratèges occidentaux devraient peut
être examiner avec soin les positions
intelligentes de la diplomatie russe au
moyen orient, ainsi que le
fonctionnement du
modèle multiculturel russe.
L’opinion de l’auteur ne coïncide
pas forcément avec la position de la
rédaction.
Article publié sur
RIA Novosti
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